Le coup de coeur de l'année. Des dix dernières années. Il n'osait poussé l'extrapolation jusqu'à parler du coup de foudre de sa vie, mais l'idée était presque là. Jamais Ran n'avait désiré quelque chose avec autant d'ardeur jusqu'à tout mettre en oeuvre pour l'avoir dans la journée, à piquer des caprices et avoir des exigences de star dont il aurait eu honte à tout autre moment.
Mais que pouvait-il dire d'autre devant les lignes superbes de sa nouvelle compagne, son ronronnement profond et agressif et toutes les qualités qu'il ne commençait seulement qu'à deviner après l'avoir montée pour la première fois. Avec un regard qui avait tout de celui de l'amant jaloux, Ranmaru gara sa toute nouvelle Ducati Diavel dans le parking de l'école et posa la main sur le chassis, restant un long moment à apprécier le rugissement du moteur et le frémissement de l'acier sous sa main avant de daigner couper le contact.

La journée avait pourtant commencé comme tragiquement banale. Il avait prévu d'emmener sa moto , son ancienne moto, se faire réviser, et de passer la journée en ville, où la nécessité de faire quelques achats l'aurait entraîné parmi les boutiques du centre commercial. Tel avait été l'idée de base jusqu'à ce que son regard se pose sur la moto en exposition chez le concessionnaire : un modèle d'exposition d'une moto italienne. Nouvelle, puissante et extrèmement chère. Elle avait été placée ici plus pour servir d'exemple que dans le but véritable de la vendre, mais l'intendant n'avait pas réussi à détacher son regard de sa forme si particulière et agressive, ressentant ses premiers émois d'adolescent, quand, à 16 ans, son regard s'était posé sur une certaine yamaha pour laquelle il aurait tout fait pour réussir à monter dessus. Dans un certain sens, il avait effectivement tout fait, puisque c'était ce qui l'avait poussé à devenir manequin pendant une très longue année pour avoir de quoi se payer le permis moto et sa première prétendante.

Sitôt descendu de sa première monture, confiée aux bons soins des mécanos, Ran avait tourné autour de la bête jusqu'à ce que le concessionnaire, amusé, lui propose de l'essayer. De là... l'histoire se résumait en quelques mots : il la voulait.
Si être écrivain avait ses avantages, Ranmaru n'aurait jamais cru qu'il en trouverait un dans les revenues de ses livres. Entre eux, et un salaire plus que confortable en tant qu'intendant dans un pensionnat de prestige, le motard n'avait eu qu'un coup de fil à passer à sa banque pour débloquer la les 3 millions de yens nécessaires à l'achat d'une moto monstrueusement hors de prix, revendant sans même sourciller sa fidèle Yamaha avec qui il s'était pourtant tellement amusé.
Repartir au guidon de son monstre s'apparentait quasiment à quelque chose d'orgasmique, et il n'avait résisté à l'envie de faire un long détour dans la montagne pour tester les qualités de sa nouvelle monture. Revenir se garer dans le lycée et quitter son nouveau jouet en devenait presque vexant.

Aucun regret ne venait entacher son coup de coeur, même quand son côté plus pragmatique lui rappelait qu'il aurait mieux fait de passer l'après-midi à rechercher l'appartement de ses rêves pour enfin quitter cette colocation de l'enfer. Mais quitte à être en enfer... au moins avait-il son diable pour l'accompagner maintenant.

(Il est totalement déraisonnable que je réponde maintenant, mais vu la mortitude du forum actuellement, je participe à l'effort de guerre xD)

Rude journée qui s'était déroulée là. Depuis quand de simples canalisations pouvaient tant poser de problèmes ? Ce n'était pas tant celles de l'école – celles-ci, merci mille fois, étaient en bonne état – que celles de son appartement qui avaient jugé bon de déclarer forfait dix minutes avant qu'elle n'aille à l'école. A croire qu'un gremlin s'était reconverti et avait quitté l'aéronautique pour se contenter de la plomberie. Il lui avait par conséquent fallu éponger en vitesse et finalement prendre sa matinée pour régler ce problème de tuyauterie bouchée avant de pouvoir se rendre sur son lieu de travail.

