Le deuxième jour après cette rentrée des classes trouvait déjà Eiji dans son lieu de prédilection : le dojo. Trois semaines de vacance n'avaient pas suffit à le sevrer de cette habitude, surtout quand un tiers de ces fameuses vacances avait été consacré à un stage intensif du dit sport. Si bien qu'une fois passée la rentrée et les formalités de retour, Eiji s'était à nouveau enfui dans le dojo, aussi peu fréquenté que l'année précédente. C'était l'avantage du redoublement : il savait à quoi s'attendre pour sa cinquième année et ne stressait pas particulièrement de devoir remettre le couvert. Certes, il y avait un côté un peu vexant de stagner alors que d'autres étaient passés mais... le point rassurant était qu'il l'avait choisi, pour s'assurer les meilleurs chances.
Pfff... quelque soit l'excuse qu'il invoque, la vérité était là : il avait du redoubler parce qu'il avait merdé son année, pour des raisons multiples sur lesquelles il ne valait mieux pas revenir. Et puis au moins, il connaissait Himura maintenant, et comptait bien enchainer son année sans accro.

Pour ce premier entrainement de retour en terre himuréenne, Eiji n'avait pas revêtu d'armure. C'était en simple hakama et avec un bokken en lieu et place d'un shinai que le jeune homme affrontait un adversaire fantomatique au travers des différents kata qu'il connaissait par cœur au point d'être capable de les faire dans un état de semi conscience. Les mouvements s'enchainaient souplement, le détendant tout aussi facilement que n'importe quel exercice de méditation auquel il aurait pu se livrer. Et les kamis savaient qu'il avait besoin de se détendre. Sous ses apparences tranquilles, les nerfs du jeune homme étaient mis à rude épreuve : ne pas se rater au niveau scolaire, les responsabilités liés au club d'athlétisme, à conjuguer avec sa passion pour les arts martiaux... et puis tous les autres petits détails de la vie quotidienne d'un interne dans un lycée.
Plein de petits riens, insignifiants quand on y prêtait attention, mais qui étaient le tout qui formait sa vie et qu'il comptait mener aussi bien que possible. C'était important pour lui, au moins.

C'est au cours de son quatrième kata qu'Eiji se rendit compte de la présence de l'intrus dans le dojo. Pas un autre kendoka ou quelqu'un en hakama, ce qui aurait rendu sa présence si ce n'est agréable, mais au moins tolérable. Non, un intrus pur et dur, un lycée habillé comme pour aller en cours, et qui, pire que tout, n'avait même pas pensé à ôter ses chaussures avant de fouler le parquet du dojo. Son regard était fixé sur lui, comme s'il avait pu décrypter quelque chose dans chacun de ses mouvements. Qu'est-ce qu'il pouvait détester ce genre de regard scrutateur et intéressé... il les sentait glisser sur sa peau comme la tentacule d'une bestiole étrange.
La fin de son kata se caractérisa par des mouvements plus secs et plus violents, l'extrémité du bokken fendant l'air avec autant de conviction que s'il avait chercher à tuer quelqu'un à chacun de ses mouvements. Eiji resta immobile sur un dernier plongeon en avant, s'offrant le luxe de quelques secondes de répit avant de se redresser, arme en main et rictus fermement en place sur le visage. Sans faire un pas vers l'intrus, il le fixa avant de lui adresser la parole.

« Qu'est-ce que tu fais dans le dojo dans cette tenue ? »

La voix pas plus que la phrase n'avait quelque chose d'aimable. C'était pourtant le début de l'année, mais bizarrement, ce n'était pas le moment où il avait envie de faire le plus d'effort pour soigner sa popularité. C'était surement pour ça qu'il faisait partie du club d'athlé et non de celui de kendo : le kendo était son jardin secret, son plaisir personnel, et il n'avait aucune envie de voir une bande d'abrutis envahir son espace personnel. Tandis que les terrains d'athlétisme lui paraissaient déjà beaucoup plus raisonnable pour les partager avec des débutants pas toujours très doués ni motivés.
En tous cas, le blondinet devant lui avait intérêt à vite dénoncer la raison de sa présence en ces lieux s'il ne voulait pas se faire expédier à grands coups de bokken dans le postérieur.

