Vendredi après-midi, fin de semaine. C'était le moment que choisissaient souvent les adolescents pour sortir entre eux en ville, pour partir plus tôt chez eux, pour vaquer à leurs activités extra scolaires, ou pour tout simplement se détendre, parce que de toutes façons, ils avaient le week end entier pour faire leurs devoirs, pas vrai ? La plupart des étudiants pensaient ainsi. Et les plus bosseurs préféraient rejoindre le silence de la bibliothèque pour potasser ou s'assurer un week end tranquille. Hugh ne comptait pas vraiment parmi ceux la, mais il était tout de même la, occupé à travailler à une table un peu à l'écart derrière les étagères, l'air concentré entre ses piles de livres.

Simplement vêtu d'un ample sweat à capuche de sous lequel se laissaient voir les pans d'une chemise à carreaux mal ajustée, il détonnait des autres étudiants présents, aux mises plus appliquées ou plus discrètes. Il fallait dire qu'en plus de ses cheveux blonds dont la simple couleur faisait se retourner les filles sur son passage, il avait la tête sertit de petites barrettes qui lui maintenaient les cheveux en arrière, pour ne pas être gêné alors qu'il étudiait.

Car pour étudier, ça, il y passait du temps. Il n'aurait jamais cru que le transfert de sa scolarité au japon serait ainsi jalonné d'embuches. Il y avait tout d'abord le changement du mode d'apprentissage : Il était passé de professeurs particuliers aux études en groupe, et cela changeait toute la donne. Entre les fois ou il y avait du bruit, celle ou le cours devenait trop lassant, celles ou le prof ne répondait pas à ses attentes... Sans compter les fois ou le niveau était tout simplement bien au delà de ce dont il se savait capable. Cela jouxté à la barrière de la langue qui s'avérait soudainement plus difficile qu'il ne l'aurait cru.

Il savait parler japonais, bien sur, mais dans un contexte scolaire, pour les mathématiques, la physique, la biologie... C'étaient la des domaines usant de vocabulaires spécifiques qu'il n'avait pas l'habitude d'utiliser. Le jeune américain se retrouvait pas conséquent doté d'un retard scolaire de plus en plus important, qu'il s'efforçait de limiter en travaillant de cette manière à la bibliothèque, dictionnaires à portée de main.

Le jeune homme bailla, ennuyé. Il eut largement préféré dessiner tranquillement dans sa chambre ! Mais encore pour cela eut-il fallut qu'il soit seul, ou du moins que ses colocataires ne soient pas trop intéressés par ce qu'il faisait. Ou qu'il ait une chambre à lui aussi. Il joua du bout des doigts avec la lettre qu'il avait trouvé ce matin sur son bureau, stipulant son déménagement à la chambre 6... Au sortir des cours, il avait donc réunis ses affaires et les avait apportées dans ladite chambre, dont un seul lit était encore inoccupé apparemment, proche de la fenêtre. Hugh avait posé ses sacs sur son lit, un peu ennuyé par la tournure des choses. S'installer sans d'abord prendre connaissance avec les autres... Il avait finalement choisi de rallier la bibliothèque pour travailler. Il aurait tout le loisir de s'installer dans sa nouvelle chambre le soir venu.

Machinalement, il commença à griffonner un visage sur le dos de la lettre imprimée. Il n'avait pas très envie de travailler, surtout avec ce beau soleil à l'extérieur. Son crayon lui glissa soudainement des mains, tombant au sol. Soupirant, le blond se courba de coté pour le ramasser, avant de réaliser qu'il était aux pieds de quelqu'un. Il leva les yeux pour voir de qui il s'agissait.

Il ne fallait pas être grand clerc pour voir que l'adolescent au cheveux châtains qui marchait à grand pas dans la bibliothèque n'était pas de bonne humeur. Que ce soit à cause de son visage fermé, ses yeux bruns lançant des éclairs, le pli serré de ses lèvres, ou sa manière de marcher à grands pas qui faisaient tout de suite sembler le lieu minuscule, il ne donnait pas l'envie d'être dérangé.
Pour tout dire, il aurait bien étranglé le prof d'anglais ! Ce sadique aux allures de pervers s'était amusé à leur donner des titres de livres à étudier, en leur demandant d'avoir lu le premier chapitre pour lundi. Livre qu'il ne possédait pas bien sur, et dont il n'avait jamais entendu parler. Et à lire en anglais, bien sur. Il avait autre chose à faire le week-end... par exemple ses divers entrainements. Il n'avait pas envie de finir comme une endive voutée sur les livres comme certains des élèves de sa classe. Il voulait bien bosser en semaine, mais le week end était à lui.

Mais un minimum de sérieux l'avait quand même ramené à la bibliothèque, histoire de prendre le livre en vitesse. Il y jetterait un coup d'oeil cette nuit avant de dormir. Un chapitre, ça ne devait pas être la mer à boire, non ?
Le classement des ouvrages étaient assez simple, et trouver la section littérature anglaise des plus faciles. Par contre, se repérer en romanji demandait un certain temps d'adaptation pour le japonais pas très bien entrainé qu'il était.

" The murders in the Rue Morgue..."

Marmonner le titre dans son anglais de pacotille n'était pas ce qui l'aiderait le plus, mais il y avait quelque chose de rassurant dans le fait qu'il ne l'avait au moins pas oublié. Il avait choisi ce titre pour le côté ludique. Après tout, meurtres et mystères sonnaient mieux que Jane Eyre ou tout autre connerie romantique qui l'aurait endormi avant la fin du premier chapitre.
Malheureusement le titre ne lui apporter rien sans l'auteur qui était... qui était. Eiji manqua de d'envoyer valser le premier livre venu. Cet écrivain américain qui faisait dans le morbide ! Impossible de s'en souvenir. Et aucune envie de faire l'aller-retour dans sa chambre pour voir sur son classeur d'anglais le nom de l'auteur.

