La porte s'ouvrit docilement quand il glissa la clé dans la serrure, sans un grincement qui aurait pu faire croire qu'elle était mal entretenue. Quand le directeur avait prévenu Cathan qu'il y avait des appartements réservés aux professeurs au sein du lycée, il en avait été mi-figue mi-raisin. Ah, les profs étaient logés à la même enseigne que les mômes ici ? A y réfléchir de plus près, c'était assez logique. Si la plupart des profs étaient comme lui, à savoir étranger, et arrivaient en cours d'année ... vu les difficultés à se trouver un appart' au Japon, mieux valait prévoir. Et puis comme ça, il avait sa main d'œuvre sous la main pour s'occuper des élèves qui vadrouillaient.
Bon, ok, il n'était pas là pour jouer les gardes-chiourmes, et les gosses ne devaient pas tous être des criminels en puissance ... Il avait intérêt à revoir sa façon de penser avant d'en effrayer réellement quelques uns. Quoique les gosses de nos jours ... Enfin de nos jours aux USA ... Peut-être que ceux du Japon étaient plus sages ? Non, des gamins restaient des gamins, d'un côté ou de l'autre de l'océan.

La piaule était plutôt pas mal - certes dans le genre immaculée qui n'a pas vu l'ombre d'un humain depuis que la femme de ménage était passée la nettoyer quelques jours plus tôt en vue des nouveaux arrivants - mais c'était presque plus sympa que son ancien appart surchargé de bordel, où il y avait un unique chemin pour se rendre de la cuisine au salon. Pas de sa faute si il avait tendance à empiler ses dossiers les uns sur les autres ! Cathan s'offrit le petit tour du propriétaire comme un grand - cuisine, salon, quatre chambres, salle de bain - parfait. Il espérait juste que les autres colocataires ne seraient pas pressés d'arriver. Pas qu'il soit contre un peu de compagnie - pas de soucis pour ça ! - il avait juste un doute sur ses capacités à entretenir de bonnes relations avec de purs nippons. Ou plutôt eux avec lui en fait. Le côté retenu, tranquillité cher au Japon ... ne faisait pas partie de ce dont il avait hérité dans ses gènes. En fait, il n'avait pas hérité de grand-chose du côté paternel au final, à part une bonne maîtrise de la langue japonaise. Et encore ça, c'était une des nombreuses choses qu'il devait plutôt à sa mère.

Il laissa enfin tomber son sac sur le lit d'une des chambres - elles étaient toutes pareilles, il avait juste choisi celle dont la fenêtre ne donnait pas sur l'est. Vu l'heure à laquelle se levait le soleil dans cette partie du globe, il ne comptait pas être là à le regarder. Pas folle la guêpe ! Son côté US - et rouquin - lui rappelait qu'à certaines heures, il aimait la douce tranquillité de son lit. Certes, paradoxal quand il n'hésitait pas à passer des nuits blanches. Quoique pas tant que ça : il n'aimait pas le lever du soleil, quelque soit la façon dont on se retrouvait à l'observer. Basta.
L'américain passa la demi heure suivante à ranger ses affaires dans l'armoire de la chambre ou sur son bureau. Certaines choses - en partie ses vêtements - étaient vite expédiées, d'autres - son portable et quelques autres joujoux numériques - traités avec plus de soin. Son Glock 22 eut le plus d'attention alors qu'il décidait quoi en faire. Venir sans au moins une arme de poing lui avait été impossible - aussi invraisemblable que se balader à poil - et son arme jumelle à son arme de service lui avait semblé le meilleur choix. Maintenant, ici, dans un endroit plein de gosses ... il n'avait pas envie d'un accident. En demi-teinte, il finit par le ranger dans un des tiroirs du bureau qui fermait à clé, et glissa celle-ci dans la poche de son jean. Au pire, il finirait par la prendre sur lui s'il estimait qu'il ne voulait pas en être séparé. En attendant, il n'était pas si effrayé par ses futurs élèves qu'il avait besoin du doux poids d'une arme à feu pour se rassurer.

La dernière chose à laquelle il fit attention fut les bouquins qu'il déposa sur son bureau : des bouquins de maths de lycée des cinq années - c'était vraiment si facile que ça ce qu'il avait appris à 15 ans ? Il avait du mal à envisager la difficulté, même à demi abruti par des heures de manque de sommeil et le décalage horaire. Y était venu rejoindre un guide pratique d'enseignement, un dossier de cours récupérés sur le net, et, on ne savait comment, un exemplaire du cercle des poètes disparus. On avait les références que l'on pouvait ...

Cathan revint vers le salon, ouvrant les volets de toutes les fenêtres sur son chemin, laissant entrer un peu de lumière dans ce pauvre appartement désert. Note : voir pour la décoration des lieux. Ces pauvres murs blancs allaient vite le saouler.
L'homme récupéra une canette de thé qu'il s'était acheté dans un distributeur juste avant son arrivée et se laissa tomber sur le sofa. La première gorgée du breuvage lui arracha une grimace. Le thé ... il allait vite investir dans une cafetière avant de tomber raide mort à cause de cette eau parfumée servie à tout bout de champs au Japon. Comment voulez-vous rester éveiller avec ça ? Ou même prendre plaisir à le boire ?

