Le vent se faufila par la fenêtre ouverte, faisant tinter le furin accroché au cadre en bois avant de chatouiller la nuque encore un peu humide de Gabriel, qui songea distraitement que ce sont ressemblait de manière assez amusante à certaines des clochettes que l’on pouvait entendre en inde. Le claquement sec de sa pince succéda à sa pensée.

Assis sur le canapé du salon, les cheveux encore humides d’une douche récente attachés à la va vite avec un vieil élastique, le jeune homme écoutait d’une oreille les actualité sur une chaîne internationale – les chaînes japonaises étaient bien trop nombrilistes. Pour avoir des nouvelles du monde, il fallait au moins ce genre de chaîne, et ça changeait un peu d’entendre de l’anglais – tout en s’occupant d’un de ses bonsai, un érable aux jolies petites feuilles étoilées. Le tapis était un peu rugueux sous ses pieds nu. Il soupira, une bouffée de nostalgie l’envahissant un instant. Il ne s’était toujours pas vraiment fait à l’idée de ne pas voyager.

Il jeta un coup d’œil sur la lettre qu’il avait déposé sur le rebord de la cuisine américaine. Le courrier interne, des plus simples, prévenait simplement les occupants de l’appartement de la venue d’un nouvel habitant. Il lui semblait que Nalani Dji* ne devait pas tarder à rentrer. Il préférait qu’elle ne tarde pas trop : Il l’aurait ennuyé qu’elle rentre sans avoir connaissance de l’arrivée du nouveau venu.

Comme entendant ses prières, la porte s’ouvrit, laissant le passage à la jeune femme. Gabriel reposa sa pince, joignant les mains dans le geste rituel :

« Namasté. »

Il pouvait parler indien, mais n’usait pas de cette langue avec la jeune femme : S’aurait été une sorte d’insulte que de la considérer incapable d’utiliser le japonais. Cependant, il usait de cette langue pour certaines salutations, ainsi que pour la nommer. Cela tombait sous le sens pour lui.

S’il n’avait pas été particulièrement enchanté que le nouveau venu soit une femme, quelques mois plus tôt, il avait par contre été particulièrement ravi de constater qu’elle était indienne et non japonaise. Pour cette simple raison, sa présence lui était agréable, apportant une petite part d’exotisme et ce goût de voyage dont il manquait désespérément.

« Un courrier est arrivé, nous allons avoir un nouvel ami ici » déclara t’il avec un geste du menton vers la lettre posée sur l’étroite table « J’espère qu’il ne sera pas non fumeur lui aussi, ou je me sentirais traqué ! »

S’ils s’entendaient de manière cordiale sur de nombreux plan, la cigarette était par contre source de légères gênes. Gabriel avait fait la concession de fumer à l’extérieur lors de la présence de sa colocataire, mais lorsqu’elle n’était pas la… La bombe de désodorisant spécial cigarette planqué derrière la télé était comme un aveu, et il se doutait bien qu’elle n’était pas dupe. Mais elle n’en disait rien.

Gabriel baissa le regard sur son arbre, reprenant sa taille précautionneuse, évitant de regarder plus de temps que de nécessaire la jeune femme.

* Formules de politesses en inde :
Monsieur: dji (hindou)/ sahab (musulman)
Madame: dji (hindou)/ sahiba (musulmane)
Il se place après le nom de la personne : Gandhi Dji

Il y avait quelque chose d'étrange dans le fait de vivre avec quelqu'un. Cette certitude perdue durant les années de vie en solitaire de voir l'appartement habité pendant son absence, d'avoir une présence avec elle le soir lorsqu'elle rentrait du travail. Lorsqu'elle rentrait en pleine nuit. Radha ne se jugeait pas proche de son colocataire malgré la bonne volonté de celui-ci. Sa méfiance à son égard n'avait que peu diminué depuis son arrivée deux mois plus tôt, mais Mister Ritter – comme elle avait pris l'habitude de l'appeler – ne semblait pas s'en offusquer. Il respectait la distance qu'elle mettait entre eux et à plus d'une reprise lui avait donné l'impression qu'il avait trop à penser pour vraiment se soucier de ses motivations. Cela l'arrangeait. Du reste, elle lui rendait la pareille.

La jeune femme ne fut cependant pas surprise de le voir tailler les bonzaïs lorsqu'elle ouvrit la porte de l'appartement. Cela avait été l'une de bonnes surprises qu'elle avait eu en arrivant : l'abondance de plantes vertes dans l'appartement. L'amour qu'il semblait éprouver à l'égard des végétaux qui vivaient avec eux l'avait un peu étonnée les premiers jours. Elle s'y était amplement habituée depuis, comme elle s'était faite à ce salut indien qu'il lui faisait lorsqu'ils se voyaient. Radha le lui rendit.

« Oh... Disent-ils de qui il s'agit ? »

Son accent indien fit chanter le japonais entre ses lèvres. Si la jeune femme maîtrisait maintenant un joli panel de langue, elle avait cependant renoncer à effacer son accent lorsqu'elle les parlait. Il en restait ainsi toujours une légère touche qui rendait sa prononciation exotique sans gêner à la compréhension. Elle savait néanmoins que cela n'indisposait pas son colocataire puisque lui-même était allemand.

Ôtant ses chaussures à l'entrée de l'appartement puis s'avançant, elle marcha jusqu'au comptoir de la cuisine où elle put attraper la lettre concernée. Ses longs doigts la déplièrent précautionneusement alors qu'elle espérait qu'il ne s'agirait pas d'un autre homme. La brune s'était habituée à la présence du blond, mais ne voulait pas d'un autre mâle. Malheureusement, le nom indiqué laissait supposer le contraire. Elle ravala sa réception et reposa la missive sur le comptoir.

« De toute façon, vous ne devriez pas fumer. » lâcha-t-elle à retardement avec un demi-sourire dans la voix, moins perceptible sur ses traits puisqu'il ne lui faisait pas face.

