Marcher, les écouteurs sur les oreilles [PV : Jake]

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* C’était un dimanche matin, très tôt, et Ruika avait eut l’idée folle de sortir dehors, se promener. Elle avait attrapé son fidèle lecteur mp3, puis son carnet, et était partie vers l’extérieure, juste couverte d’une robe sombre et d’un manteau. Mais elle n’avait pas froid. Et puis, elle avait l’habitude. Le soleil ne s’était pas encore levé, et elle marchait d’un pas lent dans les allées du parc. Un vent violent écorchait agréablement son visage, lui arrachant en même temps un léger sourire. Les écouteurs hurlaient dans ses oreilles des rythmes violents, inondant ainsi sa tête de cris qu’elle appréciait. C’était agréable d’être seule. Ça faisait du bien d’assister à un spectacle aussi personnel.

Il y avait plein de bancs dans le parc, mais Ruika ne voulait pas s’arrêter. Elle marchait depuis une bonne demi-heure maintenant, mais elle était infatigable. Etrangement, elle avait même de l’énergie à revendre. Cela faisait bien longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi brûlante. Peut-être était-ce parce qu’elle avait enfin réussi à avaler quelque chose la veille. Et puis cette musique, ça lui donnait la pêche. Quand elle était seule, elle était bien différente. Surtout ce matin là. Elle accéléra un peu, souriant plus volontiers. Le vent se faisait plus violent. Qu’est-ce qu’elle aimait ça. Elle ferma les yeux, et s’imagina dans les grandes étendues blanches du Canada. Seule au milieu de kilomètres de neige. Seule au milieu de toute cette beauté pâle. Les flocons qui tombaient violement, lui arrachant presque des morceaux de son visage trop pâle. Et elle qui continuait à sourire.

Elle aurait mieux fait de sécher le dîner encore une fois, elle préférait être faible et se morfondre, elle semblait un peu moins folle dans ces conditions. Elle rouvrit ses yeux brillant, pour arriver jusqu’à cette ronde étrange d’arbres qu’elle aimait tant. Elle venait souvent ici, s’enfermer dans ce cercle de végétaux. C’était son petit paradis à elle, et elle aimait y être seule. Elle s’arrêta donc, et ferma les yeux, une nouvelle fois, se laissant totalement sombrer dans ses pensées envahissantes. *

Invité

De l'herbe à perte de vue. De l'herbe verte, quoique recouverte d'un duvet blanc. Une herbe fraîche, quoique réchauffée doucement par le soleil qui pointait le bout de son nez. Pas de l'herbe à consommer, en tout cas. Et merde.

Le popotin posé sur un banc, grisâtre de neige crade, Jake fixait l'immensité verte. Il détestait le vert. Le noir, y'avait que ça de vrai. Pour ôter cette vision dégueu de sa rétine, il bascula sa tête en arrière, son regard se posant alors sur le ciel, grisâtre, blanc, comme de la craie pas bien blanche. Il détestait ce temps. Il détestait ce pays. Il détestait l'école. Et pourtant, il ne partait pas. Mais qu'est ce qu'il foutait là ?

Fallait bien, pourtant. Rien ne valait le bonheur de respirer un air qui sent pas la pisse des poisseux de la taule. Il était mieux partout ailleurs, que là bas. Même si fallait se forcer à faire le prout prout pour pas y retourner.

Un long soupir s'échappa de sa gorge. Il ferma les yeux un instant, profitant de sa liberté conditionnelle, bien que le temps lui déplaise. Il aurait pu tomber plus bas. Des bruits de pas dans le sable mêlé de neige des chemins prédessinés dans le parc, lui firent rouvrir les yeux. Son regard d'un bleu océanique et profond, perçant et intense, croisa alors celui d'une jeune femme qui passait par là. Une brunasse parmi d'autres. Une catin parmi les aguicheuses. Toutes les mêmes ..

Alors il se rappella qu'il n'était plus sur les trottoirs. Cette femme était la première qu'il voyait à faire autre chose que michtonner. La curiosité attisa alors ses sens, et il se redressa sur son banc, aprofondissant sa description de l'inconnue. Elle cherchait ni les emmerdes, ni la thune. Elle se promenait, ma parole ! Elle ne faisait que se promener !

Il ne croyait pas ça vraiment possible. Et pourtant, si. Lorsqu'enfin il se rendit compte que s'il la reluquait encore, alors que la distance s'amenuisait entre eux tandis qu'elle allait lui passer sous le nez, il se prendrait sans doute la volée de sa vie par cette saloperie de bourgeoise. Il détourna alors le regard, d'un air neutre, comme si finalement, l'herbe et la neige crade l'intéressaient soudainement. Quel revirement de situation ..

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* Après une courte absence, Ruika rouvrit les yeux puis reprit sa marche tranquille. Elle laissa sa main droite glisser vers la poche de son manteau noir, pour monter le volume de la musique. Elle aimait bien cette chanson. Elle agrippa ensuite le lecteur dans ses doigts, et les laissa là. Un coup de vent écarta ses cheveux très longs pour révéler les iris bleu pâle que sa mère lui avait laissés. Ainsi, elle se tira de ses pensées pour laisser son regard dériver sur le chemin devant elle. Il lui sembla apercevoir une silhouette au loin, mais elle n’y croyait pas vraiment. Ça faisait longtemps qu’elle se promenait ainsi, et elle n’avait pour le moment croisé personne. Elle ne s’attarda pas sur ce détail et laissa ses pensées dériver encore une fois. Et si c’était réellement une silhouette ? Et puis, de quoi elle avait l’air, elle, avait son teint blanc neige, et tous ces vêtements noirs stupides ? Quelle impression ça pouvait laisser de croiser un fantôme trop maigre comme elle ? De la peur sûrement, songea-t-elle, bien qu’elle pensait plutôt que ce fût de la pitié.

