Hasegawa referme la porte de la classe à clé avant de glisser le petit trousseau dans sa poche. Les cours sont terminés pour aujourd'hui. Mais, il n'a pas pour autant terminé sa journée. Néanmoins, depuis que l'après midi est là et qu'une chaleur languissante règne, il n'aspire plus qu'à une chose.

* Un café... *

C'est pour lui l'une des rares raisons qui le mènent à aller dans la salle des professeurs. Bien souvent, il n'y vient que pour ouvrir son casier, à l'extérieur de la pièce, et y quérir les informations d'usages. Néanmoins, son travail se déroule plutôt dans le petit atelier ou il peut à loisir préparer, nettoyer, entretenir les outils de la classe ainsi qu'admirer et juger de l'investissement de tel ou tel élève dans son cours.

Dans son esprit, il n'est nullement question de noter la qualité des œuvres produites. Non, il préfére s'attarder sur cette valeur certes suggestive qu'est l'investissement. D'ailleurs, cela fonctionne bien car il n'a jusqu'à maintenant jamais eu de plaintes de ses élèves. Ceux qui n'étaient pas intéressés s'acquittaient volontiers d'une note médiocre et ceux qui s'étaient réellement donnés du mal obtenaient une récompense correspondante.

Mais comment quantifier l'investissement, cela apparait-il toujours clairement? Pour Yuusuke, c'est certain. Il peut voir dans les toiles la quantité de soin dont elles ont été l'objet et à partir de là, il lui est possible de juger de la note correspondante sans en douter. Cela demande juste une attention accrue sur l'élève et sur son travail. Mais n'est-ce pas là son boulot après tout?

Croisant tour à tour élèves et professeurs, il les salut avec l'amabilité qui le caractérise. Mais il se garde bien de s'attarder avec eux. Le jeune homme a un désir et il entend bien l'assouvir. Agrandissant ses pas à mesure qu'il approche de la salle, il finit par passer la porte et entre dans l'antre des professeurs.

Ses paupières battent légèrement au spectacle très déstructuré que représente ce lieu en désordre perpétuel. Prenant garde à ne pas marcher sur les feuilles jonchant parfois le sol, il salut quelques enseignants présents et poursuit jusqu'à la cafetière ou il commence à se préparer avec un soin tout particulier le breuvage sombre qui va le faire tenir jusqu'au soir.

N'ayant bien vite plus qu'à attendre que le filtre termine de faire son œuvre, il se détourne vers la fenêtre pour regarder vers extérieur d'un air pensif. Sa main se glisse dans la poche de son veston. Ses paupières clignent alors que l'étonnement nait dans ses yeux. Il ressort une lettre rose pâle portant un cœur comme sceau et la regarde, l'air totalement désabusé.

Une journée étouffante ? Ouais, sans doute. Et que faire durant ce genre de journée ? Aller à la piscine ! Non, fallait bosser, évidement. Ah, chanceux étaient ces élèves allemand qui avait, ce que l’on appelait « hitzefrei » ou, traduit « libre pour cause de chaleur ». A partir d’un certain nombre de température atteint par le mercure, ces chanceux élèves et professeurs aussi, donc, étaient exemptés de cours. Ah si seulement cela existait aussi au Japon. M’enfin, le problème était que les cours seraient suspendus pendant tous les mois de l’été, tellement il faisait chaud.

Même Dean, dans son infirmerie qui était tout de même pas mal isolée, crevait de chaud. Aussi, le ventilateur dans lequel il avait investi, n’avait pas fait long feu. De plus, notre adulte avait préféré laisser la fenêtre fermée afin d’éviter de faire rentrer toute la chaleur. Dean s’était donc retrouvé à s’éventer avec un éventail de fortune fabriqué grâce à un vieux carton qui trainait encore là et que son prédécesseur avait oublié de ranger.
Les patients s’étaient fais rares aujourd’hui. Si bien que cela faisait près d’une heure que notre infirmier n’avait rien à faire, mis à part classer pour la énième fois les fiches des élèves, pianoter sur son ordinateur ou écouter de la musique. Il avait tenté de lire, mais rien à faire. D’autant que la chaleur n’y arrangeait rien. Ce qu’il avait besoin maintenant ? Un remontant. Un café ? Non trop chaud. Une glace ? Pas le temps d’aller en chercher. Un soda ? Un Thé glacé ? Boh, il verra bien quelle surprise lui réservera la salle des profs. Alors, se reculant, il ferma son ordinateur et sorti de l’infirmerie, la fermant à clef. De toute manière, s’il y avait une urgence, son numéro de portable était afficher sur une pancarte et il aura bien vite fait de rappliquer.