Peu naïve, elle avait bien vite compris que s'il faisait un effort louable en sa présence, l'homme ne se gênait pas pour s'encombrer les bronches dans l'appartement lorsqu'elle n'était pas là. Souvent d'ailleurs, elle ouvrait les fenêtres pour aérer dès qu'elle en avait l'occasion, et profitait en prime d'une vue superbe sur les montagnes qui entouraient Hachioji. Le cadre de vie dans cette école était l'une des choses qui l'avaient poussée à postuler ici. Ses partenariats avec des écoles étrangères et sa volonté affichée de figurer au plus vite dans les meilleurs établissements scolaires japonais avaient également joués. Au final, elle s'estimait heureuse de son poste.

« J'imagine que nous devrons être là lorsqu'il arrivera pour l'accueillir. Avez-vous prévu quelque chose ? »

La sociabilité de l'Allemand l'avait un peu étonnée au début, avant qu'il ne lui dise au cours d'une discussion quel métier il exerçait auparavant. Peu curieuse de nature, ou tout simplement réservée et polie, elle s'était abstenue de l'interroger plus avant et savait simplement qu'il avait eu un accident et souhaitait s'en remettre maintenant. L'alliance à son doigt était la seule chose qui l'intriguait réellement, mais il ne lui était jamais venu à l'esprit de lui poser la moindre question là-dessus. Probablement à cause des cris qui, parfois, franchissaient les murs de l'autre chambre en pleine nuit. A chacun ses problèmes, elle ne voulait pas connaître les siens.

Cathan acheva de monter les escaliers quatre à quatre, se dirigeant vers l'appartement 2 comme stipulé sur la lettre qu'il avait reçu peu avant son départ de Hamura. La fermeture du lycée avait été vécu comme un certain agacement plus que comme une grosse surprise. Le lycée avait certes un fonctionnement un peu bizarre, mais Cat' aurait préféré qu'il tienne encore la route le temps qu'il finisse l'année, et non peu de temps après la rentrée. La proposition de poste qu'il avait à la suite de l'annonce de la fermeture du lycée avait par contre été surprenante. Et difficile à refuser dans sa position. Non qu'il puisse se permettre de rester un temps sans bosser, mais il se voyait mal rester au Japon sans rien faire. Et des lycées prêt à embaucher en cours d'année un professeur d'origine américaine, il ne devait pas y en avoir tant que ça. Si on y ajoutait le fait que certains de ses collègues avaient reçus la même proposition... le choix n'avait pas été difficile à faire.

Début juin, et déjà le débarquement à Hachioji.
La brève entrevue avec le directeur avait été satisfaisante, et ce qu'il avait vu du lycée, aussi. Les lieux, par leur taille, faisaient plus penser à un campus universitaire américain qu'à un lycée japonais. Certes justifié par la localisation géographique mais... Cathan n'avait pu réfréner un sourire quand il avait traversé le parc en arrivant. Il avait passé les 48 dernières heures dans la ville non loin du lycée, à se familiariser avec les lieux, avant de réellement débarquer au lycée au moment où il était attendu. Le poste présentait le même avantage que son précédent poste : la possibilité d'un logement dans le lycée. Quand on voyait à quel point il pouvait être long et difficile de trouver un logement au Japon, Cathan appréciait ce genre de petites attentions.

L'américain revint au présent, devant la porte close dont il avait la clé dans la main, étouffant un léger grognement à l'idée d'être celui qui allait devoir se présenter en tant que nouvel arrivant. Impression qui resta environ 3 secondes avant de se muer en amusement : il était devenu bien sédentaire si ce genre de choses le dérangeait. Ne pas avoir toutes les cartes en main était un jeu comme un autre. D'un geste amusé, il releva ses lunettes de soleil, les plantant dans son opulente masse de boucles rousses tout juste retenue en arrière par un élastique un peu trop étroit. La luminosité de début juin lui avait imposé de les garder pendant tout le trajet, de même qu'elle lui avait fait tomber le blouson qui reposait maintenant au creux de son bras, le laissant dans un simple t-shirt noir, probablement pas la meilleure chose à porter à cette saison.

Cathan frappa trois coups nets pour prévenir de son arrivée avant d'entrer, sentant de manière presque palpable la paire de regard qui se posa sur lui à son arrivée. Le roux inclina la tête, gardant ses impeccables manières japonaises, même si à vu de nez, ni l'homme blond ni la jeune femme brune n'avait de traces de sang japonais dans leur phénotype.

" Cathan O'Leary, votre nouveau colocataire. Enchanté de faire votre connaissance. "

Cat se permit un regard curieux en même temps qu'il offrait un franc sourire aux deux présents. Tant qu'ils ne tentaient pas de lui tirer dessus ou de l'agresser, il pouvait parer à à peu près n'importe quelle situation.

Gabriel releva la tête vers la jeune femme lorsqu’elle lut la lettre, apercevant la déception qui traversa fugacement ses traits. Le fait que ce soit encore un étranger ? Ou espérait elle une personne précise ? Il reporta son attention sur le petit arbre devant lui, ne réagissant pas à l’allusion de la jeune femme. Il n’avait pas de compte à lui rendre sur ce point la, et la boutade s’arrêterait la.

La question le surpris, et il garda un instant sa pince suspendu, jetant un regard vers l’indienne.

« … Bah, y’as des bières au frigo. Vous croyez qu’il s’attend à une fête de bienvenue ? »

Un sourire en coin étira ses lèvres alors qu’il s’imaginait peignant une banderole colorée en compagnie de la jeune femme. Il s’apprêtait à reprendre la parole lorsque 3 coups secs frappés à la porte se virent suivies de l’entrée d’un inconnu qui s’affirma bien vite être leur nouveau colocataire. Quand on parle du loup…

Le nouvel arrivant était grand et musclé, avec dans son attitude ce petit quelque chose qui réveille le male alpha en présence d’un autre congénère masculin. Effet qui ne rata pas chez Gabriel, qui se sentit confusément envahi sur son propre territoire. L’évolution et l’éducation n’étaient que bien peu de choses face à l’instant séculaire… Avec ses yeux d’homme civilisé, il voyait un homme sportif et visiblement à l’aise qui se joignait à eux. Un bon début. Si Radha était chagrinée du fait que le nouveau soit un homme, c’était tout le contraire pour Gabriel : Une autre femme l’eut mis mal à l’aise, alors qu’un homme lui ferait un bon compagnon.