Le temps d'hésitation du garçon devant lui ne fut pas pour effacer l'air agacé du visage d'Eiji. Bien au contraire. Est-ce qu'il avait l'air de quelqu'un qui avait le temps de renseigner tous les nouveaux venus perdus qui finissaient leur course dans le dojo ? Non qu'une telle chose soit déjà arrivée – le lycée était grand, mais pas tant que ça – mais il n'arrivait pas à deviner ce que pouvait vouloir d'autre cet hurluberlu.
Quand celui-ci finit par expliquer la raison de sa présence, le kendoka n'était plus qu'à quelques secondes de mettre directement l'inconnu hors de son territoire. La question lui valut un long regard scrutateur peu aimable. Il ne faisait pas l'effort d'être aimable. Il n'avait pas envie de faire cet effort. Il avait été dérangé sur son terrain, dans son entrainement. S'il ne pouvait exprimer son énergie au travers de son sport, il le ferait autrement !

« C'est bien moi. »

De toute façon, l'autre ne l'avait pas attendu pour continuer à poser sa question. En rapport avec le club ? Le jeune homme marqua un temps d'arrêt, alors que surprise et agacement traversaient son esprit à parts égales. Quand il s'était retrouvé à la tête du club d'athlétisme, sous la houlette plus fanatique que bienveillante de la prof de sport aux conduites addictives dangereuses, Eiji s'était imaginé qu'il s'occuperait un peu des entrainements de ses cadets, voir des compétitions et tournois s'il y avait. Un peu de démarchage peut-être. Il avait oublié la toute petite mention dans le contrat signé avec le diable qui stipulait que nombre d'élèves allaient venir le démarcher, lui.
Enfin si, il avait pensé à ce détail. Mais dans sa petite tête bien cloisonnée de sportif borné, les questions et autres interrogations trouveraient leur place dans le local du club, ou sur les terrains de sport. Et n'empièteraient pas sur sa vie personnelle. Oui, le dojo entrait dans sa notion de vie personnelle hautement privée.
Avec le sentiment diffus d'avoir fait une boulette en signant le contrat métaphorique avec le professeur Lawson, Eiji se tourna lentement vers le ratelier d'armes où il déposa son bokken avec douceur avant de se retourner vers Seiji, les bras croisés, toisant de haut en bas son cadet.
Sa silhouette, tirant plus sur la minceur du saule que sur la solidité du chêne, ne semblait pas être celle de quelqu'un de très sportif. Même ses bras que laissaient voir sa chemisette à manches courtes ne comportaient pas le galbe des muscles. Pas vraiment le genre qu'on s'attend à voir se présenter pour un club d'athlé. Ou plus exactement, pas le genre qu'on a envie de voir se présenter pour un club d'athlétisme.

Il aurait pu lui dire de repasser plus tard... mais le mal était fait. Impossible de reprendre son entrainement après pareil interruption. Un jour, peut-être, il saurait retrouvé son calme à la demande, comme son sensei de Kyudo- mauvais exemple puisque l'homme semblait ne jamais le perdre- . En attendant, il continuerait de se défouler sur ceux qui le perturbait.

« Non, vas-y, pose tes questions. Mais par pitié... retire tes chaussures si tu veux rester dans ce dojo. »

La dernière partie de la phrase avait été prononcée d'une manière agacée, entre ses dents serrés, qui signifiaient que si Seiji n'enlevait pas lui-même vite fait ses chaussures, ce serait Eiji qui se chargerait de les mettre dehors pour lui. Et vu la délicatesse et la sollicitude dont le jeune homme faisait preuve à son égard, ce n'était probablement pas quelque chose qu'il aurait envie de vivre.

Seiji n'est pas un complet imbécile. Lorsque son interlocuteur grinça à propos de ses chaussures, il compris immédiatement qu'il devait s'exécuter au plus vite s'il ne voulait pas être mis à la porte avec perte et fracas. Le blond baissa la tête tout de même pour vérifier, une expression de surprise au visage. Ce fut pour se rendre compte qu'en effet, il avait omis d'ôter ses chaussures, une chose qu'il savait pourtant devoir faire lorsqu'il pénétrait dans un dojo. Il pinça les lèvres avant de relever la tête, gêné.

