En entendant frapper, Detsuda cessa de chantonner pour jeter un regard sur la porte. Battant des paupières, il délaissa sa caméra désormais prête pour parcourir les quelques mètres qui le séparait de l'ouverture. D'un geste usuel, il fit coulisser le panneau et révéla par la même la personne qui se trouvait de l'autre coté à ses yeux.

- Oh. Takahashi-san! Bonjour. Entre, entre.

L'invita-t-il avec un léger empressement à lui céder le passage. Ses yeux marrons-verts s'attardèrent un instant sur la chevelure blonde de la jeune fille. Il n'en avait vu qu'en de très rares occasions durant sa vie et cela ne pouvait attirer que sa curiosité.

Le sexe opposé restait toujours quelque chose d'exotique pour lui. Ce n'était pas dans les pays arabes ou auprès de sa famille qu'il avait eu la chance de nombreuses femmes. Là encore, une certaine curiosité et une attirance toute naturelle le menait à vouloir mieux connaitre ces être un peu étrange.

Ses amis arabes ou japonais lui en avaient longuement parler à la manière d'expert. Mais la perspicacité de Yuhei l'avait rapidement mit en garde quand à ses propos souvent généralistes et préconçu, loin d'être le reflet d'une quelconque individualité. De fait, la question restait en suspens et d'une certaine manière, Takahashi était la première demoiselle avec qui il se retrouvait seul dans une pièce.

Cette idée parvenant à son esprit alors qu'elle passait à son niveau pour rentrer complétement dans la pièce le saisit. Sa gorge se serra et une tension inattendu vint enserrer sa poitrine. Luttant contre ce trouble, il fixa son esprit sur son objectif du jour. Refermant le panneau derrière Aiko, il reprit la parole d'un ton léger et quelque peu désinvolte.

- Comment tu vas?

Pas totalement dupe, il se doutait bien que sa partenaire d'entrevue devait être tout aussi stressé que lui. Il était pourtant important qu'elle se détende et n'apparaisse pas dans la retenue. Sans cela, la communication par l'image ne se ferait pas et cela reviendrait à un échec. Il se devait donc de la mettre à l'aise.

" Mais comment on met à l'aise une fille ? En voilà, une bonne question... "

Décidant de mettre ses talents naturels à l'oeuvre, il se détourna pour faire face à son interlocutrice avec un sourire qui se voulait charmant mais qui sur le visage d'un japonais se révélait en fait davantage charmeur, décalage qui lui échappait. De même de ses iris émanait une lueur qu'il était difficile de déterminer entre rieuse ou tout simplement enjouée.

Le jeune garçon maintenu son regard dans celui de son interlocutrice, sentant qu'elle le jaugeait. Il fut soulagé de voir que cette dernière se détendait et lui rendait son sourire. D'un geste vif de la main, il l'invita à s'asseoir du coté face à la caméra. Lui, pour sa part se trouverait dans le champ mais de dos.

- Je pensais que nous pourrions parler de quelques petites choses usuelles et que je pourrais répondre aussi à tes questions concernant l'interview que nous allons faire ensemble puis, une fois la conversation installée nous commencerions naturellement à rentrer dans le vif du sujet.

Proposa-t-il d'un ton à la fois détendu et professionnel s'installant à la suite de la jeune fille.

" C'est comme ça que font les pros normalement. "

Pensa-t-il comme pour s'en convaincre même s'il doutait lui-même d'un procédé aussi artificiel. Mais avant, son regard fut saisit par le reflet que donnait le soleil à travers les cheveux blonds d'Aiko. Sa pensée fut interrompu et son expression changea, exprimant une curiosité troublée.

C'était quelque chose qu'il avait rarement vu. Dans sa vie, les gens qu'il avait croisés étaient tous bruns pour la plupart ou avec une chevelure très sombre, de même pour leurs peaux et leurs yeux. Il se rendait soudainement compte en lui faisant face que Takahashi était quelqu'un d'exotique pour lui. Avec ses cheveux couleur du soleil, ses yeux claires et sa peau diaphane, elle représentait un monde encore peu connu qu'il n'avait vu que de l'extérieur, le monde occidental. Il brulait de lui poser des questions à ce sujet.

