Eclairée par une lune gibbeuse et quelques lampadaires qui ornaient le chemin jusqu'à l'entrée, la nuit n'avait rien de véritablement sombre. Cà et là, il pouvait même apercevoir les formes argentées des carpes koïs qui frôlaient la surface pour venir happer des insectes trop confiants qui se posaient à la surface.
Confortablement assis dans l'herbe près du plan d'eau, les pieds nus enfouis dans l'herbe verte et ses affaires éparpillées autour de lui, Brian profitait du seul moment de la journée où la température était tolérable pour qu'il puisse rester dehors sans avoir envie de se déshabiller complètement avant de se renverser une bouteille d'eau sur la tête. Si le centre commercial ainsi que l'internat étaient climatisés, pour son plus grand plaisir, le reste du Japon ne l'était malheureusement, donnant la furieuse envie au rônin de faire ses bagages et de fuir vers un endroit où la température était plus clémente. Il fallait croire qu'il avait oublié les années passées à Hawai. Ou tout simplement à l'époque, le fait de se promener nu-pieds et en permanence débraillé l'avait aidé à supporter la chaleur moite de l'été.

Il y avait bien une autre raison cachée derrière sa présence dans le parc à cette heure, une raison bien différente du plaisir de profiter de la fraicheur nocture ou de la conversation des Kois dans leur plan d'eau, mais qui avait tout à voir avec le fait qu'il avait entraperçu la veille une tête blonde en train de prendre des photos de nuit, à peu près à la même heure. Connaissant la personne en question, Brian était presque sûr que Hugh reviendrait au même endroit plusieurs jours de suite, pour avoir suffisament de photos dans exactement les mêmes conditions de lumière.

Depuis qu'ils s'étaient croisés, le métis avait ressenti cette curieuse impression – doublée d'amusement – de jouer au jeu du chat et de la souris avec son ex. Les esquives logiques et polies, les regards détournés... Brian avait accepté de jouer le jeu pendant un bon mois, histoire de laisser à l'autre garçon le temps de se faire à sa présence. Le temps s'était écoulé, et le jeune homme commençait à se lasser. L'avoir entraperçu la veille lui avait semblé un signe comme un autre – ou plus exactement une idée comme une autre comme endroit pour le coincer – et il s'était dirigé naturellement dans la petite zone tranquille au retour de son travail.
S'il avait tord – s'il connaissait moins bien Hugh qu'il ne le pensait – il aurait moins gagné le droit de passer un moment agréable dans le parc.

Nulle raison de ne pas avoir confiance en lui. Un petit moment plus tard, et il entendaitle déclic particulier d'un appareil photo, ainsi que les bruits de pas mal assurés de quelqu'un tentant de marcher délicatement sans savoir le faire.
Brian tourna la tête et sourit à la petite silhouette pâle qui se détachait de son buisson.

" Coucou Hugh. Tu profites de la fraicheur ou tu prépares un manga avec une scène sous la lune ?"

Le plus difficile avait certainement été de sortir de la chambre. Kantaro ne semblait pas toujours comprendre quand il avait besoin de solitude. Sûrement parce que lui même ne lui disait pas, en fait. Quelque chose ne tournait pas rond sans qu’il n’arrive à mettre le doigt dessus. Kantaro était totalement amoureux de lui, mais cela le mettait mal à l’aise et il ne parvenait pas à se sentir totalement naturel. Le problème venait de lui, mais il n’arrivait pas à tirer les choses au clair. Et le voulait il seulement ?

Comme il ne parvenait pas à se concentrer sur ses planches de bd, il s’était rabattu sur la photographie. Dernièrement, les ciels de nuit s’étaient révélés particulièrement beau, et le blond accumulait les clichés qu’il rangeait ensuite par ordre chronologique dans un dossier de son ordinateur, sans but précis. C’était aussi vain que ça en avait l’air. Mais prendre ces photos spontanées le détendaient, laissant son esprit flotter en paix le temps de leur réalisation.

Il portait encore ses vêtements d’intérieur, le pantalon de jogging et le tee shirt à l’effigie d’animé, assortit aux geta d’intérieur qu’il avait emporté à l’extérieur, peu résolu à mettre des chaussures fermées. La nuit était silencieuse et incitait au calme. Il n’avait pas envie de perturber d’un bruit ce silence particulier, rythmé par les grillons et le clapotis du plan d’eau dont il se rapprochait.