« Et bien, le nom le laissait présager mais cette jolie crinière l’affirme, notre nouveau colocataire n’est pas plus japonais que nous ! »

Gabriel se leva, appuyant doucement sa jambe au sol. En ce milieu d’après-midi, elle n’était ni plus ni moins douloureuse qu’à l’accoutumée. L’idée de se lever et d’avoir l’air plus faible que le nouveau venu hérissa sa fierté masculine mal placée, mais il l’envoya balader d’un coup de pied au derrière. Il était temps qu’il digère ça, vraiment.

En quelques enjambées, il fut en face de Cathan, lui tendant une main qui serra avec vigueur.

« Gabriel Ritter, enchanté. Jou... Bibliothécaire. »

L’énoncé était sobre mais chaleureux. Sa langue avait fourché, manquant de se tromper de terme. Il avait encore du mal avec cette fonction malgré les mois. Ce n'était pas le mot qui sortait en premier. Il se recula d’un pas, laissant le passage libre à Cathan ainsi qu’à Radha pour qu’elle puisse se présenter à son tour.

Quelques coups brefs et distincts furent répondirent à la plaisanterie de son colocataire. Alors qu'elle s'apprêtait à contourner le comptoir pour se prendre un verre d'eau, la jeune femme s'immobilisa dans son mouvement, puis se retourna doucement tandis que la porte s'ouvrait sur le nouveau venu. Lorsque celui-ci apparut dans son champ de vision, elle se tendit légèrement, mais se dégagea vers l'intérieur du salon. L'Allemand, de son côté, saluait déjà le nouveau venu avec sa sociabilité coutumière, une plaisanterie à la clef à laquelle elle ne sourit que légèrement.

« Nous nous sommes déjà vus il y a quelques jours », commença-t-elle avant de s'incliner comme il était de coutume au Japon de le faire. « Radha Nalini, l'assistante du directeur. »

En se redressant, elle prit la peine de détailler le nouveau venu plus qu'elle ne l'avait fait lorsqu'ils s'étaient croisés auparavant. Débordée à ce moment-là, elle n'avait prêté qu'une attention minime au nom et au visage du roux, sans même songé qu'il puisse être accepté dans l'école ou pire, venir vivre chez elle. Maintenant que son regard glissa légèrement sur lui, sans s'attarder plus qu'il ne le fallait, elle constata qu'il s'agissait d'un bel homme à l'évidence sûr de lui, habitué probablement à arriver n'importe où comme en terrain conquis. Américain indéniablement. Masculin sans le moindre doute. Ses lèvres se pincèrent très légèrement alors qu'elle se décalait un peu, l'invitant ainsi à entrer plus avant dans l'appartement.

Elle aurait aimé qu'il vint plus tard, alors qu'elle aurait pu discuter avec le bibliothécaire de l'accueil à lui réserver. Un peu perdue entre ses habitudes venues d'Inde, le fait de recevoir non un hôte, mais un nouvel habitant et la répugnance qu'elle ressentait à l'idée de vivre avec, Radha ne savait trop que faire. La jeune femme jeta un coup d'œil rapide sur son premier colocataire, avant de reporter son attention sur le nouvel arrivant.

« Je vois que vous avez un sac d'affaires avec vous. Si vous voulez le déposer et choisir votre chambre, c'est à l'étage. »

Le souvenir des bières dans le réfrigérateur lui revint en mémoire, mais elle garda les lèvres closes sur le sujet. Elle n'allait pas proposer à cet homme de se saouler alors qu'il venait d'arriver. D'ailleurs si elle ne disait généralement rien sur la consommation d'alcool, elle n'en pensait pas moins. Mais critiquer cet aspect au Japon revenait à une simple perte de temps. Les autochtones étaient bien trop friands de bière ou de sake pour écouter ce genre de propos qu'elle ne tenait d'ailleurs pas à dispenser. Comme pour bien d'autres choses, ça n'était tout simplement pas ses affaires. Tout au plus se permettait-elle à l'occasion une remarque sur la consommation de cigarette de son colocataire. Rarement néanmoins, et jamais s'il n'abordait pas le sujet avant elle.

A peu près aussi grand que lui. Dans un pays où il avait pris l'habitude de toiser une tête au dessus de n'importe qui, le fait était suffisamment remarquable pour être amusant à noter, même si la chevelure blonde de l'homme devant lui ne donnait guère de mystère à ce fait. La seconde chose que nota Cathan de son interlocuteur, ce fut sa boiterie plus ou moins prononcée – et nullement compensée par une béquille- quand il traversa la pièce pour venir lui serrer la main. Une poignée forte, du type qu'on aurait presque pu prendre pour un défi dans d'autres circonstances.
Le dernier détail que nota l'ex-agent fédéral vu le regard du blond. Non ses yeux bleus clairs, mais la manière curieuse qu'il avait de tout regarder, de son physique à son sac en passant par les lunettes de soleil. Et il était presque sur qu'il serait capable de s'en souvenir plus tard. Généralement, dans des assemblées, c'était le genre de personnes dont il fallait se méfier. Le coin de la bouche du roux s'étira légèrement. Les choses promettaient d'être intéressantes.

" Quel remarquable sens de l'observation. J'ai bien essayé de me teindre en brun, mais rien n'y fait, je ne fais pas couleur locale."

A côté de la discussion assurée des deux hommes, la jeune femme à leur côté n'en semblait que plus réservée. Non pas la timidité d'une jeune fille rougissante qui voit arriver un inconnu auprès d'elle, mais la réserve plus froide de celle qui voit arriver un inconnu sur son territoire. Soit, Cathan pouvait comprendre son appréhension.
Il inclina la tête en réponse à son salut. Nul besoin d'étude de psychologie pour voir qu'elle n'attendait pas de lui qu'il lui sert la main comme Gabriel avait pu le faire spontanément. Il aurait bien le temps de voir plus tard si elle avait quelque chose contre le fait qu'il était un intrus dans sa tranquillité, qu'il était américain, ou tout autre raison, y compris un simple caractère peu enjoué de sa nouvelle colocataire.

