Hasegawa avait changé depuis sa rencontre avec Tizziano. Ce dernier n'y avait aucun mérite particulier. A moins qu'on reconnaisse un mérite à un enfant quand il détruit le château de sable d'un autre avant de partir en courant. Quoi qu'il en était, l'expérience avait permit de débloquer quelque chose chez Yuusuke. Nul ne pouvait vraiment le remarquer, il aurait fallu être très proche de lui. Et ce genre de personnes, dans le quotidien de la Gingko n'existait pas encore. On était le dimanche matin. Les clubs sportifs commençaient leurs activités dans le gymnase. Certains clubs d'arts martiaux s'entrainaient là. Hasegawa n'en connaissait pas la raison et il s'étonnait que ces derniers ne s'entrainent pas dans le dojo.

" Peut-être par manque de place ? "

Il était loin de se douter des rivalités qui pouvaient exister entre ces clubs. De toute manière, la chose intéressait peu le jeune homme. Il avait un peu pratiqué du karaté puis du judo mais il avait fini par arrêter. Pour de mauvaises raisons, c'était certain. Aujourd'hui, s'il devait reprendre une telle activité. Cela serait très certainement un art martial comme le tai-chi-chuan ou le yoga. Une autre partie du gymnase était consacrée à l'entrainement de l'équipe féminine de volley. Les deux mondes paraissaient s'ignorer avec superbe. L'artiste s'attarda un instant sur cet étrange sentiment d'ignorance mutuel puis il s'en détourna pour aller vers son objectif. Il allait faire quelque chose qu'il ne s'était jamais permis de faire jusqu'à maintenant, de peur de se faire remarquer. Longtemps, il s'était fabriqué l'idée qu'un professeur démontrant un goût certains pour des sports dits "dangereux" et "peu raisonnable" par les bonnes consciences qui dirigeaient le Japon était le meilleur moyen d'être mit au banc du corps professoral. Mais aujourd'hui, la peur cédait face au désir et il entendait bien assouvir l'une de ses activités favorites malgré l'éloignement de la montagne. En effet, le gymnase était équipé en un de ses angles d'un murs d'escalade qui avait peu servi jusqu'à maintenant. Les architectes avaient parfois leurs folies mais cela arrangea Yuusuke d'une certaine manière. Récupérant quelques tatamis qu'il disposa sous le mur par mesure de sécurité, il commença à vérifier l'équipement avant de l'attacher au baudrier. Pour une réelle sécurité, le jeune homme aurait du avoir un coéquipier pour retenir sa chute depuis le sol grâce à un système de poulies. Mais étant seul, il allait devoir compter sur son seul équipement. Ce n'était pas un mauvais exercice. Après tout, le jeune alpiniste aspirait un jour à franchir le cap et à tenter une ascension en solitaire. Enfin prêt, il leva son regard vers le mur. Sur ces derniers, ils existaient des chemins plus ou moins faciles. Mentalement, Hasegawa se prépara puis s'élança. A partir de cet instant, le reste du monde cessa d'exister à ses yeux. Bien entendu certains élèves avaient déjà remarqué le professeur d'art dans son étrange accoutrement d'alpiniste et regardaient avec curiosité ce dernier s'élever au dessus du sol. C'était très nouveau de voir enfin quelqu'un utiliser cet étrange mur. Une rumeur gagna donc les quelques sportifs qui n'étaient pas forcément tout à leurs arts et quelques regards curieux vinrent s'ajouter aux autres. Yuusuke l'ignorait, lui était tout à la paroi. D'une main, il saisissait une prise, laissant son corps lui dicter les sensations d'équilibres et de déséquilibres, le jeune homme en jouait, allant parfois à la limite de la chute pour parvenir à saisir un nouvel appui. C'était une danse vertigineuse qu'il faisait avec la gravité. Le but était de la vaincre momentanément, de l'oublier et de réfléchir à un autre monde avec une tout autre horizon. De par ses sensations, le sentiment de dépaysement était total. Ainsi, le jeune homme échappait à sa condition de bipède aux pieds collés au sol pour se faire quadrupède évoluant dans un monde à 90°. Enfin, alors que certains spectateurs retenaient malgré eux leurs souffles, le professeur atteignit le sommet. Étais-ce pour autant la fin ? Souvent, ceux qui ne connaissaient pas l'alpinisme ne comprenaient pas l'utilité de la poursuite du mur d’escalade sur un angle de 180°. Comment diable un être humain pouvait parcourir un sol à l'inverse de la gravité même ?! Et pourtant, Hasegawa ne parut pas arrêter son effort. Avec une grande concentration et une véritable maitrise de ses gestes, il s'attacha tranquillement à la paroi avant de se retourner pour regarder au dessus de lui et fixer les premiers mousquetons sur les prises. Alors, se décrochant de la paroi, il se retrouva suspendu au vide, maintenu par la seul corde attaché à son baudrier. C'est alors que le jeune homme se permit un regard sur la salle du gymnase. Percevant les yeux rivées sur lui, il marqua l'étonnement avant que ce dernier ne s'agrandissent alors qu'il reconnait là d'autres iris qui lui étaient bien plus familières.

