Il avait découvert l'abominable vérité, les yeux écarquillés de stupeur. Avant de le lire noir sur blanc sur le panneau d'affichage du club d'athlétisme, il avait cru à une mauvaise plaisanterie de ses camarades. A la première lecture, il avait dû se pincer pour être certain de ne pas rêver. Les lectures suivantes furent malheureusement identiques à la première, plongeant Yuki dans un océan de perplexité.
Jamais, au grand jamais, il n'avait mis son nom sur la liste des participants de cette course ! Il leur avait dit dès son inscription au club pourtant. Il ne participait pas aux compétitions parce que le basket passerait toujours au premier plan. A la rigueur, pour les manifestations sportives dans les festivals, ok. Mais pour le reste, c'était hors de question !
Alors qu'est-ce que son nom faisait sur cette fichue liste ? Qui lui avait fait un coup pareil ? S'il tenait le petit rigolo qui s'était amusé à ça, il l'épinglait sur le panneau d'affichage ! Enfin, déjà fallait-il qu'il démasque le coupable. Mais avant ça, il avait quelque chose de plus urgent à faire : trouver le président du club pour corriger l'effroyable erreur et ce le plus vite possible !

Cela faisait presque une heure que Yukimichi parcourait le lycée de long en large à la recherche du président du club d'athlétisme, en vain. Mais où était ce type bon sang ?! Les cours étaient terminés depuis longtemps et il n'y avait pas de séance pour le club cet après-midi. En toute logique, avec les examens qui approchaient, son aîné aurait dû être en train de réviser à la bibliothèque, d'autant qu'il était en troisième année. Mais après en avoir fait le tour quatre fois et interrogé la moitié des élèves présents, il s'était fait mettre à la porte par le gardien des lieux. Le grand blond ne comprenait décidément rien à sa situation désespérée !

Après avoir tourné le problème dans tous les sens, Yukimichi s'était finalement décidé à aller au secrétariat pour obtenir de l'aide. Que les secrétaires aient autre chose à faire que de courir après les élèves, ne lui traversa pas l'esprit une seconde lorsqu'il énonça sa requête. Il insista tant et si bien que, exaspérée, l'une d'elle finit par consulter un fichier et lui annonça la catastrophe d'un ton plat : l'objet de ses recherches n'était pas là, il était malade !
Sous le choc, le basketteur se contenta d'un vague remerciement et quitta les lieux. Qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir faire ? Car, bien sûr, il fallait régler le problème aujourd'hui même ! C'était une priorité absolue qui ne pouvait souffrir d'attendre ne serait-ce qu'une heure de plus !

Songeur, Yuki déambulait dans les couloirs du bâtiment Edo à la recherche d'une solution, lorsque son regard tomba sur un écriteau au-dessus d'une porte. "Salle des professeurs". Il butta un moment dessus avant que l'illumination ne se fasse. Tizzy-sensei ! Lui, il pourrait régler son problème !

Ni une ni deux, Yukimichi toqua à la porte avec toute sa délicatesse habituelle et attendit qu'on daigne l'autoriser à entrer - ce qu'ils étaient long à la détente ces profs ! -. La porte s'ouvrit sur le visage d'un des enseignants qu'il avait eu l'année précédente et auquel il offrit un grand sourire.

" Bonjour sensei. "
" Daiki ... Tu avais pour objectif de défoncer cette porte ? "
" Ben non. Pourquoi ? "

C'est vrai ça, pourquoi aurait-il voulu défoncer la porte ? Les gens avaient vraiment des réactions bizarres parfois ... Enfin, là n'était pas la question ! Avant que son ex-professeur n'ait pu ajouter un mot, Yuki enchaîna tout en essayant de voir qui était présent dans la salle.

" Est-ce que Tizziano-sensei est là ? "

La tête penchée vers la salle pour tenter d'apercevoir l'italien, Yuki faisait peu cas de l'enseignant lui faisant face, d'autant que l'homme ne comprenait visiblement pas l'urgence de sa situation. Que la réponse à sa question soit négative n'était pas admissible à son sens. Tizziano était le seul qui puisse encore intervenir pour empêcher le désastre de se produire, son dernier espoir. Bon ... il exagérait juste un peu ... mais pas tant que ça. Ce qui l'embêtait surtout était de mettre l'équipe d'athlétisme dans l'embarra en ne se présentant pas à la compétition. Car, bien sûr, s'il n'était pas remplacé avant ça, il opterait pour le basket. Rien ne pourrait l'empêcher de participer à un match, pas même une course. La question ne se posait même pas, le choix était déjà fait avant même d'exister.

" Tu voulais le voir à quel sujet ? Je peux lui transmettre le message. "

L'adolescent resta un instant interloqué alors que son regard revenait sur le professeur. Il secoua vivement la tête en signe de négation.