Et là, comme il était normal de le faire, ses collègues semblaient se relayer pour se foutre de sa poire à ce sujet, lui faisait réellement apprécier pour une fois dans sa vie d'être une femme. Elle n'osait imaginait les remarques qu'elle aurait obtenu si tuyauterie, chez elle, pouvait faire penser à autre chose qu'aux canalisations de son appartement.

Heureusement la fin du cauchemar arrivait. Kagome était restée plus tard à l'école ce soir-là avec dans l'idée de rattraper sa matinée perdue et s'apprétait à partir récupérer son bus lorsqu'en passant par le parking de Ginkgo, elle aperçut un homme revenir sur une grosse bécane qui n'avait pas forcément sa place par ici. Elle cligna des yeux quelques fois pour être bien sûr de voir le bon modèle et s'approcha de l'homme à l'arrêt. Car c'était un homme, chose indéniable, et il n'était pas bien grand comparé au gabarit de la bête mais surtout elle ne parvenait pas à voir de qui il s'agissait.

S'approchant finalement de lui, l'ex-catcheuse maintenant tout sourire reluqua sa machine qui vrombissait encore entre les cuisses du type. Ensuite seulement elle releva son regard sur le concerné.

« Jolie bécane ! Elle est neuve non ? J'l'avais jamais vu sur la parking avant ! »

La communion avec la mécanique fut hélas de courte durée, entachée par une présence qui se fit remarquer par une voix tonitruante et un regard étincelant envers sa nouvelle monture. Ran jeta un regard analytique vers la personne qui se tenait en face de lui, essayant de mettre un nom sur cette femme presque plus imposante que lui. Membre de l'équipe technique, assez peu discrète pour qu'elle l'ai marqué les quelques fois où ils s'étaient croisés. Et toujours aussi peu réservée à sa manière de sourire et de le fixer. D'un autre côté, de quelqu'un aux cheveux aussi flamboyant que ceux de son colocataire, il ne s'attendait pas à de l'élégance tout en retenue.

L'intendant coupa enfin le contact, ressentant de manière physique l'arrêt net du moteur sous son corps. Ce fut avec une petite moue déçue qu'il détacha son casque et le retira, prenant le temps de remettre ses lunettes correctement avant de poser son regard sur son interlocutrice pour lui répondre. En temps normal, la conversation aurait été courte, voir même infime, le japonais prenant à peine le temps de saluer l'autre personne avant de fuir vers un lieu moins peuplé, mais sa récente acquisition et le plaisir indicible qu'il avait eu à la monter l'avait laissé assez détendu pour envisager l'idée d'échanger plus qu'un seul mot, surtout autour de chère et tendre. Le regard intéressé de Kagome lui avait fait gagné un sceau d'approbation de la part de Ranmaru, chose rare s'il en était.

" Je l'ai achetée aujourd'hui oui, je viens juste de la tester dans les routes de montagne. Aussi agréable à manier qu'elle est splendide."

Il caressa une nouvelle fois la carrosserie sans se soucier d'être discret, avant de se redresser pour passer une jambe au dessus de l'arrière et presque sauter de la selle. La moto était grosse, indéniablement, mais l'assise n'était pas si haute que ça, lui permettant de s'installer avec autant de facilité qu'un enfant sur la selle d'un poney. L'ensemble était bien différent de sa yamaha précédente, et il lui faudrait encore quelques sessions d'entraînement avant de la maitriser parfaitement. Mais même ainsi, elle restait un plaisir unique.
Une fois les pieds au sol seulement, le casque posé sur la moto, Ran entreprit de retirer les lourdes protections de cuir qui lui donnaient un aspect bien plus impressionnant qu'il n'était en réalité. Gants, puis blousons se retrouvèrent rapidement sur la selle au côté du casque, alors qu'il faisait un dernier tour du propriétaire, histoire de vérifier que la moto n'avait en rien souffert de leurs premières acrobaties ensemble.

