L'arrivée prochaine de la fête du sport redonnait un massif intérêt pour le terrain d’athlétisme à une grande partie des lycéens. Si habituellement, en fin d'après-midi, on ne retrouvait sur la piste que les irréductibles du club d’athlétisme en train de s'échauffer sur la piste, ce début octobre y voyait fleurir des têtes de toutes les classes qui auraient tôt fait de disparaître à nouveau après l'évènement. De vrais bonhommes de neige qui disparaissaient une fois la saison de la neige finie.
Restait que c'était plutôt amusant de les voir courir à des rythmes d'escargots neurasthéniques ou tenter d'élaborer des stratégies qu'ils oublieraient trois foulées plus tard, trop essoufflés pour penser droit.

Grand seigneur, le sportif donnait des conseils ou essayait d'entrainer péniblement certains de ceux qui faisait des efforts, sans toujours arriver à comprendre comment on pouvait se retrouver essoufflé au bout d'un tour de terrain à un rythme de voiturette électrique d'enfant. Garder sa patience dans ces cas était souvent plus délicat, surtout quand certains de ses petits camarades ne semblaient pas comprendre qu'en 10 jours, ils ne deviendraient pas des athlètes accomplis. Enfin, une bonne partie le prenait quand même avec bonne humeur, mouillant leur t-shirt avec une réelle bonne volonté.

Le kendoka fit quelque pas en direction d'un des grands projecteurs qui éclairait le stade plongé dans la pénombre dès la fin de l'après-midi. Immobile, en short et T-shirt, la fraicheur se rappelait rapidement à son bon souvenir, l'endiguant à se bouger un peu s'il ne voulait pas se retrouver avec des muscles rouillés. Toutes ces présences étaient fort sympathiques, mais il devait avouer qu'il avait hâte que tout ceci se termine, histoire qu'il puisse retrouver le terrain tranquille comme d'habitude et refaire ses exercices sans risquer de se cogner à quelqu'un qui était trop épuisé pour marcher droit. Dans un mouvement machinal, plus instinctif que réfléchit,le troisième année se lança dans une série d'étirements en gardant un oeil sur la piste.

Son regard fut attirer par un éclat orange qui se révéla être un ballon de basket entre les mains d'une petite jeune fille aux cheveux assez clairs. Où l'avait-il déjà vu ? Pas sur le terrain d'athlétisme, c'était sur, il connaissait encore ses camarades de club, merci. Il la regardait dribbler quand le déclic se fit : sur le terrain de base ball avec Togawa. Le terrain étant proche de celui d'athlé, ce n'était pas rare que les équipes se croisent. Maintenant, la question était de savoir pourquoi elle venait jouer ici avec son ballon ? Il y avait de meilleurs endroits pour attendre les autres, non ?

«  Hey, minette, tu veux pas arrêter de jouer à la baballe ? Tu peux venir t'entraîner pour les relais si tu t'ennuies tant que ça... »

Effectivement, devoir gérer les autres l'avait laissé un peu plus tendu qu'il ne l'avait prévu, mais c'était toujours rageant de voir des gens qui n'avaient rien à faire là se promener sur le terrain comme si c'était un jardin d'enfant. Est-ce qu'il faisait des pompes sur le terrain de basket ? O si on lui lançait le défi, il le ferait sans soucis, mais là n'était pas le soucis. Il aimait juste que les choses soient relativement claires.

Heureusement pour Eiji, ses réflexes du kendo – et d'années passées à emmerder ses coéquipiers aussi, il fallait bien le dire – réagirent suffisamment vite pour lui faire intercepter le ballon si gentiment lancer en direction de son visage. C'est qu'elle en avait de la force l'adorable minette. Et un caractère qui allait de paire avec vu ce qu'elle lui répondit. Franchement, le club de basket dressait plutôt mal ses recrues si elle en était un exemple. Est-ce qu'on voyait des comportements pareils au sein du club d'athlé ? En tous cas, jamais quand Tizziano-sensei était dans les parages : les 10 tours de terrain qui suivraient avait déjà calmé plus d'un agité.

Entre désespoir provoqué par ceux qui s'entrainaient présentement, et défi lancé par la jeune fille, Eiji ne pouvait lui rester insensible. Avec un sourire carnassier, le jeune homme envoya le ballon promener sur le côté de la piste où il s'immobilisa au pied du projecteur, inutile et oublié de tous pour le moment.
Autour d'eux, quelques élèves s'étaient éloignés après leur avoir jetés des coups d'oeils inquiets. Bizarrement, il s'agissait plus précisément des camarades de classes de la demoiselle puisqu'ils semblaient plus jeune et qu'il ne les reconnaissait pas. Ah ? Ca changeait, d'habitude c'était plutôt de lui qu'on se méfiait. C'était presque agréable comme sensation, tien, de ne pas être celui qui faisait fuir les foules au moindre mouvement d'humeur.