Cathan posa ses pieds sur la table basse et pencha sa tête en arrière, vautré sur le canapé sans élégance. Il se laissait juste un petit moment pour se reposer avant d'aller voir d'un peu plus près le reste du lycée, histoire d'en prendre la température.

Dans le bureau de l'administration, deux énormes valises et une sacoche, où dormait paisiblement un chat, attendaient sagement dans un coin que leur propriétaire les promène ailleurs. Le propriétaire en question était en grande discussion avec la secrétaire, tout en remplissant les derniers documents exigés. Une charmante jeune femme qui semblait ravie de l'informer sur les différentes activités, boutiques et restaurants qu'on pouvait trouver à Hamura, tout en digressant le plus possible sur la vie dans la métropole, la mer, et toutes autres futilités. Une heure plus tard, Jiro gratifiait la jeune femme d'un grand sourire et reprenait ses valises abandonnées, muni en prime d'un jeu de clefs correspondant à son logement de fonction, et de son emploi du temps pour les semaines à venir.

La sacoche en bandoulière, une valise dans chaque main, le jeune homme traversa la cour d'une démarche tranquille, se rassasiant du décor s'offrant à sa vue. L'environnement du lycée était vraiment plaisant, et calme surtout. Un cadre idéal pour étudier dans les meilleures conditions. Ca devait être agréable d'être lycéen ici. Hime émit un léger miaulement, signalant par là qu'elle était réveillée mais, surtout, qu'elle en avait assez d'être trimbalée dans sa sacoche de transport.
Sourire aux lèvres, Jiro prit la direction des appartements du personnel. L'idée de vivre en colocation avait quelque chose d'amusant, même si cela impliquait un minimum de bonne entente, pas forcément facile à obtenir quand on ignorait tout de ses colocataires. Le numéro 7 ... D'après la secrétaire, il était inoccupé jusqu'à présent, mais un nouveau professeur venait de s'y installer. Quelle matière lui avait-elle dit qu'il enseignait ? Bah ... Il verrait bien. Au moins il n'arrivait pas dans un endroit où les affinités, ou tensions, étaient déjà présentes. C'était toujours plus facile pour faire connaissance.

Devant la porte, Jiro hésita un instant à frapper avant de finalement faire tourner la clef dans la serrure. Après tout, c'était chez lui aussi à compter de maintenant. S'il se mettait à frapper à chaque fois qu'il voulait entrer, il n'avait pas fini ! Il poussa la porte, déposa ses deux valises dans l'entrée et referma derrière lui, lançant un bonjour à la cantonade pour signaler sa présence tout en se déchaussant. Une habitude typiquement japonaise que cette salutation en entrant, qu'il y ait ou non quelqu'un de présent. Ce qui donnait une curieuse impression de parler dans le vide s'il n'y avait effectivement personne.

Jiro entra finalement avec son chargement pour s'immobiliser après quelques pas dans le salon à la vue de l'homme affalé sur le canapé. Il y avait donc effectivement quelqu'un, son colocataire certainement, s'il se fiait aux dires de la secrétaire. Tiens, l'individu ne devait pas être japonais avec une telle couleur de cheveux. D'ailleurs, ses traits ne l'étaient pas non plus. Le jeune homme adressa un sourire au rouquin qui le dévisageait, semblant le jauger. Il posa ses valises au sol, puis s'inclina poliment.

" Bonjour. Je suis Egawa Jiro. Il semble que nous allons vivre sous le même toit. J'espère que la cohabitation sera bonne. "

Cela allait au-delà de la simple formule de politesse : il l'espérait réellement. Jiro n'avait pas envie de revivre les mêmes tensions qu'à son précédent poste. D'autant que là, il ne s'agissait pas seulement de travailler ensemble, mais aussi de vivre avec.
Hime s'agita un peu, se faisant plus lourde dans sa sacoche dont la bandoulière sciait l'épaule de son maître. Elle devait avoir besoin de sortir mais le jeune homme ne pouvait la libérer sans avoir vérifié un dernier détail.

" Heu ... Excusez-moi ... La présence d'un chat vous incommode t'elle ?

Cathan avait à peine pu descendre la moitié de la canette, les pensées perdues quant à son poste à venir, que la porte s'ouvrit à nouveau, laissant paraître un homme qui avait autant l'apparence d'un japonais pure souche que Cathan celle d'un irlandais. Pas très grand, mince, le cheveu noir, l'oeil foncé et la politesse exemplaire - tout y était - assorti de valises et d'un petit panier d'où s'échappa un miaulement pitoyable. L'américain se redressa, intéressé. La secrétaire lui avait bien dit qu'il ne resterait pas seul longtemps dans l'appartement, mais ne lui avait pas signifié que l'autre occupant arriverait le même jour que lui à quelques heures près.
L'homme se redressa d'un coup, se levant pour saluer à son tour l'autre professeur. Attention, Cathan ne se levait pas parce qu'il était gêné d'être surpris à moitié vautré sur le canapé et qu'il avait peur de laisser une mauvaise impression, mais juste parce qu'il voulait bien être poli avec une personne qu'il venait de rencontrer et avec qui il allait passer un peu de temps vu leur arrangement d'habitation. Etant donné les vastes différences culturelles entre américains et japonais, il voulait bien faire l'effort de mettre un peu d'eau dans son vin.
Un peu. Il avait le dos trop raide pour toutes ces courbettes. D'un autre côté, avec tout ce temps déjà passé au FBI, il avait appris à mâcher ses mots, enfin selon les circonstances ...

