Le panier de transport trouva sa place sur la banquette arrière de la voiture. Hime s'y était déjà roulée en boule, somnolente et blasée par les déménagements successifs que lui imposait son maître. Ce dernier contempla l'établissement en attendant qu'Akutsu le rejoigne avec le dernier carton. Ce samedi matin était calme. Les élèves plongés dans leurs révisions désertaient le parc pour la bibliothèque et les salles de classe. Est-ce qu'Eiji arrivait à se concentrer après ce qui s'était passé entre eux ? Et est-ce qu'il arriverait à lui pardonner et à comprendre son attitude à présent ? ... Jiro ferma les yeux.

Une semaine ... Cela faisait une semaine jour pour jour, et il en était toujours aussi bouleversé. Quoi de plus étonnant ? Il avait commis l'irréparable, une faute qu'il ne pouvait lui-même tolérer. Il aurait dû présenter sa démission dès le lundi matin. Il avait d'ailleurs écrit la lettre mais au dernier moment, il l'avait déchirée. Partir, c'était ne plus jamais le revoir et ça, il était incapable de s'y résoudre ... L'instant d'après, il était suspendu au téléphone avec le conseiller financier de la famille et lui demandait de trouver un appartement en ville le plus vite possible. C'était le dimanche soir, le mercredi il avait la réponse, le jeudi les clés, aujourd'hui il fuyait ... Prendre de la distance sans pour autant disparaître, c'était la seule chose qu'il avait réussi à faire au final. Il était pathétique ...

Des bruits de pas le tirèrent de ses pensées. Jiro rouvrit les yeux pour revenir au présent et voir Akutsu arriver les bras chargés. Son visage s'orna d'un petit sourire. Il ne fallait pas que les autres sachent à quel point il était mal. Il devait faire semblant. Pas seulement pour lui, mais pour Eiji ...

Le dernier carton alla rejoindre les autres et ils partirent enfin. C'était étrange ce vide qui s'installait à mesure que l'établissement s'éloignait dans le rétro. Heureusement, Akutsu faisait la conversation à ses côtés, l'obligeant à penser à autre chose. Il avait été soulagé lorsque son ami avait accepté de l'aider. Jamais il n'aurait pu se résoudre à demander à Cathan. L'américain n'aurait pas été long à se montrer inquisiteur sur la raison de son déménagement soudain et il n'était pas encore en état de résister à un interrogatoire en règle. D'où est-ce qu'il tenait une telle aptitude d'ailleurs ?

Après un peu moins de vingt minutes, Jiro gara son véhicule sur un emplacement du parking souterrain de son nouveau lieu d'habitation. Il pencha légèrement la tête en regardant le mur face à lui. Quand son conseiller lui avait dit que l'emplacement était nominatif, il n'avait pas précisé que c'était au sens propre du terme : il y avait bel et bien son nom d'inscrit sur la plaque apposée sur le béton. Il fallait avouer qu'il n'avait pas visité les lieux, faisant entièrement confiance à l'homme et aux photos qu'il lui avait envoyées par mail.

Un petit sourire en coin, Jiro sortit de la voiture, commençant le déchargement par Hime et une grosse valise pleine à craquer. L'ascenseur n'était pas loin, en le bloquant le temps d'y mettre tous les cartons, ils auraient vite fait et éviteraient les allez retours inutiles. Même manège une fois au dernier étage, où ils purent laisser tous les cartons sur le palier et gagner l'appartement avec les premières affaires. Jiro en ouvrit la porte et laissa Akutsu entrer en premier.

" Bienvenue chez moi. Ne fait pas attention au désordre, je n'y ais encore jamais mis les pieds. "

Et en effet, c'était un beau fouillis qui les attendait. La veille, les meubles qu'il avait laissés dans la résidence familiale tant qu'il vivait en logement de fonction, avaient été déposés dans le salon. Jiro n'avait pas voulu qu'ils soient placés dans des pièces tant qu'il n'avait pas vu des lieux. Ils étaient parfaitement capables à deux de faire l'aménagement.

