Le bruit des armes était assourdissant. Ce qui était terrifiant dans ce genre de moment, c’est que l’on avait l’impression qu’il n’y avait aucun endroit sur terre ou se cacher. Difficile dans ces moments la de se souvenir que l’on était qu’un simple témoin, et pas quelqu’un sensé prendre part à la bataille. Difficile de réfréner son envie de fuir aussi. Mais il n’y avait nul part ou fuir.
Les cadavres lui tombaient dessus, le bloquant au fond du fossé ou il s’était terré, cherchant à photographier les combattants. Les visages morts le regardaient fixement, et il leva son appareil, lorsqu’ils se mirent tous à claquer des dents, cherchant à le mordre. Il ne pouvait pas reculer, il étouffait, il allait mourir, il…

« AAAAh !! »

Gabriel se redressa dans son lit, les mains tendues en avant comme pour repousser un ennemi invisible. Le souffle court, le dos et les draps trempés de sueur, il peina un court instant à faire la différence entre rêve et réalité, et regarda autour de lui avec angoisse. Mais il était dans une simple chambre japonaise, celle de l’école.

Il s’assit au bord de son lit, sa jambe se plaignant de ce mauvais traitement. Le soir était le moment ou la douleur le gênait le plus, et la nuit se trouvait souvent salvatrice. Mais privé de ce repos, sa jambe manifestait son mécontentement. Le blond se passa la main sur le visage, inspirant lentement. Son lit trempé ne lui inspirait aucune envie.

Il se leva, ouvrant grand son lit pour le laisser se rafraîchir. Il changerait les draps le lendemain. Il enfila un pantalon de jogging et un tee shirt avant de sortir de sa chambre. Le couloir était noir et calme. Perdu dans ses pensées, Gabriel descendit les escalier avec difficulté, avant de se diriger droit vers le cuisine.

C’est lorsque sa main se posa sur la cafetière chaude qu’il réalisa que quelque chose clochait. Comme une mécanique se mettant en place, il guetta le moindre son autour de lui sans laisser paraître son trouble. Un léger bruit de frottement prévenait de derrière lui. Se retournant, il vit une silhouette installée sur le canapé, nimbée de la lumière bleuâtre d’un ordinateur.

« … Cathan ? »

Sa voix était un peu rauque et sèche.

Dormir dans un nouveau lieu était souvent problématique pour Cathan, sa paranoïa inconsciente – ou non – trouvant là le moyen de s'exprimer dans toute sa splendeur. L'endroit était pourtant loin d'être bruyant. Parfaitement isolé, le bâtiment ne laissait filtrer que les petits bruits normaux d'un tel endroit, une porte qui claque au loin, un grincement dans un tuyau... un silence à la fois rassurant et inconfortable. Cathan était resté une partie de la nuit étendu, réveillé, à guetter le prochain bruit avant de finir par s'habiller sommairement et descendre dans le salon avec son portable.
Il s'était décidé à descendre parce que non seulement le salon serait assez éloigné pour ne pas réveiller potentiellement ceux qui dormaient non loin de lui, mais aussi parce qu'il lui offrait le luxe ultime : faire du café et le siroter à longueur de nuit alors qu'il s'occupait sur son ordinateur, checkant ses mails et renouant les contacts outre-Pacifique. Il adorait le concept de travailler ici au coeur de la nuit alors que les gens commençaient tout juste leur journée la-bas.

Il était en bas depuis au moins deux bonnes heures – l'équivalent de 3 cafés délicieusement corsés – quand un cri rauque venant de l'étage déchira la nuit, faisant sursauter l'ex-agent qui chercha machinalement du côté de là où son holster d'épaule s'était trouvé à une autre époque. Avant que la raison ne reprenne le dessus, traduisant le cri comme un cauchemar de l'un de ses colocs – probablement Gabriel vu que la voix avait été résolument mâle – et non comme une agression potentielle. Quelques minutes plus tard, ses sens aux aguets percevaient les bruits de pas de son colocataire, l'irrégularité de sa claudication le rendant inratable.
Cat baissa les yeux sur l'écran, fermant les fenêtres principales ouvertes et ne gardant que deux applications en fond de tache, écrivant quelques mots dans l'une d'elle. La descente des escaliers fut assez longue, bien plus qu'elle n'aurait du en prendre et Cathan ne put s'empêcher d'observer la silhouette qu'il discernait à peine dans la lumière bleutée qui émanait de son écran. La boiterie semblait plus prononcée qu'elle ne l'avait été le première fois qu'il avait croisé le blond.

Blond qui ne sembla réalisé sa présence que quand il toucha la cafetière, témoin encore chaud de sa présence en ces lieux. Un instant, le visage de Gabriel fut peint par une expression complète de stress avant de redevenir plus posée alors qu'il appelait son nom. Impression dûe à la lumière ou réalité ? L'américain rangea l'information dans un coin de sa poche en déposant l'ordinateur sur la table basse devant lui, se tournant entièrement vers le bibliothécaire.

" Le café est encore chaud si tu ne crains pas quand il est fort."

Il y avait de grandes chances que Gabriel aime tout autant que lui révéler ses faiblesses devant une autre personne. La rencontre les avait pris tous deux par surprise. Le blond était-il habitué jusque là à finir ses nuits en bas sans personne pour le déranger ?
Dans sa précédente colocation, Cathan avait souvent passé la nuit sur son ordinateur, sur la terrasse ou dans le salon, sans voir le moindre signe de sa vie, sauf pour les fois où il avait croisé Akutsu qui rentrait d'une de ses virées nocturnes. Les première fois où ils s'étaient croisés tous les deux avaient été plutôt amusantes. Le cas présent en était bien loin, bien plus génant.

Son colocataire lui répondit, terre à terre et agréablement palpable, terminant de déchirer les quelques voiles de son cauchemar qui lui entouraient encore la tête comme un linceul dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Son esprit était plus clair, mais pas totalement libre. Il sourit à la question, amusé.

« Non, j’ai bien besoin de ça au contraire. »

Se servant une tasse, il jeta un coup d’œil à l’horloge, faisant un rapide calcul pour savoir s’il pouvait se permettre un cachet. Ou alors simplement attendre que ça passe ? Il ne remplit sa tasse qu’à moitié pour la préserver des éclaboussures due à sa démarche déséquilibrée, et vint prendre place dans le fauteuil à coté du canapé ou siégeait Cathan.