« Navré, j'ai oublié. »

Le troisième année rejoignit l'entrée où il enleva la pire, les mettant en ordre l'une contre l'autre tout en se morigénant mentalement. S'il commençait à être aussi étourdi, quelle image l'autre aurait-il de lui ? S'il devait le fréquenter tout au long de l'année à venir, il allait devoir redoubler d'effort pour ne plus pouvoir être pris en défaut. Une chose qu'il exécrait. Les erreurs restaient bien plus longtemps en mémoire que les choses bien faites et changeaient, parfois à tort, l'image que l'on avait d'une personne. Et s'il avait depuis longtemps compris une chose, il s'agissait bien de ça. Les apparences étaient importantes, probablement trop mais il ne referait pas le monde. Lui se contentait de jouer avec les règles déjà établies. Faire les choses bien restait essentiel, à seize ans comme plus tard.

Il revint cependant auprès du cinquième année, une minute tout juste après l'avoir laissé. Contrit, il n'avait simplement pas pris la parole, laissant son sempai patienter pendant ce temps. Il n'était pas certain, une fois face à lui, que ce fut la bonne chose à faire, mais Seiji choisit de ne pas s'y arrêter.

« Voilà. Désolé encore... »

Il laissa s'écouler une à deux secondes, cherchant en lui-même comment formuler ses interrogations. Ou sa recherche d'informations complémentaires, du moins.

« J'ai à peine eu le temps de lire l'affiche, il y a trop d'élèves qui se pressaient devant. Je n'ai pas pu voir les horaires du club, ni d'ailleurs où il fallait s'inscrire. »

Probablement dans la salle où se déroulerait les activités, mais comme il venait de l'annoncer, il n'avait pas réellement eu le temps de lire ce qu'il y avait écrit. Espérant que le président du club ne trouve pas désespérant de devoir répéter une information qui sans doute était notée, Seiji enchaina. Tant qu'à être là, dans le dojo, il préférait donner une bonne raison pour être présent et interrompre l'entrainement de son aîné.

« Faut-il aussi qu'on amène nos propres affaires ou s'il y a déjà de quoi faire. Comme je suis interne, et puisque les clubs sont une nouveauté ici cette année, il risque de me manquer des choses si je dois en apporter. »

Le « ici » avait été un peu plus appuyé, laissant bien voir tout ce qu'il en pensait. Une école sans club, vraiment ! Le soulagement avait été grand lorsqu'il avait vu le changement, et les réactions des étudiants semblaient en faveur de ce revirement. Combien d'entre eux avaient connus les activités extra-scolaires auparavant ? Probablement pas de cette manière pour les étrangers, mais les Japonais en avaient l'habitude normalement.

Se rendant compte qu'il s'était tu pendant plusieurs quelques secondes, il fit un sourire au cinquième année. Son regard dériva sur le râtelier, un peu plus loin, et le bokken que l'autre avait doucement posé.

« Ça n'a aucun rapport, mais depuis combien de temps fais-tu du kendo ? J'avais rarement vu quelqu'un aussi motivé dans son entrainement. »

D'ailleurs ils étaient seuls. Seiji en prenait enfin conscience. Alors qu'il aurait pu tomber en plein entrainement commun, il ne trouvait qu'une jeune homme seul. Loin d'en être ravi, la constatation lui fit froncer les sourcils. Tout ceci le changeait décidément trop de ce qu'il avait connu dans son lycée précédent.

[Seiji n'a globalement pas laissé le temps à Eiji d'en placer une (sauf en lui coupant la parole s'il a essayé XD)]

Le blond eut la bonne idée d'obéir promptement à la demande de son sempai, s'excusant au lieu de tergiverser. Un bon point pour lui. Eiji le suivit des yeux, une main dans ses cheveux humides de sueur, attendant les questions plus ou moins logiques qui l'attendaient par rapport au club. Il avait été presque sur qu'il n'y avait rien de complexe ou de difficile au fait de s'inscrire à un club d'athlétisme. Cette pensée revenait maintenant voleter vers lui maline et moqueuse, s'apprêtant à lui faire ravaler le moindre de ses mots. Comme ça il avait voulu prendre la responsabilité du club d'athlétisme ? Il allait donc voir ce que ça allait lui en couter...
De la patience. Beaucoup de patience.