" On a du travail, je crois. Le mieux serait de ramener tous les cartons à l'intérieur pour ne pas encombrer le palier et ensuite on pourra s'atteler au reste. Qu'en penses-tu ? "

Comment savoir ce qui s'était passé dans la tête de Jiro pour que son ami déménage aussi soudainement ? L'annonce de son départ l'avait étourdi un moment. C'était si brusque, si inattendu que rien n'aurait pu le préparer à ça. Pourtant ça ne faisait que trois mois qu'ils se connaissaient. Trois mois qu'ils partageaient le même lieu de vie. Trois mois et du jour au lendemain, les deux hommes faisaient des cartons en rentrant du travail pour préparer ce qui ressemblait à une fuite tant le déménagement était précipité.

Finalement le jour fatidique était arrivé. Akutsu ne connaissait toujours pas davantage les motivations de son collègue et ami ; il ne les lui avait d'ailleurs pas demandées. Depuis un bon moment maintenant, le kyudojin allait mal. Il ne savait pas du tout pourquoi, l'autre n'abordait jamais le sujet. Il cachait son mal-être derrière des sourires et se précipitait chez Cathan dès que le court de ses pensées flirtait franchement avec une pente savonneuse. Qu'en pensait son frère ? Là encore, aucune idée. Le jeune roux avait préféré ne pas trop chercher à comprendre, attendant que son ami vienne vers lui pour lui expliquer si l'envie lui prenait. Pourtant, lorsqu'il chargea la voiture du dernier carton, le jeune homme se décida : lorsqu'ils auraient tout transvasé dans l'autre appartement, il irait chercher de quoi boire et ferait ce que tout bon ami devrait faire : il changerait les idées de Jiro à sa manière.

Le trajet fut court et ponctué plus souvent de ses remarques et plaisanteries que des réponses du brun. De temps en temps, le cadet lui jeta des œillades un peu soucieuses, mais le simili espagnol observait la route avec concentration. Akutsu en profita pour s'interroger sur la durée qu'il avait fallu à Jiro pour se trouver un nouvel habitat. Néanmoins, il savait de quel milieu il était extrait. Son nom ne lui avait jamais été inconnu même si ce n'était finalement pas un sujet que les deux hommes avaient abordé. La recherche avait du être largement facilitée par la fortune familiale, le brun n'étant pas en froid avec ses proches, lui.

Finalement ils arrivèrent et sans trop de surprise, le roux découvrit un immeuble de haut standing et le parking qui allait avec. Un peu de nostalgie manqua de poindre, il la chassa vite cependant. Ce luxe-là, il ne le connaissait plus depuis un certain temps maintenant. Certes, sa mère et sa sœur l'avaient aidé mais il s'était évertué très tôt à vivre au maximum de ses propres moyens. Avec le temps, il était largement parvenu à économiser – il avait commencé tôt, déjà avide de liberté à l'époque – mais lui n'aurait plus les moyens de vivre dans pareil cadre. Et ce standing, justement, tendait à lui rappeler les siens.

Il fut heureux de constater que porter les cartons jusqu'à l'ascenseur, puis de l'ascenseur au pallier lui changea les idées aussi vite. Ce fut avec l'un d'eux entre les bras qu'il pénétra le premier dans le nouvel appartement de son ancien colocataire – le penser lui parut étrange, comme non-naturel. Un peu de bazar y traînait surement selon la définition de Jiro. Selon la sienne, pour un appartement vide de vie dans lequel rien n'avait réellement été aménagé, il était encore très bien rangé.

Akutsu se tourna doucement vers son ami, passé les premières secondes à observer tout autour de lui. Un sourire doux et amusé à la fois vint éclairer ses traits, rehaussé par le pétillement de son regard. Ils étaient chez Jiro. Chez lui et chez personne d'autre. A ce stade, lui-même n'était plus qu'un hôte et il usa de ce statut pour marquer totalement l'appartenance de cet appartement à son ami. On le vit donc se pencher légèrement – difficile avec les bras encore chargé de faire mieux – et observer le brun en lâchant la politesse de rigueur lorsque l'on s'invitait chez autrui.