Un mouvement à la surface de l’eau attira son regard, et le blond leva mécaniquement la main, cadrant la scène avant d’appuyer sur le déclencheur. Faisant encore quelques pas, il cadra et s’apprêtait à appuyer de nouveau, lorsqu’une voix bien connue s’éleva, faisant violement sursauter le jeune homme qui était jusque lors perdu dans ses pensées. Ses doigts soudainement crispés, qui tenaient alors l’appareil du bout des doigts, le firent s’échouer au sol dans un petit bruit mat, tandis que le blond, une main ramenée contre sa poitrine, essayait de retrouver un rythme cardiaque normal après l’électrochoc qu’il venait de subir.

Il n’avait pas envie de le comprendre ni de le reconnaître, mais il savait pertinemment à qui appartenait cette voix, et lorsqu’il posa le regard sur la silhouette qui se détachait de l’ombre devant lui, il ne fut nullement surpris de reconnaître un visage de velours qui semblait totalement à son aise en cet instant, comme s’il n’y avait aucune surprise de le croiser ici et maintenant.

« Comment est-ce que… »

Les éléments s’emboîtèrent dans sa tête en un éclat. Ses traits se durcirent, affichant un air qui ne lui était guère coutumier. Très loin du visage paisible et amical qu’il arborait en permanence.

« Quoi, tu me surveille ? »

Le hasard était un peu trop facile et trop simulé. Non, même pas simulé. Il n’avait pas fait mine d’être surpris. Il l’attendait. Hugh posa le regard sur son appareil au sol. Il ne pouvait pas faire demi-tour sans lui, et il n’avait pas envie de fuir comme un lapin terrorisé non plus.

Si sur certains points, Hugh n'avait pas tellement changé, sur d'autre, le métis s'était affirmé, se montrant plus agressif que Brian ne l'avait jamais vu. Vivre loin de sa mère, dans un pensionnat où il n'était pas traité comme une poupée fragile avait du lui faire du bien.
A sa véhémence, le brun répondit par un grand sourire rassurant en tapotant l'herbe fraiche du plat de la main pour l'inciter à venir s'assoir près de lui, ou du moins à se rapprocher.

" Non, je n'en suis pas à ce point. Je t'ai entraperçu hier soir en revenant de mon travail, à peu près au même endroit. Je me suis dit que si tes habitudes n'avaient pas changé, il y avait de forte chance que tu reviennes encore aujourd'hui. Et vu qu'apparemment, c'est la seule méthode que j'ai si je veux réussir à te parler..."

Brian offrit une jolie moue à Hugh, mi-chafouin, mi-vexé, un art délicat que le jeune homme maitrisait avec brio. Le lycéen n'était pas dupe de sa tentative de manipulation, et c'était ce qui était de loin le plus amusant.
L'américain le connaissait. Connaissait ses manies, ses habitudes, ses moues et ses mimiques de séduction. O, depuis le temps, il s'était amélioré – perfectionné pouvait-on dire ? - mais en général, Hugh savait à quoi s'attendre avec lui. De quoi... se méfier, si un tel terme pouvait être utilisé dans son cas.
Il avait hâte de voir si le blond allait se laisser tenter à jouer avec lui ou non.
S'était-il laissé influencé par le japonais si sérieux avec lequel il passait la plupart de son temps ? Fugiwara-kun... Pour l'avoir comme élève pour des cours particuliers de russe, Brian savait que son sérieux n'était pas simulé. Président du conseil des élèves, premier aux examens... Un élève aussi sérieux que lui en fait, avec la rigueur japonaise qui en faisait quelqu'un de quasi obsessionnel dans sa minutie. Très intelligent, très doué... mais pas tellement d'imagination de son point de vue. Si c'était avec ça que le blondinet réveur l'avait remplacé, il ne devait pas s'amuser tous les soirs.

L'étudiant s'étira longuement, laissant échappement un soupir de soulagement de ses lèvres entrouvertes avant de se redresser d'un coup, mu par une impulsion subite, et de faire l'unique pas qui le séparait de l'étendue d'eau calme. Quelques secondes plus tard, il glissait ses pieds dans l'eau jusqu'aux chevilles, au milieu des carpes kois dont certaines, plus téméraires que leurs soeurs, vinrent étudier ces poissons d'un nouveau genre. Brian laissa échapper un petit rire en sentant un corps froid recouvert d'écailles le frôler.

" Ca fait du bien... je ne sais pas comment tu supportes la chaleur, mais honnétement, j'ai l'impression de fondre... et l'été n'en est même pas à la moitié."