Mon Dieu qu'elle était belle ! Ouais, Kagome avait un gros faible pour les automobiles. Sa grande passion : les voitures de course. Une force indéfinissable, des lignes magnifiques, agressives, puissantes, un ronronnement doux à ses oreilles comme un filet d'eau en montagne. Et en l'absence d'un tel bijou, une merveille comme celle qu'il lui était donné de voir pile en cet instant était déjà un beau cadeau. Un merveilleux cadeau. Ça rattrapait très honorablement le début de journée merdique et la galère qui s'en était ensuivi.

Évidemment, vu le proprio de la Bête, aucune chance qu'elle y touche.Elle fut surprise de reconnaître l'intendant lorsqu'il enleva son casque, moins surprise de le voir relever ses lunettes d'un geste tellement habituels qu'elle ne put même pas lui demander si on l'avait changé avec le coincé aperçu le matin-même. Non, c'était bien le même gars mais avec des surprises, de bonne surprises à commencer par un goût délicieux en matière de moto. On pouvait presque lui pardonner d'être chiant comme la mort avec un tel critère de bon goût.

« Elle est magnifique ! »

L'exclamation transmettait si bien tout son ressenti en cet instant qu'elle ne rajouta pas un traître mot de plus tant qu'elle n'eut pas fait le tour de l'engin. Pendant ce temps son propriétaire ôtait ce qui le couvrait de trop, mais à cela elle ne prêta aucune attention. Il fallait être quelqu'un de particulièrement exceptionnel à ses yeux pour parvenir à la détourner du chef d’œuvre.

« 162 chevaux, un équilibre idéal entre la performance à haut niveau et la conduite sur route, des lignes du feu de Dieu. Vous avez du vendre un rein, mais quelle beauté ! »

Enfin, elle leva le regard sur lui, le fixa, cherchant presque à l'imaginer conduire. On lui en aurait parlé une heure plus tôt elle aurait trouvé l'idée cocasse, improbable, mais tous les rêves étaient permis. Gâcher autant de potentiel sur route n'était pas autorisé et il avait l'air d'aimer ce qu'il avait eu entre les jambes quelques heures durant. Avait-il les capacités pour emmener sa Ducati jusqu'au bout de ses capacités ? Sans entraînement sûrement pas, mais il révélait une passion insoupçonnée. Peut-être que...

La voix de Kagome le rappela à la réalité alors qu'il se laissait à nouveau envouter par les lignes gracieuses de son nouveau bébé. Vu son insistance, l'intendant aurait pu croire que la technicienne cherchait à l'aguicher, mais son regard, bien trop intéressé par la moto, et surtout ses paroles, ne pouvaient faire croire à autre chose, ce qui arrangeait parfaitement un misanthrope qui aurait détesté l'idée d'une tentative de drague tournant autour de sa moto. En lieu et place, s'extasier devant la Ducati était un passe-temps tout ce qu'il y avait de plus honorable. De toute façon, il n'était guère pressé de l'abandonner pour rentrer dans son appartement étriqué et surtout surpeuplé par d'encombrants colocataires : sa seule issue restant de s'enfermer dans sa chambre pour écrire, ce qui, au final, ne sonnait pas de manière aussi désagréable que cela aurait pu.

" Pour la conduite sur route, je confirme, elle se laisse guider comme une plume. Pour les hautes performances, je dois encore la tester sur circuit. Elle est plus puissante que mon ancienne MT-01, j'imagine que ça va être amusant de s'y adapter. 1200 cm³ pour une moto aussi légère, j'ai hâte de voir ce qu'elle va donner. "

Tenir une conversation quasiment normal avec une personne étrangère à lui, voilà qui tenait presque du miracle, voir du miracle complet si l'on prenait en compte que le japonais ne semblait ni agacé, ni offusqué de prendre un peu de temps pour échanger quelque mots avec la rousse en couvant sa moto du regard.
Heureusement pour lui, nul n'était là pour servir de témoin et ensuite utiliser cette conversation contre lui en essayant de lui prouver qu'il pouvait se montrer sociable, voir même, dans des conditions extrêmes, bavard. Ceci dit, ce n'était pas tous les jours qu'il craquait et s'achetait une moto sur un coup de coeur. Une fois cette après-midi un peu étrange passée, il n'avait plus à s'en faire.