« Désolé pour le dérangement. »

Un clin d'œil complice ponctua sa phrase et il se redressa. D'un mouvement de tête, il embrassa ce qu'il voyait des lieux, puis opina du chef.

« Ça marche pour moi. On pose les cartons où on peut et on avisera ensuite, ce sera sûrement plus simple. »

Il s'exécuta en parlant, posa ce qui s'avérait être des vêtements dans la pièce qui serait très probablement le salon, puis revint sur le pallier chercher le reste.

« Le bon côté d'avoir vécu dans des meublés, c'est qu'on en a quand même moins à déménager ! » constata-t-il en se remettant au travail.

Akutsu avait réussi à le faire rire en exécutant la formule de politesse d'usage. Ce n'était pas grand-chose, mais il se sentit plus léger, comme s'il venait d'obtenir l'autorisation de considérer réellement ce lieu comme sa demeure. C'était pourtant vrai, il était chez lui à présent. Après de long mois de colocation, il retrouvait l'indépendance qu'il avait perdue après son tout premier poste.

Jiro secoua légèrement la tête et entra pour déposer le panier de la chatte sur le comptoir de la cuisine. Il jeta un coup d'œil circulaire à la pièce avant de rejoindre Akutsu dans le couloir et de s'atteler à ramener tous les cartons dans l'appartement. Les déposer le long du mur de l'entrée et contre le comptoir leur sembla l'option la plus adéquate pour pouvoir circuler facilement. Plus pratique quand il faut déplacer des meubles. Le brun ferma la porte derrière Akutsu.

" Je libère Hime et on se lance. "

Joignant le geste à la parole, Jiro ouvrit le panier duquel la petit Birmane s'extirpa, pressée de voir ce qu'il se passait et de découvrir son nouveau territoire. Après un regard sur la pièce, elle sauta du comptoir et commença son exploration au milieu des cartons et des meubles épars.

" On risque d'avoir bien chaud, je vais mettre des boissons au frais. Tu veux quelque chose avant de commencer ? "

Jiro brancha la glacière électrique qu'on lui avait prêté, avant de se souvenir qu'il avait fait aménager la cuisine. Le frigo était même branché, attendant sagement d'être rempli, ce à quoi il s'attela sans attendre. Eau, jus de fruits variés et bières - américaines puisqu'elles étaient pour Akutsu et Cathan -, mais aussi deux bentos copieux ... Ils avaient largement de quoi se désaltérer et se nourrir tout au long des efforts qu'ils allaient fournir durant cette journée.

Relevant la tête vers son ami, Jiro énonça avec un sourire :

" Une bière sans doute ? "

Finalement, celle qui visiterait l'appartement avant eux serait sans doute la petite chatte birmane. Hime était bien partie pour commencer à faire le tour du propriétaire là où les deux hommes s'occupaient des cartons – et pour le moment de la boisson. Un instant, Akutsu eut la fugace image de sa famille occupée à déménager elle-même les bibelots et autres meubles d'une demeure à une autre. L'image fut chassée par un simple coup d'œil sur Jiro, mais continua de l'amuser encore un peu. C'était improbable et il était étonné, quelque part, que son ami ait choisi de le faire lui-même.

« Comme d'habitude oui, une bière. » confirma-t-il avec le sourire de celui qui se sait percer à jour et en est fier.

Pourtant non, il n'était pas accro à la bière, mais il semblait que les soirée passées avec Cathan et Jiro, bière à la main devant la télé avait marqué l'esprit de celui qui ne serait plus son colocataire. Dommage. En un mois, il avait perdu comme coloc les deux hommes avec qui il avait vécu à Hamura et l'ambiance qui déjà avait changé risquait de singulièrement lui manquer. A moins que tous trois ne viennent occuper les lieux souvent – c'était probable – ou que lui-même déménage finalement et ne serve de lieu de squatte. Pour une raison qui lui échappait, Cathan pourtant parano et individuel préférait rester en collocation.