Les pieds dans l'eau, c'était à Hugh de s'approcher s'il voulait lui parler. Tourné en partie vers lui, l'américain attendait sur de lui. Son assurance faisait partie de son charme et de l'attrait qu'il avait pour le blond moins sur de lui, détail dont ils avaient conscience tous les deux.

Ce n’était pas une simple colère due à une personnalité affirmée par une vie moins cadrée et pompounée par sa mère. C’était surtout celle de l’animal traqué qui se sentait coincé et qui ne trouvait pour toute réponse que de feuler. Face à Brian, Hugh ressentait une foule de sentiments contradictoires qui lui étreignaient le cœur. Une vague de joie et de tendresse vite renversée par une haine acide et une peur étrange qui lui brûlaient le ventre, lui faisant craindre son simple contact. Comme bien souvent pour lui, la politique de l’autruche était la meilleure. Il ne voulait plus rien voir et faire comme s’il n’existait pas.

Brian répondit avec calme et volupté, apparemment peu étonné de sa réaction ou de son attitude. Son travail… Brian avait reconstruit sa vie de son coté. Il était un jeune homme visiblement autonome… Il avait toujours été indépendant et débrouillard.

Hugh détourna un instant le regard avec gêne face a l’expression que le brun affichait, avant de revenir vers lui, cherchant à soutenir son regard, à ne pas fuir, sans parvenir à donner une autre impression que celle d’un animal acculé. Il avait l’impression que le simple regard de Brian pouvait lire à travers lui. Il le connaissait et il y avait un peu de ça. Mais pourquoi lui même n’arrivait pas à donner cette sensation aux autres, pourquoi se trouvait il seul affecté de ce genre de sentiment ?

La plaie était encore à vif et il ne parvenait pas à passer outre. Mais Brian de son coté, qu’en était il pour lui ? Lorsqu’il l’avait croisé, un mois plus tôt, il avait laissé parler son corps en premier et l’avait frappé, pour recevoir en échange une douleur équivalente à la sienne, et ensuite, des explications si simples, si évidentes… Et si cruelles.

S’imaginer que Brian ressentait des sentiments analogues aux siens était réconfortant et angoissant. Il avait conservé le papier de son numéro de téléphone, l’avait caché dans un de ses carnets personnels, retombant dessus de temps à autre sans trop savoir qu’en faire.

Ils n’étaient pas ennemis, c’était une chose dont il était sur. Mais alors, ils étaient quoi ?

Silencieux, il considéra l’avancé de Brian dans l’eau, tableau charmant s’il en était lorsque son rire vint résonner avec sincérité, écho aux clapotis des carpes qui venaient se glisser contre ses chevilles, curieuses.

« … Je ne suis pas fort comme toi Brian. »

Toute cette tranquillité qu’il affichait habituellement semblait fondre comme neige au soleil devant cette personne qui représentait la partie la plus importante de son passif et de ses sentiments, révélant ce qu’il détestait en lui : Sa faiblesse, ses hésitations. Cette personne fragile et geignarde. Brian lui, était mature, assuré, séduisant. Il agissait face à la situation avec charme et assurance, et lui, face à ça, se sentait plus démuni que jamais.

« Je ne peux pas agir… Normalement, je… Excuse moi, je ne te déteste pas pourtant… »

Avec un soupir de vaincu, il avança d’un pas, s’accroupissant pour ramasser son appareil, avant de s’asseoir dans l’herbe, à quelques pas du jeune homme debout dans l’eau. Il essaya de distinguer les brins d’herbes dans l’obscurité, avant de reprendre la parole.

« … J’y ait beaucoup pensé. A ce qu’il s’est vraiment passé. »

Ce faisant, ne parvenant à conserver ses mains immobile, il vérifiait inconsciemment que son appareil ne fut pas abîmé, le relançant et vérifiant si le zoom optique était encore en état de fonctionnement. Sans s’en rendre compte, il était en train de cadrer l’image de Brian debout dans l’eau, les rayons lunaires jouant dans ses cheveux et l’eau miroitant avec légèreté, troublée en ridules par le passage des poissons. Brian, complaisant, demeurait debout dans l’eau, la tête légèrement tourné vers lui, une ébauche de sourire semblant transparaître dans la semi obscurité.

Hugh appuya presque inconsciemment sur l’interrupteur, la gorge sèche.

