Le visage penché sur le côté, un vague sourire accroché sur les lèvres, Electra écoutait les conversations qui fusaient autour d’elle, approuvant parfois d’un signe de la tête. Elle rêvassait et si on lui avait demandé de répondre à une question, elle en aurait été incapable tant ses pensées l’absorbaient. C’est une réflexion sur le sort que subissait un malheureux morceau de poisson dans son assiette qui la fit revenir dans le self. Elle abaissa ses prunelles et vit le carnage qu’elle avait méticuleusement orchestré. Elle se contenta de répondre d’un simple haussement d’épaule avant de planter ses baguettes dans un autre morceau qui semblait attendre sagement de subir le même sort que le premier.

Elle avait du mal avec la nourriture. Celle du self en particulier. Elle regrettait ses repas composés de céréales et de lait, avalés, assise en tailleur devant la télé ou l’écran de son ordinateur. Le café aussi lui manquait. A bien y réfléchir, tout ce qu’elle avait connu en France lui manquait. Elle poussa son repas d’un geste agacé et alla se plaquer contre le dossier de sa chaise.

Ses iris noirs balayèrent l’assemblée, tandis qu’elle se mit à s’amuser avec son piercing. Il lui arrivait de se demander si elle était vraiment la fille de ses parents. Malgré les années passées en France, ils étaient restés japonais de la racine des cheveux jusqu’à la pointe des pieds. Elle, se revendiquait française avant tout, et japonaise par intérim. Elle n’avait jamais osé le leur dire, car l’humour qu’elle pratiquait n’était pas du goût de ses géniteurs.

C’est des gloussements qui attirèrent son attention. La conversation des filles avec qui elle dinait, avait dérivé sur les garçons pensionnaires dans l’établissement. Electra se rapprocha, posant ses coudes sur la table et son visage au creux de ses mains. Les garçons…un éternel sujet de conversation. Electra commençait à s’amuser lorsqu’elle l’aperçut. Un bref instant, elle se retrouva à Paris, la rage qui l’avait animé à l’époque semblait encore intacte. Son sourire disparut. Ses traits se figèrent. Tout dans son attitude sembla se verrouiller lorsqu’une de ses camarades se leva et d’un signe de la main héla le garçon. Le prénom résonna dans sa tête comme un mauvais rêve.

Comment en traversant la moitié de la planète avait-elle fait pour se retrouver enfermer dans la même école que lui…

Son amie agitait toujours la main en appelant d’une voix haute et claire incitant le garçon à venir les rejoindre.

- Nathan !!

Pour Electra, ce prénom lui remémorait juste la guerre qu’ils s’étaient livrés pour tenter de séduire le même garçon.

Insupportable. Voilà le seul mot qui venait à l’esprit d’Electra. Toujours le même visage avenant qui cachait bien son côté hypocrite et mesquin. Elle ne souhaitait qu’une seule chose, quittait cette table et ne plus voir Nathan, seulement, il lui faudrait sûrement donner des explications et pour le moment, elle ne comptait pas avouer qu’ils se connaissaient. Electra écoutait d’une oreille distraite ce que Lya disait. Elle espérait que celle-ci n’était pas attirée par Nathan car sa déception serait grande. Elle se demandait si quelqu’un ici était au courant de ses penchants…et toute à ses pensées, elle ne se rendait pas compte que son regard noir fixait Nathan. Le décortiquait. Le pesait et le soupesait. L’analysait et le trucidait aussi. Et que dans son esprit, il finissait comme le morceau de poisson qui gisait au fond de son plat, écrasé. Réduit en bouillie. Un sourire souleva le coin de ses lèvres sans que son regard ne devienne amical pour autant. Elle brandit ses baguettes devant elle, les inspecta puis, se souleva légèrement, décollant ses fesses de la chaise. Elle prit une mine songeuse, comme si elle réfléchissait et tout en tapotant ses lèvres avec ses baguettes, elle lança sur un ton désinvolte :

-Je peux ?...

Puis sans crier gare, sans attendre sa permission qu’elle n’aurait sûrement pas obtenue, elle alla piquer quelque chose dans le plateau de Nathan. Pour l’ennuyer. Electra savait très bien qu’il ne pouvait pas faire de scandale. Râler tout au plus, mais bon, elle prenait le risque. Tout en mâchant, elle regardait Nathan et quand elle eut avalé ce truc infâme, elle dit simplement comme si de sa vie elle n’avait jamais rien mangé de meilleur:

-Délicieux…vraiment les filles, goûtez, c’est exquis.

Elle avait pris une pose théâtrale pour déclamer son texte, et un léger accent français transperçait au travers de ses paroles. Lorsqu’elle était troublée ou énervée, souvent, elle jurait en français ou un subtil accent s’inviter dans sa langue maternelle, du moins d’origine, comme elle aimait à le préciser. Satisfaite, elle revint se caler au fond de sa chaise. Lya avait repris la parole, riant et racontant toutes sortes d’anecdotes quand une mine de conspiratrice sur le visage, elle se pencha vers la table, nous faisant signe de faire de même et là, elle murmura :

-Il parait que les 3A ont fait des photocopies de leurs fesses et qu’ils les ont épinglés au mur de la salle des profs…

Touts les regards se tournèrent vers Nathan, attendant une affirmation ou un démenti.
Electra avait entendu parler de cette rumeur mais n’y avait accordé aucun crédit, sauf que là, c’était une occasion supplémentaire d’agacer le brun, aussi elle ne put s’empêcher de rajouter :

-C’était peut-être une invitation…toutes ces paires de fesses exposées…qu’en penses-tu toi ?

Le « toi » était destiné à Nathan. Electra croisa ses bras et fit mine d’attendre les explications. Un regard moqueur dardait sur lui.