La main d'Eiji dans ses cheveux s'immobilisa au fur et à mesure que se suivaient les questions et les commentaires du blond – qui ne devait finalement pas tant que ça attendre une réponse puisqu'il les enchainait comme une petite fille enfile des perles sur un fil de nylon - Il tenta bien d'interrompre la litanie de son interlocuteur mais sa voix ne put se faire entendre au milieu des diverses divagations de Seiji. Eiji finit par le laisser parler, avec quelque chose entre de la fascination et une envie de meurtre dans le regard, jusqu'à ce qu'enfin s'éteigne le flot de sa voix. A cet instant seulement il put se frotter les yeux pour essayer de chasser le vilain mal de crâne qui voulait poindre, probablement du à cette même pensée moqueuse : dans quoi s'était-il engagé ?

Dans tout ce qui avait été dit, Eiji tenta tout de même de trier un minimum les questions du blabla, tout en restant particulièrement sceptique sur la dernière question. Non, pas celle sur le kendo - il était à la fois gêné et motivé de parler de son kendo, mais s'il commençait sur ce sujet, il risquait de ne plus s'arrêter avant ce soir, mais bien par celle sur le matériel. D'un autre côté, quand on avait à faire avec quelqu'un qui oubliait d'enlever ses chaussures en entrant dans un dojo, on ne pouvait que s'attendre à une ribambelle de questions décalées, voir carrément stupides. Le kendoka inspira lentement, se forçant à afficher un calme qu'il était loin de ressentir.

« Une chose à la fois s'il te plait, si tu veux que j'arrive à répondre. Les inscriptions c'est pendant les permanences dans la salle des clubs la semaine de la rentrée, après faudra voir avec la prof de sport. Pour le matériel, le lycée a suffisamment de javelots ou de poids, ça devrait aller... Certes c'est la première année pour les clubs mais c'est pas comme si on n'avait jamais pratiqué pendant les cours de sport. »

Le point un peu moqueur de Seiji sur la présence toute nouvelle des clubs avait été notée, merci bien. Il était d'accord sur ce point là, et bien content que l'administration se décide enfin à les mettre en place cette année. Mais ce n'était pas la peine de le dire à haute voix et de se trouver un point commun avec ce bellâtre au sourire trop brillant pour être honnête. Oui, au final il aurait apprécié de le voir courir comme un dératé sur une piste d'entrainement jusqu'à le voir perdre se sourire un peu trop fier de lui. C'était amusant de voir comme quelques kilomètres dans les jambes pouvait changer l'apparence et le caractère de quelqu'un.

Inconscient que sa réponse allait poser des montagnes d'interrogation pour un Seiji pas tout à fait au bon endroit, le regard d'Eiji se tourna vers le dojo et se fit beaucoup plus amicale – oui, le dojo méritait plus de douceur et d'intérêt que la plupart de ses camarades -

« Je pratique le kendo depuis plus de 12 ans... encore heureux que je sois motivé. »

Le contraire était tout bonnement impensable et une insulte envers le dojo. Rien à voir avec le banal fait de courir autour d'une piste...

Il y avait quelque chose qui ne collait pas. Quelque chose qui réduisait sa capacité à retomber sur ses pattes, son esprit refusant l'évidence. Que son aîné plaisante ou qu'il ait mal entendu, aucune des deux solutions ne le satisfaisait. Aussi borné qu'il soit et décidé à ne pas être pris en tort, il devait bien admettre qu'il y avait, dans la réponse que l'autre lui fournit, des éléments qui ne concordaient pas avec ce qu'il attendait. Son imagination se chargea de combler ce manque, ce gouffre entre la réalité et ce qu'il s'était permis d'espérer.

Tout commença par un javelot qu'il s'imagina planté en plein cœur, perçant le kimono d'un éventuel membre du club. Chassant cette idée de la tête, l'image fut suivie par un jeu de quille avec les poids des cours de sport. La vaisselle termina en morceau, ce qu'elle contenait s'éparpillant au sol. Mais c'était là, définitivement, une chose improbable. Seiji se secoua pour ne plus y repenser.