Cathan se fendit d'un grand sourire rassurant. Le genre de sourire qu'il offrait traditionnellement à un témoin, ou à des gens du bon côté de la loi. Le sourire qui fait croire qu'on pourrait lui donner le bon dieu sans confession, et que l'Amérique était bien protégée avec des gens comme lui. Le sourire du gendre idéal en somme. Rien à voir avec le sourire pour les suspects qui était plus souvent le sien, et beaucoup moins rassurant. En plus, sans le costard et avec ses longs cheveux roux, il avait plus de chance de passer pour le suspect maintenant.

" Content de savoir que je ne serais pas le seul à débarquer ... Cathan O'Leary, ravi de vous connaître. Prof de maths à J -1. "

Par habitude, il avait tendu la main, avant de se rendre compte que le geste était rien moins qu'étranger en ces lieux. Mais comme la baisser aurait été vu comme un affront ... il la laissa quelques instants en suspens, laissant au japonais la possibilité de s'adapter ou non aux méthodes américaines. S'il y avait quelque chose d'agaçant dans les méthodes américaines, et ça Cathan acceptait volontiers d'en convenir, c'était bien cette manière d'arriver partout en terrain conquis, en oubliant de se mettre aux us et coutumes du pays. Il les connaissait pourtant - il avait passé bien trop de temps à les faire entrer dans son crâne pour les oublier maintenant - mais il lui fallait juste un petit temps d'adaptation dans cette immersion totale pour arriver à s'y mettre. Il espérait que l'homme - Jiro - serait suffisamment calme, poli et japonais pour le supporter pendant ce temps.

" Pas de soucis pour le chat, tant qu'il ne s'attaque pas à mon assiette. "

Le japonais de Cathan était parfaitement maîtrisé, mais loin d'être exempt d'une touche d'accent américain, ne rendant pas les syllabes aussi douces qu'elles auraient dues l'être. Il avait eu plusieurs fois l'occasion de se servir de son japonais chèrement acquis dans son enfance : étant un rare à parler aisément cette langue au bureau, il avait souvent été mis à contribution pour des cas en relation étroite ou non avec les japonais, histoire de ne pas avoir à utiliser un interprète plus ou moins fiable. Les USA avaient toujours été adeptes pour exploiter toutes les ressources disponibles.

Son regard se posa sur le petit panier, se demandant quel genre de créature des enfers allait en sortir. En fait, il n'aimait pas les chats, ces créatures trop indépendantes impossible à dresser. Les chats étaient parfaitement inutiles, au contraire des chiens. Ils se contentaient d'être là, de manger les meilleurs morceaux, de s'installer aux meilleures places, et de regarder le reste du monde comme s'ils les toléraient dans leur entourage. Mais quelque chose lui disait que s'il disait ça à l'homme devant lui, leur collocation risquait de prendre un très mauvais départ ...
Avec un peu de chance, le miteux l'oublierait bien vite.

Jiro eut un sourire franc et amical en réponse à celui du rouquin. Son colocataire semblait du genre aimable, pour son plus grand soulagement. Vivre en compagnie de quelqu'un de sociable était tout de même plus agréable qu'avoir un visage renfrogné en face de soi 24h sur 24. Le salut un peu rigide dénotait le manque d'habitude mais faisait montre d'une certaine volonté d'acclimatation. Un bon point de plus. Etant lui-même assez ouvert, s'ils étaient tous deux prêts à faire des efforts pour cohabiter, les choses devraient se passer sous les meilleurs hospices.

Son sourire prit une connotation amusée à la présentation somme toute originale de son vis-à-vis. Le nom à consonance très marquée venait confirmer ce que le physique lui avait déjà montré de Cathan. L'homme qui se tenait face à lui était grand, musclé, et sa peau pâle ressortait encore plus sous l'abondante crinière rousse. Pour l'accent, en revanche, il avait un doute ...

La main tendue ne l'offusqua pas. Bien qu'il ait grandi au sein de l'ambassade nippone régie par les valeurs traditionnelles, il n'était pas non plus resté cloîtré pendant 18 ans, ne serait-ce que pour sa scolarité. Ses camarades de classes avaient été des fils et filles de la haute société espagnole, ainsi que les enfants des autres ambassades. De quoi apprendre à jongler aisément entre les coutumes occidentales et japonaises.
Jiro franchit les quelques pas qui le séparaient de Cathan, après son commentaire sur le chat, et lui serra la main chaleureusement.