« C'est marrant, je pensais qu'on aurait moins de travail à faire. Comment tu as trouvé ton appartement aussi vite au fait ? »

Il s'abstint de demander pourquoi sont ami avait fui comme il l'avait fait. Non qu'il l'aurait qualifié ainsi auprès du brun, mais ça y ressemblait définitivement trop et il préférait ne pas s'appesantir sur la raison. Akutsu était presque certain qu'il ne voulait pas vraiment savoir dans le détail ce qui traversait depuis quelques temps le cerveau de l'autre enseignant. Tout au plus s'était-il décidé à profiter de la journée pour lui changer les esprits... quand ils auraient fini d'emménager ses affaires. Ivres morts avant, ils auraient bien du mal (et ce même s'il doutait de voir jamais Jiro dans un état pareil, mais il était régulièrement plein de surprise derrière sa façade d'homme raisonnable).

« Il a l'air assez chouette en tout cas. » reprit-il en regardant autour de lui après quelques pas, avant d'attraper la bière que son ami lui tendait.

Alors qu'Akutsu s'emparait de la bière tendue, Jiro lui lançait un regard dubitatif. Si le roux avait voulu le déstabiliser volontairement, il n'aurait sans doute pas fait mieux, et il ne réussit pas à retenir son interrogation bien longtemps.

" Pourquoi ? C'est difficile ? "

A la réflexion, c'était fort possible. S'il se souvenait bien de discussions surprises par-ci par-là de collègues ou d'élèves parlant entre eux, il était souvent question de difficultés rencontrées. Mais n'ayant jamais participé à une de ces discussions, il n'avait fait qu'entendre des bribes qui n'avaient guères de sens pour lui.
Jiro soupira en constatant qu'il lui manquait vraiment quelques notions élémentaires.

" En fait, ce n'est pas moi qui ai cherché l'appart. J'ai appelé le conseiller familial qui s'est occupé de tout. Je n'ai fait que lui donner les grandes lignes de ce que je voulais, et signer les documents qu'il m'a amené. "

Il ne les avait même pas lu. L'homme était de confiance et veillait aux affaires de chaque membre de la famille Egawa depuis des années. Et puis, il était pressé ...

" D'ailleurs, je ne l'ai vu qu'en photos cet appart. On fait le tour ? Histoire que je me décide sur l'emplacement des meubles. "

Son verre de thé glacé à la main, Jiro entreprit donc la visite, Akutsu sur les talons. L'appartement était plus grand qu'il ne l'avait visualisé, sans parler de l'immense terrasse avec vue sur le Mont Takao. Maintenant qu'il y réfléchissait, ce devait être un appartement coûteux. Combien est-ce qu'il allait payer par mois au fait ?

Le tour fait et leur boisson respective engloutie, les deux hommes s'attelèrent à la partie la plus physique de l'emménagement. Déplacer les meubles dans leur pièce attitrée, enlever les portes de placard dans le bureau, modifier deux ou trois fois l'aménagement du salon ... Une fois cette étape terminée, Jiro proposa une pause bento sur la terrasse, avant de s'attaquer aux cartons. Livres et vêtements trouvèrent logiquement leur place, les objets de décoration demandèrent parfois quelques instants de réflexion, mais au final tout était en place vers le milieu de l'après-midi.

" Bon ... On souffle un peu et ensuite il faudra remplir le frigo. Tu m'accompagnes ? Je t'invite pour l'inauguration de la cuisine. "

C'était le moins qu'il pouvait faire après cette journée épuisante qu'il venait de lui faire passer.

La réponse de Jiro à sa question le laissa coi. Si c'était difficile ? Eh bien... Ça dépendait de son compte en banque, de ses relations, mais globalement oui, assez. Jiro avait peut-être été plus marqué par sa vie hors du Japon que le roux ne l'aurait pensé, pour être à ce point déconnecté de la réalité. Ou était-ce lui qui s'y était brusquement intéressé en se retrouvant sans réel support familial, avec pour seul choix de se démerder seul (ou presque) ? Un peu des deux, sans doute, et le complément d'informations en provenance de son collègue et ami ne manqua pas de l'amuser. Il fallait bien qu'il ne se soucie pas de son argent pour acheter un appartement sans même l'avoir vu. Car il devait bien l'avoir acheté non ? Akutsu l'imaginait mal en locataire.