- Alors, comment tu trouves la classe depuis la rentrée? L'ambiance est plutôt cool, non?

Exprima-t-il d'un ton léger et désinvolte, essayant d'installer la conversation dans une dimension plus quotidienne et moins exceptionnelle.

Ses yeux s'attardèrent à son insu sur les iris pairs du jeune homme devant elle. Cependant, pour une rare fois à souligner dans son existence, elle put dissimuler cette observation de son interlocuteur sous sa jovialité naturelle. La teinte de vert qu'elle discernait parmi le marron attisait ses questionnements intérieurs, n'ayant côtoyé qu'une majorité de gens aux yeux d'un terreux simple. Excluant évidemment la branche française de sa famille qui arborait tous fièrement des yeux délavés.

Ainsi, lorsque l'adolescente prit place sur la chaise que son camarade de classe lui désignait, elle le fit sans jamais le quitter des yeux, à présent perdue dans ses réflexions. Après tout, qui n'avait pas eu ouï-dire des origines de Yuhei Detsuda. Du moins, si les autres années ne connaissaient rien des rumeurs parcourant les esprits à son sujet, la 2-A, elle, se nourrissait pleinement d'informations imaginées à son égard. Aiko ne se formalisait souvent pas de ces ragots, la plupart du temps exagéré, qu'elle se contentait d'écouter avec un sourire sans renchérir de renseignements falsifiés comme s'en plaisait les filles de la classe.

On racontait qu'il avait fait le tour du monde, ce qui restait dans la limite du possible, malgré son jeune âge, dépendant de la nature des métiers qu'exerçaient ses parents. Lorsque cette rumeur avait commencé à se répandre, une amie de la même classe avait cru bon d'énoncer une théorie grotesque qui l'avait pourtant fait rire: « Oi, Aiko-chan! Peut-être que Detsuda-kun se trouvait en France lui aussi quand tu es allée visiter tes grands-parents! » C'était ridicule, mais son amie y croyait dur comme fer, aimant à s'imaginer le garçon en question dans toute la splendeur de son exotisme. Comme plusieurs autres jeune filles, d'ailleurs, qu'on avait scandalisé par la rumeur que Yuhei serait fiancé à une magnifique princesse arabe. La jeune femme soupçonnait tout de même que cette dernière nouvelle fut l'invention d'un des garçons de classe, afin de couper court à l'admiration de certaines célibataires.

*Une princesse arabe, hum?*

Consciente d'avoir eu l'air plutôt distraite un moment, elle s'empressa de reprendre consistance et approuva la première proposition de son interlocuteur, soit d'en venir naturellement au sujet. La vice-présidente douta que cela se passe ainsi lors d'une véritable entrevue, mais elle n'en savait rien et l'option lui paraissait bien plus relaxante. Elle tourna la tête un court instant pour regarder vers l'extérieur, plissant les yeux sous les rayons du soleil, et ne remarqua pas le changement d'expression de l'intervieweur. Les mains sur les cuisses, elle posa à nouveau le regard sur ce dernier lorsque sa question retentit. Sa propre expression faciale s'égaya naturellement.

- L'ambiance est géniale! J'suis contente de voir que tout le monde s'entend à peu près bien. C'est beaucoup moins difficile qu'en première année, tu ne trouves pas?

Elle laissa sa question en suspens, écoutant la réponse d'un sourire chaleureux, avant d'ajouter.

- Même s'il y en a qui agissent encore comme dans leur première année.

N'ayant aucune malice derrière ces propos, et les disant plutôt de façon amusée, elle lâcha un petit rire doux, son regard s'illuminant, se disant qu'elle pourrait probablement s'inclure dans la catégorie.