Nous allons donc passer sous silence le comment du pourquoi Dean mit pas mal de temps à rejoindre la salle des professeurs –sans doute que la chaleur le rendait tellement amorphe qu’il ne se sentait pas d’attaque à accélérer le pas. Une fois ladite salle atteinte, notre adulte poussa la porte et se dirigea, non sans avoir lancé un bonjour plus ou moins jovial à la personne déjà présente, vers le frigo. Il l’ouvrit et, soupirant de soulagement, en sorti une bouteille de coca bien fraîche. Il en versa un peu dans un verre et bu goulûment le contenu d’une seule traite, avant de le remplir à nouveau, se tournant cette fois vers l’inconnu. Un professeur, sans doute. Souriant, Dean prit une grande gorgée et avala

«Rassurez-moi, je ne suis pas le seul à croire que le mercure à atteint le summum aujourd’hui » Il sourit puis lança un coup d’œil vers le côté afin de voir si son regard ne tombait pas sur un thermomètre, mais en vain.

Dans un premier temps, Hasegawa paraissait un peu absent, gardant son regard sur l'enveloppe qu'il tenait. Ses sourcils se froncèrent légèrement alors que ses lèvres s'unissaient dans une moue sérieuse.

Quand un homme le sollicita sur le ton de la conversation, l'enseignant en art tourna ses yeux sombres puis son visage vers l'interlocuteur. Ses paupières clignèrent deux ou trois fois alors que ses iris se contractaient, signe qu'il reprenait conscience de la réalité.

" - L'on m'a dit qu'il pouvait faire encore plus chaud dans cette région. Mais, il y a du bon dans chaque chose et j'apprécie ce temps clair. Les couleurs paraissent regagner leurs véritables éclats après les tons sombres qu'elles empruntent durant la saison des pluies. C'est un spectacle toujours renouvelé et qui ne cesse de m'émerveiller. "

A mesure qu'il parle, son ton change. D'un murmure roque, sa voix s'élève en un timbre léger et rafraichissant, comme si sa gorge se desserrait de quelques étaux invisibles. Il quitte l'individu du regard pour laisser ce dernier s'évader vers la fenêtre.

* Je vais devoir prendre soin de cette affaire. *

Après un instant, glissant la lettre dans sa main pour en caresser le papier, il s'approche de la cafetière et commence à verser un peu de son café dans un mug blanc. Fermant les yeux et inspirant doucement, il goute l'arôme qui s'échappe du liquide sombre.

Cultivant avec un sourire délicieux, l'attente qu'il ressent désormais à le boire, le jeune homme le décide de le laisser refroidir un peu en gardant le mug en mains. Il se tourne alors vers l'individu pour porter sur lui un regard plus présent.

Tout en écoutant sa réponse, il s'attarde sur le physique de son interlocuteur.

* Je ne suis pas habitué à voir quelqu'un d'une stature s'approchant de la mienne. *

Remarque-t-il dès le premier instant. Les gens côtoyant sa taille l'ayant toujours mis dans un léger état de malaise. Il se force néanmoins à ce sourire courtois que les japonais ont fait un art d'emprunter.

Pendant que Dean but son deuxième verre de coca et s’en servit tout de suite après un troisième, il écouta tranquillement l’inconnu qui se trouvait avec lui dans la salle des professeurs. Il arqua un sourcil et tenta tant bien que mal à dissimuler un sourire amusé. Cet inconnu avait l’air … bizarre ? Genre peace and love. Arrête le LSD mon pote, ça peut avoir des effets secondaires néfastes et non désirés.

Soit. Dean l’écouta donc, amusé puis fini son troisième verre avant de le poser dans l’évier. Souriant, il s’essuya la bouche du revers de la main puis se dirigea vers l’inconnu. Sans perdre son air jovial qu’il avait affiché depuis tout à l’heure, il lui tendit la main

« Dean Onwara, enchanté. Je suis le nouvel infirmier du lycée »

Il attendit que son interlocuteur réponde à sa poigné de main avant d’hocher une fois la tête et d’abaisser son bras le long de son corps. Il laissa couler son regard le long de la pièce, puis reporta son attention sur l’inconnu, l’observant rapidement. Puis, souriant, il reprit la parole :

« Ça fait longtemps que vous travaillez ici, dans ce lycée ? J’aurais besoin d’un guide pour me montrer un peu l’école et ces alentours. Quelqu’un qui pourrait me montrer où il fait bon se retirer après une journée de boulot … »

Il continua de soutenir son regard, espérant que l’adulte ne lui tiendra pas compte du début de parole, pas mal élevé.

- Oh oui!

Laisse échapper avec empressement l'enseignant en changeant la lettre de sa main pour la tendre et serrer fermement celle que lui tendait son interlocuteur tout en s'inclinant respectueusement.