Elle progressait de plus en plus sur le chemin, et ses doutes commençaient à se confirmer. Elle crû distinguer un jeune homme. Jeune homme qui la regardait même. Non, elle devait se faire des idées. De sa main libre, elle remit les mèches qui lui cachaient le visage derrière ses oreilles. Non, il ne la regardait pas, tant mieux. Elle n’aimait pas l’air qu’elle avait. Elle était pitoyable, et elle en avait conscience. Sa décadence lui avait fait perdre tout le peu de confiance en elle qu’elle avait eut un jour. Elle n’était qu’un spectre, et aimait la sensation d’être invisible. Elle continua donc sa progression, rougissant légèrement de son étrangeté. Elle se posait décidément trop de question. Franchement, que pouvait-il bien en avoir à faire qu’une fille trop timide, trop bizarre, se promène dans un parc, trop tôt le matin ?

Lorsqu’elle arriva au niveau du jeune homme, elle remarqua la cicatrice qui rayait son visage. Le pauvre, il avait sûrement un passé encore plus laid que le sien. Lorsqu’elle croisa son regard, elle lui adressa son sourire naturel, timide. Sourire qui brûle sans qu’elle le sache, sourire réflexe, petit sourire qu’elle adressait souvent en guise de pardon. Comme pour s’excuser d’exister. L’inconnu avait un regard sombre, étrangement froid. Ruika remarqua également qu’il avait des traits occidentaux, à moitié comme elle.

Lorsqu’elle le dépassa, l’image de cette cicatrice lui resta dans le crâne. Qu’avait-il pu endurer pour être ainsi marqué ? Elle lui imagina alors une vie pleine de péripéties, une vie où il aurait fait partie d’un gang, et se serait fait agresser le jour où il aurait voulu avoir enfin une vie normale. Il serait un canadien abandonné de ses parents très jeune, il s’en serait donc sortit tant bien que mal, luttant comme il pouvait pour survivre. Un chef de gang l’aurait remarqué, et engagé. Au début, il aurait vu ça comme une chance superbe. Enfin quelqu’un s’intéressait à lui. Avec sa force et sa haine, il aurait gravi les échelons, jusqu’à arriver très haut, et se rendre compte des horreurs qu’il avait commises. Et là, il aurait mit toutes les trippes qu’il lui restait pour chercher un moyen de s’en sortir. Sa seule solution aurait été de fuir au Japon. Et le voilà, maintenant, héritier d’une terrible insomnie, à cause de tous les crimes qu’il aurait commis. Ruika avait toujours eut une imagination débordante, c’était quelque chose qui ne changeait pas avec le temps. Elle en avait la preuve à nouveau. D’un geste un peu trop brusque, elle sortit la main de sa poche, pour regarder sur le lecteur le nom de la chanson qui se jouait maintenant. *

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Il tenta de soigneusement éviter des yeux le corps maigrichon qui déambulait sous ses yeux. Ca en devenait comique, cas ils étaient totalement seuls en ce dimanche matin, et il était impossible qu'ils ne se remarquent pas. Calmement, il posa son regard sur elle, brièvement, juste au moment où elle passait sous son museau de loup balafré.

Loup Balafré .. Son surnom, dans le gang ..

Un sourire. Doux. Timide. Sincère. Elle n'en voulait ni à son fric, ni à lui même. Elle voulait juste lui sourire, lui offrir le plus beau trésor qu'on pouvait offrir à quelqu'un après sa propre vie, son propre corps. Elle lui offrait un sourire. Un petit arc formé par ses lèvres. Un petit rayon de soleil dans ce monde de merde.

Il semblait surpris. Etonné. Personne ne lui avait jamais souri, jamais. Comment cela était il possible ? Qu'une parfaite inconnue qui ne désirait rien de sa personne, lui offre un si joli présent ?

Elle était belle, quand elle souriait. Malgré son visage cadavérique, et ses pomettes saillantes, un tel sourire revigorait. Et le petit Jackouille était revigoré. Il la regarda passer, d'un air toujours aussi ahuri, la méfiance se lisant dans son regard.

Bientôt, il amena sa jambe droite contre son tronc, et l'enferma entre ses bras, calant son menton sur son genou. Il avait arrêté de fixer la femme. Son regard était posé calmement sur le sol toujours aussi sale et d'apparence boueux du chemin. Elle était passée, après tout. Comme tout le monde, elle avait passé son chemin.

Il se rappella alors du regard qu'elle lui avait lancé. Déviant légèrement vers sa balafre. L'agressivité et l'instinct défensif lui avaient donné envie de se jeter sur elle, de l'empoigner pour lui ordonner de s'excuser platement, et de ne plus jamais fixer sa cicatrice ainsi. Il serait sans doute passé à l'acte, avant. Dans la rue. Pas ici.

Il ne pouvait pas. Il ne devait pas. Et puis, vu la morphologie squelettique de la nana, il l'aurait cassée en deux rien qu'en l'empoignant. Elle était fragile, trop fragile. Il ne voulait pas faire souffrir. Pas physiquement, en tout cas. C'était sa nature qui était comme ça. Il y était pour que dalle.

Un sourire fugace se peignit sur ses traits de garçon des rues. Il savait, à présent. Il savait qu'elle reviendrait. Il en était certain. Alors, seul, le regard brillant, il attendit que la longiligne repasse, le menton toujours calé contre son genou, lui même calé contre son torse. Elle reviendrait, il en était sur.