Aiko remarqua le manque de conviction de son interlocuteur face à sa deuxième remarque, et un air songeur s'empara de son visage. Il lui arrivait souvent de s'exprimer d'une façon qu'on interprétait autrement, mais s'il lui semblait être claire. Honnête et directe de nature, elle se sentit obligée de préciser sa pensée, tout en approuvant d'un certain côtés les dires du jeune homme.

- Je voulais dire que certains restent aussi peu à l'aise que lors de leur entrée en première année. C'est vrai, par contre, que c'est plutôt par rapport à leur façon d'être. Timidité naturelle, je suppose.

Accompagnant ses paroles d'un haussement d'épaules nonchalant, elle visualisait mentalement quelques exemples présents dans sa classe. Évidemment, il y en avait toujours pour s'isoler dans un coin de la classe, passant l'heure du déjeuner seul, et évitant toute communication avec les autres élèves, par rejet ou nature de solitaire. Cependant, la jeune femme s'enorgueillissait du fait que son groupe possédait peu de ces représentants obscurs, probablement bien moins que l'année précédente.

La blonde suivit le geste de Detsuda des yeux, les posant sur l'uniforme de ce dernier et laissant un rire franchir la barrière de ses lèvres, hochant la tête simultanément.

- Tu marques un point.

*Même s'il est difficile à remarquer quand tu l'entraperçois rapidement*

Son esprit de synthèse avait choisi de garder ce commentaire pour son propre esprit, jugeant inutile de l'ajouter. Habituellement, elle ne se gênait pas pour déclarer tout ce qui lui passait par la tête, mais la situation la restreignait à le faire, pour une rare fois.

Battant des paupières plusieurs fois, elle abandonna l'idée d'avoir l'air sérieuse une seconde de plus, se disant que, de toute façon, cela ne lui allait guère. La monture de ses lunettes commençait à l'irriter, à glisser de son nez ainsi, peu habituée qu'elle était à s'en servir. La jeune femme inclina la tête en signe d'excuse, les retira et se leva pour les déposer sur le premier endroit sûr qu'elle repéra. Pointant ses lunettes reposant désormais sur une table, elle s'informa.

- Elles deviennent vite inconfortables, alors ça dérange si je les pose là?

D'où elle se tenait, les traits du jeune homme étaient devenus plus flous à présent que sa vue était au naturel. Elle avait définitivement du mal à rester inactive trop longtemps

Detsuda observa Takahashi de ses yeux marrons-verts. Il battit des paupières quand il l'a vit le saluer pour s'excuser. C'était quelque chose qui lui arrivait de mal comprendre encore aujourd'hui. Son visage fut donc le siège durant un instant fugitif d'un léger étonnement. Celui-ci disparut rapidement lorsqu'il eu la clé du geste de la jeune fille.

" Et puis, cela lui va bien d'être sans lunettes."

Se laissa-t-il penser, un sourire naissant sur ses lèvres. Il pouvait désormais à loisir caresser le visage d'Aiko de ses yeux pour en apprécier tout l'ovale. Et il n'avait plus aucun doute désormais, il y avait bien quelque chose d'indéfinissable dans son faciès que le jeune garçon n'avait jamais rencontré ailleurs.

- Nullement Takahashi-chan. Ton confort est important et tes lunettes ne risquent rien ou tu les as posées.

Répondit-il d'un ton à la fois charmeur et charmant. Il avait du mal à se l'avouer mais l'apprenti journaliste assistait à la concrétisation de ses projets. Apparemment, Aiko se détendait véritablement et il pourrait faire une belle interview de la jeune fille, la montrant sur son meilleur angle.

" D'ailleurs..."

Il se leva pour passer derrière sa petite caméra et regarder la jeune fille à travers l'appareil. Le jeune garçon se prenait d'une soudaine envie de régler à nouveau la machine en profitant que le sujet qu'elle allait filmer se trouvait installer désormais face à elle.