- Enchanté de vous rencontrer Onwara-san, je suis Hasegawa Yuusuke, enseignant en art.

Dit-il d'un ton usuel et chaleureux, un sourire engageant se dessinant sur ses lèvres, son regard sombre pétillant d'une lueur vive.

" Étrange façon de dire son prénom en premier, mais 'Dean' sonne gaijin, après tout. "

Pense-t-il comme une évidence. L'homme ne peut s'empêcher de battre légèrement des paupières en entendant son interlocuteur faire fit des formules de respects d'usages pour engager vivement la conversation. Sa perplexité et son malaise est légèrement accentué alors que l'infirmier parait lui suggérer une idée quelque peu étrangère à sa mentalité.

" Des lieux ou se retirer après le boulot ? Au sein de l'école? "

Dans son esprit, son lieu de travail est avant tout un lieu de ... Travail. Il fait une utilisation très parcimonieuse de la pièce de repos et seulement en cas de besoin impérieux quand la situation exige qu'il décompresse un coup. Dans sa pensée, la paresse n'amène jamais rien de bon.

- Je vous demande pardon, Onwara-san.

Dit-il en hochant de la tête tout en poursuivant.

- Mais je ne suis sans doute pas la personne la mieux placée pour vous indiquer des lieux de détente. Je passe souvent mon temps libre à travailler sur mes toiles. Je crois que dans les environs, le lieu ou vous pourriez trouver de quoi vous détendre serait au centre commercial Tama Greenwalk. J'y ai vu quelques bons cafés, je crois.

Il pense bien à ce café qu'il fréquente. Une habitude qu'il a prit lors de son séjour à Kyoto et qu'il apprécie désormais comme un moment de 'détente'. Mais il n'entend pas forcément le conseiller derechef à quelqu'un qu'il ne connait qu'à peine.

Et puis, il y a bien autre chose qu'il fait. Mais il ne se sent pas de le révéler ici. Sa passion pour les défis physiques en milieu naturel est quelque chose dont il ne fait naturellement pas l'étalage. C'est une pratique personnel qu'il n'entend pas partager, là encore, avec un inconnu.

Hm ? Bon, ok, il avait mal gérer le départ. Super. La première impression qu’il laissera à cet inconnu ne sera sans doute pas bonne et n’aura sans doute pas l’effet que Dean espérait. C’était bien sa veine. Depuis son arrivé au lycée, bien qu’il aimait beaucoup son nouvel environnement, il avait du mal avec les étudiants ou le personnel du lycée. Ses coloc n’en faisaient pas partis, évidemment. Mais il avait rencontré une jeune fille dans le dojo, celle-ci l’avait rabaissé au point que Dean avait préféré fuir plutôt que de l’entendre continuer. Maintenant il y avait cet inconnu, qui s’était présenté comme étant un certain Yuusuke Hasegawa, professeur d’art.

La question fatidique : quoi ? Que faisait-il de faux ? Etait-il trop ouvert aux autres pour ces japonais ? Etait-il trop jovial ? Sans doute cela accentuait-il le problème. Non mais franchement, arriverait-il un jour à penser et à agir comme un vrai japonais, de manière à pouvoir mettre en avant le côté asiatique de son physique ? Ce jour n’était pas encore venu et s’en était vraiment dommage. Mais soit, l’espoir fait vivre, pas vrai ? Ainsi, notre adulte se redressa, affichant à nouveau le sourire qu’il venait de perdre pendant que ces pensées s’étaient bousculés dans sa tête. Il reporta son attention sur le jeune homme et reprit la parole :

« Je suis désolé. Je me suis sans aucun doute mal exprimé » C’est ça Dean, rattrape toi. Keep going on ! « Ça fait 1 ans que j’habite au Japon, mais il m’arrive encore à faire des erreurs de formalités et de politesses. Habitudes que j’avais prise lors de ma vie américaine » Voilà, au moins c’était dit maintenant. Il n’était pas un pur asiatique. Espérant que Yuusuke sera un peu plus gentil vis-à-vis de ça, il s’inclina légèrement puis se redressa et reprit « à vrai dire, je voulais simplement une personne qui accepterait de me montrer un peu le lycée. Il est assez grand et je me …. »

La voix de Dean se brisa. Devait-il vraiment dire au professeur qu’il s’était déjà perdu en cherchant l’infirmerie ? Mauvaise impression power. Non, des trucs tellement plus personnels n’étaient obligé d’être connu par non interlocuteur. Alors, toussotant légèrement, il dévia son regard, le fixant son regard sur la machine à café

« Je me … demandais si je ne rencontrerais pas une personne charmant qui pourra voler à mon secours »

Il accentua ses dires derrières un grand sourire, songeant que son côté américain avait reprit le dessus. Mais bon, il ne pouvait malheureusement plus revenir en arrière et se contenta de paraître le plus sérieux possible.