Eiji fit quelques pas de plus, non loin d'une table où étudiait un de ses condisciples, espérant juste que tous ces noms d'auteurs alignés finiraient par lui rafraichir la mémoire. Le jeune homme sursauta quand son pied entra en collision avec quelque chose, envoyant valser un crayon sous la table. Son regard tomba sur le jeune homme blond penché devant lui. Il avait déjà vu ce visage, sans arriver à se souvenir précisément où. Décidément, ce n'était pas le bon jour pour ses facultés cognitives...

" Désolé "

Le jeune homme s'agenouilla et tendit le bras pour récupérer le crayon qui s'était enfui sur la table, avant de se relever pour le poser à côté du cahier du blond. Cahier aux exercices bien familiers...

" Excuse-moi, tu es bien en 5ème année ? Est-ce que tu pourrais me dire quel est l'auteur que le prof d'anglais nous a demandé de lire pour le week-end ? Impossible de m'en souvenir et je ne veux pas me taper l'aller-retour... "

Gentiment en train de bosser, avec un peu de chance, ce serait un garçon habitué à bien écouter en cours. Ou alors, il aurait le nom marqué sur un coin de ses cahiers.

Hugh retira sa main tout juste à temps pour ne pas la voir éborgnée par la marche rageur du jeune homme en face de lui. Relevant la tête, Hugh retint un "ho" de surprise. C'était le coureur de l'autre jour, celui dont il avait fait croquis et photos ratés avant qu'il ne s'enfuit au triple galop. La reconnaissance était-elle réciproque ? Hugh avait du mal à en juger. En tous cas, seule la démarche du sportif était agressif, car il s'accroupit aussitôt avec un mot d'excuse pour ramener le crayon volage sur la table.

"Ce n'est rien..."

La question le surpris. Ils étaient dans la même classe ? Il fallait avouer que le jeune homme n'avait pas encore prêté attention à tout ses camarades, trop concentré sur les cours pour avoir le temps de batifoller. Hugh pencha la tête avec une petite moue, observant Eiji. De prêt, il avait un visage encore plus joli. Hugh remarqua une petite boucle d'oreille en forme d'étoile à son oreille, et eut un leger sourire.

"Edgar Allan Poe ?"

Le nom coula avec facilité de ses lèvres. L'auteur était américain, et il avait déjà étudié plusieurs de ses classiques à l'école. Tapottant ses lèvres du bout de son crayon, Hugh se mit à marmonner les titres de l'auteur dont il se souvenait.

"Il y avait The Purloined Letter, The murders in the Rue Morgue, et aussi The Pit and the Pendulum... Je ne me souviens pas des autres. "

Les termes anglais coulaient avec facilité dans sa bouche, les mots japonais intercalés en devenant soudainement bancal, son accent bien plus marqué alors qu'il enchainait termes anglais et termes japonais. Exercice difficile auquel il n'était pas habitué. Hugh se frotta la nuque avec un petit soupir.

"Que des classiques, je les aient déjà tous lu. Les professeurs japonais n'ont pas vraiment beaucoup d'imagination pour le choix des œuvres !"

Soupira t'il, même si au fond, il se réjouissait un peu de cet état de fait. L'étude de l'anglais était la seule matière ou il pouvait se tourner les pouces, voir réfléchir aux autres matières. Mais s'en était presque ennuyeux également.

La manière dont le blond le fixa laissa Eiji perplexe. Il avait pris un coup de soleil dehors ? Enfin au travers d'une vitre pendant les cours ? Apparemment, il cherchait juste à le ressituer, un peu comme lui qui n'avait pas été sur, jusqu'à voir le cahier, que le jeune homme était bien dans sa classe. Le jeune homme resta immobile sous le regard scrutateur, quand enfin le garçon proposa le nom tant attendu de l'auteur, avec un accent si parfait qu'Eiji ne l'aurait pas compris s'il ne l'avait pas déjà entendu. Avant de remettre ça, prononçant plus aisément les titres en anglais que le japonais destiné à lier les mots entre eux.

" Tu es anglais ? "

Difficile de ne pas être curieux et de ne pas poser la question quand on se retrouvait face à un spécimen pareil qui maniait l'anglais plus facilement que le japonais. Et dont les mèches blondes trahissaient de toute façon une ascendance autre que japonaise. Avait-il raté un détail dans la brochure de Kobe ? Celle qui parlait de la quantité étonnante de lycée d'origine étrangère entre ses murs ? C'était probablement une bonne chose, mais le brun s'en retrouvait parfois un peu perdu, ses classiques repères japonais chamboulés face à des personnes qui ne les connaissaient pas toujours malgré toute leur bonne volonté.
Une excellente manière de rendre un peu plus cosmopolite des japonais un peu trop xénophobes et enfermés sur leur petite île.

Les lèvres d'Eiji s' ourlèrent d'un sourire légèrement moqueur, à ses dépends plutôt qu'à celui de son interlocuteur. Il voulait bien croire que ses professeurs n'avaient pas beaucoup d'imagination. C'était même une plainte récurrente devant tous les exercices triste à mourir qu'il devait subir, ou devant l'énième extrait du dit de Genji. A croire que rien de ce qui était moderne ne pouvait faire parti du programme scolaire.
Pour le reste de l'affirmation du blond par contre... il était effectivement anglophone, ou un des intellos toujours accroché à ses bouquins.

" Des classiques ? Si tu le dis... Je n'en avais jamais entendu parler avant le cours. Pour moi, un classique c'est plutôt Bleach, mais pas sur que le prof soit d'accord. Du coup tu n'auras pas à te taper de la lecture ce week-end ? Quelle chance..."

Ok, le cheminement de pensée d' Eiji était gros comme une maison. Voir même comme une cathédrale. Mais qui aurait pu lui en vouloir ? Aucun ado digne de ce nom en tous cas. Oui, les arts martiaux apprenaient la droiture d'esprit, le respect et l'honnêteté... mais il avait 18 ans, et avait plus envie d'aller courir que de passer 2 heures à essayer de déchiffrer un livre en langue étrangère.

Hugh croisa poliment les mains devant lui face à la question.

"Américain."