Ran passa la main dans ses mèches sombres encore humides de sueurs après avoir passé tant de temps sous le casque, encore réticent à abandonner la moto seule sur le parking de l'école. Certes les élèves n'y avaient pas accès, la plupart du temps, mais n'importe qui pouvait y passer... et s'il n'avait pas eu de soucis avec ça avec l'ancienne, une certaine angoisse s'installée maintenant. Et sur laquelle, pragmatiquement, il allait devoir s'assoir, faute de pouvoir mettre son monstre sous son bras pour le cacher dans sa chambre.
Il aurait pu continuer à s'amuser sur route encore un peu mais... la raison était assez facile à deviner : il se refusait à se faire surprendre par la nuit et risquait trop de se faire avoir par le temps, l'esprit totalement au 7ème ciel sur sa moto. Mieux valait rester sage et reprendre tôt demain matin, quitte à se lever quand le ciel serait encore blanc pour être seul sur la route. Etre sage n'avait jamais été un soucis jusque là, pourquoi cela deviendrait-il un soucis, même pour les courbes glorieuses d'une jolie cylindrée ?

« Vous roulez sur circuit d'puis longtemps ? »

Kagome avait vraiment fait un effort extraordinaire pour gommer de son ton toute trace de perplexité trop intense. A la silhouette fine de son collègue, difficile de penser qu'il était assez en forme pour s'adonner à ce genre d'exercices pourtant quémandeur en énergie et en endurance. Il lui avait toujours fait l'effet d'une brindille qu'un coup de vent modeste aurait pu faire s'envoler.

« 'Tout cas si vous avez b'soin d'un mécano un jour, allez pas au garage. J'serai ravie d'pouvoir m'en occuper. 'Fin j'suppose qu'vous savez faire les réparations d'base déjà. »

Comme tout bon motard. Quand on achetait une telle bête, il était impensable d'être ignare du fonctionnement de sa belle. Et totalement irresponsable de s'offrir une telle beauté quand on ne savait pas en prendre soin. Cependant le petit gars de l'intendance avait l'air d'aimer assez son joyaux et la moto en général pour savoir se débrouiller.

Ranmaru releva lentement les yeux, fixant la technicienne sous ses cils à moitié baissé. Si la demoiselle avait eu l'impression de ne pas trop faire par de l'incrédulité dans son ton, cela ne semblait guère être le cas du point de vue de l'intendant, outragé dans sa sensibilité de motard. Remettait-il en cause ses capacités techniques parce qu'elle était du beau sexe ou parce qu'elle avait besoin de cacher la couleur naturelle de ses cheveux sous une teinture digne de celle d'un drama ? Le japonais détourna fermement le regard, préférant contempler à nouveau la carrosserie d'un noir étincelant qui lui inspira immédiatement une nouvelle bouffée de plaisirs.

" Presque dix ans. J'ai quasiment toujours eu des motos trop puissantes pour être utilisables à leurs limites sur route. "

Ce n'était pas pour rien qu'il s'était exhibé dans des tenues pas toujours recommandables sur des podiums ou sous le regard presque obscène des objectifs d'appareil photo : devenir mannequin avait eu l'objectif bien précis de s'offrir son permis et sa toute première moto, avec un large choix qu'un budget d'étudiant avec n'importe quel autre job ne lui aurait pas permis. Et dès la première fois, dès sa première moto entre les jambes, cela avait bien valu toutes les humiliations et les coups au moral qu'avait valu d'accepter de devenir mannequin.
Heureusement, ces dernières années avaient permis d'allier tous ses plaisirs : être écrivain et s'offrir des belles motos. Sans cette ressource là... il aurait surement tranché ailleurs pour éviter de devoir repasser par la case modèle, même s'il n'avait pas l'arrogance de croire que son physique d'adulte avait le même attrait qu'avait pu avoir son physique d'adolescent éphèbe.