Quand Dean lui révèle qu'il est, en fait, d'origine américaine, Hasegawa acquiesce légèrement en battant des cils.

" Un américain! Ça explique tout... "

Forcément, aux yeux de Yuusuke, Onwara venait d'un pays ou les gens étaient connus pour être bourrus et familier. Un anglais ou un allemand passe encore, un français serait idéal mais un américain, forcément.

Formulant sa requête, l'infirmier sur lequel désormais l'enseignant portait un regard conciliant et coulant, le mit dans l'embarra. Battant de nouveaux des cils, il se mit à pousser ce rire léger qu'emprunte les gens de l'archipel quand la gêne survient.

- Et bien...

Laisse t-il en suspens pour se laisser le temps de réfléchir rapidement, tout en portant sa main à sa nuque pour la caresser, penchant légèrement la tête en avant. Son regard fuit un instant pour fixer le mare de son café.

" Que faire ? Ce n'est pas à moi de faire ça, normalement. Et puis je n'ai rien de charmant. Cela serait un peu présomptueux d'accepter de le guider après ses propos, non? Mais la chose aurait du être faite et cela gêne Onwara dans son travail. Que faire..."

Soudain, une lueur nait dans ses iris sombres alors qu'un sourire enjoué vient se dessiner sur ses lèvres. Il finit par acquiescer énergiquement et lève enfin son regard pour caresser celui de l'infirmier d'un air étrangement malicieux. Il élève alors une voix emplie d'une humilité respectueuse.

- Je regrette qu'on ne vous ait pas fait visiter l'établissement. Le personnel de l'établissement doit être très occupé. Néanmoins, il se trouve que je dois disposer des affiches un peu partout dans les couloirs pour sensibiliser les élèves à la tenue de cours du soir. Si vous voulez m'accompagner, je serais heureux de répondre à vos questions concernant les lieux que nous traverserons dans la limite de mes connaissances.

Il accompagne ses mots d'un hochement de tête courtois avant de porter son mug à ses lèvres pour gouter à son café.

BINGO ! Il avait réussit à faire dire au jeune homme ce qu’il voulait. Enfin quelqu’un qui pourra lui montrer les différents étages des bâtiments et répondre à ses questions. Ah dieu soit loué ! Mentalement, Dean s’imaginait tombant a genoux, les bras levé au ciel et crier de manière théâtralisée, toute la joie qu’il put ressentir à ce moment même. Mais bon, il allait éviter de faire ça ou alors il prendrait le risque de faire fuir la seule personne qui avait accepté de lui donner un coup de main depuis qu’il s’était approprié de l’infirmerie.

Alors, se contentant d’agrandir légèrement son sourire, notre adulte hocha une fois la tête et s’inclina à nouveau légèrement avant de reporter son attention sur le professeur. Pendant que Dean attendit que son interlocuteur ait finit de boire une gorgé de sa boisson –et se demandant, en passant, comme il faisait pour apprécier un café par cette chaleur- il enfonça ses mains dans les poches de son jeans puis prit la parole

« C’est gentil, vraiment. Merci. »

Il attendit encore quelques instants, puis se détourna et se dirigea vers la cuisine. Il avait encore envie de coca. Sans doute était-ce une habitude qu’il s’était chopper en Amérique : dès qu’il voulait se rafraîchir avec une boisson, c’était vers le coca qu’il se tournait. Certes, c’était sucré comme pas possible, c’était mauvais pour la santé, ça ne luttait pas contre la soif et ça faisait grossir –quoiqu’il faille le consommer à bon escient. Mais c’était tellement bon ! Et puis, Dean était du genre à se maintenir en forme –par le biais de la course à pied et, avec un peu de chance, le kendo, bientôt- donc il avait bien le droit de céder à la tentation. D’autant que le meilleur, c’était le coca normal, pas le zéro, pas le light, ni même le lemon, cherry, ou je ne sais quoi d’autre, non. Le vrai, le seul, l’unique et l’original.