Sa tasse fut posée sur la table basse tandis qu’il plongeait la main dans la poche de son jogging pour en sortir le paquet qu’il y avait laissé la veille, s’allumant une cigarette. Dans le calme de la nuit, la braise naquit dans un petit grésillement suivi par la première bouffée qui vint caresser ses poumons avec délice.

« Les 3 C. J’ai besoin de ça pour bien dormir. »

Plaisanta t’il, un sourire au bord de sa tasse. Il releva le regard vers Cathan. C’était plus facile quand il était seul. Mais il allait bien falloir apprendre à s’accoutumer l’un l’autre. D’ou il était, il ne voyait l’écran que de travers. Trop peu de fenêtre ouvertes pour être honnête. Il pris une nouvelle bouffée, sa main libre frottant inconsciemment sa cuisse douloureuse.

« Décalage horaire, ou ce sont les charmes de notre colocataire qui t'empêchent de dormir ? »

Il connaissait bien ça. A toujours voyager, il ne parvenait jamais à se caler sur le rythme d’un lieu, et se retrouvait bien souvent réveillé au milieu de la nuit. Même si depuis le temps qu’il vivait ici, bon grès mal grès, il s’était fait aux horaires du japon. Sauf quand il souhaitait regarder quelque émission étrangère en direct.

Cathan éclata d'un rire sourd à la suggestion de l'homme. Aussi belle soit leur colocataire, le jour où une femme l'aurait assez accroché pour l'empêcher de dormir ne s'était pas encore levé. Pour le décalage horaire... c'était presque ça, à la différence qu'il était encore au Japon quelques jours plus tôt. Depuis le temps, il avait pu s'approprier le fuseau horaire sans trop de séquelles. Il but à nouveau quelques gorgées de café chaud avant de reposer la tasse sur l'accoudoir, comptant sur ses réflexes et sur l'habitude d'avoir une tasse de café non loin de lui pour ne pas la renverser. Jusque là, sa technique avait démontré sa supériorité.

" Presque. C'est plus facile de communiquer avec les USA en se calant sur leurs horaires."

L'odeur de la clope était agréable, mais pas assez tentante pour que Cat cède à son attrait et s'en grille une aussi. Ce n'était pas une de ces fameuses nuits fiévreuses où il tenait la nuit entre clopes et cafés, à pianoter comme un fou. Pour aujourd'hui – demain ? Aujourd'hui était déjà passé depuis quelques heures – le café avait été suffisant, un gout connu qui l'accompagnait pour la nuit plutôt qu'un stimulant affreusement nécessaire. Ou là pour chasser les cauchemars comme pour le bibliothécaire assis maintenant non loin de lui.

Quand il voyait le blond, difficile de ne pas se demander si on pouvait lire autant de lui dans tous ses petits gestes. Cette manière de se frotter sa jambe abimée, le regard analytique qu'il avait posé sur son ordinateur comme sur lui... Gabriel n'était pas aussi détendu que le premier bibliothécaire venu. L'impression n'aurait pas été aussi marquante s'il n'avait passé les derniers mois à vivre avec deux personnes absolument détendues et confiantes dans leur environnement. Le changement rendait cette notion flagrante. Ou une fois de plus il lisait trop dans ce comportement et ne se trouvait que face à quelqu'un d'un peu plus observateur que la moyenne. De toute façon, il saurait vite le fin mot de l'histoire : il aurait l'historique complet du bibliothécaire avant la fin de la nuit.
D'aucun aurait pu trouvé sans-gêne cette curiosité, lui mettait juste son point d'honneur à être informé sur le background de ses colocataires. Il pourrait presque dire qu'il leur épargnait la peine des grandes révélations. Bon, avec un peu de chance, il ne se trouverait pas un autre demi-frère perdu, non ? De toute façon, selon Akutsu, le reste de sa famille n'avait pas grand chose à faire dans l'éducation, ce qui était aussi simple.

Maintenant qu'ils étaient deux en bas et qu'il n'avait plus vraiment de raison de se montrer d'une discrétion de loup, Cat tendit le bras derrière lui, allumant une des appliques du salon. Une lueur douce et diffuse s'éleva dans la pièce, remplaçant la lumière bleutée irréelle qui s'échappait de l'écran de son ordinateur. L'ex-agent plissa les yeux un instant, le temps de se faire au changement de luminosité, avant d'en revenir à son interlocuteur. La lumière rendait la rencontre nocturne plus banale, même si pas tellement moins gênante. Allait-il devoir s'habituer à croiser quelqu'un d'autre la nuit ? Il envisagerait de rester dans sa chambre si tel était le cas, même si l'idée de ne pas avoir son café habituel ne rendait pas la perspective attrayante.

" Joli rendez-vous d'insomniaques... j'espère que la demoiselle à l'étage ne sera pas dérangée."

Gabriel eut un sourire un peu canaille au rire franc de Cathan, et hocha la tête à sa remarque. Le décalage horaire pouvait devenir une plaie. Il avait souvenir, de nombreuses fois, d’avoir veillé pour pouvoir appeler sa femme, ou au contraire de se faire réveiller par le téléphone au petit jour. A force, il avait pris l’habitude de systématique calculer les fuseaux horaires, avec une certaine aisance par la force des choses.
Ses lèvres se serrèrent sur le filtre de sa cigarette tandis qu’il réfrénait l’envie de mâchonner le filtre pour mordre quelque chose.

Le blond plissa les yeux lorsque la lumière, trop vive, lui agressa les rétines. L’obscurité ne dissimulait plus ses grimaces. Son visage était crispé, comme s’il avait gardé les marques du cauchemars qui avait agité son court repos.

Il leva les yeux vers l’escalier à la remarque du roux.

« Si je l’ai gêné, elle ne l’a jamais dit. Mais les chambres sont relativement insonorisées, tant que l’on ne tape pas avec un balais au plafond, elle n’a pas de raison d’être réveillée. »

Il n’avait aucunement conscience d’avoir crié à voix haute, pas plus pour cette fois ci que pour les précédentes. Il n’aurait jamais put s’imaginer agissant ainsi en vérité. Et le regard de Radha le matin ne lui avait jamais laissé imaginer le contraire.

