Rien ne parvenait à la calmer. Non, vraiment rien, même pas la nuit tranquille qui s’annonçait ni les gouttes de pluies froides et fraiches qui commençaient à tomber. Pour la première fois depuis environ huit ans, la jeune anglaise avait passé plus d’une heure dans ses vêtements qu’elle qualifiait de « trop simplistes » et sans aucun atout permettant de les distinguer. Effectivement, Tenver n’était habillée que d’une chemise noire et d’un pantalon, non pas baggy, mais tellement large par rapport à sa finesse qu’il lui tombait bien bas sur les hanches, laissant apparaître un élastique large de caleçon. Voila que la jeune fille passait de ses robes gracieuses de EGL à des vêtements soi-disant ordinaires. Et c’était cela qui l’énervait, elle ne supportait pas de devoir se séparer de ses robes noires à volants, sans ça, elle ne se sentait plus « elle ». Avec la pluie, ses vêtements et ses cheveux rouges commençaient à lui coller sur la peau. Ses magnifiques iris bleus ressortaient plus qu’à tout autre instant. Son énervement était parfaitement visible, on ne voyait que cela sur son visage pâle. La tête enfoncée dans les épaules, les mains dans les poches, elle ne regardait même pas devant elle, préférant laisser ses jambes faires le travail. De toute façon, si elle réussissait, bien qu’elle n’en avait aucune envie, à y mettre du sien, elle n’arriverait qu’à se perdre encore mieux et le fait d’avoir mit ses lentilles ne l’aiderait pas plus. Ce pays était vraiment pire que chiant. Même au printemps, le temps était imprononçable à l’avance. Elle passait son agacement sur n’importe quoi, le temps était à sa portée, alors c’était en partie sa faute. Mais quiconque aurait été présent, quiconque se serait vu être insulté de la même façon. Tenver broyait du noir, ou pire que ça, lorsque ses jambes s’arrêtèrent de marcher brusquement. Elle leva les yeux, le regard hautain et effrayant, et regarda autour d’elle.

Elle se retint de hurler de consternation. Pourquoi était-elle jusqu’ici ? Ne pouvait-elle pas se contenter de se promener, façon de parler, dans la ville sans endroit précis pour but ? Il fallait vraiment qu’elle vienne se terrer dans ce lieu où elle n’avait jamais mit les pieds ? Alors là, c’en était vraiment affligeant… Elle aurait largement préféré se perdre. Son regarda passa du panneau où était inscrit le nom de l’école et autre débilités que les établissements scolaires aiment s’attribuer à la grille légèrement entrouverte juste à côté. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres quand elle la poussa de très peu pour pouvoir passer. Elle se demanda pourquoi cette grille était restée ouvert. Elle-même qui ne fréquentait pour ainsi dire jamais les institutions où elle était censée aller, savait que cette grille ne devait pas être ouverte à cette heure du soir. Peut-être que le gardien l’avait oubliée, mais c’était rare…

Arrivée au devant de la façade, elle poussa un soupir et fit le tour pour passer par la porte de derrière, elle aussi ouverte. Etrange. Tenver arriva devant les escaliers, sortit les mains de ses poches et regarda attentivement tout autour d’elle. Aucune lumière n’était allumée, et aucun bruit ne parvenait jusqu’à ses oreilles. Pourtant, l’anglaise était presque sûre et certaine que quelqu’un d’autre se trouvait à l’intérieur. Elle secoua sa tignasse rougeâtre avec ses mains, propulsant de l’eau partout autour et toucha ses vêtements. Ils étaient mouillés mais pas trempés, quelque peu dégoulinants par endroit, mais ça irait. Elle posa un pied sur la première marche, vérifiant que ses chaussures ne faisaient aucun bruit, et monta les escaliers. La jeune fille espérait franchement que la personne présente, s’il y en avait une, n’était pas quelqu’un de lourd. Comme par exemple une fille simplette qui voudrait faire sa rebelle et s’en ventera demain en cours. Ou encore un gros drogué qui n’avait aucun endroit pour venir se piquer et qui a choisit le premier bâtiment venant l’aider à compenser son manque, en l’occurrence ; une école. Quel endroit bien choisit ! Ce genre de personne était vraiment insupportable. Mais le pire, la personne qu’elle ne voulait vraiment pas voir ce soir, était le brun. Commet trouver un autre qualificatif lorsque que l’on ne connaît rien à part son physique. Si ce mec était vraiment son frère, cela ne l’étonnerait pas plus qu’autre chose. Mais en même temps, Tenver ne voulait pas que ce soit lui. Même si elle préférait largement son attitude à celle d’un gars plein de bon sens, de gentillesse et super protecteur. Arrivée à l’étage suivant, une odeur de tabac l’interrompit dans ses pensées. Elle avança le long du couloir et s’arrêta devant la salle de permanence avant de la faire coulisser du pied. Ses yeux, qui exprimaient comme un détachement profond par rapport à tout ce qu’elle faisait, se posèrent instantanément sur la seule et unique personne qu’elle n’avait pas envie d’apercevoir cette nuit. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire entre l’amusement et le dédain alors qu’elle s’appuyait contre l’encadrement de la porte.