" Ravi de même. Pour ma part, j'enseigne l'espagnol. ... O'Leary ... c'est irlandais, non ? "

Il en était à peu près certain et ce n'était pas réellement une question au final. Jiro relâcha la main et soulagea son épaule en déposant la sacoche au sol. Il mit un genou à terre pour ouvrir la fermeture éclair qui laissa presque aussitôt passer une tête féline. La petite femelle jeta un regard curieux autour d'elle avant de se décider à sortir et venir se frotter aux jambes de son maître. Jiro la connaissait : il en avait pour une heure à l'avoir dans les pieds, le temps qu'elle se sente suffisamment rassurée par cet environnement étranger pour pouvoir partir en découverte par elle-même.

" Hé bien, je vous présente Hime. Soyez rassuré pour votre assiette, O'Leary-san, elle n'est pas voleuse. En revanche, elle doit avoir tous les autres défauts des chats ! "

Outch ! "O'Leary-san" ... Comme souvent, les noms étrangers se mariaient affreusement mal avec les formules de courtoisie d'usage au Japon, engendrant un barbarisme sans nom. Il faudrait peut-être qu'ils s'arrangent autrement. Sauf si cela convenait au professeur de mathématiques, évidement. Son japonais était d'ailleurs plutôt bon. Même s'il était en fait difficile de se faire une réelle idée sur si peu de mots.

Se redressant, le brun alla prendre le sac en plastique qui pendait à une de ses valises. Petites courses rapides qu'il avait pris le temps de faire avait de venir au lycée, juste de quoi pallier à l'urgence : croquettes et litière. Il se rendit dans ce qu'il supposait être la cuisine pour y faire une installation provisoire, le temps que lui-même soit installé et se soit mis d'accord sur le degré de tolérance de son collègue au sujet de la demoiselle sur pattes.
Hime toujours sur les talons, Jiro revint auprès du rouquin.

" Je viens de jeter un œil aux placards de la cuisine. Ils sont désespérément vides. Il va nous falloir faire des courses de toute urgence si l'on veut survivre. Mais avant ça ... Quelles sont les chambres libres ? "

Poser ses valises, en sortir l'essentiel, établir une liste de courses, et attendre que la petite chatte soit moins effarouchée pour pouvoir la laisser seule ... ou avec Cathan, si ce dernier ne voulait pas l'accompagner. Chose qu'il pouvait comprendre : peu d'hommes appréciaient cette obligation ménagère.

La poignée de main était franche et ferme, pas du tout hésitante comme il aurait pu s'y attendre, lui laissant un assez bon à priori sur le professeur d'espagnol. Le jeune homme devant lui avait relativement l'habitude des coutumes occidentales semblait-il, assez pour ne pas être désemparé devant. Cathan n'avait pas quitté le bureau depuis assez longtemps pour perdre cette habitude de jauger les gens qu'il rencontrait, surtout ceux avec qui il allait se retrouver en collaboration assez étroite. Il ne pensait pas perdre cette habitude un jour en fait. Et son instinct lui disait que les manières chaleureuses de son cadet étaient sincères. De toute façon, il aurait bien le temps de s'en rendre compte avec le temps. Au moins ne se retrouvait-il pas face à un mur de froideur japonaise qui aurait mal perçu ses tentatives pour le dérider.

La mention de l'Irlande amena un large sourire sur le visage de l'américain. Dingue comme avec ses cheveux et son nom, les gens le repéraient à 10km. Bon, du coup, ils se trompaient tous, mais au moins la première impression était sympathique. Cathan n'était jamais vexé d'être pris pour un irlandais, puisqu'au final, il l'était presque. Du côté de sa mère du moins.
Il rejoignait cette immense groupe d'irlandais au final naturalisé américain, mais dont les gènes rappelaient toujours l'Eire.

" Le nom est irlandais oui, mais moi je suis américain."

Il y avait pas mal d'humour dans la voix - ce n'était pas la première question de ce genre - et c'était toujours mieux que d'être considéré comme un potentiel terroriste. Il se rappellerait toujours de ce voyage à Londres - enfin, surtout du passage à l'aéroport, et des longues procédures. Oui, il était américain d'origine irlandaise, oui, il avait un permis de port d'arme ... Il avait fini par brandir sa plaque devant des collègues hilares. Il était un peu plus jeune à l'époque, un peu moins sûr de lui. Il aurait sûrement moins eu de problème maintenant.

Cathan baissa les yeux quand Egawa ouvrit son panier, libérant un cauchemar miniature aux longs poils blancs et beiges, qui fort heureusement resta collé aux jambes de son maître, ondulant comme un serpent dans l'eau. Son nom résonna étrangement, accolé de la traditionnelle particule japonaise, et fit relever la tête à l'homme, un sourire amusé aux lèvres.

" Si ça ne choque pas votre sensibilité, appelez moi plutôt Cathan. "

Heureusement pour lui, son nom sonnait encore bien, si ce n'est étranger, avec un accent japonais. Il n'était pas complètement déformé comme l'était certain prénom avec des lettres trop étrangères. Et quand à son second prénom ... Il y avait peu de chance qu'il y réponde même s'il le donnait.
Il regarda avec amusement le jeune homme commencer à faire les placards - vides, sans surprise. Il avait l'air d'avoir un bon instinct domestique celui-là. Tant mieux, au moins il compenserait son manque d'instinct.