Ainsi, il reprit donc son verre et se dirigea à nouveau le frigo d’où il sorti la bouteille. Il remplit le verre et le bu, savourant chaque gorgé. Il ferma légèrement les yeux, dos tourné vers le professeur d’art et soupira, esquissant un sourire avant de reposer le verre dans l’évier et ranger la bouteille. Celle-ci, qui était initialement remplie, avait perdue le ¾ de son contenu. M’enfin, il en rachètera une autre, ce n’était pas si grave que ça. Puis, se tournant vers l’adulte, il lui sourit et se dirigea vers la porte

« On peut y aller ? »

Une main sur la clenche, il s’immobilisa. Son interlocuteur avait encore son café à boire. Ce serait mal polie de la part de notre infirmier de l’obliger à finir à la va vite, d’autant qu’il n’était pas si pressé que ça. Alors, sourire éternel sur les lèvres, il haussa les épaules et reprit la parole

« Enfin, terminez d’abord votre café. On a le temps je suppose »

L'expression retenue de Dean conforte Yuusuke dans son idée. Se détendant quelque peu, il tilte légèrement quand il entend les dires de l'infirmier. Un souvenir vague revient à son esprit. La dernière fois qu'il avait été remercié aussi abruptement, c'était par un jeune enfant après qu'il lui est rendu son ballon. Pas de doute, l'idée qu'on lui avait fait des américains devait se révéler assez exacte.

Battant légèrement des cils, l'enseignant s'étonne un instant de voir son interlocuteur se détourner de la conversation qui plus ai pour se resservir dans le réfrigérateur de la salle.

" Un autre verre d'une même boisson ? "

Buvant de nouveau une gorgée de son café, Hasegawa reste perplexe. De toute évidence, la consommation répétée et excessive d'une telle boisson ne devait plus être dans un soucis de dégustation ou encore pour profiter des vertus énergisantes mais plutôt par gourmandise. Cela n'aurait concerné que le principal intéressé si le soda n'avait pas été à l'attention de tous les professeurs.

Un autre événement s'ajoute alors à l'acte quand l'infirmier délaisse son verre dans l'évier sans prendre soin de le nettoyer et de le ranger à la place ou il était disposé avant son arrivé.

" Je commence à comprendre le choc de nos ancêtres quand ils ont rencontrés Perry."

Son imagination l'amène alors à reconstituer une scène ou un amiral de la marine américaine très caricatural arrive face à l'empereur et emprunte alors les pires comportements. Un sourire malicieux nait sur ses lèvres à mesure que son regard prend de la distance avec l'individu qu'il suit.

Revenant à la réalité à l'interjection d'Onwara, l'enseignant en art cligne des paupières d'un air un peu décontenancé. Son regard s'abaisse sur sa tasse de café puis revient à l'infirmier lorsqu'il reprend. Un sourire mi-amusé mi-affecté nait sur ses lèvres.

" Il manque vraiment cruellement de courtoisie. "

Se laisse-t-il penser avant de se fendre d'un geste de la tête affirmatif en réponse aux dernières paroles de l'infirmier. Il boit une nouvelle gorgée avant de reprendre.

- Je vous demande pardon mais je dois d'abord photocopier l'affiche dont j'ai besoin en nombres raisonnables pour les disposer dans l'établissement. Si vous êtes pressés, n'hésitez pas à chercher quelqu'un d'autre qui saurait peut-être vous guider dans un temps qui vous conviendra mieux.

Malgré lui, Hasegawa commence à sentir l'agacement poindre. Préférant prendre du recul sur la situation, il ferme les yeux, inspire une nouvelle fois l'arôme de son café pour en boire une gorgée sans une once de précipitation.

" Il ne manquerait plus que ça..."

Dean s’était douté qu’il devrait être un peu plus patient. Ce n’était franchement pas courtois de sa part de sembler presser, d’autant que son interlocuteur avait encore son café en main et qu’il l’avait tout juste commencé. Hochant donc doucement la tête à la réponse de Yuusuke qui lui signifiait qu’il devait encore exécuter pas mal de chose avant qu’ils ne partent, notre adulte lâcha la clenche et lui adressa un sourire

« Prenez votre temps, je vous en pris »

Il l’observa ensuite quelques instants avant de se dire qu’encore une fois c’était une preuve de manque de tact. Mais bon, Dean et le tact, ça faisait deux. Soit, il devrait tout de même pouvoir changer ça et se retenir un peu. Il laissa donc glisser furtivement son regard vers la fenêtre dont les stores étaient fermés et par lesquels filtraient les rayons du soleil. Il se mordilla légèrement la lèvre inférieure. Ce silence qui s’était mis en place commençait à être gênant. Dean allait rapidement devoir se trouver quelque chose à faire et vite s’il ne voulait pas finir englouti par le silence qui se faisait de plus en plus lourd. Son regard tomba alors sur son verre qu’il avait laissé trainer dans l’évier. Bingo !