Sur le sol du chemin, juste sous le nez de Jake, choyait une des mitaines que la fille avait dans la poche .. Noires ..

[Pas trop d'inspi', sorry]

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[Pas de soucis]

* Lorsqu’elle lui adressa un sourire, le regard du jeune homme se transforma légèrement. Si légèrement que Ruika n’était pas certaine que cela soit réel. On aurait dit qu’il se réchauffait un peu ce regard. Mais c’était sûrement le fruit de son imagination, comme toujours.

Elle avait toujours le lecteur dans sa main. Elle regarda le nom de la chanson. « Wolves ». Oui, c’était bien ça. Elle l’écoutait avec Myril, cette chanson aussi. C’est chanson, elle tournait depuis presque deux minutes, et le chanteur se mit enfin à hurler, cette petite phrase qu’elle savourait à chaque fois « I love you. ». Il hurlait ça avec son cœur, il en pleurait presque. Il y mettait tout ce qu’il avait. Et ça la faisait pleurer. A chaque fois. Une larme brillante descendit le long de sa joue, effleurant son cou. Qu’est-ce qu’elle pouvait être belle cette chanson.

Elle aurait bien aimé voir des loups, un jour. Des vrais. Si une telle chanson portait leur nom, ils ne pouvaient être que sublimes. Ça ne pouvait pas être les monstres des contes pour enfants. Ils ne pouvaient être que de superbes créatures. Une deuxième larme coula, et Ruika remit le lecteur dans sa poche. Lorsqu’elle voulu le caler contre la mitaine noire qui devait se trouver là, elle se rendit compte qu’elle n’y était plus. Elle se retourna alors, pour regarde le chemin qu’elle avait parcouru, sans même penser au jeune homme qui était toujours là.

Un peu gênée lorsqu’elle le vit, elle rougit. La nouvelle teinte de ses joues associée à la larme qui roulait encore pouvait donner l’impression qu’elle était triste. Elle ne l’était pourtant pas. Ou pas plus que d’habitude. C’était juste que cette chanson, que ce lieu, tout cela était trop superbe. Elle était gênée de pleurer pour ça. Elle avança alors, la semelle de ses bottines caressant légèrement les cailloux du chemin.

Le jeune homme était assis. Il avait replié une jambe contre lui. Ruika plia donc ses jambes pour ramasser la mitaine qui était juste devant lui. Quand elle se releva, elle essaya de ne pas montrer que ses jambes tremblaient de cet effort trop grand. Elle regarda une nouvelle fois son visage. Elle trouvait cela si triste, cette balafre qu’il avait sur le front. Elle n’avait pas une quelconque lueur de dégout, où de peur dans le regard. Juste une sorte de compassion, mêlée aux quelques gouttes qui tombaient de ses yeux. Elle mit la mitaine sur sa main droite. Ses longs doigts blancs paraissent encore plus pâles, à côté de ce noir profond. Elle aimait bien ces mitaines. Elle lui venait du Canada. Là où elle pouvait parler anglais toute la journée. Ça lui manquait. Peut-être était-ce pour cela qu’elle n’écoutait que des chansons anglophones en ce moment.

Elle se demanda alors pourquoi la mitaine était tombée là. Juste devant lui. Alors qu’elle avait presque réussi à passer inaperçue. Elle partit dans ses pensées, une nouvelle fois, avant de se rendre compte qu’elle le fixait pendant tout ce temps, d’un regard vide. Elle rougit alors à nouveau. Les larmes avaient cessés leur chute, et la chanson avait laissé sa place à une autre. *

_ Excuse moi. Je ne voulais pas être impolie.

Invité

Il avait gagné. Elle venait de s'arrêter.

Jubilant, il enfouit son visage contre son genou, pour cacher le demi sourire victorieux qui se peignait sur ses traits, il la suivit des yeux. Il remarqua que ses pomettes saillantes étaient à présent humides, de larmes récentes. Elle pleurait ?

Cela ne paraîssait pas surprenant. Elle ne semblait pas être taillée dans le roc, cette petite. Plus elle marchait, plus il avait l'impression que si elle faisait un pas mal placé, et qu'elle s'étalait par terre, elle se briserait en mille morceaux. Mais de là à pleurer, comme ça, dans le parc, d'un coup .. Complexes ? Solitude ?

Jake haussa des épaules. Des trucs de filles, en tout cas. Le genre de machin qu'il faut jamais chercher à comprendre. Mais bon.

La jeune fille se pencha pour ramasser la mitaine. L'homme observa qu'elle était plutôt plate. Pas une planche à pain, certes, mais la visible maigreur de ses membres avait sans doute commencé à dévorer ses formes généreuses ancienes. Dommage. Il aimait bien, les filles qui s'assumaient.

Elle ramassa son bien. Jake l'observait toujours. Elle était près de lui, à présent. Leurs regards se rencontrèrent à nouveau. Il la fixait sans retenue. Elle jetait sur lui un regard vide. Ne comprenant pas, il fronça un sourcil, ce qui tordit légèrement sa cicatrice imposante. Il devait avoir l'air d'un vieux loup solitaire ..

Enfin, elle parla. Il crut qu'une voix pareille pouvait pas sortir d'un ballot de chair si maigrichon. C'en était surprenant. Une voix grave. Pleine. Riche. Belle. Rien à voir avec ce qu'il avait matériellement sous les yeux. Il cligna des paupières, deux fois, puis toussota légèrement, avant de tendre sa jambe, de la poser au sol, et de pousser sur les deux, pour se relever.