" Aya ?! "

Relâchant momentanément sa corde, il commença à partir en descente rapide et il lui fallu la ralentir quelque peu et utiliser ses jambes pour amortir au mieux sa chute avant de se redresser sans mal, de retour sur le planché du gymnase. Dans son esprit, un nombre incalculable de questions venait de le saisir. Même si sa raison lui avait déjà très logiquement donné une réponse qu'il était bien ennuyeux de comprendre.

Aujourd’hui n’était pas un jour comme les autres, et pour cause : il ne faisait pas beau. Le temps était orageux et il semblait à Aya qu’à chaque pas que celle-ci faisait en direction du gymnase, que les nuages noirs et menaçant allaient éclater et se déverser sur elle. Aussi l’air était lourd. Très lourd. Presque suffoquant. Mais notre jeune fille avait fini pas s’habituer à ces étés Japonais où la température pouvait changer du tout au tout sans transition.

Quoiqu’il en soit, Aya avait décidée d’aller réviser ses katas afin de se maintenir en forme et peut-être commencer à réviser pour le cas où elle pourrait passer son premier dan. Ainsi, vêtue de son kimono, elle s’échauffa tranquillement dans un coin. Malheureusement, elle avait du s’exiler dans le gymnase, s’étant fait rejeté par les kendoka. Et puis, ne voulant pas faire d’histoire, elle s’était rapidement résigner et se retrouvait maintenant dans le gymnase assez étroit.

Soupirant légèrement en voyant tous ces gens qui la fixaient, elle détourna son regard et commença à étudier ses feuilles, se mordillant légèrement la lèvre inférieure, ce qu’elle faisait souvent lorsqu’elle était concentrée. Puis, hochant une fois la tête, elle posa la feuille et se mit en place.

Une fois qu’elle eu fini la première série de Kata et qu’elle s’apprêtait à enchaîner la deuxième, elle entendit son nom. S’immobilisant dans son mouvement, elle releva son regard qui se fixait sur une silhouette en hauteur, près du mur d’escalade. Fronçant légèrement les sourcils, son cœur fit un bon et elle sursauta lorsqu’elle vit le jeune homme dégringoler. Il réussi néanmoins sans soucis à rattraper sa chute et se redressa devant elle.

Aya, elle, écarquilla les yeux et ouvrit la bouche, marquant ainsi sa surprise. Qui ? Où ? Comment ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il foutait là, LUI ? Etait-il étudiant dans ce lycée ? Non impossible. Prof ? Surveillant ? Non. Non ce ne pouvait pas être vrai. Secouant légèrement la tête, Aya ferma furtivement les yeux puis les rouvrit, espérant que Yuusuke n’était qu’une illusion. Mais, non. Alors, refermant la bouche et reprenant ses esprits, notre jeune fille lança un coup d’œil aux autres gens présent dans le gymnase. Remarquant que ceux-ci avaient repris leurs occupations, elle soupira discrètement et s’approcha du jeune homme.

« Qu’est-ce tu fous là ? »

Son ton avait été plus agressif qu’elle ne le voulait réellement. D’ailleurs, il pouvait, lui aussi, lui posé la même question. Mais quoiqu’il en soit, ce fut notre jeune femme qui avait engagé la conversation. Yuusuke se devait de lui répondre. Et s’il était prof ? Là, tous deux seront dans la merde. Mais, ils n’étaient pas sensés connaître l’un l’autre plus que ce qu’ils n’avaient apprit lors de leur dernière nuit passée ensemble. Concrètement, ils n’avaient rien fait de mal. Ils étaient simplement deux inconnus … dont la différence d’âge dépassait la limite.