Corrigea t'il avec un petit sourire condescendant. Anglais, américain, on mettais souvent un peu tout dans le même panier... Comme la chine et le japon, qui n'avaient pourtant rien à voir. Allez dire à un japonais qu'il est chinois, vous vous souviendrez longtemps de sa réaction ! Hugh n'était pas vexé à ce point, plutôt amusé. De la confusion d'Eiji - son accent n'avait rien d'anglais ! - mais aussi de sa propre affirmation. Il n'avait même pas songé un instant à se préciser métisse. Pourtant, le japon était ses racines. Mais ce qu'il ressentait au fond de son cœur ne transparaissait pas dans ses mots ou dans son apparence, comme en témoignait le regard que les vrais japonais portaient le plus souvent sur lui.

Il y avait eut un quelque chose de curiosité, mais aussi une sorte de dédain teinté de politesse, dans la question d'Eiji. C'était certainement inconscient de sa part, le jeune homme se révélant par la suite enclin à parler avec lui, mais la méfiance envers les étrangers restait quelque chose d'apparemment profondément ancré en lui.

Avec un sourire condescendant, Eiji lui répondit, faisant sourire franchement Hugh.

"Bleach ? Tu dis ça à cause de mes cheveux ? Je t'assure que je ne ressemble pas du tout à Ichigo ! "

S'amusa t'il. S'il y avait bien quelque chose sur lequel Hugh pouvait se prétendre japonais et à la page, c'était bien sur les prépublications du Weekly Shōnen Jump ou du Young Magazine. Il ne ratait pas une semaine grâce aux envois réguliers de son cousin, à qui il envoyait en retour les publications des derniers comics. Ils étaient certes moins épais, mais Hugh compensait par la quantité de numéros envoyés. Depuis qu'il était revenu au japon, c'était une chose dont il se délectait, de pouvoir acheter son magazine lui même chaque semaine. Il s'était même laissé aller au plaisir de faire l'acquisition du Hana to yume la dernière fois qu'il était allé au kiosque.

Le blond haussa les épaules à la réflexion de Eiji.

"Je pense que je vais le relire histoire de me le remettre en tête, vite fait. Je suis peut-être avantagé en cours d'anglais, mais pour les autres matières, c'est un calvaire, je passe mon temps à chercher les mots techniques dont je n'ai pas l'habitude..."

Hugh haussa un sourcil, regardant Eiji d'un petit air entendu. Pensaient-ils à la même chose ?

Un américain, ça parlait anglais non ? Certes, ils n'étaient pas placé exactement pareil sur le globe terrestre, et mangeaient plus de hamburger, mais au delà de ça, Eiji n'aurait pas su citer plus de différences. L'accent ? Il avait déjà assez de mal à prononcer lui-même, alors être capable de reconnaitre les différents accents, il ne fallait pas pousser le kappa dans la rivière. D'un autre côté, les USA avaient un côté plus fun que la placide Albion. Les comics, les films... tous les trucs qui traversaient la frontière en somme.
La conversation dévia sur Bleach, éclairant une petite lanterne dans la tête du japonais pure souche. Ca, c'était le genre de sujet plus marrant qu' Edgar Poe. Vu le nom qu'il se trainait celui là, pas étonnant qu'il n'ai pas pu s'en souvenir.

Le jeune homme regarda rapidement la silhouette un peu maigrichonne de l'américain, ses bras pales qu'aucune musculature ne venait vraiment dessiner. S'il avait l'habitude de ne pas jauger son adversaire rien qu'au physique, il savait encore reconnaitre un sportif de quelqu'un qui se promenait juste de salle en salle. Et l'américain devant lui appartenait certainement à la deuxième catégorie.
Le sourire d'Eiji se fit à son tour plus franc, plus amusé. Il n'y avait pas de moquerie dans cette constatation.

" T'es pas tout à fait assez roux pour ça. Et je te vois mal en hakama avec un katana... tu risquerais de te couper. "

Curieux quand au commentaire sur ses difficultés en japonais, Eiji jeta un autre coup d'oeil sur les exercices de son condisciple. De la bio, le cours de génétique pour être précis, un des rares cours qu' Eiji avait trouvé vraiment intéressant, et assez logique. Qui comprenait des termes précis, mais pas si complexes... ils avaient tous été surlignés, et réécrit en furigana. Le japonais commençait à comprendre le soucis de l'américain pour suivre les cours.
Il ne savait pas s'il aurait eu le courage de suivre des cours dans une langue qu'il ne maitrisait qu'à moitié... enfin si, il savait : il ne l'aurait pas fait. A part peut-être un stage de Kendo... mais d'ici à ce qu'un étranger maitrise assez le kendo pour qu'il ait besoin de faire un stage à l'étranger plutôt qu'au Japon, il serait suffisamment polyglotte pour aller où il voulait.

" Galère... "

Le regard d'Eiji se fit aussi contemplateur que celui de Hugh. L'échange serait équivalent, non ? Et puis, il était grand temps qu'il se familiarise un peu plus avec les mecs de sa classe. Il se la jouait un peu trop solitaire, à fuir dès que possible pour aller faire du sport, se privant des rares occasions où il aurait pu se socialiser. Il devait avouer que les moments à parler ou rire avec les autres lui manquaient de temps à autre.

" Tu veux un coup de main ? Je peux pas t'aider des masses, mais si c'est juste pour reprendre le japonais, ça doit aller. En échange tu m'aideras avec l'anglais. "

Le jeune homme passa sa main dans ses mèches châtains. Ce qui voulait dire repousser un peu son entrainement sportif. Pour la bonne cause il l'espérait. De toute façon, le dojo fermait plus tard les veilles de week-end et le week-end en lui-même. Et il pourrait toujours essayer de soudoyer la surveillante avec un match.

" Kimihiro Eiji au fait. "

Mieux valait tard que jamais.

Hugh ne pouvait pas lire les pensées d'Eiji, quand bien même l'aurait il put qu'il ne lui en aurait pas tenu rigueur. Rare étaient les personnes à connaitre plus que quelques a priori et clichés sur les autres pays. Les japonais étaient des racistes mangeurs de riz, les américains des bons vivants avec des hamburgers, et les français des chauvins avec une baguette de pain. Chacun sans son coin. C'était juste amusant quand ces univers se rencontraient. Mais dans leur cas, Eiji et Hugh avaient quand même beaucoup en commun : L'âge, l'école, et une bonne part de culture, même si cela ne transparaissait pas au 1er coup d'œil chez l'américain. Hugh eut un rire un peu forcé au commentaire d'Eiji.