La présence de Cathan était un peu étrange, même si quelque part, il l’appréciait en cet instant. Tandis que l’autre reprenait son pianotage, quoique plus intermittent. Il pris la télécommande en main, haussant un sourcil à l’intention de Cathan, avant d’allumer la télévision, zappant de chaîne en chaîne sans trop de but. Il n’avait pas envie de s’attarder sur les informations, pas plus que sur une émission nocturne japonaise. Et il y avait longtemps que les animés ecchis ne lui faisaient plus d’effet.

Il finit par tomber sur une sorte de reportage sur certains corps armée de l’armée japonaise. Un jeune homme, très motivé, son arme à la main, répondait avec rigueur aux questions que lui posait le présentateur. Gabriel ricana, sa cigarette au bord des lèvres.

« T’aurai l’air plus crédible si tu avais un modèle de terrain au lieu d’un modèle d’entraînement. »

Ce genre de détails pouvait passer sans problème aux yeux de n’importe quel spectateur, mais lui sautait aux yeux de manière désagréable. Et surtout, il se serait attaché à n’importe quel détail pour penser à autre chose.

Gabriel alluma la télé, amenant un bruit de fond assez amusant. L'avantage du japonais à la télé, c'est que s'il ne faisait pas un effort conscient pour suivre les voix surexcitées, il pouvait tout à fait ne pas écouter et comprendre ce qui se disait et le passer comme un simple bruit de fond. Pour son plus grand plaisir, le bibliothécaire ne s'arrêta pas sur une de ces émissions débiles dont l'humour profondément japonais peinait à le faire rire, mais zappa jusqu'à tomber sur un documentaire plus ou moins intéressant. Seule la remarque du blond lui fit lever le nez et observer l'écran un instant avant d'en revenir à son ordinateur, somme toute curieux de la manière machinale qu'avait eu Gabriel de noter ce qui serait passé invisible pour n'importe quel autre quidam. Le percuteur était effectivement coupé pour éviter tout soucis lors de l'entrainement, mais ce n'était pas forcément ce qui remarquait au premier abord.

" D'un autre côté, il a un A1, peu de chance que cette antiquité fonctionne encore bien."

Il aurait pu jouer à l'idiot et se contenter d'acquiescer, mais vu la passion de l'américain moyen pour les armes à feu, quelques connaissances en artillerie ne choquaient personne, d'autant plus avec un non-japonais. Le point de vue des autochtones sur les armes à feu était assez vite lassant : inutile, dangereux, c'était tout juste si le sujet n'était pas tabou. En tous cas, inutile d'en parler. Après tout une vie d'éducation américaine à revendiquer son droit à porter une arme pour n'importe qui, et 7 ou 8 ans d'entrainement à les manipuler et à en toujours en avoir une sur soi... se retrouver sans était plus ou moins l'équivalent mental de se balader à poil. Savoir que son glock était sagement planqué dans un tiroir sous clé de son bureau n'aidait en rien.
Malheureusement, les stands de tir japonais étaient totalement inaccessible aux étrangers, sauf par des voies fastidieuses dont il allait s'abstenir. Il était venu au Japon pour être sage, pas pour agiter un drapeau rouge sous le nez des fonctionnaires. S'il avait su que ça impliquait de se racheter une conduite et de se comporter quasiment comme un moine, il y aurait peut-être réfléchit à deux fois.
En attendant, son attention se reporta sur Gabriel.

" Est-ce courant pour les bibliothécaires d'être callé sur les fusils d'assaut ?"

Un sourire étira les lèvres de Cathan alors qu'il fermait son portable. Fini pour cette nuit, ou au moins pour le moment. Il détestait bosser quand il avait quelqu'un sur le dos – ou en face de lui – à part pour noter ses copies ou travailler ses cours, chose qu'il n'avait découvert que cette année. Et encore, il soupçonnait que c'était parce que la plupart des autres profs ne devaient pas comprendre grand chose aux séries d'équation dont il s'amusait comme un gamin. Il fallait bien s'occuper comme on pouvait, et si pour ça il fallait qu'il en revienne à ses premières amours... pourquoi pas. Ce n'était pas pour rien qu'il avait fait des études supérieurs.

Il aurait put se taire, ne rien dire, pour ne pas éveiller les soupçons. De qui ? Il ne cachait pas son passé. De manière assez surprenante, Gabriel était une personne ouverte. Sa vie s’était faite de rencontres, et il avait appris que l’on gagnait bien plus à s’ouvrir qu’à se refermer pour se protéger. On pouvait glaner des gnons dans l’aventure, c’était certain, mais c’était un prix qu’il acceptait sans sourciller.

Il ne savait pas qui était Cathan, même si quelques détails dans son allure et son comportement laissaient présager qu’il ne fut pas uniquement professeur de mathématique. Peut-être prenait il juste soin de son corps. Mais on ne prenait pas soin de ses réflexes avec la même facilité.

Au fond de lui, une petite voix lui disait qu’il se montait juste des films parce qu’il était en mal d’action et de mouvement. Et diplomate comme toujours, il l’envoyait se faire foutre et gardait son petit jouet. Oui, il était frustré, oui, il devenait fou comme un lion en cage ici, et ensuite, quoi ? Heureusement qu’il n’avait aucune prédisposition à la schizophrénie, parce que les monologues seraient allés bon vent.

Il sourit avec une certaine condescendance à l’américain.

« Il ne faut pas trop parler de l’armée japonaise pour ne pas les vexer. »

Une certaine ironie perçait dans sa voix, eut égard aux événements historique qui avaient fait de l’armée japonaise ce qu’elle était.

« Pas plus que pour les professeurs de math »

Répondit il avec un petit air innocent. Les armes n’étaient pas sa passion 1ere mais restaient un sujet qui l’intéressait toujours beaucoup. Surtout quand sa vie en avait plus ou moins dépendu en fait.
Distraitement, il faisait tourner son alliance autour de son doigt. Le geste était devenu machinal.

