La situation n’était pas si catastrophique. D’un point de vue « normal », elle était même assez courante pour beaucoup de jeunes gens. Certes, depuis quelques temps, les hommes semblaient plus touchés qu’avant, mais qu’à cela ne tienne, ça n’avait rien de si extraordinaire. Ca, c’est ce que l’on pense. Les femmes rajouteraient même – avec un petit sourire en coin – ça fait plaisir de voir un jeune papa impliqué dans la vie de son enfant. Oui… Mais non. Sheikhan n’était décidément pas de ces gens qui se souciaient de la vie de leur progéniture. Loin de là. N’ayant pas hésité à laisser tomber la mère comme leur gosse, il s’était ainsi obtenu 3 ans de paix qu’il avait utilisé à bon escient. Enfin il avait essayé.

« Shèkhanne ! »

Il n’avait même pas pu se résoudre à lui dire de l’appeler papa. La mine déconfite, le brun observait la petite fille depuis déjà quelques minutes. Tsukiyo attendait bien sagement, jouant avec sa poupée jusqu’à ce que le regard de son géniteur ne commence à lui peser. Elle avait levé deux yeux plein d’innocence sur son gardien du moment. Un gardien qui, s’il s’évertuait à ne pas le montrer, était vraiment déboussolé face à l’évènement.

« Bon, je suppose que je peux t’emmener… jouer quelque part. »

Il connaissait bien le quartier, il savait où se trouvait le terrain de jeux. Le problème venait du fait qu’il n’arrivait pas à se résoudre de s’y rendre. Bon sang ! Il n’avait pas que ça à faire ! Il avait du travail ! Pourquoi est-ce que l’autre gourde avait jugé utile de lui refiler la gosse pour la journée ? Ah oui « t’as jamais rien fait pour nous, tu peux bien nous rendre ce service ». Nom de Dieu ! Il n’avait même pas pu refuser !

Il soupira. Il se leva ensuite, puis il habilla l’enfant et sortit enfin. Il ne fallut pas longtemps pour qu’ils arrivent à destination, mais il s’arrêta vite. Non loin de là, dans la rue, se trouvait l’une de ses… cibles. La fille de Shokuboo Inochi. Une fille dont il ne pouvait pas s’occuper parce qu’il avait littéralement sa môme sur les bras. Une fille qui regardait vers lui, d’ailleurs et à qui il adressa un sourire narquois, avant de crier d’une voix forte pour couvrir les rires d’enfants.

« Eh bien ! Tu retournes en enfance ? Une envie de toboggan peut-être ?! »

C’était si rare les échanges dénué de colère, de haine ou de vice. Lui qui avait l’habitude tout faire en mêlant ça à des émotions fortes se retrouvait étonné de ce genre de conversation. Il ne la connaissait pas plus que ça. Bien sûr il l’avait déjà croisé. Bien sûr il connaissait tout ce qu’il avait besoin de savoir sur elle, mais rien de plus. Et vraiment, ça ne le tentait pas d’en savoir davantage. Les gens étaient intéressants tant qu’ils gardaient leurs mystères.

C’est ainsi qu’il se mit un sourire légèrement. Un étirement des lèvres où il n’y avait aucune trace de moquerie, juste un peu d’amusement. Ça ne dura pourtant pas. Pas parce qu’il ne voulait pas montrer à la brunette que sa réplique l’avait amusé mais tout simplement par habitude. Lui qui devenait étrangement sociable ces derniers temps ne tenait tout de même pas à perdre tout ce qu’il avait si chèrement gagné : un masque relativement efficace.

« Qui sait ! On ne devrait jamais juger les gens sur les apparences. »

Une phrase banale. Vraie mais atrocement commune. Il aurait pu dire ça comme n’importe qui d’autre, pourtant il y avait une véritable signification à cette phrase. Certes, il n’était pas là pour l’adolescente pour le moment, mais pour la gamine qui gigotait dans ses bras et qu’il relâcha. Une fois qu’il lui donna quelques directives simples – en somme, de faire attention – il fit quelques pas vers la Japonaise.