- Peux-tu regarder l'objectif ? Je veux vérifier qu'on te filme bien et qu'aucun mauvais réglage ne vienne gâcher ton regard.

Yuhei ne prit pas le soin de le révéler mais c'était aussi là un petit jeu qui permettait à son invité de mieux se sentir face à la caméra. Cet objet intimidant pouvait troubler même les personnes les plus calmes par son regard sans concession. L'apprenti journaliste se devait d'aider Aiko à vaincre cette crainte première pour se donner une image plus proche d'elle.

Detsuda pouvait saisir chacun de ses gestes depuis l'appareil. Il s'attarda sur ses cheveux entortillés autour de son doigt ou encore sur sa main serrant l'accoudoir de la chaise. Un de ses sourires vint sur ses lèvres alors qu'il se relevait de l'instrument d'un air satisfait.

- Ton regard est libre. Cela dépend de l'impression que tu veux donner. En t'adressant à moi, tu donnes de l'importance aux questions. En le laissant vagabonder, tu prends l'air absente. Au contraire, en jetant quelques regards vers l'objectif, tu prends plus ou moins à parti celui qui lira la vidéo.

Son expression avait changé durant son phrasé. Elle n'avait plus rien de japonaise. Son sourire était à la fois charmeur et amusé, ses yeux sombres brillaient d'une lueur à la fois chaleureuse et incendiaire. Le tout dégageait un mélange de tendresse et de fierté sauvage. C'était quelque chose de bien plus arabique qui s'exprimait désormais en son faciès.

- Mais tu n'as pas à craindre cette objectif, Takahashi-chan. J'y ai regardé et j'y ai vu une très belle fille...

Il battit des paupières, se rendant compte de ce qu'il venait de dire lui-même. Il n'arrêta pas ses paroles pour autant, préférant laisser le trouble qui naissait en lui à l'écart de sa pensée première.

- De plus, contrairement aux regards des gens, la caméra est dénuée d'idées qui pourraient venir voiler ou travestir qui tu es. Elle ne montre que ce que tu veux bien lui montrer. C'est donc toi qui décide de l'image que tu veux donner. C'est une idée plutôt rassurante, voir excitante, tu ne trouves pas ?

Le ton de sa voix s'était fait le reflet de son expression. Regardant à nouveau à travers l'appareil, il relança d'un ton enjoué.

- Essayons-voir. Je vais faire un petit enregistrement pour te montrer ce que cela donne, ainsi tu te feras ta propre idée. Pour l'instant, mets-toi le plus à l'aise possible. Si tu as envie de croiser les jambes ou non, de sourire ou d'emprunter un air boudeur, tu es libre. Et cela peut même être amusant de voir ce que cela donne.

Un nouveau sourire émerveillé naquit sur les lèvres de l'apprenti journaliste alors qu'il appréciait les rires et l'air détendu qui émanait de la jeune fille. Les images qu'il enregistrait lui plaisaient énormément. Dans ces expressions aussi naturelles que féminines, Takahashi irradiait d'un charisme tout à fait humain et touchant.

" C'est exactement à ça que je voulais arriver! "

S'exclama-t-il avec passion en pensée. Son cœur s'accélérant, il défit d'un geste sûr la petite caméra de son trépied pour la prendre en main. Il commença alors à changer d'angle et à s'approcher de la jeune fille. De temps à autre, ses yeux quittaient l'instrument pour croiser celui d'Aiko, lui distillant toujours le même regard qu'auparavant.

- Je ne vois aucune nervosité sur ces images. Juste toi, radieuse qui rit et charme l'objectif.

Il prit encore quelques secondes pour filmer la jeune fille, passant devant elle pour essayer divers angles.

- Ne cherche pas à trop raisonner ton image. Laisse toi la liberté d'exprimer ce que tu es.