« J’avoue que moins longtemps je resterais bibliothécaire, mieux ça ira. »

Déclara t’il avant de tirer avec lenteur sur sa cigarette.

Cathan ricana légèrement en reprenant possession de sa tasse de café pour en boire quelques gorgées. Les attaques envers les profs de maths ne le concernaient pas trop, et même si tel avait été le cas, difficile de ne pas prendre le commentaire à sa juste valeur de petite pique nullement méchante. S'il avait passé sa vite à tenter d'enseigner les maths à des gamins peu attentifs... oui, il aurait surement été plus prompt à réagir à ce genre de commentaires, probablement frustré et aigri. Mais s'il avait passé sa vie à ça, il n'aurait probablement pas eu non plus le même caractère peu enclin à se mouiller, quelque soit la situation. Au final, tant que ce n'était pas une situation de vie ou de mort, on pouvait toujours prendre les choses à la légère...

Son regard passa sur la main de Gabriel. Il avait déjà noté l'alliance et cette manière systématique de la toucher, comme pour etre sure qu'elle était en place, comme un porte-bonheur ou quelque chose pour le rassurer. Cathan détestait porter quelque chose sur ses mains, se sentant systématiquement encombré par ce genre d'objets. Il avait déjà été amené en à porter pour des missions sous couverture, mais ça restait quelque chose qu'il n'aimait pas. Pour Gabriel, difficile de ne pas faire le lien avec un objet de grande valeur sentimentale. Là aussi, Cathan n'était pas tellement fan de ce genre de mémo. Son côté paranoïaque qui n'aimait guère exhiber ce qu'il avait de précieux surement.

" Ah ? Pour retourner à quoi ensuite ? "

Savoir pourquoi Gabriel était coincé dans une bibliothèque n'était pas dur à deviner : difficile de faire autre chose qu'un boulot tranquille quand on avait du mal à descendre 10 marches d'escalier sans grimacer. La raison réelle derrière ça par contre... Cathan était curieux de la connaître. Certes, il allait avoir les données sur Gabriel Ritter, probablement un peu plus que ce que le blond lui aurait donné volontairement, mais l'entendre de la bouche même du blond serait aussi intéressant. Contrairement à lui, il ne semblait pas fermé comme une huître concernant son passé.
Certes, tout le monde n'avait pas de problèmes génants avec son passé.

Cathan observa le fond de sa tasse un instant de plus avant de la poser sur sa cuisse. Discuter avec Gabriel lui faisait se rendre cruellement compte de l'inaction dans laquelle il était plongé. Il avait déjà eu des jobs de bureau plus calme, mais avec toujours à la fin l'idée qu'il retournerait sur le terrain. Il avait beau savoir qu'il ne resterait pas éternellement au Japon comme un sage petit gaijin en exil, ne pas avoir de date limite avait un côté quelque peu frustrant.
S'éterniser la dessus ne servirait à rien de toute façon, à part le mettre sur les nerfs, ce qui ne ferit que déranger ses chers élèves.

Cathan finit par lacher un espèce de grognement et se leva d'un bond, attrapant au passage la tasse avant qu'elle ne répende une goutte de café et la posant sur la table basse dans un magnifique mouvement artistique. En deux pas, il put ouvrir la porte de la terrasse et accueillir l'air frais sur son visage, avant de sortir une clope de son paquet et l'allumer, inspirant profondément la première bouffée. Si l'envie avait été au large jusqu'à présent, penser au passé lui donnait envie de bouger, et allait fumer une clope sur la terrasse était encore le meilleur palliatif qu'il avait pu trouver qui ne demande pas trop de justifications boiteuses.

" Je crois que j'ai été trop bien dressé par mon précédent coloc."

La bague était lisse sous son doigt, exception faite d’une petite aspérité dont il n’avait jamais réussi à déterminer la provenance. Il avait été réticent, au début, mais bien vite, l’objet avait fait partie de lui même. A la mort de sa femme, il était devenu le dernier lien, dont il n’avait pas réussi à se défaire. Il avait conscience du regard qui se posait dessus, souvent curieux. Il n’en avait cure et n’avait pas non plus de raison de le cacher. Ses attachements n’étaient pas des faiblesses dont autrui aurait put tirer parti.

Il étira ses lèvres en un sourire un peu tordu à la question pas si innocente de Cathan. Curieux de savoir sur les autres mais pas forcement de parler de lui, hum ?

« Avec eux. » Déclara t’il avec un mouvement du pouce vers l’écran ou les soldats courraient désormais dans une reconstitution moyennement réussie. « Enfin, derrière eux »

Corrigea t’il, mimant le geste d’un appareil photo. Cathan n’eut pas de réaction directe à sa réponse, semblant ruminer quelque chose, sa tasse sur la cuisse, avant de se lever soudainement, ayant le surprenant réflexe de récupérer ladite tasse avant qu’elle n’ait chuté de la moitié de sa hauteur. Gabriel haussa les sourcils, ne cachant pas sa surprise.

Il suivit Cathan des yeux dans son mouvement furieux vers l’extérieur, ou il s’alluma à son tour une cigarette avec un soulagement manifeste. L’explication fit rire le blond, un rire bas et grave.

« La colocataire actuelle sera ravie de ce dressage. Continu comme ça et je vais me sentir obligé de fumer dehors moi aussi ! »

Le reproche était plus simulé que sincère dans sa voix. Le blond se mis debout, sa tasse à la main, et serra les dents lorsque la douleur afflua de nouveau. Renonçant à l’idée de rejoindre Cathan, il s’appuya contre le dossier du fauteuil, ne lui tournant ainsi plus le dos.

"Mais en fait, je ne fume à l'intérieur que lorsqu'elle n'est pas la. En sa présence, son regard me fusille ! Ne jamais sous estimer la force d'une femme ! "

Le blond rit doucement, ce rire un peu raque et tranquille qui le faisait passer pour simple et inoffensif la plupart du temps.