" Merci pour la précision."

L'américain délaissa un instant ses nouveaux collègues pour monter l'escalier qui menaient aux chambres, choisissant une des deux chambres libres pour y déposer son sac, la dernière des quatre portes. Son sac ne contenait qu'une partie de ses affaires, ce dont il avait le besoin le plus rapidement, et ce dont il ne voulait pas se séparer, entre autre une certaine arme qui avait bien peu à faire au Japon et qu'il n'avait pu laisser entre les mains des transporteurs qui apporteraient le lendemain le reste de ses affaires à Hachioji. Il avait beau voyager assez léger – il n'émigrait pas définitivement au Japon – il ne se voyait pas se balader avec une armada de sacs sur le dos. L'image aurait pu être amusante, mais bien peu associée à celle d'un professeur de mathématique, et surtout peu pratique. C'était le genre de cas où céder à l'attrait de la facilité avait son charme.

De son point de vue en hauteur, l'appartement était spacieux et lumineux, émaillé de petites plantes vertes un peu partout, trop nombreuses et trop bien entretenues pour avoir été placées là pour le simple plaisir de la décoration.
Le roux redescendit lentement les escaliers, prenant son temps pour observer les lieux. Contrairement à son ancien appartement, celui-ci donnait la sensation d'être habitée, et pas simplement par d'être occupé par des gens de passage. Son regard passa sur ses collègues pour dévier sur le comptoir de la cuisine américaine, avec un sourire plein d'espoir.

" Y a-t-il la possibilité que je me fasse un café ?"

Seul il ne se serait pas gêné pour fouiller dans les placards pour trouver ce qu'il voulait, mais avec les autres habitants présents, les bonnes manières étaient de mise.

Gabriel jeta un coup d’œil vers sa colocataire, sentant son malaise. Ils n’étaient pas proches, mais il n’avait pas non plus envie de la voir trop gênée dans son propre appartement. Mais Radha était aussi une femme qui n’aimait pas être aidée ou bichonnée, aussi se dispensa t’il de commentaire, la laissant agir comme elle le souhaitait.

Il s’écarta pour laisser passer le nouveau venu, allant se rasoir sur le canapé. C’est vrai que cela avait un petit coté étrange, que de cohabiter ainsi avec des inconnus. Différent d’une cohabitation ou l’on choisissait au début les personnes avec qui on vivrait. Particularité de ces logements de fonction. Mais Gabriel était curieux et sociable. Et la manière dont le nouveau venu l’avait regardé, alors que leurs regards s’étaient croisés un bref instant, l’intriguait.

Il l’entendit redescendre derrière lui, et se retourna à demi, lui adressant un sourire amusé à ses paroles qui sonnaient comme une supplique.

« Il doit en rester de ce matin, mais je serais pas contre du café frais moi non plus. Tout est à coté de la cafetière. Ma tasse préférée c’est celle avec pikachu. »

Il adresse la cuisine d’un geste de la main à Cathan, autant pour le mettre à l’aise et le laisser faire les choses lui même que pour éviter de se lever à nouveau. Il se caressa le menton, un peu sceptique face à son bonsai, avant d’arriver à la conclusion que ce ne serait pas cet après-midi qu’il arriverait à quelque chose.

« Vous ne nous avez pas dit quel était votre post. »

Reprit il soudainement, comme si la question venait de lui effleurer l’esprit, rangeant son matériel dans la petite pochette prévue à cet effet.

« J’imagine que ça ne te pose pas de soucis de se tutoyer ? »

La politesse, voilà bien quelque chose qui, parfois, fatiguait Gabriel. Il avait vécu des situations ou les rencontres et les amitiés se déroulaient vite, très vite, ce qui n’entachait en rien leur valeur. Il lui en était resté une certaine lassitude à pratiquer certains rituels sociaux quand il en connaissait l’issue.

Cathan était un homme étranger comme lui. C’était plus que suffisant pour qu’il ait envie de le tutoyer, en plus du fait qu’ils vivraient sous le même toit désormais. Les choses avaient été différentes avec Radha. Dès le début, il avait bien vu la distance qu’elle souhaitait garder et s’y était plié. Il attendrait d’elle l’évolution, si elle devait arriver un jour.

Sourire rassuré aux lèvres, Cathan se dirigea vers le comptoir de la cuisine, fondant sur la cafetière électrique comme un rapace sur sa proie. Nul matériel japonais hautement compliqué, non une simple et bonne cafetière classique, idéale pour faire ressortir tous les arômes d'un vrai café. Un luxe sans pareil au Japon, sans aucun doute. L'américain rinça le pot et le re-remplit avant d'attraper la boite de café qui trainait bien en évidence à côté de la cafetière, une petite boite en bois décorées d'autocollants de provenances diverses et variées, préparant la cafetière avec une aisance née de l'habitude. L'odeur suave du café lui faisait plaisir : après plusieurs jours à subir le café de l'hôtel ou des distributeurs, il était presque en manque de caféine.

Le ronflant caractéristique de la vapeur commença son ouvrage, répandant avec elle l'arôme caractéristique du café frais, si délicieuse. Laissant la machine faire son ouvrage, le regard de Cathan en revint à ses colocataires, plus exactement sur Gabriel. La jeune femme ne semblait guère friande des regards trop directs sur sa personne et pour le moment, Cat voulait bien se soumettre à cette règle même s'il cela lui donnait la vague impression de la mettre quelque peu à l'écart.
Il n'avait pas eu l'habitude d'ignorer les femmes ni dans sa vie professionnelle, ni ailleurs. Tout autant dragueur invétéré qu'il soit, sa mère avait fermement fait entrer dans sa tête la notion d'égalité des sexes et de respect dû au femme. Ok, c'était resté, même si elles ne pouvaient pas être toutes aussi fortes que sa mère.