" Ah mais non ! C'est super urgent. Faut vraiment que je lui parle maintenant ! "
" Daiki, je viens de te dire qu'il n'était pas là. "

Et alors ? Yuki ne voyait pas le rapport. Enfin, si ... mais ce n'était pas recevable. Pas maintenant. Et d'abord, pourquoi n'était-il pas dans la salle des profs ?

La mine un peu boudeuse, les sourcils froncés, il s'apprêtait à annoncer qu'il allait attendre le retour de Tizziano, lorsqu'une voix et des bruits de pas rapides se firent entendre dans le couloir. Le visage de Yuki s'éclaira d'un sourire lorsqu'il reconnut son prof de sport. Les kamis avaient dû l'entendre, même s'il ne leur avait encore adressé aucune prière à ce sujet.

" Tizz... "

Yukimichi se tut et suivit du regard l'enseignant, choqué d'avoir été coupé en plein élan par un italien passant devant lui sans même le voir. L'enthousiasme de l'apparition était retombé aussi vite qu'il était venu devant ce désintérêt total. Qu'est-ce qu'il avait fait pour mériter un tel enchaînement aujourd'hui ?
Le jeune homme cessa de ruminer lorsque la voix de Tizziano s'éleva à nouveau, cette fois à son attention. Enfin ! Il ne nota même pas l'absence de celui qui lui avait ouvert la porte. Le rapport de cause à effet entre la disparition du japonais et l'arrivée de l'italien, ne se fit pas dans son esprit. Il avait autre chose à penser que ce genre de futilités.

" Sensei ! Ca fait deux heures que je cours partout ! Et le président est malade en plus ! Je savais plus quoi faire ! Et le prof disait que vous étiez pas là ! Alors ... "

Yukimichi se coupa net, réalisant brusquement qu'il allait encore se perdre dans un flot d'explications plus ou moins utiles et compréhensibles. Il prit une grande inspiration pour se recadrer. Aller à l'essentiel. Ca ne devait pas être si difficile.

" La course. J'y participe pas. Il faut me rayer de la liste. "

Yatta ! Il avait réussi ! Clair, court, concis. A condition bien sûr que son interlocuteur sache de quoi il parlait. Mais ça ... C'était évident, non ?

Yukimichi esquissa une grimace douloureuse en apprenant qu'il n'allait pas être possible de le rayer simplement de la liste des participants. Il emboîta donc le pas à son professeur de sport sur un signe de lui. Signe un peu superflus puisqu'il l'aurait suivi de toute façon. Maintenant qu'il le tenait, il n'allait pas lâcher le morceau aussi facilement. Sa défection ne tolérait aucune discussion dans son esprit, mais entraînait des complications dont il estimait la résolution de sa responsabilité. Il ne pouvait décemment pas laisser son prof préféré dans la panade, surtout avec un président de club absent pour souci de santé.

Le commentaire suivant lui fit hocher la tête par l'affirmative, alors qu'il s'immobilisait près du bureau de Tizziano. Ca pour avoir basket ... Il avait droit à un match de toute beauté qu'il attendait avec une impatience grandissante.

" Ouep ! L'entraîneur a réussi à nous programmer un match amical contre les champions nationaux ! On peut pas se permettre de se planter ! Faut qu'on fasse mieux que l'année dernière ! En plus, je suis titulaire maintenant ! Rha ! J'ai trop hâte d'y être ! Ca va être génial !! "

Le prof superviseur avait bien un peu rechigné en sachant pertinemment que les révisions pour les examens en pâtiraient, mais s'était finalement laissé convaincre par l'entraîneur, le capitaine, et toute l'équipe de basket réunie. Et, de toute façon, ce n'était pas vraiment lui qui avait le dernier mot.
La perspective de ce match laissait Yukimichi rêveur : c'était l'entraînement idéal avant les championnats.

Mais, pour l'instant, il y avait un problème plus urgent à régler. Le jeune sportif croisa les bras, réfléchissant à une solution de remplacement. Ce n'était pas si évident. Si le club était actif, les éléments qui pouvaient prétendre à la compétition n'étaient pas si nombreux. Pour la plupart, l'athlétisme était un bon compromis pour faire du sport tout en s'amusant. Lui-même était dans ce cas, mais avait l'avantage d'être réellement sportif et de pouvoir apporter des résultats plutôt corrects, en plus d'évacuer son surplus d'énergie. Mais le club ne pouvait pas compter sur lui de façon régulière à cause du basket.

" Le président devait pas être au courant pour le match de basket. Il le sait que c'est ma priorité. Bon, il aurait mieux fait de me demander ... Mais p'être qu'il a pas pu. Et puis il doit être un peu embarrassé pour trouver des membres d'assez bon niveau pour la compétition. Surtout depuis que Kim... "

Yukimichi s'interrompit alors que la lumière se faisait dans son esprit. S'il avait été un personnage de manga, nul doute qu'il se serait retrouvé nimbé de lumière, un petit ange au-dessus de la tête jouant un accord à la lyre. Il avait largement passé le cap de la simple ampoule qui s'allume. Ses deux mains atterrirent violemment sur le bureau de Tizziano.