Le déclic de l'obturateur résonna plusieurs fois dans la nuit, lui laissant savoir qu'il venait d'être immortalisé sur la carte mémoire de l'appareil de Hugh, comme si souvent auparavant. L'américain savait prendre de belles photos, dont l'ego largement développé de Brian ne pouvait qu'être flatté d'être le sujet.
La petite silhouette recroquevillée sur le bord de l'eau faisait peine à voir. Qu'avait-il donc pensé à cette période, se croyant seul et abandonné ? Pour sa part, c'était la colère et la vexation qui l'avait poussé à ne pas déprimer. Pour un jeune homme déjà fragile, le moment avait du être douloureux... Il n'aimait pas se focaliser sur le passé. Loin d'être un moteur, c'était un boulet à trainer.

Dans un bruit de vaguelettes, Brian sortit de l'eau en effrayant quelques poissons au passage et retourna s'agenouiller dans l'herbe sur la berge, passant un bras familier autour du blond. D'abord raide et tendu, le métis devint bien vite souple et compliant dans ses bras pour un câlin pour le moment sans aucune autre pensée que celle d'être juste rassurant. Ce corps souple contre le sien n'était pas celui dont il se souvenait. Un peu plus grand, un peu plus osseux, beaucoup moins docile. Ils avaient bien grandi tous les deux, effectivement.

" A ce qui s'est réellement passé, aurait pu se passer, aurait du se passer... Oui, j'y ai pensé moi aussi pendant un moment, avant de laisser tomber. A quoi bon ? C'est passé Hugh. Mort, douloureusement révolu, et inchangeable à jamais. On a continué tous les deux... Moi, toi... "

Le jeune homme rompit son étreinte autour du lycéen pour s'éloigner un peu de lui, histoire de pouvoir le fixer dans les yeux dans la semi-obscurité ambiante. Hugh avait toujours été pâle de nature, et la lumière marmoréenne de la lune jointe à celle d'une petite lumière artificielle ne lui rendait pas justice, lui renforçant les ombres de son visage et creusant ses cernes. Avait-il toujours eu cet air de petite créature que l'on a envie de protéger ou le voyait-il seulement maintenant, dans ce parc mal éclairé ? Sa main se perdit dans les mèches blondes et soyeuses alors qu'il cédait à l'envie de les caresser. Oui, il prenait ses aises avec Hugh. Qui aurait l'audace de l'en empêcher ?
Son sourire se tordit légèrement, un peu plus ironique, légèrement moqueur alors qu'il reprenait la parole d'une voix veloutée où la taquinerie était juste assez prononcée pour être audible.

" Toi... je t'ai vu avec ton nouveau petit copain d'ailleurs. Fugiwara, c'est ça ? Un parfait japonais bien sérieux. J'ai toujours su que tu avais un petit quelque chose pour les garçons bien travailleurs en classe... Ca se passe bien tous les deux ? "

Ils étaient bien passés à autre chose, tous les deux. Brian était quelque peu curieux de la solidité et de la stabilité de cet autre chose de Hugh. Pour le jeune américain, l'esprit japonais était tellement différent de l'esprit américain qu'il avait bien du mal à imaginer pourquoi son compatriote aurait pu souhaiter s'enferrer dans une telle relation. Et qu'on ne lui parle pas de sa moitié d'ascendance... est-ce que lui était fan de vodka pour autant ?

Brian revint vers lui, s’asseyant à son coté et passant un bras sur ses épaules comme la chose la plus naturelle qui soit. Il s’était alors raidi comme la justice, avant que cette odeur si familière ne vienne parler à son instinct plus qu’à sa logique et qu’il perde sa combativité. Pourquoi l’aurait été detesté ? Ca avait été une erreur. Plus qu’une erreur, une machination de sa mère. Etrangement, il n’en était pas surpris. Un peu comme s’il s’en était douté, quelque part, une option parmi d’autres qui soudainement devenait réelle…

Pragmatique, réalise, Brian énoncé une vérité inacceptable. Les doigts crispés sur son appareil, Hugh fixait obstinément la surface de l’eau ondulante. Ainsi donc, c’était comme ça ? C’était… Ils se retrouveraient par un réel hasard après 2 ans d’un silence qui n’aurait pas du survenir, et on ne pouvait plus rien recoller ?

Mais oui. Ils avaient changés et évolués tous les 2, vécus, et n’étaient plus les mêmes personnes. Peu importait ce qu’il avait vu se passer et ce qu’ils avaient ressentit alors. Machinalement, il caressa le relief de la cicatrice à travers son tee shirt.

