Ah la belle saison… Quelques nuages, un ciel encore azur là où il se montre, des feuillages colorés sur les arbres. Toutes ces couleurs chatoyantes semblent illuminer l’Ecole Ginkgo, parsemant le sol d’un tapis de feuilles que les employés de l’école s’évertuent à ramasser… Une journée banale pour tous, avec un vent légèrement frais mais largement supportable, sauf quand il y a quelques bourrasques qui en agace un en particulier.

« Foutredieu de… »

Jake venait de se prendre son tas de feuille dans la tronche, comme si le vent avait sournoisement attendu qu’il les rassemble pour mieux les éparpiller ensuite. Alors il pose son râteau à feuille, manche contre le sol et il s’appuie dessus… Il tentait de se calmer, de refouler l’envie qu’il avait de piquer une crise, comme les mouflets, en se roulant par terre. La mâchoire inférieure en avant, il se gratta vigoureusement la tignasse et souffla par le nez.

« Putain d’feuilles. » Conclue-t-il en reniflant, son regard accusateur rivé sur le sol.

Pour se calmer, il ne trouva alors rien de mieux que de se remettre au boulot en sifflotant l’air d’Andy Griffith, les hanches et le reste du corps suivant, il se remit au boulot. Ignorant ses muscles qui criaient grâce. Petit à petit, il réussit à faire un nouveau tas de feuilles rouges et jaunes puis il s’empara de ses gants de travail pour les enfiler rapidement, avant que le vent ne fasse des siennes. En deux pas, il attrapa la poubelle en plastique noire et la tira près du tas, raclant le sol naturel.

L’américain prit une bonne partie des feuilles tout bras ouvert, disparaissant derrière le temps de tout foutre dans la poubelle et recommença l’opération jusqu’à récupérer les petites dernières. C’est que les japonais aimaient le travail bien fait… Du genre à rechigner s’il reste une seule -saloperie- de feuille par terre.

Avec la satisfaction du devoir accompli, il s’arc-bouta en arrière, les mains sur les reins pour se délasser les muscles, poussant un grognement de soulagement avant de se courber en avant pour porter la poubelle jusqu’au dépôt de l’école. Finalement, ça lui plaisait pas si mal, de bosser un peu dehors, il n’avait rien à faire en ce moment alors on l’avait foutu à ramasser les feuilles, au moins ça l’occupait. Il ne lui restait plus qu’à s’occuper de l’autre côté de la cour maintenant. Longeant le bâtiment, il frotta vigoureusement ses mains gantées quand il entendit une exclamation au-dessus de sa tête. La seconde d’après il se recevait une énorme masse d’eau suivit d’un seau qui ne trouva rien de mieux que d’amortir sa chute sur la caboche du borgne.

L’odieux objet rebondit avec fracas sur le sol alors que Jake, trempé de la tête aux pieds, restait figé sur place, l’œil grand ouvert, les cheveux complètement plaqués, les vêtements faisant l’effet d’une poche sous vide. La surprise passé, il leva les yeux, furieux et entraperçu un visage.

« Toi si je t’attrape ça va chauffer ! » Promit-il en pointant un index accusateur vers l’élève et la seconde suivante, Jake entra dans l’école, laissant derrière lui de grosses flaques d’eau.

Persuadé qu’il était la victime d’une mauvaise blague d’adolescent débordant d’hormones, il était bien déterminé à aller botter le cul du petit abruti qui lui avait fait ça. Il arrivait donc à grande enjambée au premier étage, manquant de se rétamer à un virage où Jake se rattrapa in extremis à une poignée de porte, lâcha tout un chapelet de jurons mêlant le japonais et l’américain. Telle une furie, quand il arriva à la classe, il ouvrit la porte à la volée, la fumée soufflant presque par son nez. Quelques jeunes filles poussèrent de petits cris de surprises en se collant les unes aux autres… En fait, Jake n’avait pas forcément un physique impressionnant, on pouvait juste constater qu’il était du genre sec et nerveux mais avec les cheveux à moitié devant la figure, il avait surtout des airs de chiens mouillés et accessoirement, légèrement remonté.