Il la dépassait. D'une tête. Elle était si près qu'il devait arquer la nuque, dans un geste gracieux, pour garder ses prunelles ancrées dans celles de la longiligne. Là, sa voix à lui, grâve, au timbre envoutant et voluptueux, perça le silence

"Mais y'a pas de mal .. Ca arrive à tout l'monde, ces trucs là .."

Il fourra ses mains dans ses poches, s'attendant à ce qu'elle recule. Imposant, le poitrail ouvert, il posait sur elle un regard neutre, à la limite de la méfiance. Il fixait les cotes creuses et les membres fragiles de la demoiselle. La pauvre. Elle avait dû vivre des folies pour en arriver là. Il avait envie de lui demander quoi, mais finalement, il n'osa pas. C'était fini, le temps où on s'imposait avec ses c*******.

Le silence s'installa, rude. Les deux êtres au timbre de velours avaient cessé de donner leur âme aux tympans qui se baladaient là.

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* Le jeune homme la fixait, et elle était un peu gênée. Il devait la trouver étrange. Ou impolie. Ou les deux. Ce qui n’était pas bon pour elle. Pourquoi n’était-elle comme ça, après tout ? Pourquoi n’était-elle pas solide, et forte ? Elle aurait encore préféré avoir un regard froid, et aucuns sentiments, plutôt que ce regard brillant, et ce cœur qui bat trop fort. Ça aurait peut-être tout rendu plus facile. Mais est-ce que ça aurait été réellement mieux ? Elle n’en avait vraiment aucune idée.

Pendant qu’elle mettait la mitaine, le jeune homme s’était relevé. Elle planta à nouveau son regard dans le sien, et l’y laissa, cette fois. Il avait de grands yeux noirs, mais pas étirés, comme ceux des japonais. Il avait plutôt ce regard, occidental, qu’elle avait déjà vu au Canada, comme elle avait cru le remarquer plus tôt. Elle ouvrit ses yeux, un peu plus grand, levant la tête, pour ne pas briser ce contact. Et puis, elle sourit. Parce que c’était la seule chose qu’elle savait faire, bien.

Et il se mit à parler. Sa voix était grave, dansante. De ses longs doigts blancs, elle sortit les écouteurs de ses oreilles, pour mieux écouter. C’était joli. Elle aimait la musique, et sa voix était une superbe mélodie. Les écouteurs continuaient à hurler, à qui voudrait l’entendre, des notes violentes, brisant un peu le silence. Il y avait quelque chose dans ses yeux. Comme s’ils avaient vu trop de choses. Il y avait de la méfiante, et peut-être même, mêlée à la froideur, un peu d’agressivité. *

_ Ah … Je … je parlais du regard en fait … C’est parce que j’ai dû être impolie … Je … Pardon.

* En disant cela, ses lèvres dessinèrent un petit sourire d’excuse sincère, vers le bas de son visage. Elle devait être là depuis déjà trop longtemps. Elle le gênait surement. Elle lui adressa un dernier sourire, maintenant pendant quelques secondes de plus le lien entre leurs deux regards, et entreprit de tourner les talons. Elle dû cligner des yeux, pour que son cerveau obéisse. C’est qu’il y avait quelque chose, dans ses yeux, qu’elle ne comprenait pas. Mais elle était sûre qu’elle y arriverait un jour. Avant de se retourner, elle lui adressa quelques mots, mêlés d’un sourire. *

_ Je crois que je t’ai déjà trop dérangé … Bonne journée, je m’en vais.

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Ses yeux balayèrent brièvement le visage de la longiligne. Finalement, ils se posèrent sur les doigts blancs et longs de l'inconnue, qu'elle avait laissé apparaître pour retirer les écouteurs de ses oreilles. Il arqua un sourcil, devant la blancheur de sa peau, et se demanda un instant si le soleil pointait le bout de son nez, ici, des fois.

Il haussa des épaules, lorsqu'elle parla à nouveau. Des regards, il en avait déjà subi des tonnes, c'était pas un léger regard intrigué qui le dérangerait. Des regards haineux, fourbes, noirs, vicieux .. Il ne voyait que ça, à longueur de temps. C'était pas des mirettes à peine curieuses qui l'emmerderaient. Enfin bon, faut dire ce qui est, si elle avait croisé son chemin, et son regard, alors qu'il errait dans la rue, il n'aurait fait qu'une bouchée d'elle. Personne n'avait le droit de soutenir le regard de Jake. Personne.

Le Loup Balafré prenait cela pour de l'insolence ..

Il la regarda s'éloigner, sans mot dire. Que pouvait il faire ? La retenir ? Pourquoi ? Elle finirait par le saouler, d'une façon ou d'une autre, à un moment ou un autre .. Pas la peine de retenir quelqu'un qui serait un poids pour lui, dans le futur. Quoique, elle avait pas l'air très lourde, et ce dans les deux sens. Mais bon. Il n'avait besoin de personne. Jamais. Et c'est pas demain la veille que ça changerait.

Lorsqu'elle lui adressa son au revoir, il grogna, visiblement offusqué, mais ne dit rien. Qu'elle parte, si elle en avait envie. Il la retiendrait pas. Manquait plus que ce soit lui qui joue le lourdaud. Après un soupir, et un sourire dégouté, il se rassit sur son banc, ramenant de nouveau sa jambe contre lui, pour y caler son menton. Il repartait ainsi dans sa rêverie .. Seul .. Vu qu'elle partait, à vue d'oeil ..