Un frisson le traversa, ainsi qu’une sensation de manque, lorsque Brian se décolla de lui, pour l’observer plus attentivement. Il était déjà assuré par le passé. L’âge et la maturité le rendaient d’autant plus attractif et sur de ses appuits. Comment faisait il ?

La question pris Hugh de court. Comment le brun faisait il pour appuyer ainsi sur les zones fragiles ? Ce qui était fascinant, c’est que sur la théorie, il savait comment il fallait faire pour se comporter comme une personne assurée. Il n’était pas difficile de trouver ce qui gênait les gens et les questionner dessus. Et ensuite se montrer soi même assuré quoi que l’on dise. Une méthode que Brian maîtrisait à la perfection. Il aurait beau chercher, il n’était pas sur de pouvoir trouver un moyen de lui renvoyer la balle sans qu’il l’utilise alors à son avantage…

« Evidemment, pourquoi serais-je avec lui sinon ? »

Ca avait été difficile de paraître totalement assuré. Il inspira longuement, priant pour que la boule dans sa gorge disparaisse. La personne face à lui… Il fallait qu’il lui hote cette aura de quasi sainteté qu’il lui avait assigné. Brian, ce simple nom était pour lui chaud et brillant. Mais la, il se trouvait face à un autre être humain qui le taquinait. Il ne voulait pas courber l’échine.

« Et toi, tu n’a certainement pas fait vœu de chasteté après que je t’ai abandonné j’imagine ? »

Ca faisait mal de dire ça à voix haute. Il avait voulu cette replique ironique, mais cela lui raclait la gorge. Mais son atout pour la comédie, soigneusement dévellopé et poli, aidait son expression à tenir la route dans la lueur celène, et son sourire tranquille était un rien sarcastique, juste trompé par son regard un peu fievreux.

Brian rit doucement, son souffle faisant voleter les cheveux fins sur la nuque de Hugh. Le blond était adorable, entre défiance et confiance née de l'habitude. Lui-même ne savait plus trop à quoi s'en tenir sur ses propres sentiments par rapport à lui.
Ce qu'il venait de dire était vrai, plus que vrai. Rien ne rattraperait le trou qui s'était formé entre eux deux, à part une vraie volonté de créer quelque chose de nouveau. Le voulaient-ils ? Et lui, le voulait-il ? Pour le moment, il se contentait de jouer avec les restes de ce qui avait été , sans vraiment savoir ce qu'il voulait en obtenir. Clore quelque chose qui l'avait laissé vexé et blessé, reprendre la main mise ? Se souvenir ?

Ce n'était pas le moment d'y réfléchir, mais plus de s'intéresser à ce que disait le métis à propos de son petit copain. Ou plutôt, à ce qu'il ne disait pas. D'après son expérience, répondre à une question par une autre question n'était jamais tellement positif – bien plus un signe de quelque chose dont on ne tenait pas à parler. Le sourire amusé de l'américain resta en place. Ce qu'il avait lu du premier de la classe japonais n'était pas faux alors.

" Je n'en sais rien... mais personnellement, j'ai un peu de mal avec les japonais par moment. Si sérieux, si rigide... On ne s'amuse pas tous les jours. J'ai l'impression qu'ils ont un manuel pour tout, même pour le... " Un nouvel éclat de rire, mâtiné d'un clin d'oeil, vint finir son explication.
" En tous cas, pour du long terme, je pense que j'aurais du mal."

La question suivante, Brian l'accueillit comme il se devait, à savoir avec un joli sourire pas du tout perturbé, comme si l'ironie lui passait loin au dessus de la tête. La moquerie ne réussissait à marcher que si l'on accepte de se sentir mis en danger. Pour retourner la situation, l'ignorance et feindre l'innocence restait la meilleure des parades. Et puis si Hugh avait envie d'être tenu au courant de ses conquêtes... ce n'était pas Brian qui en serait le plus affecté.

" J'ai eu quelques relations, mais rien de sérieux. En Allemagne, ce n'était pas si facile vu que je parle assez mal la langue, et je ne suis pas au Japon depuis si longtemps au final. "

Et comme de toute façon il ne voulait pas de relation sérieuse... il était bien trop jeune, à son idée, pour se poser et se marier, s'il le faisait un jour. La vie était trop courte pour s'attacher le pied de cette manière, et celui qui tiendrait son coeur entre les mains... et bien, celui qui l'avait un jour eut était devant lui, mais l'avait laissé derrière lui quand sa mère avait décidé de prendre les choses en mains.
Sa main glissa sur le côté, venant effleurer les côtes du jeune homme cardiaque au travers de son t-shirt. Même la douceur du coton ne cachait pas le côté malingre du dessinateur.