Cathan se retourna quand Jiro lui adressa la parole alors qu'il ouvrait la fenêtre donnant sur la terrasse ensoleillée. Il se retourna, une épaule appuyée contre la vitre. Il y avait vraiment quelque chose d'honnête et de gentil dans le visage du japonais, comme s'il n'avait jamais été obligé de mentir, ou n'avait pas connu de grande difficulté. Il se trompait peut-être, et trouverait peut-être un fieffé salaud derrière cette gueule d'ange, mais il en doutait.

" Ça ne vous gène pas si je fume sur la terrasse ? Et il y a juste la chambre du fond d'occupée, j'y ai mis mes affaires. Les autres sont à votre disposition."

La question était plutôt rhétorique dans le genre. Il ne voulait pas enfumer ses petits camarades, pas de soucis, mais on ne privait pas non plus un toxico de sa drogue favorite d'un coup. Même les condamnés à mort avaient droit à leur petite clope rituelle ! Il n'était pas un gros fumeur qui enchaînait paquet sur paquet, mais il aimait savourer son petit vice, de préférence avec un bon café en main.

" Des courses ? Je comptais visiter un peu plus le lycée avant d'aller me balader dans Hamura mais pourquoi pas. "

Génial. Les travaux domestiques, très peu pour lui, mais Jiro avait raison, il faudrait au moins de quoi se sustenter ce soir. Enfin, pour sa part, il était tout à fait pour les plats à emporter !

Américain, donc ... Maintenant qu'il le disait, l'accent était effectivement plus proche de celui du continent outre pacifique, que de celui des îles britanniques. Jiro esquissa un sourire d'excuse pour la méprise, mais son colocataire n'avait pas l'air de s'en être offusqué. Au contraire, le large sourire qui ornait ses lèvres semblait vouloir dire qu'il appréciait l'erreur. Sans doute était-il d'une de ces familles issue du vieux continent et naturalisée américaine, restée très attachée à ses origines. Dans ce cas, il devait être ravi de passer pour un irlandais pure souche. Le japonais pouvait aisément comprendre ce sentiment, à la limite du nationalisme, qui l'avait souvent habité quand il vivait en Espagne. A la différence que lui avait bien la nationalité de ses origines.

Jiro observa le roux un moment. Appuyé contre la porte-fenêtre, un paquet de cigarettes à la main, Cathan semblait le dévisager comme s'il cherchait à savoir qui il était juste en le regardant, comme pour le mettre à nu. C'était assez troublant d'être l'objet d'une telle analyse. Trouble qu'il contint en se concentrant sur ce qu'il lui disait, non sans sentir une légère chaleur sur ses joues.

" Cathan, donc ... Appelez-moi Jiro dans ce cas. Ma sensibilité devrait pouvoir s'en remettre je pense. "

Un sourire franc éclaira son visage. S'appeler dès le premier jour par son prénom lui rappelait l'Espagne et le tutoiement quasi systématique, même face à un inconnu, après tout juste cinq minutes de conversation.
Jiro hocha doucement la tête à la question de Cathan. C'était aimable à lui de s'en inquiéter.

" Cela ne me dérange pas, du moment que la fumée et l'odeur du tabac ne stagnent pas dans l'appartement. Je ne suis pas plus exigeant que ça. Merci à vous de vous en préoccuper. ... Je vais prendre le temps de m'installer, si vous permettez. "

Jiro se saisit de ses deux valises et se dirigea vers la chambre la plus à l'est, espérant y trouver une fenêtre donnant dans cette direction. Ce fut effectivement le cas et il décida de s'y installer. Il était plutôt matinal et aimait particulièrement profiter du levé de soleil. C'était déjà le cas en Espagne. Ce l'était encore plus depuis qu'il était sur les terres nipponnes, malgré l'heure matinale à laquelle l'astre apparaissait ici. Le Japon n'était pas le pays du Soleil Levant pour rien.

Hime sur les talons, Jiro commença à défaire ses affaires. Vêtements dans l'armoire, affaires de cours sur le bureau, affaires de toilette sur le lit en attendant d'aller jeter un œil à la salle de bain ... Le jeune homme sifflotait doucement tout en vaquant à son rangement. Voyant qu'il ne quittait pas cette pièce pour le moment, la petite chatte s'appliqua à explorer les lieux, sautant finalement sur le lit pour observer les manœuvres de son maître et couver d'un regard satisfait l'endroit où avait atterrit son panier. Satisfait de ce premier rangement, Jiro jeta un œil sur la bibliothèque vide pour le moment. Elle semblait suffisamment grande pour accueillir ses livres et bibelots qui l'attendaient sagement dans des cartons chez une de ses connaissances à Hamura.

Jiro alla ensuite déposer ses affaires de toilette dans la salle de bain commune, s'octroyant une des étagères libres, avant de regagner le salon et de s'installer dans un fauteuil, un calepin à la main. Hime sauta aussitôt sur ses genoux, pas encore décidée à le lâcher pour mener sa propre vie. Le jeune homme leva le regard vers l'américain qui avait visiblement fini sa cigarette.

" Je peux les faire seul, les courses, si vous préférez. Mais j'aurais besoin de savoir ce dont vous avez envie alors. Et pour la visite, nous pourrions peut-être la faire ensemble. Si ça ne vous dérange pas bien sûr. "

Tout en parlant, Jiro commençait une liste approximative des achats essentiels à leur survie.