Reporter ? Intéressant. Et c'était maintenant assez facile de relier tous les petits points qui dessinaient un homme qui avait la bougeotte, des connaissances précises sur les armes à feux et qui avait écopé suffisament récemment d'une blessure invalidante pour ne pas savoir exactement quelles étaient les limites qu'elle lui imposait. En deux jours, Cathan ne comptait plus le nombre de fois où il avait vu Gabriel grimacer à cause d'un mouvement un peu trop brusque ou un peu trop appuyé, bien loin de quelqu'un qui ménage un membre fragile par habitude.
Les journalistes et photographes.... voilà bien le genre de petites bêtes curieuses que Cathan n'appréciait guère. Tous les flics, les fédéraux comme les autres, appréciaient à se méfier comme de la peste des journalistes et de leur manière de monter en graine la moindre information, allant jusqu'à compromettre une enquête ou mettre la vie d'agent en danger. Il en avait eu un sous la main à une ou deux reprises : le résultat en avait toujours été assez amusant.

Cathan sourit autour de sa clope, savourant la saveur du tabac après le café, d'autant plus délicieuse qu'elle avait été longuement attendue. Les volutes de fumée disparaissaient dans la nuit, avalées dans l'obscurité de la terrasse non éclairée.

" Les femmes... j'ai toujours évité de vivre avec elles jusqu'à présent, justement parce que je n'ai aucun doute sur leur force. Et parce que c'est toujours plus dur de leur dire non."

En fait, sorti de ces quelques mois de colocation, il avait surtout évité de vivre avec quelqu'uns d'autres. Il appréciait son indépendance et le fait de ne rien devoir à personne. Sans même parler du simple fait d'être en couple. Là dessus, c'était s'aventurer en territoire qui le laissait totalement de marbre. Il y avait trop de choses à faire dans une seule vie pour s'en tenir à une seule personne. Le roux inspira une longue bouffée qu'il laissa lentement s'échapper. Par la terrasse on pouvait distinguer le parc plongé dans l'obscurité à l'exception de l'allée illuminée qui menait à la sortie. Il ne doutait pas que les gosses hébergés ici devaient s'offrir de bonnes parties de jeu une fois la nuit tombée : qui de bon sens allait s'amuser à patrouiller le parc pouvoir voir si des gosses s'étaient planqués sous un buisson ? L'idée lui fit fixer un peu plus intensément le parc qui resta inerte sous son regard scrutateur et il finit par en revenir à Gabriel, addossé au fauteuil pour soulager sa jambe.

" C'est dû à ton ancien job ? "

Difficile de ne pas associer son regard interrogateur sur la jambe de Gabriel à la question. Certes un peu brutale, mais Gabriel s'était montré particulièrement ouvert jusque là, trop pour que Cat n'exprime pas la question. Et il était toujours plus simple de faire parler les autres pour éviter les questions sur soi-même.

Gabriel hocha légèrement la tête face au commentaire de Cathan. Il n’était jamais resté bien longtemps au même endroit avec Honoka : Le calme ne leur avait jamais convenu. Dans leurs vieux jours, auraient ils été capables de rester calmement l’un avec l’autre ? Il ne le saurait jamais. La question de Cathan lui fit l’effet d’un electrochoc, le blond levant vivement son regard transparent sur lui.

C’était un homme franc et direct, qui n’avait jamais cherché à se contenir ou à se maitriser pour les autres. Si on l’acceptait, c’était tout entier. Autrement, il ne chercherait pas à attirer à lui l’attention des autres.

« Tu cherches à te faire plus con que tu ne l’es ?! A ton avis ?! »

Aboya t’il soudainement, sans bouger de son emplacement. Il porta sa main tremblante de colère à ses lèvres, cherchant le calme dans sa cigarette réduit à un mégot. Agacé, il fit 2 pas pour l’écraser dans le cendrier immaculé qui se trouvait camouflé sous la forme d’objet de décoration sur le bar et en porta une seconde à ses lèvres, qu’il alluma avant de reprendre la parole d’un ton neutre.

« Si tu veux savoir des trucs, va droit au but ou lieu de poser des questions à la con aussi détournées. »

Il se rappuya contre le dossier du fauteuil pour soulager sa jambe. La colère sourdait encore dans sa voix, prête à sortir au moindre signe qui lui déplairait. Mais également d’accord pour repartir face au moindre signe de rémission. Tout le monde ne savait pas comment réagir face à ce comportement considéré comme hératique par certaines. Gabriel l’assumait et le revendiquait : Il valait mieux se laisser aller à ses sentiments plutôt que de tout refouler sans cesse par convention sociale. Une forme de sincérité exacerbée en quelques sortes.

Cela faisait il de lui quelqu’un de transparent ? On aurait put le dire ainsi. Il ne fallait juste pas oublier son job : S’il était encore en vie et en liberté jusqu’à présent, c’était qu’à certains moment il avait sut se plier aux conventions sociales. Sa manière libérée de laisser s’exprimer ses colères était peut-être lié au nombre de fois ou il avait du la taire pour se genre de raison.

S'il avait été un peu plus proche, Cathan aurait probablement réagi physiquement à l'agression soudaine de Gabriel. En l'état actuel des choses, le roux se contenta de hausser un sourcil en contemplant le fait qu'il était toujours dangereux de titiller un animal blessé. Le blond était probablement impressionnant dans ses colères pour la plupart des gens, mais il en fallait un peu plus pour le stresser que pour la moyenne des gens. Et si Gabriel devait avoir l'habitude de toiser les gens par la stature pure... sur le coup l'américain pouvait le regarder sans soucis dans les yeux.

Cathan tira à nouveau une bouffée de sa cigarette avant d'appuyer son coude sur la chambranle de la porte fenêtre, la cigarette perchée en équilibre au dessus de la tête. La réaction de Gabriel avait réveillé quelque chose de peu recommendable en lui qui s'amusait de cet accès de colère brute. Non de la souffrance manifeste de l'homme – il n'était pas tombé si bas – mais de cette rage qui pouvait à tout instant se transformer en autre chose. Les relations devenaient d'autant plus amusantes quand elles étaient risquées. Résurgences d'interrogatoirs ou de travail sous couverture pas toujours beaux à voir ou à raconter.

" Si tu veux plus direct il faudra aller voir un psy pour commencer une thérapie."