Un sourire gagna ses lèvres. Nul doute, il avait changé. La situation l'aurait vraiment beaucoup énervé il y a encore quelques jours. Il aurait paniqué, ruminé, répondu avec agressivité et en fin de compte, les choses auraient surement tournés au vinaigre. Maintenant, il... Il ne savait pas trop. Le fait de revoir Aya lui faisait plaisir. Même si c'était étonnant, inattendu, totalement dingue. Cette coïncidence, il ne pouvait s'empêcher de l'apprécier par certains cotés.

- J'allais te poser la même question.

Dit-il sur un ton à la fois léger et inquiet. Le jeune homme était partagé entre le plaisir d'avoir recroiser la route d'Aya et l'inquiétude qui naissait alors que son esprit déroulant à vitesse rapide de nombreuses conjectures embarrassantes. La tenue de Shirogane, celle d'une pratiquante de karaté, laissait à penser qu'elle avait une activité dans ce lieu et qu'elle avait donc autant à y faire que lui.

- Pour tout te dire, j'enseigne l'art, ici.

La nervosité dans sa voix était palpable. Bien sûr, il était inquiet de lire l'expression de son interlocutrice à cet instant. Allait-elle fuir en courant, le frapper, crier ? Il n'en savait rien. Après tout, il avait appris à ses dépends que la jeune femme pouvait se révéler très versatile. Mais si sa logique ne le trompait pas, elle ne pouvait pas être autre chose qu'une élève de prépa. Sinon, il ne comprendrait pas qu'il ne l'ait pas déjà rencontré auparavant. De plus, l'âge qu'il lui donnait lui interdisait d'être une simple lycéenne ou d'être une enseignante. Non, il devait se rendre à l'évidence, il avait du passer une charmante soirée avec une mineure, qui plus est, de son établissement. Conscient que les quelques mots qu'il venait de prononcer pouvait lancer un grand flot de questions partagées, il s'assura de son regard du sien avec un sourire engageant.

- Je crois que nous devrions sans doute trouver un endroit plus calme pour parler, tu ne crois pas?

Le geste suivant la parole, il commença à se détacher puis en tirant quelques coups secs à un rythme particulier, le jeune homme libéra la garde par laquelle il venait de descendre qui tomba au sol. Avec un geste rompu par l'habitude, il rangea le câble et son matériel à sa ceinture. Il enlèverait son équipement personnel par la suite.

Très vite, la joie fit place à l’étonnement. Depuis qu’elle l’avait quitté, il n’y avait même pas si longtemps que ça, Aya songeait sans cesse à cet inconnu, se demandant constemment si lui aussi pensait à elle et à ce qu’il pourrait bien faire au même moment. Mais de là à le rencontrer ici, au gymnase, dans le lycée et découvrir qu’en fait il était bien plus âge qu’elle ne le pensait et qu’il avait un grade supérieur au sien, dépassait l’horizon d’attente de notre jeune karatéka.

Mais soit. Hochant vivement la tête à la dernière déclaration du jeune homme, Aya lança un coup d’œil vers le côté

« Oui bien sur … on va faire un tour dans le parc ? » Elle fixa Yuusuke pendant quelques instants puis baissa le regard « je pense qu’on a pas mal de chose à nous dire et à mettre au clair … » reprit-elle en prenant un ton plus mystérieux.

Puis, se détournant, elle alla chercher ses affaires et attendit que Yuusuke la rejoigne. Ensemble, ils sortirent du gymnase et se dirigèrent vers le parc. Là, soupirant légèrement, Aya remit son sac en place sur son épaule et lança un coup d’œil à son ex compagnon de soirée

« Je … hum … Désolé d’avoir été si agressive avant. Ce n’était pas voulut … » elle baissa le regard, fixant son attention sur le chemin « mais je suis quand même contente de savoir que tu travails ici … » dit-elle tout juste assez fort pour que Yuusuke la comprenne « même si les circonstances sont … peu conventionnelles … »

Elle rigola doucement et se passa la main dans les cheveux. Oui elle était nerveuse, mais y avait de quoi l’être, non ?