Heureusement, Jiro ne sembla pas s'offusquer plus que ça de sa cigarette. Tant mieux, s'il était conciliant, il aurait eu un peu de mal à vivre avec quelqu'un qui lui bouffait le nez chaque fois qu'il allumait une clope. Il voulait bien aller dehors, mais il avait besoin de sa dose de nicotine quotidienne ! Au moins il avait la décence d'avoir une addiction légale. Jiro disparut de son regard, allant s'installer, laissant à Cathan tout le plaisir de savourer sa cigarette bien méritée. Elle était savoureuse celle-là, la première depuis son arrivée à Hamura. Quelque peu douce sur ses nerfs irrités aussi. Il avait l'habitude de parfaitement se maîtriser - on évite les jobs avec une arme à la main quand on a les nerfs fragiles - mais cela ne voulait pas pour autant dire qu'il était parfaitement insensible. Même si ce n'était pas évident à deviner chez lui.

Cathan finit la dernière bouffée de sa cigarette, l'éteignant au sol avant de prendre le mégot pour le jeter dans une poubelle. Autant ne pas irriter son si propre et si poli colocataire japonais en laissant traîner des mégots partout. Note : penser à investir dans un cendrier à laisser dehors.
Le retour de Jiro se heurta à un regard sceptique de l'américain. Décidément, il était trop beau pour être honnête ce colocataire ... Ou alors était-ce une des facettes de la politesse japonaise poussée à son extrême ? Sous ce joli petit minois semblait se cacher la parfaite femme d'intérieur, prêt à faire les courses et la cuisine. Pour un peu, il s'en serait senti coupable si le jeune homme n'avait été aussi mignon et sincère. Aucune trace d'agacement ne s'entendait dans sa voix. Effrayant. Et intéressant. Il n'était pas du genre à exploiter les gens, mais offert sur un plateau comme ça ... Cathan offrit un petit sourire au jeune japonais.

" Je pense que je vais vous accompagner en fait ... J'ai encore besoin de confronter mon japonais à la vie de tous les jours, et puis ça sera plus sympa ... Si on est amené à vivre ensemble sur quelques mois, autant discuter un peu. "

Et puis les courses version Cathan, c'était vite fait : quelques plats surgelés, des nouilles instantanées et c'était bon. C'était bien la seule chose que sa mère n'avait jamais réussi à lui inculquer : l'amour de la cuisine. Enfin si, il adorait les bons petits plats qu'elle cuisinait, mais à part ça ... Ses tentatives de cuisine s'apparentaient plus à une attaque chimique qu'à quoi que ce soit de comestible, et il avait vite appris à se servir d'un micro onde. Et du téléphone pour commander des pizzas. Y avait-il même des pizzas à commander au Japon ? Il voulait bien se mettre au ramen si ce n'était que ça ...

Le roux referma la porte de la terrasse ou plutôt celle-ci se referma sur sa main dans un claquement sec. L'américain la retira en vitesse, lâchant un assortiment de jurons dans un mélange d'américain, de japonais, d'espagnol et même de gaélique. Concernant l'argot, il avait un vocabulaire extensif dans un certain nombre de langues. Une barre rouge ornait maintenant la peau pale de sa main droite, rien de bien méchant, mais qui augurait mal de son arrivée. S'il avait été superstitieux, il aurait pu dire que cet appartement japonais ne voulait pas de lui ... Mais il était de ceux qui préféraient faire leur chance eux-mêmes plutôt que croire au destin ou aux superstitions.

Un sourire ravi étira les lèvres de Jiro lorsque Cathan annonça qu'il viendrait également. Si faire les courses ne le dérangeait pas, ce n'était pas non plus l'activité la plus excitante qui soit. C'était indéniablement plus plaisant lorsqu'il y avait quelqu'un avec qui discuter entre les rayons. Et puis, il était bien tenté d'acheter quelques éléments de déco pour casser la blancheur omniprésente des murs et il valait mieux que son colocataire soit présent pour choisir.

Tapotant machinalement le capuchon de son stylo sur ses lèvres, Jiro faisait un petit bilan mental. Nourriture, produits d'entretien, cendrier puisque Cathan était fumeur, ... Quoi d'autre ? Niveau équipement, le logement ne semblait manquer de rien. Quoique ... Il n'avait pas vu de cafetière. Bien qu'adepte du thé, il n'était pas contre un café de temps en temps, et le café instantané, très peu pour lui ... De plus, il y avait de fortes chances pour que Cathan soit plutôt café que thé. Sans compter que s'ils avaient de la visite, il valait mieux être paré.

Il rajoutait cet élément à la liste lorsqu'un claquement, suivi d'une kyrielle de jurons, lui fit relever la tête. Cathan se tenait la main en pestant dans visiblement toutes les langues qu'il connaissait. La scène avait quelque chose de cocasse et Jiro dut se retenir de rire. Hime s'était également redressée et fixait le fauteur de trouble en remuant la queue de façon peu aimable. Le jeune homme la déposa au sol puis se leva et rejoignit le rouquin près de la porte-fenêtre, prenant sa main sans autre forme de procès pour l'examiner, un sourire amusé sur les lèvres.