Ah oui... il y avait bien ce petit détail qu'il allait devoir vivre le reste de l'année dans cet appartement avec Gabriel, avec pour présence féminine une femme qui semblait ne rien vouloir avoir à faire avec eux. Les choses se présentaient moins glorieusement que sa précédent colocation, même si elles risquaient d'être plus amusantes. Un ex-reporter... Il espérait que les données qu'il récupérerait lui permettrait d'en savoir un peu plus sur Gabriel Ritter puisque le blond ne semblait pas apprécier les questions d'un certain ordre.

Cathan tira une dernière bouffée de sa cigarette avant de rentrer l'écraser dans le cendrier utilisé précédemment par Gabriel, passant à portée du blond sans en être autrement perturbé avant de récupérer son laptop déposé négligemment sur le canapé et la tasse de café abandonnée. Le café était encore à une température acceptable quand il le porta à ses lèvres, finissant la tasse avant d'aller la laver dans un acte de civisime ampli de bonne volonté.

Gabriel suivit Cathan du regard sans ciller, bien que sur la défensive lorsqu’il le sentit passer prêt de lui. Mais il avait trop de fierté pour amorcer un quelconque geste d’autodéfense, aussi se contenta t’il de rester vaguement méfiant. Inutile avec cet homme la, visiblement la patience incarnée qui ne semblait aucunement s’émouvoir de son coup de sang. Le regardant rincer sa tasse avec une bonne volonté évidente, Gabriel fit remarquer, narquois :

« Je croyais qu’il n’y avait que les américaines qui réglaient tout à coup de thérapie, on dirait que j’avais tord. »

Assez haut pour que l’autre l’entende, les yeux levés au ciel comme s’il ne parlait à personne en particulier, le sourire de Gabriel était clairement moqueur et insensible à la pique. Un court silence s’étira entre eux 2. Il pourrait très bien laisser Cathan remonter dans la chambre et l’ignorer. Mais parmi les caractéristiques de Gabriel se trouvait ce goût du contact suffisamment prononcé pour qu’il ne s’émeuve pas de si peu, et ceci, associé à son goût de la vérité et des choses clairement établies, le poussait à continuer, même s’il n’aimait pas forcement parler de lui.

« Tu veux savoir quoi ? Ce que j’ai ? Comment je me le suis fait ? Je te raconte ce que tu veux, mais soit clair. »

Gabriel se détourna pour se réinstaller dans le fauteuil, ne pouvant retenir un soupir de soulagement quand sa jambe douloureuse fut enfin au repos. A la télé, le reportage était passé à une campagne de pub typiquement japonaise, à savoir longue, colorée et criarde, qui lui fit poser la main sur la télécommande pour la faire taire. Le surprenant silence laissa percer les bruits de la nuit qui s’infiltraient par la fenêtre laissée ouverte.

Le blond repris une gorgée du café, la tasse ayant retrouvée sa place au creux de sa main. Enervé comme il l’était maintenant, il doutait retrouver le sommeil. Peut-être somnolerait il en fin de nuit. Fichus cauchemars.

Deux loups se tournant autour, refusant de montrer la moindre faiblesse ou de tourner le dos devant l'autre. L'image mentale, romancée à souhait, était plutôt amusante et relativement bien adaptée à leurs deux personnas. Après tant de temps passé au milieu de japonais, même aussi souples que que Jiro ou Akutsu, voir quelqu'un avec autant de délicatesse que lui, voir un peu moins, faisait naître un sourire carnassier sur le visage de Cathan.

" Si tu préfères.... Alors comment un ex-reporter de guerre a fini bibliothécaire au Japon avec une jambe blessée ? "

Pour faire simple. Cathan avait eu la politesse de laisser de côté les autres faits incongrus – une alliance mais pas d'épouse à portée, la nationalité... - se contentant de la question la plus centrale, même si Cat pouvait raisonnablement répondre à une partie sans pourtant en trouver les détails : à trainer de trop près avec des militaires ou des terroristes, il n'était pas rare de finir par se prendre une balle perdue. Au moins en était il sortie entier, du moins dans ce qui était visible. Pour le reste... le hurlement qui avait tant surpris l'américain au milieu de la nuit n'était surement pas étranger à la raison de sa présence au Japon. S'il n'avait jamais été sur des terrains hautement militarisés ou en zone de guerre, mais certains bas quartiers des villes américaines n'en étaient pas loin. Il y avait des moments où un agent en avait juste ras-le-bol.

Cathan contourna le comptoir de la cuisine américaine pour s'appuyer sur un des hauts tabourets, calquant sa position sur celle de l'allemand, le besoin de soulager sa jambe en moins, dans une attitude décontractée qui n'était pas loin de celle qu'il avait quand il donnait ses cours, mais bien plus proche de celle qu'il avait pu avoir avec des personnes qu'il avait arrété quand il travaillait encore au bureau. Il n'en avait peut être plus la tenue complète, mais difficile de se débarasser complètement d'une attitude incrustée dans ses pores avec le temps. Difficile de savoir comment il était perçu ? Comme un américain un peu moqueur et curieux ? Si ce n'était que ça, le reporter devait avoir l'habitude : c'était probablement celle qu'il devait voir dans un miroir tous les jours. Minus ce côté un peu trop assuré de celui qui est du bon côté du flingue bien sur.

L’expression de Gabriel était mesurée et quelque peu suspicieuse alors qu’il regardait Cathan par en dessous, considérant en silence l’étrange sourire qui étirait ses lèvres sans que celui-ci n’en ait vraiment conscience. Son regard rendu perçant par la douleur qui le taraudait, il ne le quitta pas des yeux, notant le subtil changement de comportement qu’il s’opérait dans l’homme en face de lui alors qu’il s’installait dans une posture faussement décontractée mais lourde d’agressivité contenue. Tout un art qui n’était pas à la portée du premier venu et n’était pas non plus un artifice de prof pour se faire entendre de ses élèves.

Une sueur froide lui coula dans le dos alors que la situation se superposait dans sa mémoire à une similaire, des années de cela, lorsqu’il s’était retrouvé confronté à un membre du FBI pour avoir fourré son nez un peu trop loin. La situation de l’époque était pourtant bien différente. Il était bien moins installé, par exemple.