"Ah ah, ça ça serait très fâcheux."

Se couper était l'une des phobies de Hugh. Il évitait toutes les possibles blessures, en 1er lieu initié par une mère très inquiète de son traitement, et en second lieu par une réelle peur liée aux avertissements que les docteurs lui avaient prodigué. Il fallait qu'il fasse très attention, car la moindre plaie pouvait prendre une ampleur assez importante chez lui. Preuve en étaient ces bleus qui fleurissaient pour le moindre petit choc.

Hugh se poussa un peu pour permettre à Eiji de jeter un oeil à ses cours. Ainsi proche de lui, il put sentir la légère effluve d'eau de toilette masculine qu'il dégageait. Dans le genre soigneux de sa personne, le sportif s'y posait... Le regard de Hugh se coula sur la clavicule du jeune homme, puis sur ses mains. Il avait un physique intéressant, des mains aiguës et bien dessinées qu'il aurait été agréable de dessiner. Apparemment peu conscient de son regard sur lui, Eiji commenta d'un ton compatissant les exercices sur lequel le blond planchait. La proposition finit alors par venir, somme toute logique aux vue de leurs difficultés respectives. Hugh tira la chaise pour inciter Eiji à s'assoir, après que celui ci ce soit présenté.

"Hugh Brown. Appelle moi Hugh."

Toute la différence culturelle entre japonais et américain condensé en une simple présentation... Hugh avait mis quelques secondes à séparer le nom du prénom chez Eiji, les 2 pouvant servir de prénom. Seul l'ordre l'avait renseigné sur lequel était quoi. Quand à son propre nom, il l'avait prononcé non seulement dans un ordre américain, mais également incité l'autre à l'apeller directement par son prénom. S'entendre appeler "Brown" aurait eut quelque chose d'un peu déstabilisant.

"... Tu peux m'apeller Akira, si tu trouve ça trop difficile à prononcer. C'est mon 2eme prénom. Ma mère à concédé à mon père un prénom américain, mais voulais marquer mon coté japonais. "

Énonça t'il tout en repoussant ses affaires pour laisser un peu de place sur le bureau à Eiji.


Si Eiji avait suivi le cours des pensées de Hugh... il n'aurait guère apprécier de se rendre compte du regard appuyé sur sa personne ou de l'avis de l'américain. Soigneux de sa personne ? Bien évidement. Il était impensable de faire du sport sans se laver ensuite. Et l'eau de toilette et le déo parfumé... il aimait bien ça, ok ? Il n'y avait rien de mal à prendre soin de soi ou à se mettre de l'après-shampoing, non ?
Heureusement pour sa tranquillité d'esprit, son regard était vissé sur les cours, peu conscient de celui du blond.

Cédant à l'incitation du blond, il s'assit à ses côtés, signant là le début d'une soirée studieuse. Adieu idée de Kendo, et bienvenue à l'étude tranquille, coincé dans une bibliothèque vide quand tous les autres élèves avaient eu la bonne idée de profiter du soleil et des soirées longues. Ce qui n'était pas si mal. Il aurait eu du mal à bosser dans un endroit bruyant, ou si d'autres élèves avaient eu envie de se joindre à eux. Il était capable de s'imposer de travailler, mais se déconcentrait assez vite si les conditions n'étaient pas adéquates. Raison pour laquelle la bibliothèque n'était pas son endroit de prédilection.

Le blond se présenta à son tour, un nom purement américain dont la prononciation lui donnait l'impression de mâchouiller un onigiri. Avec toujours cette différence culturelle bien présente, le prénom s'utilisant tellement plus facilement que le nom de famille. Eiji se demandait comment faisait ceux qui jonglaient d'une culture à l'autre pour ne jamais commettre d'impair d'un côté ou de l'autre.
Le jeune homme resta interdit quand celui-ci lui parla de son second prénom. Akira... bien plus simple à prononcer, certes. Mais aussi assorti au visage du jeune homme qu'un tutu à un hippopotame.
L'incrédulité dut se lire sur son visage quand il ouvrit la bouche.

" Ton côté japonais ? "

La question était venue toute seule, sans qu'il songe à l'arrêter ou à quel point elle pouvait sembler malpolie et indiscrète. Le tain pâle et les cheveux blonds du jeune homme semblaient si peu japonais... certes, ses yeux étaient foncés, seul détail qui pouvait rappeler de près ou de loin l'anatomie japonaise. Mais à part ça....
Eiji s'excusa d'un sourire. Si tout le monde l'avait interrogé sur ses origines, il aurait fini par en être lassé - et ce, même si un américain/demi-américain était tout de même plus surprenant au Japon-

" J'imagine que tout le monde a déjà du te la poser celle-là de question. Te sens pas obligé de répondre si tu veux pas. Il y a un point du devoir où tu as besoin particulièrement d'aide ? "

Il avait eu un temps de flottement avant de poser la question. Après tout, ils étaient là pour ça, et autant ne pas passer la nuit à la bibliothèque s'ils pouvaient éviter...

S'ils avaient été dans un animé, Hugh aurait certainement eut une petite sweat drop qui lui aurait coulé le long de la joue. Le jeune homme eut un sourire forcé, un peu agacé tout de même que son ascendance japonaise soit si peu visible. Il devrait peut-être se teindre les cheveux en noirs, pour rentrer dans le moule ? Mais sa mère les aimait tellement, ses cheveux blonds, qu'il savait qu'il ne franchirait jamais le pas. Et puis, il était assez pâle sans en rajouter une couche, une teinture noire lui aurait vraiment donné l'air maladif. Le blond secoua la tête en signe de dénégation à l'excuse d'Eiji.