" Vous devriez la passer sous l'eau froide pour éviter une trop grosse ecchymose. "

Le brun relâcha la main blessée et se rendit dans la salle de bain. Après un tour complet des placards, il constata sans réelle surprise qu'il n'y avait rien pour se soigner. Un manque auquel il allait falloir palier également. Jiro regagna donc la pièce de vie pour compléter la liste de courses par un nécessaire de premiers soins. Cette fois, il devait vraiment avoir fait le tour de l'urgent. Pour le reste, ils verraient avec le temps.

Cathan avait gagné l'espace cuisine entre temps pour passer sa main sous le robinet. Accoudé au comptoir qui servait de séparation entre la partie cuisine et le reste de la pièce, Jiro l'observa en silence, attendant qu'il ait terminé. C'était la première fois depuis qu'il était entré dans l'appartement, qu'il prenait réellement le temps de le regarder. L'homme lui tournant le dos, c'était moins gênant. Il laissa donc glisser son regard le long du corps du rouquin pour un matage en règle. Et il fallait avouer que ce qu'il avait sous les yeux était bien agréable à regarder. Grand et bien bâti, le professeur de mathématiques ne passait visiblement pas son temps penché sur ses équations et ses théorèmes, en vu de la musculature qui se dessinait sous son tee-shirt. Cela ne ressemblait pas non plus à des muscles de "gonflette" et laissait plutôt penser à un entraînement sportif régulier. Intéressant.

Jiro arracha son regard des fesses de Cathan lorsque se dernier se retourna. Il lui offrit un sourire amical en espérant ne pas avoir été repéré. Le jeune homme n'avait aucune envie de revivre l'expérience désastreuse qu'il avait eu avec un autre collègue. Même s'il ne faisait que regarder, si Cathan était homophobe ...

" Vous avez un sacré panel de jurons. Je suppose qu'il y avait de l'irlandais. Et vous parlez espagnol ? "

Quatre langues pour une main blessée, c'était un joli palmarès.

Cathan se laissa examiner la main de bonne grâce, confirmant par là la tendance à la gentillesse de son colocataire. Et son habitude des occidentaux aussi, puisqu'il se souvenait que les japonais avaient tendance à être beaucoup moins tactiles que les américains. Tant mieux, cela rendrait la collocation plus évidente s'ils ne passaient pas leur temps à heurter l'un l'autre leur sensibilité. Le roux passa docilement sa main sous l'eau froide, la pliant plusieurs fois pour se faire une idée des dégâts : idée rapide, puisqu'il n'y avait rien, si ce n'est un peu de peau abîmée. Il aurait un hématome sur la main, rien de grave ou dérangeant. Que ce soit pour manier une arme, se battre, ou plus classique écrire ou conduire, Cathan détestait se blesser les mains. Fait qui lui était déjà arrivé plusieurs fois au cours de sa carrière d'agent, en mission ou pour des conneries. Mais dans une porte de baie vitrée, il aurait sûrement gagné un darwin awards.

L'américain offrit un sourire charmeur à Jiro. Le jeune homme ne donnait pas envie d'être traité durement ou ignoré. Et Cathan était parfaitement d'accord pour parler de lui de manière extensive - du moins pour les sujets qui ne le gênaient pas. Et plus il parlait dans un sens, moins les gens auraient envie de l'interroger sur le reste. Logique, non ? Une histoire de balance et d'équilibre, un truc du genre ...

" Anglais, japonais, et gaélique irlandais. Quant à mon espagnol ... je ne suis pas sûr que vous l'appréciiez vraiment. "

Cathan finit de passer sa main sous l'eau et regarda quelques instants autour de lui, à la recherche d'un torchon, d'une serviette, ou de tout autre carré de tissu pouvant servir d'essuie-main. Faute de munition, il se l'essuya tout bonnement sur l'arrière de son jean. De toute façon, vu la chaleur, il ne resterait pas humide bien longtemps et il détestait sentir les goûtes d'eau dégouliner sur ses avant-bras. Une barre rouge ornait de manière bien précise le dos de sa main droite, petit rappel de sa maladresse. Au moins, il n'aurait pas de difficultés à se faire passer pour moins adroit qu'il n'était.

S'il perçut la queue du regard scrutateur de Jiro, il n'en réagit pas pour autant. Non qu'il soit homophobe - il était ouvert à toute proposition merci bien -, non intéressé - Jiro était un joli morceau -, mais plutôt parce qu'il était un fervent adepte des coups d'un soir - pas d'embrouilles - et que s'il devait vivre avec Jiro pendant un certain temps ... autant commencer sur des bases aussi saines que possible. Et des bases saines commençaient plus par bière et pizzas entre mecs que par tirer un coup. Bon, ok, pour Jiro, ce serait plus ramen et thé.