« Allons voir ça, je suis au moins aussi curieux que toi. »

Le gros de la journée arriva après. Akutsu n'avait jamais participé de manière aussi active à un déménagement. Pour un baptême, il estimait avoir fait sa part, le tout dans la bonne humeur et dans un calme qui contrastait avec l'agitation des deux hommes. Il faisait chaud dehors, il faisait chaud dedans. Moins lourd, parce qu'il y avait la climatisation, mais le repas sur la terrasse lui rappelait tous les bienfaits d'une étendue d'eau dans un jardin. Brusquement, il décida que le jour où il aurait un véritable « chez lui », il possèderait jardin et petite mare.

L'invitation de Jiro ne tomba à nouveau pas dans l'oreille d'un sourd. Manger après tant de manœuvre était l'idée du siècle, réellement. Akutsu avait faim, mais se rappela les bières que le brun avait embarqué. Lui aurait aimé lui en acheter, essentiellement parce qu'il projetait depuis quelques jours une soirée bien arrosée avec l'autre enseignant, le temps de lui changer les idées. Le moment était-il opportun ? En regardant tout autour d'eux et en constatant l'état de l'appartement, il décida que oui. Du moins, une fois qu'ils auraient avalé quelque chose.

« Tu veux que je cuisine ? » proposa-t-il de bon cœur tout en se doutant de la réponse.

Pourtant il comptait bien faire des efforts dans la matière, mais ses talents dans le domaine étaient aussi développés que ceux de Cathan. Et consistaient en gros à décrocher le téléphone ou passer des plats tout prêts au micro-ondes. Il ignorait où Jiro trouvait cette motivation à mitonner des vrais plats, lui n'arrivait vraiment pas à aimer ça.

« On continuera de te voir au fait ? T'as pas intérêt à te morfondre tout seul parce qu'on n'est plus là hein... »

Peut-être, quelque part, qu'il tenait vraiment de la mère-poule... Mais alors qu'il se dirigeait vers la cuisine derrière Jiro en gardant celui-ci à l'œil, il s'en fichait bien. Il ne comptait pas l'abandonner à sa déprime.

Jiro eut un sourire à la proposition sincère de son ami. C'était tellement spontané, qu'il se voyait mal refuser en bloc. Pourtant, de ce qu'il en avait déjà vu, et s'ils voulaient manger correctement, il ne valait mieux pas le laisser faire. Le plus sage pour leurs estomacs était sans nul doute qu'il se charge de cuisiner. Mais puisque le rouquin tenait à participer, il l'embauchait volontiers pour l'aider aux préparatifs.
Enfin, avant de s'y mettre, il fallait déjà avoir de quoi cuisiner. Et pour ça, ils allaient devoir faire des courses pour remplir le frigo et les placards vides. Jiro se dirigea donc vers la cuisine pour y faire la liste de ce qu'ils allaient devoir acheter. Le plus urgent. Pour le reste, il verrait plus tard. Inutile d'embêter Akutsu avec ce genre de détail d'ordre ménager. Il avait suffisamment abusé de lui avec le déménagement.

La voix de son ami s'éleva à nouveau, lui faisant relever la tête avec des yeux ronds. Ca se voyait tant que ça ? Il faisait pourtant beaucoup d'efforts pour que ses proches ne s'en aperçoivent pas. Visiblement, l'efficacité de sa méthode laissait à désirer. Après Cathan, c'était Akutsu qui le perçait à jour. Heureusement que le plus jeune des deux frangins n'était pas aussi inquisiteur que son aîné !
Jiro entrouvrit la bouche à plusieurs reprises, puis esquissa une petite moue lasse.

" Décidément ... J'aurais fait un bien piètre politicien ... Je suis percé à jour bien trop facilement ... "

Le brun émit un léger rire avant de reprendre.