Sans plus hésiter, il sorti les mains de ses poches, se redressa et se dirigea vers le plan de travail de la cuisine. Là, il attrapa le verre et fit couler l’eau chaude. Il rinça d’abord le récipient avant de mettre un peu de produit vaisselle et le nettoyer un peu plus en profondeur. Il le rinça ensuite, laissant la mousse couler dans les égouts puis attrapa une serviette et commença à essuyer le verre. Pendant ce temps, il se tourna vers son interlocuteur et lui adressa un sourire

« Vous m’aviez dis que vous êtes professeur d’art. Vous vous intéressez donc beaucoup à l’art j’imagine. Mais est-ce plus pour l’aspect philosophique ou plus pour l’aspect esthétique ? » Il arqua un sourcil puis se retourna et ouvrit l’armoire « ou alors les … »

Sa voix se brisa quand il senti le verre lui glisser des mains. Malgré ses réflex, il n’eu pas le temps de rattraper l’objet qui, après avoir rebondit une fois sur le plan de travail, fini sa chute, éclaté en mille morceaux sur le sol.

« Shit ! » s’exclama Dean dans sa langue natale, en faisant un bon en arrière.

Rah, c’était bien ce qu’il lui fallait maintenant. Ça DEVAIT lui arriver maintenant. Franchement, la vie était quand même mal foutue. Ah qu’est-ce qu’il pouvait s’en vouloir par moment. M’enfin, mettons ça sur le fait qu’il y avait encore de la mousse sur le verre, que c’était un verre suicidaire et qu’en plus c’était la faute à pas de chance. Les trois choses étaient donc réunies pour foutre Dean dans une merde pas possible. M’enfin, il y avait quand même pire que de casser un simple verre –se casser un bras par exemple- mais quand même, ça faisait bien chier. Soupirant, Dean lâcha à nouveau quelques jurons en américain, puis se baissa et commença à ramasser les morceaux de verres et les mettre dans la poubelle.

Ce n’est qu’en se redressant qu’il remarqua sa main en sang. Il la fixa quelques instants et soupira à nouveau. Bon, ce n’était pas une très grosse coupure, elle n’était même pas profonde, mais ça saignait pas mal, et c’était bien connu. Mais se blesser à la main c’était jamais vraiment pratique étant donné que c’était la partie du corps qu’on utilisait le plus. Et puis, qui c’est qui va soigner l’infirmier, hein ? Eh bah, l’infirmier lui-même. Rah, ce n’était vraiment pas son jour aujourd’hui. Soupirant, Dean se retourna et attrapa un essuie-tout qu’il appliqua sur sa main puis regarda les bouts de verres qui étaient encore répartis sur le sol. Il afficha une moue de réflexion puis reporta son attention sur Yuusuke qui avait commencé à s’approcher.

« Hm, vous ne saurez pas par hasard où je peu trouver un balai pour ramasser le reste ? »

" Oh... Une parole courtoise..."

Pense alors Hasegawa en entendant Dean se repondre quand à son empressement. Esquissant un sourire plus léger et quittant un air qui allait en s'assombrissant, il accélère le rythme pour boire son café et se remettre ainsi au travail.

" J'espère que j'aurais tout de même quelques élèves à ces cours. "

Le silence s'installe entre les deux hommes, mais à la différence d'Onwara, Yuusuke parait autant l'apprécier que le reste. Sans sembler aucunement indisposé, il continu de boire son café l'air pensif quand l'infirmier venu à son niveau lui adresse de nouveau la parole. Usé à cette question, l'enseignant y répond sans un instant d'hésitation, d'un ton décidé qu'il n'a alors encore jamais emprunté.

- Je n'ai pas vraiment de goût pour l'aspect esthétique. Je m'intéresse juste au plaisir que peuvent ressentir l'artiste et le spectateur à voir les sentiments sublimer par le processus artistique.

L'art est son domaine, le terrain ou il se sent à l'aise et cela se voit. Comme pour appuyer ses propres dires, il hoche légèrement la tête. Son regard est alors attiré par le bruit de verre brisée. Sursautant malgré lui, il recule de quelques pas tout en battant des paupières précipitamment.

Prenant compte de la raison de l'incident, il s'étonne de voir l'infirmier se risquer à ramasser le verre brisé de ses mains. Au contraire, la coupure qu'il gagne à la main ne le surprend pas. Fronçant légèrement les sourcils à la vue du sang d'un air affecté, il acquiesce vivement aux dires de son interlocuteur.

- Prenez d'abord soin de votre main. Je vais chercher ce dont vous aurez besoin.

Posant son mug sur la table, il s'en va pour quitter la pièce pendant quelques instants. Après, à peine une minute, il finit par revenir avec un balai et une petite pelle qu'il offre à Dean avec un sourire courtois.

- J'espère que ce n'est qu'une coupure superficiel qui n'empêchera en rien la tenue de votre travail parmi nous, Onwara-san.