[Sorry, c'est court ..]

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* La longue robe de Ruika voletait doucement, découvrant ses mollets cadavériques, enfermés dans des collants noirs. Ses pas étaient maladroits, et son esprit aussi. Elle avançait, laissant ses jambes la porter, et ses pensées la torturer. Mais marcher, quand on ne dort, ni ne mange, peut devenir une tâche ardue, et son cœur fragile de naissance commençait à faire entendre sa plainte. Il fallait qu’elle s’assoie si elle ne voulait pas s’évanouir bêtement encore une fois.

Elle se souvenait avoir vu un banc, quelques minutes plus tôt, justement quand elle avait croisé ce garçon mystérieux, au regard sombre. Tant pis si elle risquait de paraître stupide, il ne fallait pas, de toute façon, qu’elle s’évanouisse seule au milieu du parc. Elle rebroussa donc chemin, les écouteurs hurlant toujours aussi forts dans ses oreilles, sans pour autant parvenir à camoufler les battements violents de son cœur, et sa respiration épuisée. Le banc n’était plus très loin. Un hurlement violent caressait ses tympans. « Divided we fall, forsaken, death as an only justice ».

Elle arriva à nouveau aux côtés du jeune homme, et s’assit sur le banc qui lui faisait face. Elle lui adressa un petit sourire d’excuse, et sortit un cahier noir de sa poche, ainsi qu’un minuscule crayon de bois, qui semblait avoir déjà bien vécu. Elle entama alors le dessin du visage déformé de ce jeune homme qui lui faisait penser à un loup. A cause de son regard. Elle dessina dans ses bras un louveteau, gris. Et elle lui dessina un sourire qu’il n’avait pas. Un sourire triste. Le dessin était beau, bien qu’elle ne l’aurait jamais admis.

Quand elle dessinait, le regard de Ruika changeait du tout au tout. Il perdait son angoisse, pour paraître plus concentré. Comme si seul le dessin importait. Et le modèle. Elle ne faisait plus attention à ce qui se passait autour d’elle, ni même à son cœur qui s’accélérait de plus en plus. La musique défilait toujours contre ses tympans, l’enfermant encore plus loin de la réalité. Elle se sentait vraiment bien, et ne se rendit même pas compte qu’il était impossible que son modèle ne voit pas les coups d’œil qu’elle lui jetait, pour mieux comprendre ses traits. Mais seul le dessin importait. Et le vent qui lui caressait tendrement le visage. Et chasser toutes ses pensées de son crâne, pour n’y fixer plus que l’image du jeune homme. *

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Il se perdit dans ses songes, la forme cadavérique disparaîssant alors derrière un buisson. Après un soupir, une image violente revint en sa mémoire. Une forme, d'abord très floue, qui se précisait de plus en plus, vint à ses yeux. Toute de noire vêtue, une chevelure d'airain, des yeux d'un bleu iceberg, et une voix voluptueuse et pure. Il se rappellait sa voix. Elle avait chanté pour lui. Autrefois. Il avait gardé la chanson en mémoire. Pourtant, jamais il n'avait acheté son disque. Depuis qu'elle avait fait carrière, elle avait oublié ses débuts dans la rue, elle avait oublié d'où elle venait .. Elle l'avait oublié ..

Il grogna, plissant des yeux d'un air morne, alors que la femme-cadavre revenait sur ses pas. Il évita de la regarder, gardant ses pensées ancrées en lui, ancrées sur Elle. Tanya. L'Ancienne. Un second soupir se perdit après le premier. Il entendait encore sa voix, magnifique et cristalline, qui perçait derrières les musiciens qui jouaient avec furie derrière elle. Il se rappelait sa chanson .. All Around me.

Il lui fallut plusieurs minutes avant de se rendre compte que l'inconnue à mitaines s'était assise sur le banc en face du sien, et qu'elle avait sorti un calepin. Il fit mine de se désintéresser d'elle, mais lorsqu'il capta ses regards, il redevint méfiant. Renfrognant son visage, il la fixa d'un air noir, pour lui faire comprendre qu'elle devait arrêter de suite. Il la regardait, elle, lui jetant des regards concentrés, puis griffonant sur son calepin avec frénésie. Après une dizaine de minutes, il se leva brusquement, et s'approcha d'elle. Lorsqu'il fut à une cinquantaine de centimètres, il s'arrêta, la dominant d'un mètre. Fallait dire qu'elle était assise, aussi. Il la toisa d'un air sombre, avant de murmurer d'une voix grave et emplie de menace

"Tu m'espionnes .. ?"

Il n'attendit même pas la réponse, sans un regard pour elle, il lui arracha le bloc notes des mains, et l'amena à ses yeux. Ses iris cendrées se posèrent sur le dessin, et il en suivit les traits avec stupeur. Pas de notes sur lui. C'était certes lui, sur le dessin, mais .. Différent. Souriant. Avec un louveteau dans les bras. Ce fut l'animal qui remplit Jake de stupeur. Savait elle ? Pour la Rue ? Pour son Rang ? Savait elle ?

Une foule de questions passa dans son cerveau. Peut être venait elle du même endroit que lui, peut être faisait elle partie de la bande sans qu'elle n'ait jamais attiré son attention, peut être que ..

Il secoua la tête, abasourdi. Il la fixa, d'un air curieux, et finit par demander

"C'est quoi, ça ?"