« Shigaya-san, si j’ai bonne mémoire ? »

Sheikhan se retint de rire. Sa bouche s’arqua légèrement malgré sa tentative pour réprimer son sourire. Il n’hésita qu’une fraction de seconde avant de lui répondre. Sa voix aux tonalités graves et – juste pour cette réponse – charmeuses se fit entendre, couvrant à nouveau les bruits provenant des jeux qu’il ne lâchait jamais longtemps du regard.

« Ne le prends pas mal, mais tu n’es pas mon genre. Je t’aurais bien fait une démonstration de mes… autres talents sinon. »

Non qu’il se réduise à ça, entendons-nous bien. S’il se qualifiait sans mal de séducteur – c’était pour la (sa) bonne cause – il savait aussi qu’il valait plus. Bien plus. Il n’était pas d’un naturel prétentieux ou vaniteux mais rien ne l’exaspérait plus que la fausse modestie. Pourquoi toujours se réduire devant les autres pour faire mine d’être plus accessibles qu’on ne l’était ? Non, ça n’était pas son genre. Il était beau, il était séduisant, au dire de certains (et il les croyait sans mal) il était fascinant, mais plus important, il était rusé et intelligent. Ca prévalait sur tout le reste.

Toutefois, il ne lui vint pas à l’esprit de rajouter ça à sa réponse. Elle se suffisait à elle-même et Majoren Shigaya était assez subtile pour comprendre d’elle-même. Il avait plaisanté – chose assez rare pour être relevé. Mieux, il avait plaisanté avec une presque inconnue. Peut-être le prendrait-elle mal, certaines femmes étaient sensibles. D’ailleurs, il le reconnaissait sans mal, il était macho. Non qu’il le soit pour rassurer sa virilité, mais il n’avait jusqu’à présent croisé que des femmes ou futures femmes faibles.

Peut-être était-elle différente ? Quelque part, il en avait bien envie. Allez savoir pourquoi !

Les grands esprits se rencontrent, dit-on. Il semblait que ce soit leur cas. L’un et l’autre finissait par se laisser prendre au jeu de discuter avec quelqu’un qu’ils ne connaissaient que peu. Ils ne devraient pas, ils le savaient. Sheikhan ne perdait pas de vue son objectif final mais appréciait aussi ces moments de calme teintés d’humour qui redoraient une journée mal entamée. Cette fille était intéressante. Elle lui avait toujours fait l’effet d’une demoiselle un peu hors-norme, et pas seulement parce qu’elle était effrayante pour le commun des mortels.

« C’est une chose qui m’échappe – de porter tant d’intérêt à la gente féminine j’entends, mais je suppose que l’on vit avec sans mal. »

Là encore, il ne faisait que la taquiner un peu. C’était même dans un japonais pour une fois sans le moindre accent américain et sans faute grammaticale qu’il s’était exprimé. Une chose rare pour lui qui mâchait ses mots et s’amusait à passer pour moins bien intégré qu’il ne l’était réellement. Plus officieusement encore, il avait surtout cru comprendre que ça plaisait. Et même si s’attirer la sympathie des gens ne l’intéressait pas tellement, séduire, en revanche, n’était pas une chose à laquelle il tenait à renoncer (même casé).

« Shit ! »

La gosse venait de tomber au sol. Ses pleurs qu’il entendait de là où ils se trouvaient l’agaçaient déjà. Il marqua pourtant une pause avant de se diriger vers elle pour la récupérer. Une hésitation plus qu’un temps d’arrêt d’ailleurs. Les enfants avaient toujours tendance à pleurer puis se calmer tous seuls quand on leur prêtait un peu d’attention. D’ailleurs, Tsukiyo ne fit pas entorse à la règle. A peine l’avait-il redéposé sur le sol à ses pieds qu’elle s’était remise à courir en direction des jeux. Les enfants alors !

« Mais comment font les baby-sitters ? »