« En étant au mauvais endroit au mauvais moment. C’est toujours la même histoire. »

Répondit il d’un ton narquois, prenant le temps de boire une nouvelle gorgée pour composer les mots dans sa tête. Ne pas en dire trop, ni trop peu… L’attitude de Cathan le stressait sans qu’il sache réellement pourquoi, tout comme le défi latent qui planait entre eux deux. C’était donc ça le pouvoir des hormones mâles ? C’est d’une voix lente qu’il repris, étayant ses propos.

« Les conflits armés en Égypte, il y a 8 mois de ça… Nous nous sommes retrouvés pris au cœur du conflit. Impossible de faire retraite. »

Les mots, succincts, pesaient pourtant lourd de sens dans la bouche de Gabriel, alors qu’il les énonçait avec lenteur, les choisissant avec un soin presque chirurgical pour en dire le maximum en un minimum de mots. Parce que souvenir et en parler restait difficile. Le temps d’une respiration, il frotta la bague avec acharnement, comme s’il y cherchait un quelconque refuge.

« Ma femme a été tuée. Il me fallait un endroit ou me retrouver le temps de guérir. J’ai choisi ce poste au hasard. »

Il n’avait pas voulu lui parler d’elle au début, dans un étrange sursaut de pudeur. Mais pourquoi le cacher ? C’était un simple fait, une information qui n’était pas bien difficile à deviner ou à trouver. Les faits n’avaient rien à voir avec ses sentiments pour Honoka.

« Depuis, je me terre ici en cherchant désespérément à échapper aux journaux people qui veulent tout savoir, ainsi qu’à ce producteur de film qui veut que je tourne un film autobiographique. »

Conclu t’il avec un sourire tordu à l’attention de l’homme face à lui, tirant lentement sur sa cigarette pour reprendre pied avec la réalité. Il n’aimait pas se souvenir. Il avait parfois l’impression que les images générées par son cerveau, lorsqu’il s’immergeait dans le passé, était trop puissant pour lui, et lui donnait l’impression de changer de monde l’espace d’un instant. Il songea vaguement que les médicaments qu’il prenait n’étaient pas étranger à ce phénomène. Mais c’était sans importance.

La voix calme, un peu trop plate, la main crispée sur sa tasse, le regard dans le vide, l'allure générale, un peu trop tendue pour être seulement mise sur la douleur... il était évident de retrouver tous les signes de quelqu'un encore très choqué de son expérience. S'il ne l'avait jamais vécu lui-même, Cathan avait pu voir des collègues – ou ex-collègues, puisque les gens ne tenaient plus très longtemps à ce stade – dans le même état après une expérience un peu trop traumatisante, une blessure de trop. Apparemment, il n'y avait qu'un certain nombre de fois où l'esprit pouvait voir la mort en face avant qu'il ne demande grâce. Certaines personnes semblaient toujours surprises que quelqu'un habitué à ce genre de spectacle finisse un jour par craquer. Pourtant... entre ceux qui développaient des mécanismes de défense de barbares, ceux qui passaient de l''autre côté de la barrière... la coupe finissait toujours pleine. Pour Gabriel, l'élément déclencheur avait du être sa femme qu'il venait d'évoquer en quelques mots. Même après des années à en parler ou à constater des décès, Cathan trouvait toujours sordide la manière dont une vie se finissait en quelques mots.

Qu'y avait-il à répondre à ce genre de déclaration ? Cathan n'était pas psychiatre, et doutait qu'un médecin ai pu faire quoi que ce soit pour aider Gabriel si on rayait l'option d'utiliser des petites pilules du bonheur pour l'aider de manière artificielle. L'autre avait tout dit : comme un animal blessé, il s'était planqué pour soigner les blessures. D'une manière ironique, les deux expatriés étaient là pour se planquer, même si les raisons en étaient bien différentes.

" A part les tremblements de terre, tu devrais être parfaitement au calme ici effectivement."

Le silence s'étira, rompu par une goutte d'eau s'échappant du robinet tout juste fermé. Dans la tête de Cathan des associations d'idée qu'on aurait pu caractérisé de cynique se mettaient en place : Gabriel était un reporter de guerre, qui avait pas mal vadrouillé à l'étranger... peu de chance donc qu'il ai jamais fourré son nez dans les affaires fédérales américaines, d'autant plus qu'il n'était pas lui-même américain. Et encore plus loin flottait une autre pensée : s'il était probablement plus simple d'effrayer un homme diminué, il fallait toujours se méfier de ceux qui n'avaient plus rien à perdre.
Akutsu se serait bien marré : il avait effectivement viré parano.

C'était étrange. Il pensait que ce serait facile d'en parler, du moins, de survoler les faits avec des mots. Après tout, ça n'était que des mots. Ca n'aurait pas du le toucher. Il pensait aussi qu'il avait commencé à digérer les évenements. Pour ces 2 idées, il se trompait totalement. Parler du passé, à un inconnu de surcroit, faisait revenir à la surface bon nombre de sensations jusque la refoulées. Gabriel sentit ses doigts se crisper malgré lui sur son mug. Il l'aurait volontier échangé contre un verre d'alcool fort. Il s'était saoulé au début, pour oublier. Il avait vite arrêté : Il détestait perdre ainsi ses idées. Il lui semblait plus douloureux encore de voir son esprit aller et venir sans barrière que de pouvoir réfléchir à ce qui était arrivé.

L'expression de Cathan, face à lui, était mitigée, entre surprise et dissimulation. Lui même n'était pas sur de l'expression qu'il devait afficher. Parler avait été douloureux, mais lui avait aussi fait du bien, même s'il en avait dit peu. Mais il y avait si peu de personnes à qui il en avait parlé jusque lors... C'était un peu comme faire sortir le pus d'une blessure. Désagréable mais utile. Quand à ce qu'en pensait Cathan... S'il avait voulu parler à un ami, il l'aurait faut. Mais finalement, ça avait été un inconnu...

Gabriel sortit de ses pensées et sourit face à la petite remarque de Cathan, un peu confus.

"Un peu trop calme même. Je m'ennuie."