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* Perdue dans son dessin, Ruika essaya de donner au jeune homme les traits les plus doux possibles. Elle était persuadé que ça lui irait bien. Mais elle laissa tout de même la cicatrice au milieu de son front. Parce qu’elle n’arrivait pas à l’imaginer sans. C’était sa façon à elle de remarquer qu’il y a des marques qui ne disparaissent jamais. Elle pensa aux traits rouges qu’elle avait sur le ventre. Eux non plus ne disparaîtraient plus. Mais ça n’était pas le plus important pour le moment. Elle baissa ses yeux un peu plus vers le dessin. Il y avait quelque chose qu’elle n’arrivait pas à représenter. C’était une part d’humanité. Aussi étrange que cela puisse paraître, malgré son sourire, le jeune homme semblait plus loup que l’animal qu’il portait dans ses bras. Il y avait quelque chose qu’elle n’arrivait pas à saisir.

Elle n’entendait même pas l’inconnu s’approcher, à cause de la musique, et de sa concentration. Elle sursauta juste lorsqu’il lui arracha le carnet des mains, faisant tomber son crayon sur le sol. Paniquée, les rouages de ses méninges s’agitèrent, pour lui signifier qu’en le dessinant, elle n’avait fait que lui jeter des regards étranges, et que ça n’était surement pas d’une politesse immaculée. Gênée, elle le regarda, essayant de deviner s’il était en colère, ou s’il allait se disait qu’elle ne méritait pas une part de son intérêt. Elle sortit les écouteurs bruyants de ses oreilles, et leva les yeux vers lui. Elle voulu s’excuser, commençant à bafouiller quelques mots gênés, mais il l’interrompit.

C'est quoi, ça ?

Oui, qu’est-ce que c’était ? Bonne question. Un dessin de plus, dans ce carnet qui en était plein. Une page de plus, derrière tous ces poèmes et tous ces petits morceaux d’elle. Un nouvel extrait de son histoire, celui d’une rencontre étrange, dans le parc, très tôt. Le fait de ne plus avoir son carnet contre elle lui fit mal. C’était tellement important pour elle qu’elle regrettait de ne pas avoir été plus prudente. Sans le savoir, il avait entre ses mains une arme démesurée. La vie de Ruika. Elle bafouilla quelques mots, avant de réussir à prononcer une phrase intelligible. *

_ C’est … Un dessin. De toi.

* Que pouvait-elle dire de plus de toute façon ? Il semblait attendre d’elle une explication plus complète, mais elle ne voyait pas ce qu’elle pouvait ajouter. Elle lui adressa un regard d’excuse, se demandant s’il allait lui rendre le carnet, ou non. *

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La réponse sonnait bête dans la bouche de Ruika. Evidemment qu'il avait comprit que c'était lui. Le dessin était si bien fait, on ne pouvait pas se tromper. Même si les traits étaient plus doux, plus beaux. Il y avait toujours cette cicatrice qui trônait sur son front. Il grogna légèrement, tenté de tourner toutes les pages du bloc du début à la fin, pour tout regarder, mais finalement se résigna. Il n'était plus dans la rue après tout. C'était fini les années de tyrannie. Fallait qu'il se calme. Ce fut donc avec un calme prononcé qu'il tendit le bloc à la jeune femme brune. Il finit par fourrer ses mains dans ses poches, sans pour autant s'éloigner. Il semblait décidé à s'enraciner ici tant que la jeune cadavre y serait. Il la toisa, de haut, avant de demander, méfiant

" Et c'est quoi cette bestiole, dans mes bras ?"

Il s'imagina avec un louveteau dans le creu de ses mains. Improbable. Ca fait rever .. Cet être qui le représentait si bien ..

Après un long silence torturé, le brunot se décala, pour s'asseoir sur le même banc, à coté d'elle. Il jeta un oeil au dessin encore une fois, furtivement, avant de croiser le regard de la femme.

"Tu pourrais dessiner autre chose, que je te regarde faire ?"

Elle avait un talent, c'était certain. Vu la ressemblance frappante entre le dessin et sa propre tronche, il ne doutait pas des talents d'artiste de l'inconnue. Il voulait voir ça en direct. C'était si beau, de voir les traits se figer, se former au gré des envies d'un artiste.

Bras croisés, il attendait qu'elle obtempère, se demandant comment elle prendrait cette demande pour le moins .. Originale.

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* Le jeune inconnu s’arrêta encore sur le dessin, pour le regarder sûrement, pendant que Ruika l’observait. Ses gestes étaient étranges, sûrs, mais silencieux à la fois. Comme s’il avait l’impression d’être observé, ce qui était le cas d’ailleurs.
Maintenant qu’elle l’avait dessiné, Ruika le voyait autrement. Elle pouvait même trouver un certain charme à ses traits durs. La forme de son visage était agréable à dessiner, et il en perdait de son agressivité. Dessiner, c’était comme redécouvrir. Et elle avait toujours aimé ça, Ruika, partir explorer le monde, avec un crayon et une feuille de papier. Gravir des montagnes, les faire s’écrouler, et caresser des visages. Des fois même, elle se servait de son talent à noircir le papier pour chasser des sentiments qu’elle n’aurait jamais osé avouer. C’était dans ses moments là qu’elle traçait les traits de cadavres, et des décors brûlés. Malheureusement, ses carnets étaient de plus en plus remplis d’œuvres de ce type.
Quand le garçon lui rendit son carnet, Ruika le serra instinctivement contre son cœur, et se mit à sourire. Il avait l’air grand, si haut que Ruika ne pourrait jamais l’atteindre, mais ça avait quelque chose de rassurant. Et puis, il lui avait rendu son carnet. *

_ C’est un loup. Je trouve que tu lui ressembles. Bien que je ne connaisse rien de toi. Ne te vexe surtout pas … Pour moi, un loup, ça a la tendresse d’un chien, avec la grâce et la puissance en plus. C’est un être qui a l’air agressif, qui sait montrer qu’il existe, mais qui sait aussi être protecteur. J’ai toujours adoré les loups.