Les secondes s'égrenaient quant à elles en silence, alors que son sempai regardait le dojo avec bien plus de douceur qu'il n'en avait octroyé à Seiji. Ce dernier n'en voyait rien pourtant, tentant de remettre en place le puzzle qui se formait dans sa tête. Il y avait forcément quelque chose qui clochait. Il avait mal entendu, ou l'autre plaisantait.

L'autre ne parut par se rendre compte de son trouble, ou choisit de ne pas y faire attention. Il répondit enfin à la dernière question que Seiji lui avait posté. Celui-ci saisit la perche au vol et s'y cramponna comme un koala à sa branche. Un peu perturbé par ce qu'il avait appris auparavant, il préférait s'en tenir à ce qui était à ses yeux un sujet neutre. Neutre car il n'y accordait qu'une importance relative, mais parler à Kimihiro d'un sport qui vraisemblablement le passionnait aiderait peut-être à passer pour moins idiot qu'il ne le semblait.

« Douze ans déjà ? »

Eh bien ! Il y en avait qui avaient la foi. Seiji resta admiratif un instant, puis sourit un peu, dévoilant ses dents blanches une fois de plus. Ses doigts remirent ses cheveux en place, chassant une mèche qui lui tombait sur le front et le chatouillait.

« Ça explique que tu paraisses aussi à l'aise alors. Tu semble ne pas fournir un seul effort, comme si les mouvements étaient naturels chez toi. Cela dit, j'imagine qu'après tout ce temps, il y a de ça. En revanche, je suis étonné. Tu es seul ici. N'y a-t-il pas d'autres kendoka dans l'école ? »

Seiji fit quelques pas et s'approcha du râtelier. Sa main se posa doucement dessus, alors qu'il observait le bokken, le regard perdu. Quelques souvenirs lui revinrent, sans pour autant qu'il oublie le sportif.

« Puis-je ? »

Demanda-t-il en se retournant vers lui, une main indiquant l'arme que l'autre avait déposé plus tôt. Se doutant bien toutefois que le peu qu'il avait appris était perdu à jamais, compte tenu des huit années sans mettre un orteil dans un dojo pour s'y entrainer, il n'avait pas du tout l'intention de faire montre de ses prouesses. Il s'était bien assez ridiculisé jusqu'à présent.

Et justement, à cet instant précis, en repensant au sport qu'il pratiquait auparavant, le lien se fit dans son esprit. Se tournant un peu plus vers le plus âgé, il fronça les sourcils, l'air soucieux. Il hésita un moment avant de reprendre la parole, les yeux rivés sur le sol et les lèvres pincées. Mais son courage lui revint, aussi fixa-t-il en face le président du club.

« Ôte-moi d'un doute... De quel club t'occupes-tu ? »

Parce qu'il commençait sérieusement à envisager une erreur de sa part. Et c'était vexant.

Loin de convaincre Eiji, les sourires ultra brite de Seiji portaient sur les nerfs du kendoka. Ils lui donnaient l'impression d'avoir quelque chose à cacher, ou au contraire de vouloir lui faire gober quelque chose avec son sourire de publicité. Il surveillait le moindre des mouvements de son cadet dans son dojo comme un chat surveille sa proie et attend le bon moment pour attaquer. Et le bon moment arriva au moment où Seiji osa poser sa main sur le bokken qu'Eiji avait manipulé quelques minutes auparavant, déclenchant l'instinct du mâle alpha qui voit son territoire menacé.

« Certainement pas ! Ce n'est pas un jouet pour gamin qui veut jouer au samouraï ! Si tu veux un entrainement, pas de soucis, mais revient d'abord en hakama et dans des conditions correctes ! En attendant respecte un peu ce dojo et évite de le considérer comme un terrain de jeu ! »

S'il avait été un animal, Eiji aurait eut la fourrure dressée sur sa peau et aurait été en train de grogner, tous crocs dehors. Pour l'heure, on pouvait presque entendre le grognement dans sa voix, et il semblait tout aussi mauvais que n'importe quel animal sauvage.
Mais qu'est-ce que ça pouvait le mettre hors de lui ce comportement... oui, manier le bokken, ou le kantana, c'était classe, impressionnant, et tout ce que tu veux, mais débarquer sur son terrain d'entrainement pour pouvoir faire joujou avec les armes... Il l'aurait pardonné d'un gamin, pas d'un ado de quasi son âge. Oui, il voulait bien prendre le temps d'entrainer quelqu'un, d'initier un parfait débutant même, mais si l'autre croyait qu'au bout de 5 minutes il allait pouvoir enchainer un kata et faire voltiger son bokken pour plaire aux filles, il se fourrait le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Et le bokken avec au passage.