"Ce n'est rien Kimihiro. Je sais que ça ne se voit pas des masses, mais ma mère est une japonaise pure souche. Nous avons émigré aux états-unis pour rejoindre mon père quand j'était gosse. "

Hugh aurait bien eut envie de s'étaler sur ses cousins, sur les voyages au japon, sur les magazines qu'il recevait, et tant d'autres choses, mais il ne voulait pas non plus assommer son interlocuteur de paroles inutiles. Même s'il était relativement ouvert et amical pour un japonais - mis de coté son aversion affichée malgré lui pour les étrangers, bien qu'il s'efforça de ne pas le laisser paraitre plus que la politesse ne le permettait - Eiji n'en était pas non moins assis à cette table pour des raisons scolaires, tout comme lui. Le jeune homme soupira, se demandant par ou commencer.

"Hum, et bien, tu pourrais m'expliquer ce que le professeur nous à demandé comme devoir en biologie, pour commencer ? Je n'ai rien compris à sa demande. "

Il pencha la tête sur ses feuilles de cours soigneusement notés, à coté desquels, d'abord au crayon puis, en désespoir de cause, au stylo, il avait rédigé de nombreux commentaires en anglais sur le présupposé sens de certains mots. Le blond eut un temps de flottement, avant d'énoncer d'une voix un peu absente, comme pour se justifier, le regard vaguement dirigé vers l'extérieur ou la cime des arbres se balançait avec mollesse, portée par le léger vent de cette fin d'après-midi.

"... Je sais que c'est bizarre de revenir étudier ici après être partit tant de temps, mais je suis régulièrement revenu au japon. Je m'y sent bien."

Déclara t'il avec un sourire gêné, comme une justification.


L'expression de Hugh fut telle qu' Eiji regretta sa question quasi immédiatement. Oui, ce n'était apparemment pas la première fois qu'on la lui posait, et l'effet devait en être plus que désagréable au final. Moitié Gaijin alors ? ce n'était pas évident à voir, et encore moins à imaginer, surtout avec deux cultures aussi étrangères que le Japon et les Etats-Unis.
Le regard du jeune homme se promenait alternativement sur les papiers étalés sur la table qui les attendaient bien sagement, et sur le visage du jeune métis qui sembla un instant pétris d'amertume avant qu'il ne reprenne une expression plus sereine. Hugh n'était apparemment pas aussi habitué à dissimuler les émotions que les japonais, habitués depuis leur petite enfance à ne rien laisser paraitre.
Revenir au Japon après avoir passé beaucoup de temps à l'étranger ne devait pas être évident. Il se demandait si le blond avait eu le choix ou non pour la poursuite de ses études. A la manière dont il s'escrimait à l'instant, il pouvait se poser des questions.

Pensif, le jeune homme attrapa la feuille désignée, relisant la consigne en vitesse, se demandant comment expliquer ce qui, pour lui, paraissait simple comme un jardin zen. Les mots soulignés lui donnaient une bonne estimation de ce que Hugh n'avait pas compris, ou seulement vaguement. Eiji attrapa le crayon précédemment tombé au sol, le faisant machinalement tourner entre ses doigts. Il avait toujours besoin d'avoir quelque chose entre ses doigts pour réussir à se concentrer.
Il n'eut pas le temps de réfléchir beaucoup avant que l'américain ne reprenne la parole, répondant plus ou moins à la question mentale d'Eiji sur le fait de savoir s'il était revenu au Japon de son plein gré ou forcé.

Le sportif marqua un temps d'arrêt, un peu gêné que son condisciple lui parle ainsi de sa vie. Quelques secondes qui passèrent comme un coup de vent, avant qu'il ne tourne la tête franchement vers le jeune homme qui souriait... gêné ? sur la défensive ? Il n'arrivait pas vraiment à savoir. De toute façon, il n'avait pas à se justifier à lui, non ?

" Mais ce n'était pas plus simple aux USA ? "

Eiji secoua la tête et sourit légèrement, comme perdu dans ses pensées. Il devait avoir son petit caractère au final pour accepter de devoir affronter la dure ambiance japonaise envers les gaijins.

" Après tout... on apprend dans les arts martiaux à se choisir une voie et à marcher dedans quelques soient les difficultés. J'imagine que c'est la même chose. "

Autant se réfugier dans les préceptes appris dans les arts martiaux. Ils étaient simples, rassurants, une part intégrante de sa vie. Un pilier là où trop de choses se mélangeaient parfois. Comme un coin de ciel bleu serein vers lequel regarder quand il avait un doute.
Il allait s'y faire, à ce lycée qui comprenait autant d'américains, polonais, français etc... que de japonais. Tous avec des raisons valables de venir au Japon.
De toute façon, il l'avait choisi ce lycée. Hors de question de renoncer ou de baisser tête pour des détails aussi insignifiants.

Arrêtant de jouer avec le crayon, il commença à crayonner des explications simplifiées à côté des termes soulignés, essayant de retranscrire en termes plus simples.


Ses paroles semblèrent prendre son interlocuteur au dépourvu. Hugh avait bien conscience de la réserve des japonais, mais n'avait aucune envie de s'escrimer à l'appliquer dans sa vie de tous les jours. Quitte à ce que son comportement paraisse décalé voir outrancier, il n'irait pas se brider, en dehors des formules de politesse d'usage. Oui, il n'était pas forcement courant de parler de soi. Mais se permettre de le faire n'était pas interdit non plus. La question de Eiji tomba, claire et évidente, pointant du doigt l'anomalie dans l'histoire. Hugh porta la main à ses cheveux, otant l'une des petites barrettes qui maintenait les mèches blondes en arrière pour se donner une contenance.

"Si bien sur, mais ma mère était très stricte sur la sélection de pensionnat ou elle voulait bien m'envoyer. La plupart étaient loin de la maison, alors, quitte à être loin de chez moi, autant être ici, l'établissement est coté et ma tante n'habite pas loin. Elle me sait en sécurité comme ça. "

Contrairement à beaucoup d'adolescent, Hugh n'avait pas dans la voix cet espèce de dédain qui mâtine souvent les relations entre enfants et parents. Il aimait sa mère, lui était redevable,et surtout, ne pensait ni ne disait du mal d'elle. Peut-être simplement le fait de ne pas avoir eut de camarade de classe avec lesquels raller à quel point sa mère était "relou" ? Il allait apparemment de soi pour lui d'obéir à sa mère et de suivre ce qu'elle estimait le mieux pour lui. Hugh releva la tête vers Eiji, une légère expression d'interrogation peinte sur le visage à l'écoute de ses paroles.