Il laissa encore quelques instants à Aiko pour jouer et exprimer ce qu'elle voulait puis il s'en approcha. Posant sa main derrière elle sur le dossier de la chaise, il se mit à ses cotés quoi qu'un peu au dessus et lui présenta le petit écran numérique de la caméra pour qu'elle puisse voir les images que le jeune garçon avait enregistré.

Cette grande proximité autant que les derniers instants qu'ils venaient de partager n'avaient rien de véritablement conventionnel. Mais Yuhei était connu pour son exotisme, après tout. Sur les quelques secondes qui passèrent, les plus belles et les plus touchantes étaient sans nul doute quand la jeune fille avait laissé éclaté son rire ou s'était véritablement jouée de l'objectif.

Ni Detsuda, ni elle n'étaient des professionnels dans ce genre de domaine mais l'effet était tout de même saisissant dans le sens qu'il se passait vraiment une communication par l'image. Le jeune garçon avait d'ailleurs quitté son air si particulier pour emprunter une expression bien plus définissable, esquissant un sourire fière alors que ses yeux pétillaient d'une certaine admiration pour ce qu'il revoyait.

Son regard suivit celui, figé et imperturbable, de l'objectif posé sur elle, même lorsque la caméra fut enlevée à son socle. Elle ne tenta pas de cacher son étonnement quand Detsuda se mit à se déplacer, l'appareil en main. Cependant, la passion qu'elle remarqua dans ses iris marron-vert lorsqu'il croisa ses yeux attisa un sourire amusé. Il était évident que le jeune homme n'était pas membre du club de journalisme par hasard, son habileté et son affection à filmer le sujet se reflétant dans ses gestes.

L'échange qui se produisait entre les deux jeunes gens à travers la petite machine lui semblait singulier, mais chaleureux. Il n'eut pas préciser de laisser son image exprimer sa personne qu'elle n'en aurait pas fait autrement.
*Il a le tour, en fait*

Sa respiration s'interrompit brusquement, son coeur sautant un battement quand elle sentit son interlocuteur se positionner à ses côtés. Peu habituée à une proximité hors des coutumes nippones, elle s'efforça de reprendre consistance, malgré le malaise éprouvé. De plus, ce dernier se dissipa à la seconde où il démarra le court vidéo.

En s'apercevant elle-même rire à travers l'écran numérique, son sourire s'agrandit. La jeune femme avait évidemment du mal à s'observer évoluer dans les images, mais on lui avait mentionné que c'était souvent une difficulté rencontrée. Malgré cela naissait au fond de ses pupilles une lueur émerveillée, dont elle ne se fit prier pour faire part de la source à son camarade.

Tournant la tête pour plonger son regard dans celui du garçon, elle en oublia même la distance réduite qui les séparait. Distinguant au passage le sourire fier de son intervieweur, l'adolescente lui en offrit un rayonnant.

- Je ne m'attendais pas à ce résultat. T'as du talent, Detsuda-kun!

Reposant les yeux sur la caméra, elle eut d'instinct le réflexe, après s'être aperçue, de coiffer d'une main sa chevelure rebelle.

*Heureusement pour moi*

Une mine songeuse flotta sur ses traits un moment, hésitant d'un dilemne silencieux. Ses réflexions en vinrent à un terme sans qu'elle ne les ait mise en mots, et son cou pivota pour la laisser le fixer en accompagnant ses paroles. La jeune femme ne souhaitait pas le presser, mais elle craignait qu'il ne s'efforce trop à la mettre à l'aise. Elle redoutait d'être une plaie, en gros.

- Si tu désires entrer dans le vif du sujet, ça ne me gênera pas.

Detsuda appuya alors sur un bouton de la caméra et celle-ci arrêta son enregistrement. L'apprenti journaliste était souriant. De fait, l'interview s'était bien passé et il avait la conviction que cette dernière serait du meilleur effet.

" Elle a été géniale."

Son regard revint à celui d'Aiko et son sourire s'agrandit encore davantage. Le jeune garçon était sous le charme du personnage politique qu'il venait de rencontrer et s'il n'avait pas eu égard à l'objectivité vers laquelle il devait tendre en tant que journaliste, il aurait bien volontiers fais l'éloge de sa prestation.