La proposition de Kagome fut reçue avec presque autant d'aménités que son ton étonné. Mais pour qui se prenait-elle ? Cette fois-ci, la virulence du ton de Ran ne fut pas teintée de l'adoration qu'il portait à sa moto.

" Si par le plus grand des hasards je me heurte à quelque chose dont je ne saurais me débrouiller, je penserais à vous. "

Malgré ses paroles, son ton laissait clairement comprendre qu'il aurait besoin d'être à l'agonie pour laisser Kagome toucher à la prunelle de ses yeux. S'il n'avait déjà été méfiant à son égard, le fait qu'il ne connaisse rien à ses compétences, si ce n'était ses capacités à réparer la photocopieuse régulièrement malmenée du secrétariat, ne l'incitait guère à lui confier le bien-être mécanique de sa nouvelle monture. De toute façon, il s'en débrouillait parfaitement seul !

Ah, elle l'avait vexée. Un demi-sourire fleurit sur ses lèvres avec l'amusement et elle daigna enfin accorder au motard une réelle attention. La chose l'amusait assez souvent et dans le même temps il fallait avouer qu'elle préférait ça : voir une personne prendre réellement soin de sa voiture ou de sa moto était une chose rare. Que ladite personne s'y connaisse pour la réparer encore plus. Pour la plupart des gens – encore plus pour ce qui était les voitures et elles restaient ce que Kagome préférait – ce n'était que des engins destinés à les emmener d'un point A à un point B sans faire de caprice.
A l'évidence, pas pour l'intendant.

« L'prenez pas mal, j'remettais pas en cause vos compétences. J'suis mécanicienne bien avant d'être technicienne et r'mettre les mains dans l'cambouis m'manque un peu, rien d'plus. Surtout sur c'genre de merveilles, j'en ai pas r'vu beaucoup d'puis l'circuit d'Suzuka.

Mais bah, j'vais vous laisser. » Elle haussa les épaules et redevint un peu taquine. « Ravie d'voir que vous avez bon goût en tout cas. Et bonne soirée Murakami-san. »

Entre soulagement et agacement, Ran regarda partir cette femme au fort caractère bien trop intéressée à sa moto à son gout. Ancienne mécanicienne sur le circuit de Suzuka ? Un nom difficile à ne pas connaître pour tout féru de belles mécaniques, et il n'avait pas tellement de raisons de remettre en question ce qu'elle disait. De toute façon, ce n'était pas pour autant qu'il laisserait quelqu'un toucher à sa moto les yeux fermés.
Une fois seul et enfin capable de se laisser aller à un mouvement de détente, l'intendant leva la main pour retirer quelques secondes ses lunettes, se massant les globes oculaire de l'autre main. Il avait parfois l'impression d'avoir des douleurs ou des ombres étranges dans les yeux, quelque chose qu'un simple geste physique pourrait chasser. Las, il n'y aurait aucune différence entre ce moment et celui où il rouvrirait les yeux, à part ces deux secondes où il peinerait à retrouver une vision parfaitement nette parce qu'il avait un peu trop appuyé.

S"il avait été parfaitement honnête avec lui, il se serait avoué que l'achat compulsif de sa moto, et sa manière aussi possessive de veiller jalousement dessus, était lié à l'état de ses yeux, à l'envie brulante d'en profiter tant qu'il était possible et qu'il n'était pas encore trop dangereux sur la route. Tant qu'il ne savait pas de combien de temps il disposait...
Mais l'intendant était de mauvaise foi, et totalement dans le déni quand il s'agissait de ses yeux. Mieux valait mettre son attachement à la diavel sur le fait de ses courbes magnifiques et du ronronnement délicieux de son moteur.