" Dis-moi Hugh, t'es toujours aussi chatouilleux ? "

Il fallait s'appeler Brian pour réussir à prononcer ce genre de phrase d'une voix chaude et mutine sans perdre son sérieux.

Hugh frissonna lorsque le souffle chaud de Brian vint effleurer sa nuque. Le passé clo, pourquoi continuer à se fréquenter si ce n’étais par nostalgie ? Leur rapprochement s’était fait par la force des choses, par l’habitude. Maintenant que Brian avait mieux à posséder, il n’avait certainement plus d’intérêt pour lui. Il n’y avait bien que Kantaro pour être réellement accro à lui pour une raison qu’il lui échappait encore.

Hugh haussa les épaules avec gêne, même si sans le savoir Brian touchait juste.

« On ne peut pas réduire les gens à leur nationalité. »

Le brun ne sembla pas démonté par son allusion, répondant avec flegme. Il n’avait pas tant changé, il semblait se suffir à lui même, comme par le passé. Avec un peu plus de bouteille et de charme, avec un peu de vécu qu’il ne connaissait pas et qui l’horripilait de ne pas savoir.

La main de Brian vint effleurer ses cotes, totalement sans gêne, et le blond serra les dents, s’empourprant légèrement. La manière dont le brun dansait sur les cendres de leur relation le mettait extrêmement mal à l’aise, le faisant osciller entre affection et confiance venue d’un autre temps et une extrême méfiance nouvelle et étrange.

« Arrête ça. »

Sa voix résonna étrangement dans sa gorge, plus déterminée qu’il ne pensait l’avoir en cet instant. C’était comme si un inconnu avait pris possession de lui et réagissait avec une objectivité à la situation, laissant de coté les affres des sentiments qui parasitaient le jugement.

« C’est du passé entre nous deux, tu l’a dit toi même. Alors, arrête d’être aussi familier. »

Son corps était tendu comme un arc, et il n’était pas sure de réellement maîtriser la situation.

Une expression interloquée sur le visage, Brian laissa retomber sa main sans cesser de fixer le blond dont les épaules tendues trahissaient l'agacement. Envers lui, ou envers cette situation dont il ne semblait savoir que faire ? Brave petit soldat, le brun leva ses deux mains, paumes bien visible, pour montrer qu'il ne tenterait plus de s'approprier l'espace vitale de son ex comme il l'avait fait jusqu'à présent.
Qu'est-ce qui avait pu remonter Hugh à ce point ? Il en aurait été presque vexé de se voir ainsi refuser ce qui lui revenait... Les évènements qui avaient offerts à Hugh une colonne vertébrale un peu plus raide avaient pas mal du secouer le cardiaque.

" Excuse-moi... si notre relation appartient au passé, je pensais que ça ne voulait pas pour autant dire qu'il n'existait plus rien entre nous."

Le rônin passa sa main dans ses cheveux, laissant pour la première fois un sourire embarrassé prendre le pas sur son éternelle assurance. Dissocier complètement ses pensées de ses actes. S'il avait eu le temps, il aurait surement aimer le théâtre et l'idée d'entrer dans la peau de l'autre tout en gardant un oeil extérieur et critique dessus. Quoique... non. Son côté détaché aurait surement fait défaut à la soi-disant "passion" qui animait ce genre d'artistes.
Le saxophone était une passion suffisante autour de ses études pour ne pas souffrir de concurrence.
Le musicien finit son geste en glissant ses mains dans ses poches et en laissant vagabonder son regard sur le parc plongé dans la nuit autour d'eux. Quelques mouvements dans les buissons trahissaient la présence de petites créatures nocturnes qui s'affairaient loin des regards des visiteurs habituels.Nulle autre personne qu'eux dans le parc ? Du moins, si d'autres élèves profitaient de la chaleur pour faire des escapades nocturnes, ils n'avaient pas choisi le même endroit du parc.