Dans son coup de gueule, la dernière question avait été presque oubliée. D'ailleurs, était-il vraiment la peine d'y répondre ? Au point où il en était, Eiji avait juste l'impression que l'autre se foutait de sa gueule sur toute la ligne, ce qui expliquait en plus les magnifiques sourires auquel il avait le droit depuis son arrivée.
Ok, il s'était fait avoir, ça devait être un nouveau jeu des années précédentes... aller casser les pieds d'un des sempai et voir au bout de combien de temps on arrivait à le faire craquer. Eiji serra les dents et inspira, une fois, deux fois, gardant les mains le long de son corps pour ne pas qu'elles risquent d'aller se perdre quelque part, par exemple du côté du charmant visage de Seiji.
Il finit par donner sa réponse sur un ton bien plus poli qu'il ne s'en serait cru capable. Bravo, à ce rythme là, il serait bientôt maître zen et champion de Kyudo.

« Quel club ? A ton avis, avec la prof de sport, des javelots et des poids, qu'est-ce que je peux faire ? M'occuper d'une cérémonie du thé ? »

S'il avait pu suivre les pensées de Seiji, il n'aurait certainement pas évoqué la cérémonie du thé.
S'il avait pu suivre les pensées de Seiji ...en fait il n'aurait pas été là en train de lui parler, mais se serait déjà débarrassé de lui plus ou moins gentiment. Bon, ok, peut-être moins que plus en fait.
Cependant, la télépathie n'étant pas encore au programme de cette année – ni des classes prépas – il semblait clair que la conversation fonçait droit dans le mur du dojo.

Il y était. C'était là, maintenant, tout de suite. Le point de non-retour. Le moment qui scellait leur discussion. La conversation polie était terminée, brisée, étouffée, éviscérée par Kimihiro. La pauvre petite rampait dans l'esprit de Seiji, appelant au secours, faisant appel à sa pitié. Comme la flamme d'une bougie sur le point de s'éteindre, elle se tordait, rapetissait et grandissait tour à tour, jusqu'à ce qu'elle disparaisse totalement. Le jour où un type qui ne vivait que pour le sport userait d'un tel ton avec lui sans s'en mordre les doigts n'était pas encore arrivé, ça non !

Comment pouvait-il ? Comment osait-il ? Il aurait parfaitement compris un refus, même si sa fierté en aurait pris un coup, mais formulé ainsi ? Qui pensait-il être donc pour s'adresser à lui comme ça ? Il avait du apprendre le savoir-vivre au fond d'une grotte, entouré d'hommes de Néendertal, le blond ne voyait que cette explication.

Seiji releva la tête et se redressa imperceptiblement, sa main libre crispée. Il serra le poing, avant d'inspirer profondément. La petite flamme de la conversation aimable reprit vie un instant, bien vite chassée par les gros sabots de Dame Colère. La main toujours posée sur le bokken, il fusilla du regard celui qui venait de hausser le ton. Non, il ne laisserait pas passer cet affront.

« Ne me parle plus sur ce ton. »

La phrase, coupante, brisa le silence qui s'était établi. Sa stupeur passée, l'ego de Seiji reprenait toute sa place et l'emplissait tout entier. Il n'était plus que fierté froissée et colère rentrée. Pas un mot de plus ne franchit cependant ses lèvres durant les instants qui suivirent. Quelque part en lui, une petite voix semblait lui rappeler qu'il parlait à un aîné, et à un aîné beaucoup plus sportif que lui. C'était assez pour que, dans son indignation, il n'en rajoute pas sur la place que l'autre avait et sa légitimité à s'adresser à lui comme il le faisait.