Avec un soupir, le japonais remit correctement ses lunettes et jeta un dernier regard de fierté à sa nouvelle moto avant de charger son casque sur un bras, gants nettement posés dedans, et de prendre son blouson de cuir sur l'autre bras. Malheureusement, il ne pourrait guère la ramener sur la terrasse de son appartement, donc autant se faire à l'idée qu'elle allait devoir rester sur le parking quand il ne serait pas avec elle.
Direction l'appartement... pour prendre contact avec le circuit du Mont Fuji pour savoir quand est-ce qu'il pourrait venir s'éclater.

La visite de la maison était prévue pour un peu plus tard dans la soirée. Akutsu avait profité toutefois de son après-midi libre pour aller sortir Hiro du chenil et faire une longue promenade en sa compagnie, entre jeu et dressage. Le chiot était surexcité au possible dès qu'on lui laissait l'occasion de sortir de sa cage, chose aisément compréhensible, et d'autant plus aux yeux de son maître qui l'adorait d'ors-et-déjà. Si le cadeau que lui avait fait Cathan pour son anniversaire était teinté par une touche de moquerie, n'en restait pas moins qu'il avait bien choisi. La bonne humeur du maître comme de son chien tendaient à se répandre comme une épidémie, tant d'ailleurs qu'une simple promenade s'était grandement allongée à force que le chien obtienne des caresses venant des passants. Et plus spécifiquement des passantes.

Akutsu avait donc espéré couper à travers le parking pour raccompagner le chien et aller se préparer. Le chemin s'avérait plus court et on croirait assez peu de monde en temps normal, en tout cas moins que par l'entrée classique où les élèves traînaient encore, internes comme externes. Le roux n'aurait pas pensé qu'il y tomberait sur son colocataire, toutefois, encore moins quittant une moto qui indéniablement était neuve : il en savait quelque chose puisqu'ils avaient fait la course l'un contre l'autre déjà.

« Murakami-san ! »

Un grand sourire dans la voix, un autre sur ses traits. Il pressa le pas et bientôt ce fut Hiro qui courut devant lui, l’entraînant avec joie jusqu'à ce que son maître tire sur la laisse pour le couper dans son élan. Le chiot revint vers lui et se tint à ses côtés l'espace de deux secondes. Ensuite, il s'occupa à renifler l'inconnu sous l’œil bienveillant du rouquin.

« Vous avez changé de moto ? Je suis pourtant bien sûr que ce matin encore vous aviez la Yamaha. »

Un jappement et un bruit de griffes sur le bitume précéda la voix joyeuse de son colocataire. Surpris, l'intendant baissa le regard jusqu'à tomber sur un jeune chien qui reniflait son pantalon de cuir avec grand intérêt. Au bout de la laisse du chien, un professeur d'anglais décoré de son habituel large sourire qui posait un regard considérateur sur sa moto.
De tous les gens qu'il croisait à Gingko, Moe était probablement le seul en lieu et place d'être vraiment étonné de son changement rapide et radical de moto, puisqu'il l'avait associé avec la précédente. Au point de l'avoir croisé ce matin avec ? Possible, il n'avait guère fait attention aux faits et gestes de ses colocataires, ce qui ne signifiait pas forcément que l'inverse était vraie aussi. Et tout simplement, il n'y avait pas tant de motos que ça sur le parking : pour quelqu'un qui aimait faire attention à ce genre de détails, il était facile de repérer les différentes motos et même leurs allées et venues.

" Quel esprit de déduction... Non, ce n'est plus la Yamaha et oui, j'ai changé aujourd'hui. "

L'art des des évidences était quelque chose d'agaçant. Oui, il avait changé de moto et ne comptait pas en faire une annonce pour le dire à tout le lycée.
Quelque peu sur la défensive, l'écrivain n'envisageait pas d'expliquer ou de ré-expliquer qu'il avait eu un coup de coeur sur la moto au point de l'acheter sur le champs alors que rien n'avait été prévu en ce sens. De toute façon, elle était assez belle pour le laisser comprendre aisément, n'est-ce pas ?