"Oh, alors tu fais des arts martiaux en plus de l'athlétisme ? Tu fais de quoi exactement ?"

S'exclama le blond d'un ton enthousiaste, se penchant un peu plus vers Eiji, plus intéressé par sa réponse que par le cours. Certes, il pouvait aussi attendre patiemment que celui ci ait fini de rédiger ses explications, mais la curiosité était plus forte, surtout envers ce sportif qu'il avait tant observé. Entre sa taille et la musculature finement dessiné qu'il devinait sous le cou, Eiji semblait effectivement adepte de sports divers et variés, comme en témoignaient également les exercices qu'il l'avait vu effectuer avec application quelques jours auparavant sur le terrain de sport, en compagnie de Kantaro.



Eiji continuait d'écrire les explications en écoutant celles de Hugh d'une oreille, les mots lui venant de plus en plus spontanément alors qu'il avait pris le pli de l'exercice. Que disait systématiquement les professeurs ? " Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement" Et c'était effectivement le cas. Il s'appliquait à reprendre les définitions et les réécrire en quelques mots, découvrant au passage qu'il se réexpliquait à lui-même certaines notions. Ce n'était pas forcément une mauvaise méthode de travail.
En entendant l'autre garçon parler de sa mère, le brun ne put s'empêcher de penser à la sienne, qui avait accepté, en dernier recours, de laisser son fils la fuir, respectant son choix même si ce n'était pas de gaieté de cœur. L'adolescent serra les lèvres. Penser à sa mère n'était pas le meilleur moyen pour conserver sa bonne humeur. C'était en partie de sa faute, s'il avait choisi de fuir. C'était elle qui avait décidé de partir sur de nouvelles bases, et de refaire sa vie, pas lui !

La phrase enthousiaste de Hugh sur le sport marqua comme une pause dans l'esprit d'Eiji, aussi sonné que s'il s'était pris à l'instant un coup à la tête au kendo. Même choc, même stupeur, même étonnement à se faire toucher au moment où il se sentait le plus en sécurité. Maintenant qu'il y repensait, la silhouette du jeune homme blond assis dans l'herbe en train de le regarder avec intensité se fondait parfaitement avec celle du garçon assis à côté de lui. Il avait mis de côté la scène dans son esprit, essayant de ne pas repenser à ce moment qui l'avait mis en rage, plus ou moins contre son gré. Mais à la manière enthousiaste de parler de Hugh, celui-ci ne l'avait absolument pas oublié.

La pointe du crayon noir s'écrasa sur la feuille blanche avec un bruit sourd, alors qu'Eiji se figeait, avant de tourner un visage d'orage vers l'américain, son regard bien plus sombre qu'à l'accoutumer. Difficile de retrouver en lui l'adolescent communicatif et de bonne humeur qu'il était il y avait quelques instants seulement.
Ses muscles raidis semblaient trahir une colère pour le moment entièrement focalisée sur l'autre garçon.

" C'était toi ? Ca t'arrive souvent de mater les gens comme ça ? "

Au fond de son esprit, une partie de lui essayait mollement de lui faire savoir que ce n'était pas si grave que ça. Que c'était juste regarder, sans rien suggérer. Mais le reste de son esprit était bien plus inquiet, et préférait transformer ce malaise en colère, histoire de l'évacuer. Et surtout pour ne pas avoir à réfléchir au pourquoi/comment de cette gêne. Et puisque l'objet de cette gêne venait gentiment se prêter comme objet défouloir, pourquoi se gêner, après tout...

Un silence de mort semblait être tombé sur la bibliothèque. Elle n'était pas plus silencieuse qu'avant, mais Eiji - du moins ses nerfs - y était tout d'un coup plus sensible.



Le sourire de Hugh se figea un instant alors que la mine du crayon se cassait sur la feuille. Le regard d'orage d'Eiji fut soudainement braqué sur lui, apparemment furieux, ses poings semblant prêt à lui écraser la face. Sa voix s'éleva, agacée et un tantinet vulgaire, venant troubler le calme de la bibliothèque. Des "chuuut" et des regards outragés s'élevèrent alentours à l'attention des 2 garçons, mais aucun ne sembla sur le moment en tenir compte, Eiji raide de rage, et Hugh complètement figé sous le regard de son interlocuteur soudainement devenu furieux. Le blond fronça les sourcils, trouvant injustifié cette soudaine agressivité.

"And then ? Si tu ne veux pas que les gens te regardent quand tu fais du sport, ne le fait pas en pleine journée sur le stade. Tu t'énerve aussi contre les gens dans les tribunes quand tu fais des compétitions ? "

Le blond avait pris une voix plus dure, apparemment peu motivé à se laisser marcher sur les pieds. Il aurait tout à fait put se justifier et désamorcer la colère d'Eiji, s'excuser et lui expliquer qu'il se contentait de le dessiner. Mais Hugh estimait ne pas avoir besoin de se justifier de la sorte. Il était également surpris, au fond. Il pensait qu'Eiji l'avait reconnu dès le début. Ce n'était apparemment pas le cas, et il semblait avoir gardé un bien mauvais souvenir de leur dernière rencontre, même si lointaine.


Le regard d'Eiji passa sur les alentours, défiant quiconque de venir lui dire en face de se taire. A ce niveau de colère, il était tout à fait près à coller quelqu'un dans le mur, bibliothèque ou pas. Et les quelques élèves qui croisèrent son regard durent le ressentir, car les têtes se baissèrent vite fait, certains se levant pour aller travailler dans un coin plus tranquille, laissant là le garçon trop bruyant et agressif. Mais déjà l'intérêt du brun se reportait sur Hugh, qui, un peu suicidaire, fixait l'autre, sur de son bon droit. Bon droit et logique, Eiji n'en avait cure. Oui, techniquement, Hugh avait raison... sauf que son regard insidieux et trop appuyé n'avait rien à voir avec le regard de curiosité posé sur quelqu'un qui s'entraine. Il n'avait pas aimé la façon dont Hugh l'avait maté - c'était le terme - point final.
Et de toute façon, une fois avivée, sa colère avait besoin d'un exutoire, pas d'être tempérée. Et le petit minet blond à la voix dure devenait une excuse parfaite.