" Prof de maths, même s'il parait que je n'en ai pas l'apparence. Et pas de soucis pour le tutoiement. Je me plie sans soucis aux habitudes japonaises, ça ne veut pas dire que je ne suis pas plus à l'aise avec un peu plus de familiarité. "

Explorant les deux premiers placards, Cathan finit par trouver un ensemble de tasses dépareillées où trônait effectivement un mug pikachu d'un jaune canari en plein milieu. Il supposa que la anse en zigzag devait plaire aux enfants et aux bibliothécaires. Un second mug, plus sobre, aux couleurs de la marque Kirin – décidément, ceux qui avaient meublé l'appartement n'avait eu qu'une attention très secondaire concernant les ustensiles de cuisine – vint rejoindre le premier sur le comptoir. Cathan allait en sortir un troisième lorsqu'il hésita, lançant un regard interrogateur vers l'indienne.

" Souhaitez-vous du café Miss Nalini ? "

L'invitation au tutoiement n'avait pas inclus l'assistante de direction, et Cathan ne l'avait pas pris comme telle. Quand à sa manière de s'adresser à elle... choisir quel titre utilisé entre étrangers en territoire étranger était toujours déroutant. Le "San" aurait pu être de mise, mais, bizarrement, ce n'était pas la première formule qui s'était imposée à lui. La formule américaine était peut-être un peu incongrue dans cette conversation où le japonais était le seul lien tangible entre trois expatriés mais au final... les termes américains étaient suffisamment mondialement utilisés pour faire l'affaire.

Les deux hommes semblaient avoir trouvé un terrain d'entente et elle se sentit soulagé que le roux n'insista pas davantage pour apprendre à la connaître un peu plus. Il y avait des comportements qu'elle avait beaucoup de mal à accepter et elle craignait toujours qu'on envahisse son espace vital ou tente de forcer la barrière qu'elle mettait entre les autres et elle-même. Radha se détendit un peu en constatant que le roux n'en faisait rien, le suivant brièvement du regard alors qu'il regagnait l'escalier pour monter son sac dans sa chambre. Ses yeux dérivèrent alors vers son sac à main qui était toujours près de l'entrée, l'envie d'aller le ranger à l'étage s'atténuant à l'idée que le nouveau venu s'y trouvait. Elle préféra aller s'occuper d'ouvrir une fenêtre de plus avant d'entendre les pas lent de l'Américain dans l'escalier.

La jeune femme se tourna à demi vers celui-ci, attendant d'apercevoir la silhouette pour s'approcher des deux autres habitants des lieux. La question pleine d'espoir du roux fit naître sur ses lèvre sun mince sourire amusé alors qu'elle s'empara de son sac, prête à remonter – non sans vouloir s'excuser auparavant. Elle attendit néanmoins que les deux hommes laissent planer un instant de silence, apprenant ainsi que le nouveau colocataire était professeur de mathématiques. En effet, songea-t-elle, il n'en avait pas du tout le physique. Elle l'aurait mieux vu enseigner une matière plus énergique que les mathématiques – qu'elle appréciait par ailleurs à petite dose.

Perdue dans ces considérations mentales, elle tarda un peu à ouvrir la bouche pour s'excuser de son absence, mais fut prise de court par la question du roux. Non sans une certaine hésitation perceptible, elle choisit finalement d'accepter la proposition avec un doux hochement de tête et un léger sourire, simplement poli mais un peu plus chaleureux que ses premiers.

« Je m'absente un instant, mais j'accepte volontiers, merci à vous. N'hésitez pas à vous servir sans m'attendre. »

Son regard dévia légèrement vers Mister Ritter qui terminait de ranger ses affaires. Apparemment dérangé dans ses projets, il renonçait à s'occuper de son bonzai pour le moment. Elle détourna finalement les yeux en mettant fin à son intérêt pour son activité et commença à monter les marches pour accéder jusqu'à sa chambre.

Celle-ci donnait sur les montagnes – vue qu'elle aimait beaucoup et dont elle se régalait souvent quand elle ne se rendait pas directement sur le mont Takao. La nature qu'elle avait connue lui manquait souvent dans la jungle que formait à mégalopole tokyoïte, et on devinait à la décoration de la pièce où elle entra que c'était aussi l'absence de son pays et sa culture qui se faisait sentir. La chambre était en effet décorée d'éléments rappelant l'Inde et surtout la partie du Sud où elle avait jusqu'à présent toujours vécue.

Radha poussa un léger soupir, un peu soulagée d'être un instant seule et alla déposer son sac près de son bureau. Sans attendre, elle se dirigea alors vers son armoire d'où elle sortit un sari bleu pâle à la bordure dorée qu'elle alla étendre sur le lit et se changea doucement, appréciant de quitter l'austère – quoi qu'élégant – tailleur qu'elle portait jusqu'à présent. Lorsqu'elle eut enfilé le vêtement indien, la jeune femme défit sa queue de cheval pour laisser tomber sa lourde chevelure sur ses épaules et alors, bien plus à son aise, elle alla rejoindre ses deux colocataires à l'étage du bas après quelques minutes d'absence.

« Excusez-moi d'avoir tardé. » lança-t-elle doucement en revenant parmi eux alors qu'une bonne odeur de café se faisait sentir. « J'espère que vous ne m'aviez pas attendue. »

[HRP : Allez, encore un peu et elle sera sociable *sort*]

Un sourire chafouin étira les lèvres de Gabriel à la réponse de Cathan. Effectivement, prof de math aurait été l’un des derniers posts qu’il aurait imaginé pour ce gars la. Sa stature ne convenait pas. En fait, il aurait été persuadé qu’il fut prof de sport s’il ne l’avait pas ainsi réfuté. Alors, il s’entretenait ? Sa manière de se déplacer n’avait rien d’un simulacre. Il n’avait pas l’air d’un homme tranquille qui allait avec régularité en salle de sport faire de l’exercice mais bien de quelqu’un qui avait appris et s’était endurcis sur le terrain…

Gabriel poussa un soupira inaudible, ramenant en arrière quelques mèches de cheveux humides qui étaient venus lui coller à la jouer. Son imagination se faisait parfois trop galopante, en manque qu’il était d’affaires croustillantes et de ragot à déchiffrer.