" Désolé. Ma compagnie ne doit pas être des plus agréables en ce moment. Mais ça va passer, je traverse juste une période un peu ... difficile ... Merci de t'en inquiéter. "

Jiro se pencha sur sa liste de courses, y ajoutant quelques mots, puis s'écarta du comptoir. Il adressa un sourire plus détendu à Akutsu, cherchant à le rassurer sur son état, et brandit la liste.

" On y va ? Je te laisserais m'aider pour les préparatifs du repas si tu veux. "

Non, il n'avait pas l'intention de s'étendre plus qu'il ne venait de faire. La vie devait suivre son cours, et lui devrait faire avec ses sentiments contrariés.

« On vivait ensemble. »

L'affirmation énoncée d'un ton tranquille semblait tout expliquer. Ou expliquer, en tout cas, que Jiro soit si transparent à ses yeux comme à ceux de Cathan, même si l'autre roux ne vivait plus dans le même appartement qu'eux. Il était étrange de se dire qu'après si peu de temps à vivre ensemble, les trois adultes étaient devenus si proches avant que, chacun, se retrouve à vivre sans la compagnie des deux autres.

« Et puis tu n'es pas si dur à vivre. » compléta-t-il alors que le brun se penchait sur sa liste.

Akutsu regarda autour de lui, attendant patiemment que son ami termine sa tâche, ce qu'il fit assez vite. Un sourire de connivence échangé entre eux et, avec un hochement de tête, le cadet accepta d'offrir son aide tout autant que de quitter les lieux pour faire des courses alimentaires.

« De quoi as-tu besoin alors ? Tu veux qu'on fasse de vraies courses tant qu'on est tous les deux ? Ça ira plus vite que si tu t'en occupes tout seul. »

Derrière lui, Jiro fermait sa porte et ils commencèrent ensuite à descendre les escaliers. Le benjamin observa tout autour d'eux, comme pour essayer d'ancrer en lui sa première impression. Évidemment, il reviendrait d'autres fois pour rendre visite à Jiro, mais pour l'heure, il ne se sentait tout simplement pas à sa place. Comme si le brun ne faisait que passer là et reviendrait à l'appartement de fonction.

Jiro n'avait pas vraiment réagi sur le coup, mais les paroles d'Akutsu lui trottaient encore en tête alors qu'il fermait la porte de son nouveau logement. Parce qu'ils vivaient ensemble... Cathan et Akutsu l'avaient percé à jour, mais ils étaient amis et avaient vécu ensemble un bon moment. Des personnes moins proches de lui n'auraient sans doute rien vu. Oui. Il savait suffisamment prendre sur lui pour que ses autres collègues et les élèves ne se rendent compte de rien. Avec la distance en plus... Oui. Tout allait bien se passer.

C'est l'esprit beaucoup plus tranquille que Jiro arpenta les rues commerçantes avec Akutsu. Le quartier était à l'image de sa résidence, et les commerces allaient de paire. Qualité et variété étaient au rendez-vous, au grand plaisir du brun, ravi de ne pas avoir à courir à l'autre bout de la ville pour trouver des aliments répondant à ses exigences culinaires et gustatives. Tout avoir à disposition, à deux pâtés de maisons à peine, était un luxe indéniable.

Entre découvertes et achats, les deux hommes mirent beaucoup plus de temps qu'ils ne pensaient au départ. Fort heureusement, la fin de journée avait amené avec elle une petite brise qui, à défaut d'être rafraîchissante, avait le mérite de rendre l'air respirable. Le retour fut donc beaucoup plus aisé que prévu malgré leurs bras chargés de sacs pleins à craquer de victuailles et du nécessaire de base indispensable dans tout logement.

Ce fut un dîner paisible, bien qu'animé en discussion, qui s'en suivit. A bien y réfléchir, c'était la première fois qu'ils se retrouvaient réellement seuls. Si ce n'était pas des soirées entre collègues ou colocataires, ils étaient généralement accompagnés de Cathan. Et les rares fois où Jiro avait suivi Akutsu en sortie, ils n'étaient pas restés seuls bien longtemps. La soirée se profilait de façon plutôt agréable malgré la fatigue de l'emménagement.