« J'espère bien que tu ne t'occupes pas d'un club de cérémonie du thé ! »

Même s'il l'avait cru. Son erreur lui apparaissait toute entière à présent. Il avait bien conscience de s'être fourvoyé, chose qu'il n'admettrait cependant pas devant l'autre. Ou à tout le moins se garderait-il de lui dire qu'avec ses idées de cérémonie du thé, il tombait justement sur le pourquoi de la présence de Seiji au dojo.

« Tu gères j'imagine du club d'athlétisme. » lâcha-t-il en se radoucissant, ses lèvres étirées en un sourire mauvais qui n'augurait rien de bon. « Je pense que je verrai pour m'y inscrire. Au fond, ça peut être une bonne idée de reprendre le sport. Je suis sûr que tu seras parfait comme moteur pour progresser. »

Ah ça ! Il serait une motivation excellente ! Juste lui prouver qu'il n'était pas aussi mauvais, aussi idiot qu'il le paraissait. L'autre risquait de lui en faire voir de toutes les couleurs, c'était certain, mais Seiji avait la ferme intention de parvenir à un résultat encore meilleur que ce que Kimihiro pouvait espérer. A dire vrai, il s'agissait davantage d'être dans ses pattes, de se venger de ce coup porté à la fierté du blond, bien involontairement pourtant. Si le 5ème année avait jamais su que ça se finirait comme ça, il aurait certainement pris des gants... Ou collé un pain à Seiji dans l'espoir qu'une fois à l'infirmerie, il réalise sa connerie.

Pour l'heure celui-ci était bien là, éveillé et debout à quelques pas du râtelier. Tout en parlant, il s'était légèrement déplacé, perdant sa rigidité pour retrouver son arrogance habituelle. D'une main, il chassa la mèche de cheveux qui lui était retombée sur le front et gênait sa vue.

« Inscription durant la permanence en salle des clubs, disais-tu ? »

Et tout au fond de lui, la petite voix lui soufflait que c'était une très mauvaise idée.

Inspirer, expirer, histoire de ne pas incruster la tête de Seiji dans le mur du fond du dojo, fait qui, s'il serait très agréable, créerait une décoration fort peu propice à la concentration que demandait les lieux. Grave erreur que de laisser la possibilité au jeune homme de s'exprimer sans l'interrompre : loin d'adoucir l'humeur d'Eiji, celui-ci jeta sans vergogne de l'huile sur le feu, devenant un appel au massacre à lui tout seul.
Et il y avait des limites à ce que la patience somme tout minime d'Eiji pouvait endurer. Honnêtement, là, devant une telle situation, il pouvait dire en toute sincérité qu'il avait fait le maximum, mais que le manquement au respect du à un sempai était plus qu'il ne pouvait supporté et qui méritait amplement une punition. Certes, il n'avait pas réfléchi jusque là... mais il pourrait toujours y penser après.

Le kendoka s'avança lentement vers son cadet, avec le léger sourire aux lèvres de quelqu'un qui sait qu'il va arranger la situation. A son avantage de préférence, et pas forcément d'une manière très protocolaire. Un pas, deux pas. Le troisième fut suffisant pour lui permettre de toiser Seiji et de se trouver à sa portée : le sportif ne perdit pas de temps à attraper le garçon par le col et à le faire reculer avec violence jusqu'à le cogner contre le mur du dojo. Le bruit mat du choc vint remplacer la voix hautaine et agaçante qui avait résonné jusque là dans son domaine. Les coups y avaient plus leur place que les minauderies.

« Tu imagines ? T'as suffisamment de cervelle pour avoir de l'imagination ? »

Chaque phrase était ponctuée d'une secousse assez violente pour claquer la tête de son cadet contre le mur avec un bruit qui satisfaisait entièrement les nerfs d'Eiji. Son sensei de Kyudo en aurait été désespéré. Une bonne chose qu'il ne soit pas là pour voir la scène alors...
Le brun plaqua une dernière fois son cadet contre le mur, plus brutalement que les fois précédentes, avant d'ouvrir les mains et de le lâcher, se contentant de le regarder de haut avec un regard emprunt de rage et de mépris.