Il regarda avec amusement le nouveau venu proposer à la jeune femme de se joindre à eut, ce à quoi elle concéda avec tranquillité. Mais auparavant, elle avait à effectuer un rituel auquel il était désormais habitué. Il attendit qu’elle eut disparue en haut des escaliers pour lancer un regard complice à Cathan.

« La princesse doit se mettre en tenue. »

Déclara t’il de manière pour le moins mystérieuse, tendant la main pour récupérer la tasse et la poser sur la table basse face à lui.

« Je ne sais pas si les autorités le font exprès, mais il semblerait que les gaijins soient réunis ici. Pour notre confort ou pour le leur. »

Ce n’était pas une question, mais plus une constatation un peu amusée. En lui même, il penchait plus pour la 2eme option : Des japonais froissés et gênés à l’idée de côtoyer des étrangers aux mœurs si différents, et qui mettaient dans le même panier l’allemand et l’indienne. Ils étaient étrangers, ils trouveraient forcement matière à s’entendre. Même à leur époque, la fermeture du japon au monde extérieur durant de longs siècle avait laissé quelques traces indélébiles.

Radha les rejoignit, vêtue comme à son habitude de vêtements traditionnels de son pays. Habillée ainsi, elle semblait plus à l’aise en tout point, plus sure d’elle. Ses vêtements étaient comme un réconfort de son pays d’origine. Il ne lui avait jamais demandée pourquoi elle était ici, mais elle ne semblait pas non plus exilée. Mais nul besoin d’exil pour que le pays d’origine manque. Même si lui même avait du mal à ressentir cela. Bien que natif d’Allemagne, il avait du mal à considérer ce lieux comme son pays natal. L’Europe dans son intégrité eut déjà été plus proche de la vérité.

« Le café commence tout juste à refroidir. »

Répondit il tranquillement, sans commenter le changement de tenue.

Cathan sortit une troisième tasse pendant que la jeune femme s'éclipsait à l'étage avec une explication sommaire de Gabriel qui lui fit hausser un sourcil. Se mettre en tenue ? Il supposait qu'il ne tarderait pas à savoir exactement ce que cela signifiait. Il versa tranquillement trois tasses de café, appréciant à sa juste valeur l'arôme qui s'en dégageait. Une tasse trouva naturellement le chemin de sa main comme un poids chaud et habituel qui rappelait la maison quelque soit l'endroit du globe où il se trouvait. Tant qu'il avait un bon café à portée de main, il arriverait à survivre en terre étrangère.

" Ou alors c'est une simple sélection en fonction de ceux qui préfèrent le thé ou le café. "

Le point de vue de Gabriel se tenait : ne pas imposer des étrangers trop bruyants à des japonais trop sages évitait surement des tensions entre les collègues. Vivre avec quelqu'un que l'on n'a pas choisi n'est pas forcément évident, rajouter en plus des différences culturelles était dangereux. Certes, voir le point commun entre eux était plus minime : ils étaient gaijins. D'un point de vue cynique, c'était largement suffisant. Il ne croiserait pas tous les jours des japonais qui avaient passé une grande partie de leur vie à l'étranger, comme Jiro ou Akutsu.

Cathan tourna la tête au léger bruit dans l'escalier et fut gracié par le retour de Rhada en tenue traditionnelle indienne, un long sari qui enveloppait gracieusement sa silhouette dont la couleur mettait en valeur sa peau et ses cheveux sombres. Difficile de ne pas regarder. Après les japonaises et leurs kimonos, ce genre de tenue ne le surprenait pas autant qu'elle aurait pu le faire, mais attirait tout de même le regard. Un regard appréciateur dans son cas. Cathan inclina légèrement la tête et poussa la tasse vers la jeune femme, cessant de l'observer avant qu'elle ne le trouve trop lourd, s'autorisant juste un minime sourire.

" Puis-je vous demander votre point de vue sur le lycée ? Il est aussi impressionnant que la brochure le sous-entendait, mais difficile de se faire un point de vue général."

Il avait posé la question aux deux présents, supposant qu'ils avaient des points de vue assez différents de par leur position. Si Gabriel devait souvent croiser les élèves, les relations de l'assistante de direction devaient surtout se limiter au personnel administratif du lycée. De quoi voir les deux facettes de l'institution où il allait dorénavant enseigner. De sa virée en ville, il en avait surtout retiré que le niveau général du lycée était plutôt bon, en tous cas meilleur que celui où il avait enseigné précédemment. Cela voulait dire qu'il allait avoir des élèves capable de suivre correctement un cours sans péter un câble à cause de leur petit ami pendant deux heures ?

Le prof de maths dissimula son sourire dans sa tasse de café. Fort, comme il l'aimait, avec une touche de parfum différente. Quiconque avait acheté le café avait fait un bon choix dans le manque de variété des kombinis japonais. En tous cas, la compatibilité passait déjà entre eux au niveau du café.

Se changer était très vite devenu pour elle une habitude, presque une nécessité. Lorsqu'elle avait tout juste emménagé au Japon, elle s'était résolue à ne plus se vêtir de couleurs aussi chatoyantes et des tenues traditionnelles de son pays lorsqu'elle n'était pas chez elle. Bien que Radha n'aie jamais beaucoup pu voyager, elle avait pris tout naturellement le parti de vivre comme les autochtones. Pour autant, il lui avait semblé totalement superflu de s'imposer la même rigueur chez elle. Venir vivre dans cet appartement de fonction n'y avait rien changé et dès le premier jour, elle saluait son colocataire en rentrant s'il était là et partait ensuite enfiler d'autres vêtements, ceux dans lesquels elle était le plus à son aise.