Aya se figea à la dernière déclaration de Yuusuke. Il avait donc des sentiments pour elle. Etaient-ils réel ? S’il l’avait pu, se serait-il engagé dans une relation avec elle ? Que de questions lui traversèrent l’esprit, l’obligeant à ralentir un peu ses pensées. Mais, plus elle se creusait les méninges, plus elle se rendit compte que ces sentiments n’étaient sans doute pas partagé. Que faire ? Lui dire la vérité ? Elle passerait pour une salope. Une jeune femme qui utilise les hommes pour se divertir et qui préfère les coups d’un soir. Ou devait-elle le laisser dans le mensonge ? C’était tout aussi dégueulasse. Alors, soupirant légèrement, Aya baissa la tête. Son regard se perdit dans le vide pendant qu’elle sera les poings sur ses cuisses.

« Je suis désolé d’entendre ça … » Elle se mordit légèrement sa lèvre inférieure et releva courageusement le regard Yuusuke « J’ai passé une excellente soirée, je ne vais pas nier. Mais … tes sentiments ne sont pas partagés … » Elle soupira à nouveau et secoua la tête « Pourquoi tu m’as avoué ça ? Je veux dire … ce n’était qu’une soirée, une nuit. Pourquoi ne pas laisser le passé où il est ? » Aya baissa à nouveau le regard, ses cheveux lui encadrant le visage comme un mur de sécurité « j’aurais préféré ne pas te revoir, si c’est pour apprendre ce genre de chose … » reprit-elle dans un murmure quasiment inaudible en fermant les yeux.

Oui, elle aurait préféré ne jamais avoir à faire face à la réalité de la chose. Certes, elle l’avait désiré, mais jamais elle n’aurait pensé que Yuusuke lui avouera cela. Devait-elle fuir ? Ou rester ? Si elle fuyait, elle serait tenue pour lâche. Si elle restait, elle devra peut-être affronter la colère du professeur, mais que cela était très peu probable. Alors, prenant son courage à deux mains, Aya décida de rester, afin de pouvoir vraiment mettre les choses au clair.

Aya ne pouvait pas se résigner à porter son attention sur le jeune homme, mais elle pouvait encore moins se décider à fuir la situation ambigüe qui commençait à être très désagréable. Yuusuke n’était pas tombé amoureux d’elle, mais éprouvait une certaine attirance envers elle. Etait-ce de l’attirance physique, seulement ? Ou l’avait-il réellement trouvé intéressante, au point de vouloir se lier avec elle ? Quoiqu’il en soit, ce sera impossible pour eux. Autant par la loi qui l’interdisait que part le fait que ce soit à sens unique.

Mais en y repensant, était-ce réellement le cas ? Aya, ne ressentait-elle vraiment rien pour ce jeune homme ? N’avait-elle pas passé ses soirées à penser à lui, à la douceur de ses lèvres et à la chaleur de ses caresses ? Si. Ça avait été le cas. Mais notre jeune fille aurait espéré et adoré que ça s’y tienne là, à un simple souvenir qui disparaîtra, effeuiller par le temps. Et la voilà, maintenant, face à la réalité. Yuusuke était professeur, dans le même établissement que fréquentait notre jeune fille. Pourquoi ? Pouvait-on parler d’injustice ? Sans doute. Devait-elle taire la vérité ? Elle ne voulait pas blesser Yuusuke, mais encore plus, elle voulait se protéger elle-même. Et tant pis si elle manquait de sincérité.

Prenant une grande inspiration, elle prit appuie sur ses genoux avec ses mains et se releva puis tourna vivement sa tête vers son interlocuteur. Ses longs cheveux lui retombèrent dans le dos et elle fixa Yuusuke de son regard ambré. A le voir ainsi, le regard quelque peu troublé, Aya n’avait qu’une seule envie : l’embrasser, le rassurer et tout lui avouer. Mais elle ne pouvait pas le faire. Pas ici. Pas en public. Alors, hochant doucement la tête, elle prit une profonde inspiration puis esquissa un sourire

« Ce n’est pas que je n’ai pas envie de parler de ça, c’est juste que ce banc est bien trop exposé pour ce que j’aimerais dire. » ou plutôt faire, continua-t-elle pour elle, avant de reprendre « J’espère que je ne te ferais pas perdre ton temps si je te proposerais d’aller … quelque part d’autre. »

L’esprit de contradiction d’Aya prenait de plus en plus d’espace et d’ampleur. Avant encore elle était sur le point de craquer, maintenant elle arborait un sourire entre la joie et la malice. Il n’y avait même pas deux minutes, elle était prête à partir en courant pour fuir Yuusuke, maintenant elle l’invitait à aller autre part ? Un jour, son esprit lui sera sans doute fatal …