Il chercha de son œil unique et électrique le coupable qu’il avait aperçu avant de pointer l’un des garçons, les autres se faisaient tout petit, certains le regardaient avec un sourcil arqué mais Jake s’en fichait totalement, il ne voyait que le coupable.

« Toi ! Viens là un peu ! » Gronda l’américain qui donnait l’impression qu’il allait le tabasser… Même si le borgne avait surtout envie de le choper à l’oreille et de le punir comme un sale gosse.

Mais ça… Encore fallait-il que son interlocuteur ait le troisième œil pour le deviner.

Toujours trempé comme une souche, Jake s’avançait donc vers le jeune homme dans un bruit de flaque à chaque pas qu’il faisait dans sa direction. Une fois à son niveau, il prit une inspiration dans le but de le houspiller comme il le méritait. C’est en ouvrant la bouche qu’il vit le jeune homme lever la jambe, ou plutôt, il devina ça du coin de l’œil. Il remercia le seigneur à ce moment pour avoir conservé quelques bons réflexes de ces années de sport. Le kick boxing était un sport brutal mais il n’y avait pas de coup en traître comme ce coup de pied là destiné à des fins moins glorieuses mais qui, pour la survie, avaient largement prouvées leur efficacité.

Jake se décala donc juste à temps pour que le pied tape dans sa cuisse, non loin de l’objectif de départ, dans une posture légèrement ridicule si elle avait été mise en slowmotion. Il grogne, bien entendu, puis le borgne s’empara des poignets à deux mains. Le borgne darda son regard dans celui du noiraud, fou furieux qu’un petit glandu dans ce genre ait tenté de faire de lui un castra. Mais il n’était pas bourré, ce point était important.

« Maintenant tu vas m’écouter et ouvrir les trous qui t’servent d’oreille, le mioche. » Siffla Jake. « Viens avec moi, tu vas travailler un peu, ça t’apprendra à balancer de la flotte sur les employés qui bossent ici. »

Il était furax, ça c’était certain et ça n’était pas une poignée de lycéens qui allaient démonter l’américain. Il détestait qu’on lui manque de respect ou encore. Alors Jake l’empoigna par le col sans lui laisser le temps de répondre et le traîna hors de la classe comme un sac sous les yeux effarés des autres camarades de classe, dont une tenta d’ouvrir la bouche pour protester.

« Mais monsieur… »

« Non ! Non ! Inutile de plaider sa cause ma p’tite ! Il va bosser, R’tournez donc à vos affaires. » Lâcha Jake, têtu comme une mule, bien décidé à appliquer sa politique.

Une fois dans le couloir, il se tourna vers le garçon, son œil unique littéralement vissé sur ceux de l’autre.

« Crois moi, tu vas bosser, je vais t’passer l’envie de m’arroser une seconde fois. Comment tu t'appelles ?»

Pas de formule de politesse, pas cette éducation froide, distante et vertueuse qu’avaient les Japonais… Même si Jake était génétiquement cent pour cent japonais, il avait grandit aux USA. Et lui, les formules de politesses des fois, il les foutait au placard avec un coup de pied bien placé.

Son coup fut stoppé par les mains d’Hiroshi. Detsuda avait beau être astucieux. Il ne pouvait résister à la force autrement supérieure d’un adulte comme Jake. Ce dernier put alors lui parler. Malheureusement, Yuhei avait un principe. Il n’écoutait jamais ceux qui utilisaient la violence pour se faire écouter. Au contraire, il décidait de le rebaptiser de nouveaux noms.

« Lâche-moi immédiatement ! Cyclope débile ! Pourri de l’œil ! »

A l’ instant où le technicien voulu le chopper au col, le jeune garçon tenta de le frapper une nouvelle fois au niveau de la pomme d’Adam mais Hiroshi le maintint trop loin et l’allonge de Detsuda se trouva trop courte pour atteindre son but.

Ensuite, Jake tenta de le trainer en dehors de la pièce. Là encore, le jeune élève se débattit comme un beau diable. Il utilisa tout ce qu’il passait sous sa main pour se retenir. Le boucan et le désordre occasionné ne devait qu’ameuter plus de gens encore.

Yuhei s’en moquait. Il regretta juste que la plupart des tables soient vidées de leurs affaires et qu’ils ne s’y trouvaient plus compas, règle en métal ou ciseaux.