« Quand on parle du loup… »

Jamais il n’aurait pensé être si vite dérangé. Il était vrai que jusqu’à présent, il n’avait rien fait pour ne pas être trouvé. La grille de l’école était ouverte, la porte de la salle où il se trouvait n’était pas complètement refermée. N’importe qui possédant un tant soit peu de sens de l’observation le trouverait illico. Ca n’était pas plus mal comme ça. Un peu d’activité faisait toujours du bien, surtout quand on vous forçait à rester le cul sur une chaise, les yeux rivés sur des plans plus compliqués les uns que les autres. S’il aimait son métier, il n’en restait pas moins qu’un plan, c’était chiant. La partie pleine d’action et d’adrénaline avait cet avantage qu’elle ne le laissait pas s’ennuyer. Et elle n’était prévue qu’un mois plus tard... Un mois, c’était long.

Un bref soupir s’échappa d’entre ses lèvres alors qu’il entendait les pas s’approcher de la pièce. Il se redressa imperceptiblement, tirant une latte sur sa clope, les yeux rivés sur la fenêtre, le visage sombre et fermé. Ses sens en alerte, il se contenta pourtant d’attendre que la personne entre. Et quelle personne ! Il aurait préféré ne plus la revoir, cette sœur qui, il le sentait, allait devenir encombrante. Il se demanda avec un sourire mental comment Arianne réagirait si elle apprenait que lui aussi avait biologiquement une sœur. Il savait qu’elle n’appréciait pas tellement Tsukiyo, probablement un peu jalouse ou alors, elle avait peur que la blonde ne lui prenne le blond. Ca n’était pas arrivé, et au final, quelqu’un d’autre leur avait pris Nihya.

Il inspira une grande quantité d’air avant de se retourner vers Tenver. Que faisait-elle là ? Ne lui avait-il pas dit de l’oublier ? En quelle langue devait-il s’exprimer pour espérer être compris ? Le japonais n’était visiblement pas assez expressif, et l’anglais... De toute façon elle n’en ferait qu’à sa tête. Elle n’avait pas l’air plus porté que lui sur le respect des ordres reçus. C’était selon si ça les arrangeait ou non, et visiblement, ignorer l’existence de Sheikhan semblait au-dessus des forces de la.. rouquine ? Elle n’était pas vraiment rousse, d’ailleurs.

Il ouvrit légèrement la fenêtre et jeta sa clope à l’extérieur d’une pichenette avant de se tourner complètement vers la demoiselle, les jambes croisées, bras tendus, les paumes sur la table. Que comptait-elle faire, au juste, maintenant qu’elle l’avait trouvé ? Il semblait qu’elle ait pensé à lui durant ces dernières minutes. Ce fut en tout cas ce que la phrase qu’elle avait prononcée laissait entendre.

Il avait envie de fumer à nouveau. Chose curieuse chez lui qui, sans nié être un grand fumeur n’était pas non plus accro au point d’en avoir constamment une au bec. Il passa donc, jugeant que son envie lui passerait bien ou qu’il fumerait quand il aurait retrouvé une relative tranquillité qui lui manquait déjà. Bien conscient de ne pas trop savoir ce qu’il voulait, et donc d’être passablement sur les nerfs, il fit un effort pour paraître totalement calme.