* Lorsqu’elle se rendit compte qu’elle commençait à trop parler, Ruika se tût et rougit. Parler était difficile pour elle, et elle avait toujours l’impression dans faire trop. Lorsque l’inconnu s’assit près d’elle, elle lui sourit à nouveau. C’était bien un loup, elle en était sûre. Froid, mais pourtant, il lui demandait un dessin. Elle le devinait, dans cette enveloppe écorchée, le cœur qui battait.

Elle se baissa pour ramasser son crayon, sa main fatiguée tremblant légèrement. Elle ouvrit son carnet à une page vierge. L’avant dernière. Il fallait qu’elle songe à en acheter un nouveau. De sa main libre, elle caressa le papier, avant de fermer les yeux.
Elle le savait déjà ce qui allait se passer. Comme à chaque fois, un visage s’imposa. Ce visage, elle le connaissait par cœur. Ces cheveux bruns, ces yeux pâles. Son frère, pour qui elle gardait un amour maladif. Et puis, un souvenir lui revint en mémoire. Myril, sur elle, qui la regardait pleurer, avec une expression qu’elle ne lui avait jamais vue avant cet instant là. Myril. La dernière fois qu’elle l’avait vu, et cette même nuit où il lui avait arraché ses vêtements. Elle se souvenait de tout. De tous les gestes violents qu’il avait eut pour la garder contre lui. Il ne l’avait pas écouté crier, il avait continué, jusqu’à ce qu’elle se taise.
Elle rouvrit les yeux, retenant la larme qui voulait quitter son œil. Elle ne pleurait plus, c’était fini. Et sa main commença à défiler sur le papier. Petit à petit, on pouvait voir apparaître un visage aux traits agressifs. Et puis, les larmes qui coulaient des yeux du jeune homme. Elle dessinait avec tout l’amour qu’elle portait à son frère. Cet inceste maladif qu’elle n’arrivait pas à faire taire. Elle le dessinait, lui, avec ce visage qui représentait toute l’ambiguïté de leur situation. L’inconnu ne pourrait pas comprendre, mais il lui avait demandé un dessin, et elle ne pouvait pas se forcer. *

[Bon, c'est pas super, mais j'ai un peu de mal cet aprem' u_u]

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Le sourire qu'elle décocha lorsqu'il lui tendit le carnet, acheva d'attiser la curiosité du brun. Elle aurait dû fuir, en courant, ou encore grogner de rage, du fait qu'il ait osé toucher une partie sensible de son esprit, par le biais des esquisses. Mais son sourire, si simple, renforça l'idée que Jake se faisait de la maigrichonne. Elle n'était pas si animale que lui. Elle ne mordait pas, elle. Puis elle parla. Déblatéra pendant au moins une minute, et si vite que Jake se demandait où elle puisait assez de souffle pour ne pas s'arrêter plus d'une demi seconde pour respirer. Sa description du loup sembla effleurer le semblant de coeur rocailleux que Jake avait au coté gauche de sa poitrine. Il tressaillit, plongeant son regard argenté et profond, dans les prunelles de Ruika. Elle avait parlé avec sincérité et simplicité. Elle ne s'était perdue en politesses ou en excuses. Elle avait dit juste ce qu'elle ressentait à cet instant précis, et ce qu'elle avait voulu évoquer à travers le dessin. Un rictus, qui ressemblait vaguement à un sourire, éclaira le visage du jeune homme. La phrase que Jake avait à présent en mémoire, et qui tambourinait en lui comme un écho, était la dernière, celle qui ponctuait d'un point final et magistral le discours plein de sincérité de la femme aux cheveux noirs. Il semblait qu'elle comprenait beaucoup plus de choses qu'il ne pouvait croire. L'homme, qui avait toujours vu les artistes comme des pauvres fous, commençait à se demander si ce n'était pas le contraire, en fait. Si ce n'était pas les allergiques de l'art qui étaient des idiots purs. Tout ce qu'il voulait, c'était la voir. La voir faire. La voir en action. En plein travail. Il demanda alors ce qui lui brûlait les lèvres. Comme pour lui montrer, à elle, qu'elle n'en avait trop dit, et que lui, d'une seule phrase, il pouvait se mettre à un niveau de gêne identique. Lorsqu'elle prit son crayon, avec douceur, il sembla à Jake qu'elle le caressait du bout des doigts, le faisant valser contre son pouce et son index avec ferveur. Il fronça un sourcil, remarquant les légers tremblements qui secouaient les mains blanchies de Ruika. Etait ce normal ? Il commençait à s'inquiéter ..

Secouant la tête légerement, il s'ôta cette idée de la tête. Non mais, comme s'il pouvait s'inquiéter du sort d'une parfaite inconnue ! Il s'injuria lui même, au fond de lui, laissant la femme commencer son travail. L'ébauche d'une belle esquisse apparut. Un visage fin et doux. Des yeux grâves mais si immenses qu'ils captaient toute la lumière. Des traits élancés. Une beauté simple, mais si rare. On pouvait deviner que ce visage sculptural était la vision subjective qu'en faisait l'inconnue. Mais quoi qu'il en soit, il était magnifique. L'homme pleurait. Doucement. Ses traits tendaient plutôt vers des versants abrupts plutôt que sinueux. Un visage agressif dans ses allures.