S’occuper de sa main ? Certes, mais pour cela il devra aller à l’infirmerie et donc abandonner les éclats de verres ce qui ne sera pas très responsable de sa part car il courrait le risque de devoir soigner quelqu’un qui s’aventurerait dans la cuisine. Soit. Notre adulte voulut répliquer quelque chose à Yuusuke, lorsque celui-ci se détourna pour partir. Dean le suivit du regard, arquant un sourcil, incrédule. Il l’abandonnait, là, comme ça, sans un mot ? Eh bah, l’infirmier aura le temps de crever la gueule ouverte ou de se vider de son sang. Franchement, les japonais, n’étaient-ils pas sensé être serviable.

Soupirant, notre américain secoua légèrement la tête, reportant son attention sur sa main. L’hémorragie ne semblait pas s’arrêtée, bien qu’elle avait déjà diminué. Un énième soupire et un bruit de pas plus tard, Dean releva son regard qui tomba sur Yuusuke. Celui même qui l’avait abandonné quelques instants plus tôt. Il partait et il revenait comme bon lui semblait. Tseuh. M’enfin, il n’allait pas se plaindre car au moins le professeur lui avait rapporté de quoi ranger le reste des éclats de verres. Souriant, il attrapa la balayette et la petite pelle, puis s’immobilisa en entendant les paroles de son interlocuteur.

Le sourire de notre adulte se fit quelque peu forcé. Qu’est-ce qu’il avait à lui demander ça, franchement ? Ah, sans doute encore un truc purement japonais. Genre ces gens n’ont que deux semaines de vacances par an et encore, fallait les forcer à les prendre. Certes, en venant travailler dans ce pays Dean avait fait un choix et s’était déjà préparer psychologiquement de devoir travailler beaucoup. Mais à vrai dire, cela ne le dérangeait pas plus que ça, étant donné qu’il aimait beaucoup ce qu’il faisait. Mais alors, ce Yuusuke était suspicieux à son égard. Genre les américains sont des fainéants qui prennent pour excuse une simple coupure. Tsss, attend mon gars, ce n’est pas pour rien que l’Amérique est la première puissance mondiale, encore avant le Japon. Donc ta fainéantise de ces gens, tu te la fous là où je pense.

M’enfin. Pendant que toutes ses pensées firent le tour de son esprit, notre infirmier avait abaissé son bras droit au bout duquel il tenait la balayette et avait continué de fixer Yuusuke avant de secouer légèrement la tête.

« Aucun risque. Je ne suis pas du genre fainéant à prendre comme excuse le fait que je me sois couper » Il baissa son regard vers sa mains puis sourit doucement « c’est certes plutôt dérangeant de se blesser à la main, mais je ne pense pas que ça puisse entraver en quoique ce soit mon travail »

Bon, s’il s’était spécialisé dans le domaine du kiné c’était certes un peu plus dérangeant, mais tout de même. Soit. Haussant les épaules, il gratifia son interlocuteur d’un sourire un peu moins forcé puis se baissa et commença à ramasser les bouts de verres. Etant ambidextre, il n’eut aucun mal à utiliser sa main droite et se débrouilla tant bien que mal avec la petite pelle avant de mettre le tout dans la poubelle. Il se redressa ensuite, gardant les deux objets en main

« Vous pourriez juste me montrer où vous avez trouvé ça ? » Il désigna rapidement les objets d’un coup de tête puis reporta son attention sur Yuusuke « Comme ça je vais les ranger avant d’aller me soigner »

Il ne put s’empêche d’émettre un sourire ironique et amusé. Un infirmier qui devait se soigner lui-même … c’était quand même marrant, non ?

" Quoi! "

Hasegawa est un instant désarçonné par la réponse que lui donne Onwara. Jamais l'enseignant en art n'aurait tenté de suggérer une chose pareille. Ce n'était définitivement pas son genre et l'infirmier se trompait.

" Comment a-t-il pu arriver à un tel raisonnement ? "

Battant des paupières précipitamment avant de pousser un rire gêné, il s'écarte comme pour se réfugier près de la table pour saisir son mug et le porter à ses lèvres. Reprenant son calme, il perd un instant son regard dans le vague.

" Moi qui me pensait assez ouvert pour comprendre les autres cultures. Me voilà remis à ma place. "

Il était vrai que le jeune homme était notablement connu pour sa franchise et sa sincérité parfois vraiment dérangeante. Cela donne donc aux gens qui le côtoient et à lui-même l'image d'un esprit plutôt révolté et plutôt ouvert aux mentalités occidentales.

Quand Dean l'interpelle de nouveau, il se tourne vers lui, le couvant de son regard sombre. Son sourire revient siéger sur son visage mais l'expression reste emprunte d'un certain malaise. L'enseignant acquiesce mollement, l'invitant à le suivre du geste.