« Que fais-tu là ? »

La vraie question était plutôt « qu’est-ce que tu me veux ? ». Elle comprendrait sans doute, mais libre à elle de faire mine de rien ou non. C’était après tout une occasion rêvée de lui faire comprendre qu’il en voulait pas avoir affaire à elle quelqu’en soit la raison. Elle était têtue (ou donnait cette impression), mais lui n’était pas mal dans son genre non plus. C’était un petit jeu qu’il ne comptait pas perdre, et il arriverait bien à se débarrasser d’elle, de gré ou de force. Il n’avait jamais été tendre avec les femmes, contrairement à d’autres aux idées plus chevaleresque. Le sexe des gens qui lui tapaient sur les nerfs lui importait peu, et présentement, Tenver l’agaçait déjà. Qu’est-ce qu’elle lui voulait au juste ? Il n’avait en commun qu’une partie de leur patrimoine génétique, mieux valait qu’elle ne s’attende pas à ce qu’il se transforme en grand frère modèle. La seule sœur qu’il portait dans son cœur était une gamine de bientôt 15 ans, et ça n’allait pas changer de sitôt.

Ce gars là, elle aurait tout fait pour l’éviter. Elle était même tentée de repartir en arrière. Mais en faisait cela, il aurait fallu que sa fierté disparaisse un instant, une fraction de seconde. Mais non, ce sentiment indomptable était toujours présent et son idée de fuir lui sortit presque immédiatement de l’esprit. Aussi vite que l’idée lui était venue. Si un quelconque indice lui aurait permit de déduire que c’était lui qu’elle allait trouver dans l’établissement, Tenver ne se serait sûrement pas introduit dans l’école. Quoique, un autre sentiment aurait put prendre possession d’elle. L’envie de savoir, la curiosité et surtout la conséquence qu’elle pourrait tirer d’une conversation avec le brun. Etait-il vraiment ce qu’elle ne voulait pas qu’il soit. Peut-être, peut-être pas. En tout cas, il fallait une réponse.

L’anglaise avait toujours en tête leur « très longue et développée » conversation qu’ils avaient eu au parc. L’attitude qu’il avait eue avec elle ne prouvait rien, mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir un doute. Un doute qui la travaillait depuis un certain temps d’ailleurs. Tenver se doutait bien que si il était vraiment son frère, il ne se serait pas permit de lui sauter dans les bras la larme à l’œil. Ça non, de toute façon, elle n’aurait pas apprécié elle-même. Le faite qu’il lui demande le nom de son père n’était pas une simple question. Ce n’était pas dans le protocole de demander le nom du paternel à son interlocuteur en tout premier.

La jeune fille ne bougea pas, mais son regard voyagea longuement sur le visage froid et dur assez loin devant elle. Son sourire avait disparu derrière un sentiment sombre et une figure à présent complètement inexpressive. Les bras croisés, elle apprécia pleinement le sentiment de défi et d’affront qui planait entre les deux tout en plongeant ses yeux bleus dans ceux, tellement semblable, du jeune homme.

Sa respiration, légèrement plus bruyante que d’ordinaire à cause des marches qu’elle avait grimpé, se faisait entendre alors qu’un sublime blanc s’installait dans la salle. Tenver n’avait jamais été une grande sportive, et sa petite taille en témoignait. Sa finesse également. Elle n’était pas musclée du tout, ni souple, et n’importe quel effort l’épuisait en un instant. Pour briser se silence qui n’était pas lourd de sens, elle s’avança lentement à travers la pièce.

Ses pas résonnaient fortement, et, les yeux continuant à dévisager l’homme, à présent juste devant elle, elle prit une chaise et la posa bien en face de celle sur laquelle se trouvait le brun. L’anglaise s’assit sans aucune délicatesse, pour la première fois depuis qu’elle se trouvait à cet endroit, détourna la tête pour fixer au dehors.

« Ça ne te regarde pas. »

Référence à la réponse si délicatement lancée qu’il lui avait répondu quand elle lui avait demandé qui il était. Tenver réprima un sourire. Elle savait bien que son attitude avait pour complexe de mettre sous tension les gens qui parlaient avec elle. Être lunatique n’était pas un atout. Mais elle s’en servait comme tel. La jeune fille aimait se savoir complexe et impossible à cerner dans son caractère.