«  Pas du tout, j'ai même hâte de voir si tu tiens le choc miss Ballon d'or, enfin si tu cours aussi bien que tu jongles. Prête pour une petite demi-douzaine de tours ? »

Rien de bien méchant en somme, mais dont la simple évocation semblait faire palir les similis coureurs. Ce n'était pas parce que le relais se faisait sur une petite distance qu'il fallait se contenter de s'entrainer sur la dite distance mais... non, l'idée ne semblait pas réussir à se faire entendre dans leur caboche. Et après ils s'étonnaient d'avoir du mal à suivre la cadence imposée... Même son chien faisait mieux qu'eux !

Sans attendre de réponse – vu le regard délicat et la posture de la demoiselle, elle était du genre à répondre à un défi les deux poings en avant – Eiji s'élança sur la piste, choisissant à dessein le couloir extérieur : de un parce qu'il était religieusement délaissé par ceux qui faisaient des entrainements bateaux, histoire de ne pas trop se rallonger le tour, et ensuite parce que lui, il aimait bien le rallonger le tour justement. La plupart de ses entrainements de course se faisaient plus en extérieur que sur un terrain, où mesurer les distances était un peu plus délicat. Tourner en rond comme un âne dans un cirque n'avait d'intérêt que s'il y avait quelqu'un à côté justement.
Cherchant à tester sa cadette, Eiji partir d'un bon pas. Vu comme elle lui avait répondu, elle devait être bonne – ou stupide – gentil garçon, Eiji avait choisi la première solution, lui donnant tout l'opportunité de lui prouver.
Ah, ces merveilleux moments de communication qui passaient d'abord par la reconnaissance du muscles et de l'effort, élégante régression néandertalienne. Mais entre brutes, on savait toujours communiquer, non ?

Loin d'imaginer le regard lubrique pointé sur son auguste arrière-train, le troisième année se contentait de courir d'un bon pas le long du terrain, avalant la piste de sa longue foulée habituée. Les autres coureurs leur laissaient sagement la piste, et avec un peu de chance, et le froid qui s'imposait, ils ne tarderaient pas à être tranquille sur le terrain, ou juste accompagné des vrais sportifs du club qui venaient reprendre leur domaine pour un réel entraînement, et non ces petites foulées à peine digne de l'échauffement d'une maison de retraite. Même le cours de sport était plus actif !

Un rapide coup d'oeil sur le côté lui indiqua que la jeune fille suivait ses traces sans trop de soucis, un air concentré sur le visage. Parfait... sans forcer, il accéléra légèrement le rythme, essayant au passage de se souvenir du nom de la coureuse. Avec la manie qu'avait Togawa de brailler le nom de ses partenaires de base-ball sur le terrain, cela aurait pu être facile, mais il semblait bien que sa mémoire n'avait pas cru bon d'enregistrer un si petit détail. Tant pis, s'il devait y avoir des présentations, il pourrait remédier à cette amnésie partielle à la fin de la course, si elle avait encore assez de souffle pour discuter.

« Après le 1er tour d'échauffement on pourra accélérer. Si t'es encore là. »

Discuter pendant un entraînement n'était pas tellement dans ses habitudes, mais il aurait été tout de même dommage de ne pas discuter un peu avec celle qui semblait avoir tant de verve juste avant. Un peu dans le genre de Konata maintenant qu'il y pensait. Heureusement qu'elles n'étaient pas dans la même classe : il y aurait surement eu des étincelles autour d'elles pendant que les plus douces élèves autour d'elle auraient servie de tampons pour donner à leur classe une allure plus pérenne – ou normale s'il voulait vraiment être moqueur –. Le troisième année tenta d'effacer le sourire amusé qui s'obstinait à s'agripper à son visage. Certes, il n'avait pas de réputation à préserver ici, mais il allait encore passé pour un taré qui prenait son pied tout seul en courant comme un fou. Encore étant le mot clé de la phrase.

Loin au dessus d'eux, totalement désintéressé du sort des quelques étudiants japonais qui s'acharnaient à étirer leurs muscles sur la piste d'athlétisme, quelques nuages s'étaient ramenés pour rajouter un touche funeste à un ciel déjà d'encre, menaçant de crever au moindre coup de vent un peu plus fort que les autres. A moins qu'un yokai un peu plus mesquin que les autres n'aient décidé que les lycéens avaient besoin de prendre leur douche avant la fin de la course, pour leur rafraichir les idées ? Toujours est-il que le vent souffla, ébouriffant les cheveux des coureurs, pour leur signaler le changement de temps. Témoin muet, le ballon de basket avait même été délogé de son nid pour venir jusque sur la piste où ils courraient, un feu orange éteint dans le noir signalant leur point de départ.