" Kimihiro-sempai !! "
" Daiki ! "

L'adolescent releva la tête à l'interpellation et au reproche sous-entendu. Il plaqua une main sur sa bouche en réalisant qu'il avait presque crié le nom de son sempai en pleine salle des profs. Après avoir incliné la tête pour s'excuser, il en revint au rital.

" Kimihiro-sempai ... Je l'ai vu partir courir l'autre jour. Ca veut dire qu'il doit être guéri ! Non ? "

Dans la tête de Yuki, le seul motif qui expliquait l'absence de son sempai était une blessure quelconque. Un tel passionné de sport, ne pouvait pas tout arrêter du jour au lendemain pour une autre raison. Mais s'il recommençait à s'entraîner à la course de bon matin, c'est qu'il devait être remis. Certainement allait-il bientôt revenir au club d'ailleurs.

" En plus, il est bien meilleur que moi. "

Alors qu'il pensait avoir trouvé la solution à leur problème, Yukimichi fit un bond à l'éclat de voix de son sensei. Ce fut avec des yeux ronds de surprise et d'incompréhension qu'il dévisagea l'italien. Là, il ne comprenait plus rien ...

Si le jeune homme n'était pas réputé pour sa délicatesse, sa subtilité ou ses traits de génie, il y avait bien une chose qu'il savait faire, c'était d'être attentif à son entourage. Certes, il avait un débit de parole impressionnant et ne tenait pas en place, mais cela ne l'empêchait pas d'écouter les autres et de les observer. Et, avec le temps, il avait pu constater que Kimihiro bénéficiait du même traitement que lui-même de la part de leur professeur. Le rital n'était pas des plus doués pour dissimuler ses préférences. C'était d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il s'était lui aussi intéressé à son sempai : s'il avait les faveurs de leur sensei, ce ne pouvait pas être pour rien.

Alors qu'est-ce qui se passait ? Oui, Yukimichi avait noté l'énervement de Tizziano lorsque les membres du club avaient voulu savoir où était passé un de leurs meilleurs éléments. Il avait mis ça sur le compte de l'agacement de savoir le jeune homme blessé et dans l'incapacité de pratiquer le sport pendant une durée indéterminée, et avait statué que tout rentrerait dans l'ordre une fois Kimihiro guéri.
Mais là ... force était de constater qu'il s'était trompé. Le problème était tout autre. Il s'était passé quelque chose entre ses deux aînés. Quelque chose de suffisamment grave pour provoquer le courroux de son sensei au point de refuser le 3ème année aux entraînements du club. Bien que cela dépasse les attributions d'un professeur superviseur, il semblait bien que Kimihiro s'y soit plié ...

Une feuille entra dans son champ de vision, et Yuki s'en saisit machinalement. Il remarqua les noms surlignés, faisant le rapprochement avec ce que disant l'enseignant. Vers le milieu de la liste, le nom de Kimihiro était rayé au stylo. Le trait, épais et profond, semblait montrer du doigt les sentiments avec lesquels il avait été tracé.

Le jeune sportif releva la tête, fixant Tizziano d'un regard où se mêlait colère et tristesse. Difficile de ne pas voir la profonde déception qui se dessinait sur ses traits. Jamais il n'avait imaginé qu'il pourrait être déçu à ce point par son enseignant préféré.

" J'aurais jamais pensé que vous pourriez défavoriser le club pour une affaire personnelle... "

Car si Kimihiro n'avait pas été viré officiellement du club d'athlétisme, c'est que le différent était d'ordre privé et ne devait donc pas interférer sur le club. Comment Tizziano pouvait-il s'abaisser à ça ?

Yukimichi n'attendit pas d'explication et se détourna du bureau. Il marmonna un vague au revoir lorsqu'il franchit la porte de la salle des professeurs et ne s'immobilisa que quelques mètres plus loin. Dans un soupir résigné, il regarda à nouveau la liste fournie. Les noms surlignés ... Ils n'étaient pas mauvais mais aucun n'avait son niveau, et encore moins celui de Kimihiro ...

N'ayant guère le choix, le basketteur se remit en marche à la recherche des élèves indiqués. Au fond de lui, une petite voix sournoise espérait qu'aucun d'eux ne pourrait le remplacer. Comme ça, si le club se retrouvait dernier, ce serait purement la faute de Tizziano. C'était mesquin mais, là, tout de suite, il ne pouvait lui pardonner. D'ailleurs, il n'avait pas l'intention de lui donner la réponse en mains propres. Il enverrait celui qui accepterait de le remplacer, ou déposerait la feuille dans le casier de l'enseignant, mais il ne voulait plus le voir aujourd'hui.