Il tourna le regard vers l'exterieur, les traits un peu crispés malgré lui par la douleur. Bien loin des pensées paranoiaques de Cathan, son esprit voguait malgré lui vers des fragments de souvenirs, des paroles, des visages. Bien vite remplacés par les images de ce bombardement qui ne semblaient pas vouloir lui laisser de repit. Il eut un bruit de gorge agacé : Son propre cerveau ne voulait pas le laisser se receuillir en paix. Ce n'était apparement pas fait pour lui.

"Ne fais pas cette tête. Si je veux pleurer j'irais dans les bras de notre charmante colocataire."

Lança t'il à Cathan, affichant un air gouailleur. Le regard que dardait l'homme en face sur lui n'était pas seulement surpris ou touché par son histoire. Il était analytique, un peu trop précis, comme refletant de nombreux petits mécanismes qui se mettaient en marche derrière chaque pensée, prévoyant des plan A, B et C pour chaque possibilité de réponse. Il avait déjà croisé ce genre de regard, sur le terrains. Pourtant, pour une obscure raison, il n'aurait pas imaginé le roux en soldat. Le chevelure qui aurait pris trop de place sous le casque sans doute...

S'ennuyer dans un lycée plein de gosses alors qu'on était habitué aux zones de conflits armés, étonnant... Cat s'autorisa un sourire chafouin, probablement plus chaleureux que le précédent. La remarque suivante acheva de l'amuser, lui faisant hausser les épaules avec un regard torve à l'idée de Gabriel se consolant avec Radha. A moins que le blond ne connaisse des facettes inespérées de leur colocataire – le cliché de la femme fière et froide se transformant en allumeuse à la nuit tombée par exemple - il n'avait plus qu'à s'offrir un ours en peluche et une poupée gonflable. Depuis combien de temps vivaient-ils ensemble ? La rentrée ? Non, il se souvenait avoir entendu qu'elle était arrivée en fin d'année précédente. Ils avaient eu quelques mois pour se familiariser l'un avec l'autre, les laissant dans cet échange assez distant auquel il avait maintenant le bonheur de participer.

" Vu son comportement, j'ai bien peur que tu ais plus de chance avec moi qu'avec elle pour le réconfort."

Un courant d'air soudain agita les feuilles d'une des nombreuses plantes du salon et souleva une mèche rousse, lui rappelant qu'il avait laissé la porte de la terrasse entrouverte. Oubli qui fut résolu en quelques instants, le temps de trois pas pour retraverser le salon et fermer la porte à glissière, coupant net le chant d'un grillon qui arrivait jusqu'à leurs oreilles. Le côté zen et nature avait son charme, jusqu'à une certaine limite. L'américain trouvait bien moins stressant le bruit de la circulation et des bavardages étouffés au moins qu'on entendait habituellement dans une grande ville. Dans le silence, on se concentrait toujours plus sur les moindres détails.

" Et avec un peu de chances, les gosses seront assez remuants pour te trouver de quoi ne pas t'ennuyer. Ou à défaut, te donner envie de fuir jusqu'à un zone plus calme. "

Ou d'en buter un ou deux. Il avait déjà eu ce genre d'envie devant quelques uns de ces gosses qui se croyaient supérieurs à tout et intouchable en plus de ça. Malheureusement, sur le dernier point, ils avaient raison : les prendre par le collet et les secouer jusqu'à ce que leur cerveau retrouve un peu de bon sens à force de se cogner aux parois de leur crâne n'était pas une option viable, du moins pas s'il voulait rester hors de prison. Et vu qu'il était au Japon en partie pour éviter de visiter du mauvais sens des barreaux ce genre d'endroit, il aurait été dommage de céder à la tentation.
Il espérait juste que les gosses n'auraient pas la mauvaise idée de venir "visiter" les apparts de leurs profs. Entre un ex-reporter qui souffrait d'un trouble de stress post-traumatique et un ex-agent du FBI dont la nervosité frôlait la paranoïa, le résultat serait surement haut en couleurs. Le genre de petite nuisance qui risquait de virer à la catastrophe... et il serait dommage de risquer d'abimer les plantes vertes.

Le sourire de Cathan était un peu différent, même si derrière son regard, la même barrière se trouvait encore la. Il avait ce regard typique de ceux qui ont quelque chose à cacher, et le dissimule très bien. Ça pouvait être tout et n’importe quoi, un petit secret anodin comme une chose d’une importance capitale… Mais les esprits comme celui de Gabriel n’étaient pas attirés par le secret en lui même mais par sa cachette, et étaient émoustilles à la simple vu d’un défi de ce genre.

La remarque de Cathan lui fit lever un sourcil, suivi d’un sourire charmeur. Simple blague ou perche tendue ? Impossible à dire pour le moment. L’information se contenta d’être rangée dans un coin. Difficile de juger de l’expression de Cathan alors qu’il soutenait son regard, celui-ci allant fermer la porte par laquelle un petit vent frais venait s’infiltrer.

Gabriel eut un rire chaud à la mention des élèves, et remua légèrement sa tasse comme il l’eut fait d’un verre d’alcool.

« Pas ceux de la bibliothèque en tout cas. On y entendrait une mouche voler. »

Les élèves japonais ne lui avaient pas vraiment posé problème jusqu'à présent. Il fallait dire que son poste n’était pas non plus des plus stressants. C’était comme s’il avait droit à une filtrage des merdeux avant l’arrivée, ou seuls se présentaient les petites têtes d’ampoules venues travailler avec assiduité.

« C’est un endroit moins stressant que la salle des profs. »

Il avait totalement pris possession de la bibliothèque, s’occupant de ses plantes et y instaurant sa petite ambiance. Les élèves avaient l’air d’apprécier. Du moins, aucun n’avait dit détester. Gabriel bascula légèrement en arrière, regardant le plafond. Remonter dans la chambre était un effort qu’il n’avait aucunement envie de faire. Le canapé serait très bien pour finir sa nuit. Et puis, ça ne serait pas la première fois.

Mais d’abord, un peu d’air frais et une dernière clope. Il n’avait de toutes manière aucune envie de dormir. Le blond se redressa, réprimant une grimace de douleur qui durcit les traits de son visage, et fit un signe de tête à Cathan avant de retourner à l’extérieur, refermant la porte vitrée derrière lui, mettant ainsi fin à leur entrevue nocturne.