Eiji se leva lentement, dominant largement l'américain de toute sa taille, et posa ses deux mains sur la table, approchant son visage du sien son physique de sportif certainement imposant à cette minute. Oui, il pouvait intimider les gens, oui il l'avait déjà fait... et ne s'était pas arrêté là. Certaines phrases avaient besoin d'être appuyées pour bien passer dans l'esprit des gens. Barbare ? Oui, merci.
Il n'y avait pas grand chose de tendre en lui à cet instant. Même ses mèches châtains qui glissaient le long de son visage aux traits aigus ne semblaient pas réussir à lui insuffler une quelconque douceur.

" Il y a une certaine différence entre regarder les sportifs et mater les fesses des gens. Abstiens-toi à l'avenir. "

La menace était lourde et présente. Exit le Eiji amical et ouvert, sympathique pour tout un chacun. Le jeune homme hargneux et sur la défensive était revenu, toutes griffes dehors, à peine canalisé par le lieu où ils se trouvaient.


Hugh serra les dents face à l'image d'Eiji se relevant de toute sa hauteur face à lui pour l'intimider. Il sentit son rythme cardiaque s'accélérer. Dire qu'il n'avait pas peur aurait été un mensonge. Mais il n'allait pas non plus se laisser faire par ce mec la. Il fronça les sourcils, les poings serrés, se refusant à ne céder ne serait-ce qu'un cm de territoire à celui qui s'approchait de lui, intimidant et agressif. Exit la sympathique entraide entre les 2 membre de la même classe. Hugh se surpris à penser, un instant en arrière plan, que la colère aiguisait les traits d'Eiji et accentuait sa beauté un peu trop présente pour un vrai mec. Tic de dessinateur. Sa voix s'éleva, basse et agressive, lourde de menaces.

La main de Hugh trembla. Il aurait logique de laisser couler et de ne pas répondre. Il n'était pas en mesure de se battre avec Eiji. Il en était même interdit, et risquer de se prendre un coup de la part de ce mufle qui apparemment n'était pas loin d'utiliser ses poings n'était vraiment pas une bonne idée. Hugh ragea intérieurement. Sous prétexte de son état de santé, il devrait à tout jamais s'écraser lors du moindre conflit ? Il en était hors de question ! Il n'avait pas peur de cette agressivité primaire que lui imposait Eiji, et n'avait aucunement envie de se laisser faire ! Le blond plissa les yeux, un sourire torve sur le visage.

"Qu'est ce qu'il y a ? Un soucis avec ta virilité peut-être ? Des envies inavouées ? Faut pas avoir peur comme ça, je vais pas te manger rien qu'en te regardant. "

C'était suicidaire, inutile et stupide. Totalement adolescent. Tant pis. Il n'avait aucune envie de se brider et de jouer plus longtemps au garçon sage. Il ne se laisserait pas écraser par Eiji.

Eiji ne se posa pas la question de savoir si Hugh était maso ou suicidaire. Ou simplement tellement sûr de lui qu'il n'envisageait même pas la possibilité qu'il pose la main sur lui. La seconde pique, un peu plus vicieuse, et si proche de ce que ressentait le jeune homme, fut suffisante pour mettre le feu au poudre. Il ne l'avouerait jamais, mais l'américain avait cruellement mis le doigt sur ce qui gênait Eiji, titillant ces incertitudes qui lui pourrissaient la vie.
Et les incertitudes, le meilleur moyen de les vaincre, c'était de les affronter donc...

Les deux mains du kendoka saisirent avec brutalité le col du jeune homme encore assis à la table, le levant de force, envoyant au passage valser la chaise dans un grand fracas et un livre sur lequel avait reposé la main du garçon. La bibliothèque entière sembla retenir son souffle. Soulever le poids plume de Hugh fut d'une étonnante facilité, tout comme la plaquer contre le mur. Il y avait quelque chose de jouissif à avoir la main mise sur quelque chose de plus faible que lui, mais ce n'était pas cet exercice là qu'appréciait Eiji. Tout ce qu'il voulait, c'était voir ce sourire narquois s'effacer des lèvres de Hugh. Et faire disparaitre les mots qu'il venait de prononcer, si ça avait été possible. Le jeu de pouvoir, il s'en fichait complètement, il laissait juste parler sa colère.

" Tu veux savoir ce que c'est mon soucis ? "

Le brun avait quasiment sifflé ces quelques mots entre ses lèvres étroitement serrées.
Le coup vint sans autre avertissement, son poing venant cogner avec toute sa hargne la joue gauche du garçon avant qu'il n'ouvre l'autre main, lâchant son col et le laissant glisser le long du mur comme une marionnette aux fils coupés. Il aurait voulu frapper plus, encore et encore, se défouler sur le blond mais... le corps étrangement fragile de Hugh, et un semblant de réflexion l'avait retenu. Il voulait frapper, pas le tuer. Pas encore du moins.

" Espèce d'abruti "

Hugh n'était pas maso. Il ne s'était tout simplement pas attendu du tout à ce qu'Eiji en vienne aux mains. C'était tellement improbable ! En pleine journée, dans une bibliothèque, avec témoins... Le blond n'aurais jamais imaginé que la situation tournerait ainsi, au pire Eiji aurait balancé ses affaires au sol, ou quelque mesquinerie de ce genre... Et il y avait aussi, au fond de lui, cette certitude que personne n'oserait jamais le frapper, certitude tirée du cocon protecteur dans lequel il avait toujours vécu jusque lors.