Gabriel n'avait jamais fait preuve d'une grande curiosité sur la question – si peu même qu'elle se demandait parfois s'il avait vraiment été journaliste. Son regard en ce jour comme pour tous les précédents glissa sur elle plus qu'autre chose, au contraire de celui du roux qui la suivit jusqu'à ce qu'elle vînt s'asseoir près d'eux. La jeune femme s'installa et attira vers elle la tasse de café encore chaude sans être brûlante, gentiment poussée dans sa direction par l'enseignant qu'elle avait remercié brièvement.

La question de l'Américain la laissa un peu songeuse alors qu'elle avalait une première gorgée de café. Ce qu'elle pensait du lycée ? Pas grand chose en vérité. La volonté affichée du directeur d'en faire l'un des meilleurs lycées du pays était perceptible dans son administration, qu'il voulait compétente et souple. Dans l'ensemble, Radha estimait que ce but était atteint. Malgré un fort renouveau pour cette année – qui l'avait surprise d'ailleurs – le personnel de l'établissement était efficace et les services ne se tiraient pas (trop) dans les pattes.

« Il n'y a pas grand-chose que je puisse vous dire », commença-t-elle en faisant chanter son japonais avec son léger accent. « Le Directeur met autant d'application à ce que le travail du personnel soit facilité qu'à offrir un bon cadre aux élèves. Il ne demande rien d'infaisable, vous ne rencontrerez sûrement pas de difficultés particulières. »

L'Indienne pinça un peu les lèvres en cherchant quoi ajouter à cela, mais ne voyant rien de plus à dire, elle tourna son regard vers le bibliothécaire. Contrairement à elle, il fréquentait plus les élèves et saurait sans doute mieux offrir une réponse complètement au roux. Elle était été bien incapable de dire comment se comportaient les jeunes gens au quotidien : dans son travail, elle voyait le personnel et d'autres adultes venant de l'extérieur de l'école. Parfois elle croisait un élève au détour d'un couloir du bâtiment administratifs, un peu plus souvent rencontrait-elle les parents de l'un des étudiants qui avaient rendez-vous avec le directeur. Mais rien qui ne se limite pas aux banalités d'usage dès qu'il s'agissait de parler.

Elle était jolie. Logiquement. Gabriel le déduisait de ce qu’il connaissait des critères de beauté, de sa manière de bouger, de la manière dont les autres la regardaient, mais en lui même, il ne la trouvait pas jolie. Il ne ressentait rien en la voyant, ni intérêt ni dégoût. Sa femme était morte et aucune femme sur terre ne pouvait tenir la comparaison. Un désintérêt de la gente féminine qui était à la fois un acte conscient et inconscient de sa part.

Il se caressa distraitement le menton à la question de Cathan. Le lycée était bien une chose dont il était détaché depuis de longues années. Il avait été surpris par la rigueur toute japonaise des lieux, avant de la considérer comme normale, et agréable. La discipline des élèves, reflets de la discipline des japonais, était de tout repos lorsque l’on était une figure d’autorité. La bibliothèque disposait toujours du calme qui lui était du, et les livres n’étaient pas abîmés, ce qui lui permettait d’en acheter des nouveaux plutôt que de gaspiller les finances en remplacements ou réparations.

Radha déposa son avis avec retenue et politesse, comme toujours, donnant un aperçu de sa vision certainement différente de la sienne au vu des sphères ou elle évoluait.

« C’est un lycée japonais »

Enchaîna Gabriel avec simplicité, laissant peser tout ce que sous entendait ces quelques mots.

« Propre, organisé. Les gosses sont calmes, disciplinés, parfois même un peu trop et pas assez imaginatifs ou dégourdis. C’est tout ce que l’on peut leur reprocher. »

Un peu de regret perçait dans cette constatation, sans aller à véritablement juger la mentalité ambiante. Mais même s’il s’était accoutumé au japon et y avait été adopté par sa belle famille, il ne pouvait que parfois regretter l’absence flagrante d’individualisme et d’initiatives de certains, une fois sortit des routes tracées et pavées que leurs indiquaient leurs aînés.

Il n’aurait pas supporté d’être prof. Il n’aurait pas eut la patience avec eux.

« Enfin pour les maths, cet esprit la colle très bien. »

Lança t’il avec un petit sourire amusé, avant de boire une gorgée. Il se demandait depuis quand Cathan travaillait au japon – fait toujours étrange pour un étranger, surtout dans ce milieu – et ou il avait travaillé jusque lors, et tant d’autres questions qui fleurissaient comme il respirait au fond de son crâne. Une chose à la fois, mais comme pour Radha lors de leur rencontre, un peu de voyage sur Internet à la pêche aux infos s’imposait. Innocente habitude, comme checker les ip d’un nouvel inscrit lorsque l’on gère un forum ou infiltrer le système informatique de l’école pour obtenir les infos de bases : Garder le contrôle sur les éléments étrangers qui arrivaient dans sa vie.

« Mais j’imagine que ce n’est pas la 1ere fois que tu enseigne à des jeunes japonais ? »

Continua t’il paisiblement.

Si la description de Radha n'amena aucune réaction particulière chez Cathan – d'après ce qu'il avait vu du directeur pendant leur entretien, c'était un homme parfaitement capable qui savait où il allait et ce qu'il voulait de son établissement – autant la description de Gabriel amena chez lui une irrésistible envie de rire qui se traduisit par un large sourire narquois au dessus de sa tasse de café. Le coup des élèves japonais sages et obéissants, on avait déjà essayé de lui vendre dans son ancien lycée, et il avait pu en voir le résultat... Enfin, avec un peu de chance l'opinion de Gabriel venait d'une véritable expérience et observation des mômes en sa capacité de bibliothécaire, et non à cause d'une quelconque logique et extrapolation sur les données sociologiques du comportement des jeunes adultes japonais.