A ses pieds, la petite bestiole se désintéressa de son pantalon pour commencer à fureter un peu trop près des roues de sa moto à son gôut. Le comportement des chiens étant ce qu'il était, il n'avait guère envie qu'il ne marque son territoire dessus. D'une main ferme, Ran intercepta la laisse et tira légèrement dessus pour attirer l'attention de l'animal. Peu habitué aux chiens, il ne savait pas jusqu'à quel point il pouvait tirer sans lui faire mal et ne comptait pas essayer de le savoir.

" Ne t'approche pas de trop près toi."

Une vague grimace déforma ses traits en voyant son colocataire tirer avec trop de vigueur sur la laisse pour retenir le jeune chiot. Celui-ci émit un léger couinement et regarda vers son maître, lequel tapota sa cuisse pour l'inciter à revenir vers lui. L'obéissance de l’animal ne durerait certainement pas et Aku ne doutait pas qu'elle soit due à la brève frayeur que lui avait causé l'intendant, mais le chien revint s'asseoir à ses pieds. Durant cinq secondes au moins.

« Vous vouliez être sûr d'être plus rapide ? » s'amusa-t-il en raccourcissant la laisse pour ne pas laisser Hiro aller trop près de la moto. « Pourtant vous vous en sortiez honorablement jusque-là. »

Honorablement oui. Avec un rien de mauvaise foi cachée par un sourire malicieux. L'actuelle moto d'Akutsu ne tenait que difficilement par rapport à la précédente de son colocataire. Achetée quelques mois plus tôt à un professeur mourant de la Hamura High School, il n'avait pas envisagé d'en changer jusqu'à présent. Toutefois, à mesure que son regard se posait sur la superbe machine de l'intendant, il se demanda s'il ne serait pas tant de s'y mettre.

« Une course sur circuit ne vous fait pas envie ? Je suis curieux de voir lequel d'entre nous s'en tirera le mieux. »

Un zeste de masochiste ? Peut-être, et plus probablement une envie de voir ce que ça pourrait donner. Le roux ne doutait pas vraiment du résultat, avec une telle bécane nul doute que Murakami lui passerait devant avant qu'il ait le temps de comprendre. Il ne put toutefois par lire sur le visage du brun ce qu'il pensait de sa proposition. Hiro ne pouvant plus atteindre la moto se contenta de tourner autour du second homme jusqu'à lui bloquer le passage entre la laisse et le propre corps de l'animal.

« Hiro, reviens ici ! Non, dans l'autre sens, tu vois bien que tu ne peux pas par là. L'autre sens Hiro... »

Difficile de surveiller à la fois le chiot et la moto, mais Ranmaru s'en sortait admirablement bien en jouant les girouettes, lorgnant sur le chien et son maître avant de vérifier que sa toute belle ne souffrait d'aucune indignité.
S'il n'y avait pas de raison de reprendre la première remarque du professeur d'anglais, vu qu'ils savaient exactement tous les deux où ils se situaient sur un circuit, à savoir lui devant et l'autre tentant péniblement de le rejoindre, du moins la plupart du temps. La seconde amena un vague sentiment de curiosité mâtinée de défi chez lui. Rouler était intéressant, surtout avec sa princesse. Rouler à deux et se défier était un excellent moyen de pousser ses capacités à son paroxysme.

" Je comptais appeler le circuit pour savoir quand est-ce que je pourrais aller la tester justement. Je vous tiendrai au courant de la date."

Aucun doute n'existait dans la tête de l'intendant sur qui s'en sortirait le mieux. La seule question qui restait était de savoir au bout de combien de tours de circuits il maitriserait assez sa bête pour oser la pousser dans ses retranchements, ce qu'il attendait de faire depuis qu'il avait posé ses fesses sur la selle et n'avait encore eu l'occasion en toute sécurité.

Loin de suivre les idées de son maître ou de l'intendant, l'akita inu décida de choisir son moment pour tenter une attaque fourbe à l'aide de sa laisse, tournant autour des jambes de Ranmaru d'un mouvement vif, presque douloureux quand la corde serra brutalement ses mollets. Si le cuir de son pantalon empéchait tout risque de brulure, l'intendant ne put que céder à la pression de la corde et faire un pas en avant pour ne pas tomber, pas en avant qui l'emmena droit à la collision avec Akutsu, auquel il dut se rattraper, une main sur l'épaule pour ne pas tomber sur sa moto. La position était peu confortable, mais l'idée de tomber sur la ducati était plus terrible encore.