Lorsque les grandes mains d'Eiji l'attrapèrent par le col, Hugh laissa échapper un bruit étouffé, le souffle coupé sous la surprise et la peur qui s'empara de lui. Sans difficulté apparente, Eiji le leva de sa chaise, l'envoyant au sol avec un bruit qui ne manquerait d'alerter le ou la surveillante des lieux. Une expression de pur terreur mêlée d'une sincère surprise se peignit sur les traits du blonds ainsi attrapé au collet. Il ne savait pas ce qu'il le surprenait le plus, que Eiji ose le toucher ainsi ou qu'il se montre au final si fort. Hugh hoqueta quand le mur rencontra son dos, et releva la tête vers Eiji, complètement désarçonné et incapable de réagir. Il eut tout juste le temps de voir les traits tendu en un rictus de colère, formuler une question quasi rhétorique, avant que le poing du brun ne vienne rencontrer sa mâchoire avec une brutalité inattendue. Il sentit le coup résonner dans sa tête, la douleur irradier soudainement. Il n'avait jamais ressentit une telle douleur. Personne ne l'avait jamais frappé.

La serre qui maintenait le col de son pull s'ouvrit soudainement, le laissant glisser au sol avec molesse. Hoquetant, reprenant sa respiration, Hugh porta la main à sa gorge, toussant alors qu'il retrouvait son souffle. Un gout métallique lui emplit la bouche, et il réalisa qu'il s'était mordu la langue. Il porta la main à sa bouche pour contenir le sang qui se mit à couler avec régularité, glissant entre ses doigts pour venir goutter sur son pull.

Hugh leva la tête vers Eiji à l'insulte, le regarde noir. Il ôta un instant sa main souillé, entrouvrant la bouche pour répliquer avec le peu de souffle qui lui restait.

"... B.... Bastard..."

L'insulte était bien trop molle pour être véritablement agressive, simple répartie de celui qui s'était fait dominé et qui ne voulait pas le concéder. Haletant, Hugh essuya ses lèvres sur le manche de son pull. Le gout du sang dans sa bouche était d'un désagréable... Il avait des mèches hémostatiques dans son portefeuille, paré à se genre d'éventualités. Ca ne serait pas agréable à mâchouiller, mais il ne pouvait pas continuer à baver du sang comme ça. Hugh reporta un court instant son attention sur les alentours. Aucun élève ne semblait disposé à venir l'aider, normal. Il était un gaijin, il était forcement en tord. Personne ne viendrait le soutenir. Tant mieux : Il n'avait pas besoin d'aide de qui que ce soit.

Eiji resta un instant au dessus de Hugh, comme surpris lui-même de la tournure violente qu'avait pris les évènements. Un peu de sang avait giclé sur son poing, témoignage muet de sa culpabilité. Il ne s'en voulait pas. Il était encore trop furieux contre Hugh, trop furieux sur sa manière d'appuyer sur ce qu'il ne voulait pas entendre pour avoir un quelconque remord à avoir envoyé valsé contre le mur cette petite teigne. Même si ça avait été comme frapper dans un punching-ball, vu le peu de défense qu'avait offert le blond.
Il avait conscience du regard des autres aussi. Surpris et méfiants. L'insulte à bas bruit de son adversaire parue un peu piteuse, le dernier rempart avant l'ultime reddition. Il n'en avait cure. L'adolescent se força à desserrer les poings, et sur un ultime coup d'œil à l'autre garçon, se dirigea lentement vers la sortie. Il fallait qu'il sorte, qu'il respire un peu... qu'il se défoule sans faire de mal à une autre personne.

" Qu'est ce qui s'est passé ici !? "

Le bibliothécaire, enfin sorti de ses nuages, ou de l'endroit où il avait rêvassé jusque là, arrivé trop tôt ou trop tard sur les lieux du carnage. Son regard clair et affolé passait sans comprendre sur les différents élèves présents, le jeune homme au sol, et la grande brute qui partait. Apparemment, régler les bagarres de ce type ne faisait pas parti de ce qu'il avait appris pendant sa formation de bibliothécaire. La petite silhouette de l'homme lui donnait l'impression d'être un insecte qui ne savait pas sur quoi se poser.

" Mais mais mais... ça ne va pas ?! Vous battre dans une bibliothèque ! mes pauvres livres.... bande de malappris ! "

Il finit heureusement par aller s'agenouiller auprès du jeune homme mal en point, un peu empoté mais de bonne volonté. Il ne fallait tout de même pas que celui-ci saigne un peu plus sur ses livres. L'homme était visiblement dépassé par la situation, et palissait à vue d'œil à la vue du sang qui suintait au coin de la bouche du garçon.

" Ca va aller ? Il faut que tu ailles à l'hôpital ! euh... non, à l'infirmerie, ça sera très bien ! D'accord ? Je ... eu, non pas moi, je dois ranger ici... mes pauvres livres... Toi la-bas ! Accompagne Monsieur euh... accompagne ton camarade à l'infirmerie tu veux ? "

L'élève désigné, un jeune adolescent de 1ère ou 2ème année, eut la bonne grâce d'obéir instantanément au bibliothécaire. Une fois partie la menace, il était plus simple de venir au secours des autres. Se souvenant d'une autre tache qui devait lui incomber, à savoir la discipline, le bibliothécaire chercha des yeux l'autre fauteur de trouble. La porte encore entrouverte lui laissa comprendre qu'il avait déjà filé. Tant mieux... discipline ou non, il n'avait pas envie de se retrouver à jongler avec un adolescent difficile et violent, qui n'avait aucun respect pour le lieu et pour ses livres !

Non loin de là, Eiji descendait quatre à quatre les escaliers de la bibliothèque, son esprit encore en ébullition. Sa première pensée fut de se diriger vers le dojo, mais au bout de quelques pas, il changea de chemin et fonça vers la forêt. Quelques kilomètres de course lui ferait le plus grand bien pour évacuer les propos moqueurs de son condisciple et pour réfléchir un peu plus à la situation, même s'il n'en avait pas envie. Il ne pouvait pas non plus se permettre de tabasser n'importe qui n'importe quand, au risque d'avoir de gros ennuis... le petit blond ne se ferait pas prier pour se plaindre à un CPE, et Eiji ne pouvait pas le lui reprocher. Le coup n'avait rien eu d'une caresse.

L'arrivée dans les sous-bois, seul, fut comme une délivrance, et Eiji se lança dans sa course à un train d'enfer. Avec un peu de chance, il pourrait fuir ses propres inquiétudes...