" Ma dernière expérience dans un lycée japonais s'est faite dans un lycée dont le plus gros mérite était d'accueillir à n'importe quelle période des gosses venant de n'importe quel horizon. Intention louable si ça n'avait pas donné des classes au niveau complètement dépareillé, avec certains gosses qui maitrisaient à peine le japonais pour suivre les cours. Niveau comportement, ça ressemblait d'ailleurs plus à une banlieue américaine qu'à n'importe quoi d'autre.... depuis je suis un peu méfiant."

De toute façon, ça ne pourrait pas être pire, et avec un peu de chance, il n'aurait pas besoin de passer le tiers de son temps à essayer de faire tenir en place des gosses au comportement de maternelles. A la différence que des élèves de maternelle auraient eu bien plus peur de leur professeur et n'auraient pas nécessité qu'il les foute à la porte ou dans un coin de la classe. Bon ok, peut-être pas pour le dernier point. Il verrait bien si un de ces petits à l'esprit bien carré lui faisait le plaisir de suivre correctement ses cours pour une fois.
Et pourquoi pas de se trouver un instinct de professeur. Si ça se trouve, son agacement vis à vis de l'enseignement était simplement du au fait qu'il était tombé sur des classes inaptes, le frustrant plutôt que de lui donner de l'intérêt dans l'enseignement. Mais honnêtement... il ne fallait pas trop y compter. Il doutait fortement que la carrière de l'enseignement soit faite pour lui, contrairement à son frère ou Jiro. Il aimait les maths, oui. Les maths trop abstraites pour être enseignées dans un lycée.

Cathan finit sa dernière gorgée de café et alla rincer sa tasse dans l'évier avant de la poser sur le rebord, tranchant à mi-chemin entre ses habitudes bordéliques qui lui disaient de laisser sa tasse sur le comptoir jusqu'à la prochaine fois où il viendrait se prendre un café, sans aucun doute un peu plus tard dans la journée, et un soupçon de politesse envers ses nouveaux colocataires dont il avait encore à découvrir l'étendu de leur maniaquerie.

" Je ne vais pas vous retenir plus longtemps, je vais aller finir de ranger mes affaires. Merci pour l'accueil. "

Finir de s'installer dans sa chambre, explorer un peu le lycée... en gros, reconnaître le terrain pour ne pas se faire prendre au dépourvu. Une habitude certes plus utile pour une mission sur le terrain que pour un job de prof, mais continuer à bosser de la même façon était probablement une des petites choses qui permettait d'éviter de le rendre complètement frustré dans son taff. Au passage, il irait peut-être voir s'il pouvait croiser Jiro ou son petit frère. Il ne venait pas juste de nouer un lien avec cette petite saloperie pour le laisser aussitôt disparaître sans rien dire.

La description de l'ancien lycée du roux amena sur son visage une expression toute peinte d'étonnement et d'incrédulité. La perspective d'un tel établissement lui paraissait choquant à bien des points de vue, à commencer par l'absurdité de ce fonctionnement. Comment voulait-on apprendre quelque chose à des classes pareilles dont les effectifs variaient sans cesse et avec des élèves ayant tant de difficultés ? Elle ne comprenait tout simplement pas, mais voulait bien croire qu'enseigner n'avait pas été une partie de plaisir. Surtout les mathématiques qui exigeaient une rigueur impossible à obtenir dans un tel contexte.

« Je ne suis pas professeur, mais je peux au moins vous rassurer sur un point. Le lycée est certes ouvert aux étrangers, mais ils n'arrivent pas en cours d'année – sauf cas exceptionnels, comme les élèves transférés en même temps que vous. »

Seul le silence accueillit sa remarque, un peu pensif dans son cas. Elle ne s'en offusqua pas, sachant pertinemment que les deux hommes l'avaient entendue. Elle préférait amplement profiter de l'excellent café qu'ils avaient, satisfaite au moins qu'aucun d'eux trois ne soit un grand adepte du thé. Certes, des trois elle était certainement la plus propice à ça – encore qu'elle n'aurait pas été surprise, en y repensant, que Gabriel ait préféré le thé.

Finalement, Cathan termina son café un peu avant elle et se leva pour aller la poser dans l'évier. Du moins le crut-elle jusqu'à ce qu'elle aperçoive la tasse sur le rebord de l'évier, sans doute rincée. Radha préféra ne rien dire, n'étant ni une très grande maniaque, ni une bordélique excessive. Elle s'estimait tout simplement raisonnable et préférait attendre de voir ce que le nouveau venu donnerait avant d'éventuellement se permettre quelques remarques. Elle inclina seulement la tête brièvement, lâchant une banalité de coutume avant de le regarder brièvement s'en aller.

La jeune femme posa sa tasse sur la table basse face à elle et se leva pour aller récupérer la télécommande de la grande télé qui leur faisait face. L'une de ses premières surprises, d'ailleurs, puisqu'elle s'était attendue à un très modeste appartement. Il lui semblait bien luxueux – quoi qu'aux dires de certains japonais, il était dans les normes – et elle peinait parfois à s'y faire, même en repensant à sa vieille location bien plus miteuse.

« J'espère que ça ne vous dérange pas si je regarde la télévision : il y a un film qui m'intéresse. »

Elle l'avait vu des dizaines de fois au moins depuis que Radha était arrivée au Japon. En Inde, il lui avait été bien moins souvent donnée l'occasion de perdre du temps devant une télévision : sa mère l'occupait beaucoup avec le ménage de la maison, elle avait ses entraînements de danse, ses révisions et ses moments de temps libres étaient plutôt consacrés à ses amies. Son cœur se serra à cette pensée qu'elle chassa vite. Depuis son exil – c'était du moins ainsi qu'elle le vivait – elle avait perdu ses contacts avec beaucoup de gens qu'elle connaissait et il arrivait encore bien souvent que certains lui manquent malgré les années.

Appuyant sur le bouton pour allumer la télévision, elle attrapa la télécommande et revint s'asseoir sur le canapé, zappant de la chaîne d'informations jusqu'à tomber sur celle qu'elle cherchait. Dirty dancing débutait à peine et, même si le doublage en japonais paraissait ridicule même à ses oreilles d'étrangère, elle s'installa assez confortablement pour regarder le film.