Jake releva les yeux. Il se sentait habité par une force légere, qui remplissait son être d'une douce chaleur. Ce visage était si bien fait, qu'avec un brin d'imagination, l'homme loup aurait pu le faire vivre, bouger. Comme si le personnage en question était sous ses yeux, réellement. Il stoppa net ses pensées. Tout venait de s'arrêter, dans sa tête. Il fixait avec amertume la larme unique, qui commençait à poindre dans le regard aux grands cils de la maigrichonne. Il avança sa main, voulu effleurer son épaule. Stoppa son geste dès qu'il l'eut frôlé. Trop fragile. Trop squelettique. Il avait peur de la briser, cette petite brindille. Ce fut donc le visage empreint d'une légère compassion, que l'homme se contenta d'effleurer le bras de la jeune femme. Il ne savait pas ce qui se passait. Mais entre les tremblements, et ce regard à présent triste, il y avait de quoi s'inquiéter. Et tant pis pour son propre "honneur". Il n'avait plus personne à impressionner par sa fougue et sa violence. Il pouvait aider. Juste une fois, personne ne le verrait .. Hein, juste une fois, faire quelque chose de bien, dans sa vie .. Etre un loup protecteur .. Qui mord pas .. Par pitié ..

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[Pardon de répondre si tard :s En tout cas, comme toujours, c’est superbe !]

* Le parc était grand, et la nuit laissait de moins en moins de traces dans le ciel presque caché par les arbres. Ce parc, si prisé pendant l’été, était complètement vide. Peut-être que l’heure et le temps ne donnaient pas envie aux étudiants. Mais Ruika s’y sentait toujours bien. Être seule était bien agréable, malgré qu’elle en souffre aussi souvent. Mais le vent, et la musique hurlante, tout cela avait un petit goût de vie, lui faisait croire pendant un court instant qu’elle n’était pas morte, que son cœur pouvait toujours battre au rythme de quelque chose qui n’était pas douloureux. Son lecteur, son carnet, et son crayon, c’était les débris qu’il restait de sa vie. Et ça lui suffisait. Du moins, elle le pensait.

Ruika dessinait, avec son minuscule crayon, et ses doigts tout aussi fins. Elle ne gommait pas. Elle ne gommait jamais. Chacun de ses traits étaient un petit bout de son âme, chacun de ses coups de crayon était donné avec sentiments. C’était trop triste de gommer ça. Myril apparaissait devant elle. Elle aurait tellement voulu qu’il la console, qui la prenne dans ses bras. Elle aurait voulu qu’il lui dise que tout ça n’était qu’une mauvaise blague. Qu’il n’était pas son frère jumeau, et que tout devenait possible. Mais malgré le point au quel elle le désirait, elle savait bien que c’était inutile à prétendre. Elle savait bien que Myril était parti, et qu’elle était trop nulle pour laisser son cœur battre encore.

Elle ferma ses yeux, et souffla un peu, avec le peu de forces qu’il lui restait. Dans ce petit souffle, il y avait des échardes des souvenirs qu’elle voulait évacuer, et toute sa tristesse. Elle reprit son dessin. Travaillant encore les traits de son frère. Elle s’attarda un peu sur ses yeux. Et sur ses lèvres. Ses lèvres qu’elle connaissait parfaitement, pour les avoir tant imaginées, pour les avoir senties pressées contre sa poitrine. Sa main tremblait un peu, mais elle rattrapait les traits. Elle s’appliquait, l’inconnu lui avait demandé un dessin, et c’était tout ce qu’elle savait faire. Alors si ça pouvait lui faire plaisir, elle lui en ferait des centaines. Si elle pouvait rendre quelqu’un heureux, elle ferait tout son possible pour y parvenir.

Le jeune homme la regardait. Il ne parlait pas, il la laissait faire. Il n’avait même pas l’air de s’ennuyer, et –peut-être– sans même en avoir conscience, il la consolait. Doucement. Il lui montrait que finalement, elle savait peut-être faire quelque chose d’utile. Elle remit une des mèches qui cachaient ses yeux derrière son oreille, et elle reprit son dessin, avec un peu plus de courage. Si quelqu’un la regardait, si quelqu’un perdait son temps à côté d’elle, il y avait une chance, certes toute petite, minuscule, mais bel et bien existante, qu’elle soit capable d’aider. Son cœur s’accéléra encore, réveillant les envies de vomir que lui envoyait son estomac. L’organe affaibli réclamait de quoi vivre, mais Ruika ferma encore une fois son cœur à ses appels.

La petite danse dura encore. Puis Ruika sentit la main du jeune homme effleurer son bras. C’est petit, si bien qu’elle n’était pas vraiment sûre de l’avoir vraiment sentit. Il lui arrivait souvent de confondre le monde qu’elle s’était créé avec le monde réel. Elle se tourna vers lui. Le dessin était presque terminé. Elle laissa ses joues creuses s’articuler pour commencer un autre dessin, celui qui demandait encore plus de cœur, celui de ce léger sourire de remerciement. Peut-être qu’il ne comprendrait pas. Mais elle avait juste besoin de ça, depuis longtemps, d’un tout petit peu d’attention, d’un signe qu’elle n’était pas encore totalement détachée de la réalité. Sans le savoir, elle en avait besoin. Et même si l’absence de Myril lui déchirait le cœur, même si elle savait que son cœur n’allait pas tarder à retrouver ses anciennes maladies, il restait encore des petites choses capables de la réchauffer, aussi loin soit-elle du soleil. *

[Bon, je suis pas fière de moi sur ce coup …]