De sa position forcée, un bras tendu sur le côté pour ne frapper personne avec son casque, Ran leva un regard noir sur le rouquin sur qui toute la responsabilité du non-dressage de son anima reposait.

" Votre chien est encore plus agaçant que vous je crois. "

Sans trop de surprise, la proposition avait été accepté rapidement par l'intendant. Si sur bien des points ils avaient du mal à trouver un terrain d'entente – le caractère enjoué du roux n'aidant pas – il s'avérait que depuis le début la moto constituait un excellent moyen de se rapprocher de lui. Et Akutsu appréciait plus que tout d'être proche de ceux qui constituaient son entourage proche, fut-ce à leurs dépens.

Ce qu'il n'avait pas du tout envisagé néanmoins, c'est qu'il se retrouverait avec son colocataire accroché à lui. Situation aussi comique que mal vécue par le brun en question, mais qui amena sur les lèvres du cadet un sourire aussi amusé que taquin. La malice mal contenue du jeune homme vexerait certainement celui qui venait d'accepter son défi, mais valait bien ce qu'il entendait à son sujet. Lui, agaçant ? Mais tout le monde l'était aux yeux du brun !

« Allons, il est jeune, c'est tout. » tempéra-t-il avec un rire dans la voix. « Ne bougez pas, je vais essayer d'arranger ça. »

Arranger ça signifiait démêler la laisse des jambes de l'intendant, de préférence sans que l'akita inu se sauve ou empire les choses. Pour se faire, le roux passa un bras autour de la taille de son colocataire en essayant d'oublier que l'homme devait le maudire – lui et toute sa descendance en fait – et fit ainsi faire le tour à la laisse jusqu'à lui rendre sa liberté.

« Vous voilà libre Murakami-san. Je suppose qu'il est inutile de vous proposer de venir avec moi jusqu'au chenil pour raccompagner Hiro ? »

Avec une patience forcée, Ran laissa Akutsu le libérer de ses entraves sans bouger plus qu'il ne le fallait, agacé de n'avoir qu'une image très floue de ce que faisait les mains du jeune homme dans son dos. Fichue vision périphérique totalement inutilisable, qui le génait plus que sa myopie pourtant importante.
A propos de ça, quand était le prochain rendez-vous chez le spécialiste ? Dans trois mois, peu ou prou, pour dire à quel point sa vue s'était dégradée. Rien qui ne le motive à penser à l'avenir en tous cas.

La laisse se désserra trop lentement à son gout, lui laissant enfin la possibilité de s'écarter d'un pas et de respirer, non sans jeter un regard mauvais à la créature canine dont la langue pendant en un sourire heureux. Tout aussi inutile que son maître en fin de compte. La question rhétorique ne lui fit même pas hausser un sourcil, habitué qu'il était maintenant au comportement extravagant de son jeune colocataire. L'intendant commençait à comprendre petit à petit le fonctionnement du professeur d'anglais, et la manière délicate de jongler entre l'ignorance – pour ne pas devenir dingue – et un fond d'intérêt pour ne pas inciter l'autre homme à surenchérir dans la démesure. Agaçant comme il était, c'était plus que probable.
Sans oublier les rares moments, en général autour de la moto ou d'un bon livre, où il était tout simplement buvable. De là à dire que cela valait le coup de le supporter le reste du temps, il y avait encore un fossé que Ranmaru n'était pas prêt à franchir.

" Si seulement vous pouviez être plus souvent aussi clairvoyant... A plus tard."

Il ne se leurrait pas. Tant qu'ils habiteraient ensemble, il lui serait impossible d'échapper à Akutsu. L'idée n'était pas si angoissante que ça... selon les moments. En contemplant sa moto et en penchant à une course prochaine, elle restait même supportable.