- Je crois qu'on tient notre entrevue. Il n'y aura même pas besoin de faire un montage compliqué pour dissimuler des reprises. C'est parfait.

Dit-il alors d'un ton léger et enchanté. C'était une manière neutre et technique de la féliciter. Ses iris se perdirent un instant dans celles de Takahashi. A nouveau, il exprima cet air particulier, couvant son interlocutrice d'un regard partagé entre fierté et chaleur.

- A moins que tu es quelque chose à redire, auquel cas nous pourrions envisager de refaire quelques reprises. De toute manière, je t'enverrais le montage définitif avant de le mettre sur le net pour avoir ton autorisation quand à l'utilisation de ton image et de tes propos.

Ajouta-t-il sans trop y croire. La chose lui paraissait faite et il n'entendait pas vraiment y revenir. De plus, il n'affectionnait pas vraiment de manipuler l'image. C'était, pour lui, une manière de travestir la vérité. Une façon de mettre les mains dans un engrenage qui lui déplaisait.

Simultanément au geste du jeune homme qui stoppa l'enregistrement, son masque de confiance et de sérieux s'effaça des traits d'Aiko. Le sourire qu'elle arborait déjà ne put que s'agrandir en croisant le regard de Detsuda, et il fut renchérit par ses paroles au timbre léger.

Bien qu'un peu gênée en repensant à certains passages qu'elle aurait pu formuler d'une meilleure façon, un élan de fierté s'empara de son visage. La vice-présidente s'était tellement conditionnée à ce qu'un événement malheureux - soit elle s'emmêlant les pinceaux - n'advienne que l'idée seule d'avoir garder son sang-froid suffisait à la réjouir, peu importe ce qu'en serait le résultat.

- Non, je n'ai rien à redire. Enfin je ne crois pas.

Elle accompagna ses paroles d'un haussement d'épaules, le ton allégé d'avoir un poids en moins sur ses épaules. Un rire moqueur parvint à la frontière de ses lèvres en secondant les paroles suivantes, la main gauche posée sur la poitrine.

- Je ne suis pas sûre que mon cœur survivrait à d'autres prises.

Sans préambule, elle se releva et prit la direction de l'endroit où elle avait déposé ses lunettes. Sous la monture fine et discrète entourant les verres prescrits reposait la chemise épaisse remplie des dossiers qu'elle avait recueillis dans le seul but de cette entrevue. Souriant pour elle-même, elle constata qu'elle n'y avait plus porter attention à l'instant où elle avait pénétré dans la salle, la délaissant tel l'accessoire inutile dont l'on se débarrasse.

Tournant à nouveau les talons pour faire face au garçon, elle s'avança en son sens, la liasse de feuilles protégées par la chemise sous le bras, ses lunettes formant des marques au creux de la paume qui les renfermaient.


- S'il était possible d'envoyer le résultat au président, afin qu'il puisse vérifier de lui-même le contenu et donner son accord, ce serait gentil, s'il-te-plaît. Bien que ce ne soit techniquement qu'à la discrétion du club de journalisme, s'il s'en montre insatisfait...


L'adolescente laissa sa phrase en suspens, jugeant inutile de la terminer, puisque son point lui semblait clairement établi.

*Il ne le regardera peut-être même pas, avec tous les dossiers qu'il doit consulter ces temps-ci.*

Son regard se fit vague pendant un moment, puis elle croisa une lueur marron-vert qui l'incita à reprendre conscience d'où elle était. Inclinant à nouveau respectueusement la tête, mais dans une durée qui s'en trouvait allongée, elle souhaita exprimer par là le plaisir que cela avait été de travailler avec l'apprenti journaliste. L'intention resterait peut-être énigmatique pour Yuhei, mais elle le fit tout de même.


- N'hésite surtout pas si tu nécessites le conseil