" Mais si c'est ce que tu veux vraiment, je suppose que nous n'avons plus rien à nous dire alors. Je suis quand même content de t'avoir revu. De savoir... que ça ne s'est pas fini si mal que je ne l'avais cru. Ne t'inquiète pas, je ne te ferai pas l'affront de te demander un dernier baiser. "

Un sourire entre amusé et triste éclaira son visage alors qu'il jouait le dangereux jeu de se faire passer pour la proie, au risque de voir Hugh s'échapper complètement. Mais lui donner l'impression qu'il était libre de faire ce qu'il voulait serait surement la meilleure des démarches vu sa réaction excessivement agressive. Il n'avait jamais eu l'occasion de devoir dresser ou apprivoiser une bête, mais il était quasiment sur qu'il aurait eu toute la patience nécessaire pour arriver à n'importe quoi.

" Bonne soirée. Et si à un moment tu en as marre de parler avec des gens dont l'anglais est trop accentué, tu sais où me trouver."

Ce n’était pas qu’il n’existait plus rien entre eux. Au contraire, il existait encore beaucoup trop de choses, cendres encore chaudes qui pourraient être ravivées d’un rien, chose que le blond voulait éviter à tout prix. Apparemment froissé de sa réaction, Brian s’était rétracté, faisant mine de conclure leur conversation d’un trait d’esprit et d’un peu de victimisation. Mais même ainsi, il menait l’échange. Plus que tout, c’était peut-être cette domination totale de Brian qui l’angoissait. Parce qu’elle lui avait tant manqué. Parce qu’il aurait certainement été capable d’y retourner, ou plutôt de la désirer ardemment, sans pouvoir l’atteindre.

Son cœur battait trop fort dans sa poitrine, et il entendait résonner dans ses oreilles le cliquetis sec et régulier qui berçait ses nuits depuis 2 ans. Les doigts crispés sur son tee shirt, le regard fixé sur les ridules de l’étang, il n’était plus sur de l’action à mener. Il n’avait jamais été doué pour la confrontation. Mais donc, c’était à lui de partir visiblement ? Le contact de Brian avait laissé sur sa peau une empreinte brûlante qui ne demandait qu’à être ravivée, et sa dernière phrase moqueuse à propos d’un baiser d’adieu s’était imprimée au fer rouge dans son esprit.

« Moi j’en veux un. »

Les mots s’étaient échappés de ses lèvres presque contre sa volonté, et c’est avec une agressivité peu commune qu’il tendit soudainement la main pour attraper le col du tee shirt de son ex et rapprocher son visage du sien. Leurs dents s’entrechoquèrent douloureusement avant que le contact se transforme en baiser passionné épicé du goût métallique du sang.

Brian embrassait bien. Non seulement avec audace mais avec langueur et un certain don pour entretenir l’excitation. Le blond se fit pourtant violence pour rompre le contact, le souffle court, se retrouvant à haleter, le front contre celui de Brian, le regard fixé vers lui sans parvenir à savoir quoi dire exactement ni sans réussir à desserrer la prise presque désespérée qu’il avait sur son vêtement.

Ses accès d’énergie étaient bien trop courts et il se retrouvait soudainement embarrassé de ce qu’il venait de faire, sans savoir ou aller ensuite, avec au fond de l’esprit la certitude qu’en cet instant, Brian devait très certainement le trouver ridicule, au mieux.

Ce baiser avait un goût de désespoir. Était-ce le parfum du sang, la petite douleur brulante de sa lèvre mordue ou la manière affolée qu'avaient eu les mains de Hugh à s'accrocher à son t-shirt qui stigmatisait ainsi ce dernier échange ? Qu'importe. Brian ne pouvait qu'y répondre, avec passion, avec langueur, avec toutes ces petites choses qui donnaient à un baiser un goût inoubliable. Les souvenirs. Leurs souvenirs. Leurs premiers baisers lui semblaient soudain bien fade à côté de celui-là. Parce qu'ils étaient restés au fond de sa mémoire, un peu poussiéreux et déjà périmés, ou bien parce qu'ils avaient été joueurs, tendres ou câlins, sans jamais cette agressivité.
Il pourrait presque y prendre goût.

L'échange s'interrompit dans un soupir, la respiration bruyante de Hugh seul rappel d'une réalité bien peu tangible ce soir. Gentiment, Brian passa sa main dans les cheveux humides de l'autre garçon, lui faisait incliner la tête pour pouvoir venir lécher le sang qui avait coulé de la coupure jumelle. Bien joli tableau, qui aurait pu avoir sa place dans un film de vampire. Le brun ne doutait pas un seul instant de quel rôle il aurait pu écoper.
Sa main coula un instant contre la joue de Hugh, avant de déplacer une mèche qui lui barrait un oeil pour la remettre en arrière.