Reposant son mug sur la table, il quitte la pièce en veillant à ce que l'infirmier le suive. En fin de compte, il le mène à un petit cagibi se trouvant au fond du couloir menant à la salle des professeurs.

- Ce réduit sert aux gens qui viennent ici pour l'entretien.

Après avoir ouvert la porte, il se décale pour laisser Onwara ranger les ustensiles.

" Je ne peux pas le laisser se tromper sur mes intentions à son égard."

Décide-t-il alors que Dean en termine. Se tournant pour faire face à lui, il s'incline légèrement en amenant ses mains le long de son corps.

- Je vous demande pardon pour mes paroles déplacées. Il n'était aucunement dans mes intentions de suggérer que vous puissiez faire preuve de fainéantise.

En se redressant, il fixe intensément son interlocuteur de ses yeux noirs.

- Votre fonction est de première importance car elle fait de vous le garant de la bonne santé des élèves. Il serait idiot de mésestimer un tel travail, croyez bien que pour ma part, ce n'est pas le cas.

Après avoir posé la balayette et la pelle à leur place et s’être retourné pour faire face à Yuusuke, Dean ne put s’empêcher d’esquisser un sourire amusé en entendant ses excuses. Alors comme ça il n’avait pas voulut dire ce que notre infirmier avait comprit ? Hm. Vu la manière dont il le disait, notre adulte ne pouvait douter de la véracité de ses propos. Alors, secouant légèrement la tête, il fit un signe de la main comme pour signifier que ce n’était pas grave. Son sourire mi amusé mi moqueur se transforma en un sourire plus sincère

« Ça va, ce n’est rien. J’ai sans doute mal interprété vos propos » Mais beaucoup de monde les aurait mal interprété donc t’es en faute, haha, ajouta-t-il mentalement en refermant la porte du cagibi derrière lui. « Bon, je vais retourner d’où je viens » Il désigna le fond du couloir, où se trouvait l’infirmerie « je vous souhaite encore une bonne journée, en espérant qu’on se croise à nouveau un jour »

Après un dernier sourire, Dean se détourna et commença à marcher en direction de l’infirmerie, avant de s’immobiliser. Hésitant un instant, il se retourna doucement vers Yuusuke qui était encore sur place. Il le fixa quelques instants, souriant, puis reprit la parole

« En tant qu’infirmier j’ai une certaine importance dans ce lycée, mais la votre n’est pas moindre. » Il se redressa légèrement « on utilise une partie très infime de notre cerveau, principalement la partie droite qui sert aux calcules. La gauche est très souvent laissée de côté, c’est elle qui sert à notre imagination et à notre créativité. Donc, votre matière est tout de même importante pour le développement du jeune. Et puis, en chaque enfant se trouve un artiste. Le problème c’est qu’il faut savoir comment le rester en grandissant »

Il ponctua ses paroles d’un clin d’œil avant de se détourner et de s’éclipser tranquillement vers son lieu de travail. Au moins ils resteraient sur de bons thermes. Du moins, c’était ce que notre infirmier pouvait espérer.

Hasegawa resta là quelques instants à battre des paupières. Ses sourcils se froncèrent légèrement alors qu'une moue réprobatrice naissait sur ses lèvres. Passant sa main derrière sa nuque pour la caresser il regardait la porte que venait de franchir l'infirmier d'un air dubitatif.

" Étrange rencontre."

Se laissa-t-il penser. De fait, il restait avec un sentiment de malaise envers ce Dean Onwara. Pas un seul instant ce dernier n'avait fait montre d'une véritable courtoisie. L'individu paraissait bien loin de maitriser les bases du comportement japonais et cela avait profondément désarçonné Yuusuke.

En fin de compte, le constat se révélait très mitigé. Si Onwara n'avait pas été son collègue de travail, l'enseignant aurait tout à fait pu s'accorder à ce caractère occidental. Mais dans ce milieu professionnel, il n'était pas question d'être aussi familier.

De plus, Hasegawa avait la désagréable impression qu'ils ne s'étaient pas vraiment entendus sur rien, que leurs pensées étaient trop étrangères pour véritablement se croiser. Rien que la manière dont l'infirmier avait résumé le travail de l'enseignant avait suffit à lui faire courir un frisson dans le dos.

" Ramener ainsi l'expression artistique à un simple phénomène biologique..."

Non, décidément, il devait avouer qu'Onwara se révélait être au limite de sa compréhension. C'était douloureux de l'admettre mais le jeune homme s'y résignait. Avec la désagréable impression d'avoir perdu son temps, il retourna à ses projets avec hâte.