" L'espagnol parlé dans les banlieues américaines est pas celui appris à l'université, sorry boy. "

Comment qualifier son espagnol ? Baragouiné ? Accentué ? Bouffé avec autant d'ardeur par l'accent américain, qu'un hamburger par un ado obèse de 16 ans à quatre heures ? Le genre d'espagnol qui tenait plus de l'argot que de la langue pure. Parfaitement suffisant pour être compris là où il avait bossé, avec un vocabulaire extensif concernant les armes, la drogue et autres joyeusetés, mais qui tenait probablement de l'outrage linguistique pour le professeur d'espagnol qu'était Jiro. L'une des raisons pour laquelle il l'avait utilisé, sûrement d'ailleurs ...
Il avait bien le droit de s'amuser un peu, non ?

Un rire franc fut la première réaction de Jiro à la phrase lancée en espagnol. Non pas qu'elle soit mal formulée ou bourrée de fautes, mais bien à cause de l'accent. Ce mélange entre la façon très américaine de manger à moitié les mots et les tonalités chantantes de la langue latine, avait un rendu tout à fait comique. Le regard pétillant, le jeune homme offrit un sourire d'excuses à Cathan.

" Veuillez m'excuser. C'est incorrect de ma part. "

Difficile pourtant de se départir de son regard rieur. L'espagnol utilisé par Cathan n'était pas si différent de celui utilisé dans les banlieues madrilènes et, même si ce n'était pas celui qu'il utilisait, il l'avait déjà entendu plus d'une fois et était tout à fait capable de l'utiliser ... dans une certaine mesure - il y avait une marge entre comprendre et parler. Ce fut donc pour celui-ci que Jiro opta lorsqu'il reprit la parole, un sourire mutin sur les lèvres.

" Mais qui vous dit que j'ai appris l'espagnol à l'université ? Et puis vous êtes tout à fait compréhensible. En revanche, votre accent vous vaudrait sans doute un tour dans les arènes madrilènes. "

Rieur, Jiro s'écarta du comptoir et reprit sa liste pour y ajouter les torchons pour la cuisine. Voir Cathan s'essuyer les mains sur son pantalon lui avait rappelé ce détail. Il survola rapidement la liste. Il devait vraiment avoir fait le tour là. Le reste viendrait en son temps.
Du coin de l'œil, il aperçut Hime partir explorer les autres pièces. Enfin, elle se décidait. Il pouvait donc quitter les lieux pour vaquer à ses propres occupations. Le japonais se tourna à nouveau vers son colocataire.

" Vous voulez commencer par quoi ? Les courses ou la visite du lycée ? "

Le mieux était peut-être la visite. Comme ça ils pourraient s'installer tranquillement en revenant de courses.

Loin de vexer Cathan, l'hilarité de Jiro n'eut pour effet que de faire naître un sourire narquois sur le visage de l'américain, et qui devint carrément moqueur quand celui-ci tenta de s'excuser d'une manière qui laissait deviner qu'il n'en pensait pas moins. Il avait bien un petit côté adorable celui-ci. Celui-ci entreprit de lui répondre dans un espagnol pas tellement différent du sien, à la différence de son accent, plus proche du chaud soleil espagnol et des corridas que des banlieues américaines. Mais dans tout cela, malgré la langue, Jiro ne pouvait cacher complètement les traces d'une éducation formelle, dans sa manière de parler. Sûrement parce que Jiro ne cherchait pas à faire illusion - n'avait jamais dû chercher à le faire - et que Cathan avait été confronté à la version authentique, il ne gardait de sa phrase que l'impression d'un jeune homme propre sur lui qui s'amusait à parler comme un voyou.

" Pas la peine de se moquer, you smug japanese ! "

Le roux traversa la pièce en quelques pas et récupéra les clés de l'appartement qu'il avait abandonné sur la table basse. Une simple clé de sécurité sans porte-clé ni même d'anneau. Il faudrait qu'il en achète un au passage, histoire de ne pas la perdre dans une de ses poches. Et puis il n'y avait rien de plus triste qu'une clé nue qu'il pouvait rendre à tout moment. Dans le genre rappel qu'il était expatrié et capable de se barrer à tout moment, il y avait moins déprimant. Il récupéra aussi son blouson abandonné là. Il ne pensait pas en avoir besoin vu la température extérieure, mais dans ses souvenirs, les averses venaient vite au Japon, même s'ils étaient loin de la saison des typhons et autres joyeusetés météorologiques. Au moins, il avait déjà l'habitude des tremblements de terre, c'était déjà ça.

" Autant se débarrasser des courses en vitesse, et prendre le temps pour le tour du proprio ? "

Pauvre Cathan. A cet instant précis, il n'imaginait pas dans quoi il s'embarquait en allant faire les courses avec Jiro. Son esprit simple d'homme viril pensait à un rapide détour dans un combini pour remplir le congélateur de plats à décongeler sans prise de tête, de quelques trucs à grignoter, et pas à grand-chose de plus. Pas à ces courses précises et complètes que le japonais avait déjà noté et que Cathan n'avait jamais tenté de faire, même à ses moments les plus calmes et posés de sa vie. Il allait au delà d'une grande désillusion ...
Et pourtant, c'est en plaisantant et souriant que les deux hommes sortirent de l'appartement, l'un d'eux ne se doutant pas du funeste destin qui l'attendait, du piège tendu par son accompagnateur au minois innocent. C'était le début d'une grande cohabitation, sans aucun doute.