«  Plutôt joli pour une fin de scène, non ? Ça mériterait d'être repris dans un livre. »

La moquerie était bien douce, servie d'une voix suave et complice. Difficile de résister à quelqu'un qui s'incluait dans la moquerie, non ?
Brian se détacha sans s'éloigner beaucoup de Hugh, son regard posé sur le blondinet avec intérêt et un reste d'envie prédatrice tout juste dissimulé par la nuit. Le couvert de l'obscurité avait bien des avantages. Dissimuler, créer de fausses impressions de complicité... Nul doute que si quelqu'un passait à portée de regards, ils auraient eu l'air de deux amants coupable, surtout avec ces lèvres blessées à l'identique. En y réfléchissant, il n'y croyait toujours pas : où Hugh le délicat avait-il trouvé en lui autant d'acrimonie ?

«  Je reste là pendant les vacances. Si tu as envie, on peut se faire une sortie dans les bornes d'arcade ? Je commence à connaître un peu quelques coins sympas. »

Sous son apparence placide, il se découvrait presque une pointe de hargne, une envie étonnante d'être un peu plus rentre-dedans face à ce nouveau Hugh un peu plus difficile à cerner. Le baiser qu'il avait obtenu de lui ne faisait que lui donner envie d'en avoir encore plus. Sentiment un poil vexant il fallait l'admettre.

Le blond frisonna, incapable de réagir, se contentant de subir en frisonnant l'étrange caresse qui suivi, alors que Brian venait lecher le sang qui perlait au coin de sa lèvre blessée. Quel idiot. Lui qui prennait toujours attention à ne pas se blesser, voila qu'il se retrouvait marqué de la manière la plus gênant qui soit. L'image de Kantaro, accusatrice, s'imposa à lui, et il se sentit atrocement coupable. Qu'il était faible de se laisser ainsi aller à la moindre tentation. Les doigts de son ex, legers, remirent en place quelques mèches qui refusaient de se discipliner, se faisant au passage caresse, avant qu'ils ne se séparent. Ou, plus exactement, avant que leurs corps ne se touchent plus mais que la proximité reste, presque malgré eux. Hugh attrapa le bas de son tee shirt, le portant à sa lèvre blessée pour la compresser et faire cesser le sang. L'air frais de la nuit vint chatouiller son ventre un peu humide, sensation exacerbée par l'étrange situation dans laquelle il se trouvait.

Il resta un instant silencieux à la proposition de Brian, le tissus cachant agréablement sa bouche du regard du jeune homme. La proposition étira ses lèvres en un sourire amusé, son esprit ne pouvant s'empêcher de faire la comparaison avec Kantaro. Ce n'était certainement pas le jeune homme sérieux qui lui aurait fait ce genre de proposition.

"C'est vrai que je manque d'adversaire valable depuis que je suis ici."

Son rire étouffé par le tissus se calma, alors que le jeune homme se faisait plus songeur, le regard flou porté vers l'arrière. C'était ironique de parler de bornes d'arcades, comme s'ils avaient eut l'habitude de sortir pour jouer, eux qui avaient toujours tout fait en interieur, dans sa chambre. Parler à Brian rendait bien réel ce qui lui avait pris de considérer, par moment, comme une vague souvenir qui aurait put être un étrange rêve. Mais la présence de Brian l'attestait bel et bien, il y avait eut une époque ou il était resté cloitré dans sa chambre, sans sortir, pour sa sécurité... Une fois, au sortir du cours de dessin, brian l'avait entrainé dans un junkfood. Lorsque sa mère l'avait retrouvée, quelle crise ça avait été ! Ces souvenirs la étaient doux amers, et encore plus avec Brian présent à coté de lui.

"... Depuis que je suis ici je sors. Ca fait bizard."

Confession que seul Brian pouvait comprendre et apréhender à sa juste valeur, lui qui l'avait connu éternellement prisonnier de sa cage doré. Le gout metalique du sang persistait, et Hugh se leva subitement, mu par une impulsion.

"... Je rentre. Je te rapellerais."

En fait, il devait toujours faire ça, se laisser guider par les impulsions qui lui venaient comme lorsqu'il écrivait ses mangas. Ca lui donnait la marche à suivre et lui permettait de ne pas se retrouver décontenancé face aux imprévus. Le souffle court, il se dirigea vers les dortoirs avec un certain empressement, essayant de se concentrer sur l'idée de recuperer un glaçon pour calmer sa lèvre blessée pour ne pas laisser son esprit se faire envahir par les questions et les sentiments qui se bousculaient en lui.