« Ne remets plus les pieds dans ce dojo ! »

Eiji le contempla un instant de plus avant de lui tourner le dos et se diriger vers le râtelier d'armes, repositionnant subtilement celle que Seiji avait pu déplacer - quelque part dans son imagination – ignorant la présence de l'autre garçon comme s'il n'avait été qu'un insecte gênant dont il avait voulu se débarrasser. Avant de changer d'idées et de couler un regard moqueur sur lui.

« Et viens à l'entrainement d'athlétisme si tu veux. Ça sera toujours marrant de voir ce que je pourrais tirer de toi. »

Sa colère était loin d'être étouffée par les quelques coups qu'il avait pu donner, mais les lieux avaient au final joués un rôle protecteur pour Seiji : même si Eiji défendait ce qu'il considérait comme son domaine, il répugnait à se livrer à une bagarre pure et dure dedans.

[HRP : Let' do the time warp again o/]

Il l'avait vu s'approcher. Il l'avait vu faire et pourtant il n'avait pas réagit. Seiji n'avait même pas songé que, peut-être, l'autre garçon ne se montrerait pas pacifiste. Enfin, une part de son esprit avait émis cette hypothèse, mais qu'on le plaque, lui, contre un mur de manière si violente, si barbare... Il n'avait pas pu consciemment le concevoir. Grave erreur, et il s'en rendait compte alors que l'autre venait de lui rappeler une chose essentielle.

Un mur, ça fait mal.

Mal dans les épaules, d'abord, et le haut du dos en général. Se crispant sans trop pouvoir se rattraper, puisque pris par surprise, il heurta le panneau de bois avec autant de maitrise qu'une poupée de chiffons. Il lâcha une exclamation étouffée. Le choc lui fit fermer les yeux en se crispant, bien qu'un soupçon de fierté l'obligeât à les rouvrir immédiatement. Eiji n'en demandait pas tant. Il déblatérait des choses que Seiji, trop secoué, ne comprenait pas. Puis, enfin, le calme revint.

Il retomba sur ses pieds, mollement appuyé contre ce qui se trouvait derrière lui. Les paroles qui fusèrent dans le dojo parvinrent à ses tympans, sans que l'information ne remonte vite. Le blond était secoué. Les coups répétés l'avait déboussolé, mais quelques secondes après, une dizaine peut-être, tout lui revint dans l'ordre. Il fut tenté pendant un moment de répondre, comme la première fois, au cinquième année, mais il avait au moins assimilé qu'il s'agissait-là d'une très, très mauvaise idée.

Ses yeux remontèrent sur le dos de son aîné, alors que celui-ci ne lui prêtait plus qu'une attention relative. Il sursauta, puis se redressa en le voyant se tourner vers lui. Son corps se contracta par anticipation, pourtant rien ne vint. Sinon une phrase, une seule, qui allait le faire méditer pour un bon moment. Était-il, finalement, aussi sûr de vouloir rejoindre le club d'athlétisme ?

Sa réponse immédiate était non, mais hors de question de le reconnaître.

Le garçon s'éloigna un peu du mur, contournant largement le kendoka pour aller vers l'entrée. Il ne lui tourna d'abord pas le dos, s'efforçant de ne pas presser le pas. Passé deux ou trois mètres, il s'arrêta même, hésitant sur la marche à suivre, avant de finalement se décider.

« Nous nous reverrons au club alors. Kimihiro-sempai. » ajouta-t-il après une légère hésitation.

Sa voix gardait quelques accents de colère, bien cachés derrière la prudence que lui dictait sa peur. Il ne s'agissait pas de se retrouver coincé à nouveau. D'ailleurs, il se remit en route vers la sortie, se souvenant de justesse qu'il était en chaussettes. Il fit demi-tour, sans oser regarder le cinquième année et enfila rapidement ses chaussures, avant de sortir.

Arrivé à l'extérieur, il ne put s'empêcher de se passer une main derrière la tête, pour frotter là où celle-ci avait heurté le mur. Il grimaça, puis baissa le regard sur sa tenue qu'il arrangea, avant de remettre ses cheveux en place. Enfin, il repartit en direction des dortoirs, se promettant de prendre un cachet pour le mal de crâne... et d'aller s'inscrire au club d'athlétisme, parce qu'il n'était pas dit qu'un Nakamura ne tienne pas parole. Mais... Plus tard.

[The end.]