« Espèce de pirate arriéré ! Laisse-moi tranquille ! »

Se retrouvant dans le couloir, il se mit à gigoter frénétiquement, compliquant la prise d’Hiroshi. Sentant qu’il retrouverait bientôt la liberté, il invectiva son agresseur sans l’écouter un seul instant.

« Va crever, sale chien fou d’américain ! »

Le jeune élève cracha alors sur lui en visant l’œil. Il avait appris à cracher depuis son plus jeune âge et s’il était un peu rouillé, il espérait atteindre son but et aveugler momentanément son adversaire.

Dans le mouvement suivant, il parvint à glisser de sa veste et à s’en libérer. Bondissant sur ses pieds dans le sens inverse, se sachant perdu dans un trop long couloir, il bondit de nouveau dans la classe ou les élèves s’écartèrent étonnés de le voir déjà revenir.

Faisant basculer la première table qu’il trouva devant la porte, il parcourut la classe de travers en renversant un maximum de mobilier sans regarder derrière lui. Pour finir, il bondit vers la fenêtre ouverte dans l'espoir de l'atteindre puis de se jeter à l'extérieur et ainsi échapper à la furie du technicien fou.

Le petit gars se débattait comme un beau diable mais l’américain ne lâchait pas prise, ça non, hors de question. Même quand il s’était arrêté pour le regarder et lui dire quelques mots. Mais le jeune homme, sous ses airs de gentil petit élève était revêche et se garda de le cacher au borgne qui se reçu un beau cracha à la gueule. Aveuglé, il lâcha en grognant et en jurant le jeune homme qui en profita pour retourner illico dans la salle de classe.

Remonté à bloc par les insultes et par l’attitude de l’autre que Jake pensait coupable, il était alors bien décidé à l’attraper par la peau des fesses et d’en faire, pourquoi pas, de la chair à pâté pour les chiens du chenil.

« Espèce de petit… » Gronda le technicien qui, une fois son œil essuyé d’un geste rageur, s’était élancé à la poursuite du lycéen qui venait de fermer la porte de la classe quelques instants plus tôt.

Il voulu ouvrir la porte mais elle refusa de s’ouvrir.

« Ouvres cette porte ! » Vociféra-t-il en donnant un coup d’épaule mais rien à faire.

Il grogna puis retenta sa chance en s’arc-boutant en arrière, tirant comme un bœuf sur la poignée pour faire coulisser la porte qui résista un instant avant de lâcher prise d’un coup. Prit dans son élan, l’américain se retrouva à embrasser le sol. D’un bond, il se remit sur ses pieds et fonça à l’intérieur de la classe, les autres élèves s’envolant dans le couloir comme une nuée d’oiseaux.

Et là il le vit, dans l’encadrement de la fenêtre et il se demanda s’il allait vraiment sauter ou s’il allait le menacer de se suicider si Jake avançait encore.

« Qu’est-ce que tu fiches à la fenêtre descend d’là c’est dangereux ! »

Bon là, Jake ne riait plus trop, surtout que vu l’expression du jeune homme, il avait l’air résolu à sauter… Du coup, pendant qu'il avait parlé, il s'était approché et avait attrapé le jeune homme à la cheville puis rapidement, l'autre aussi, au cas où il lui viendrait l'idée de lui filer un coup en traître.

Jake cru voir la scène au ralenti… Il vit le jeune homme commencer à perdre l’équilibre et d’instinct, l’américain resserra ses prises pour ne pas le laisser tomber comme un sac à patate sur le sol et lui faire un baiser à rendre jaloux Leonardo Dicaprio. Son cœur manqua un battement alors qu’il bandait les muscles pour maintenir le lycéen dans le vide… Jeune homme qui ne perdit pas de temps pour lâcher son fiel ce qui eut le don d’énerver Jake qui s’était quand même pas mal calmé.

« Mais tu vas la boucler oui ! Reste tranquille plutôt, sinon j’y arriverai pas ! » Fit le borgne les sourcils froncés avant de commencer à plier les bras, grognant un peu pour tirer les jambes jusqu’au rebord de la fenêtre avant de le ceinturer de son bras. Il se pencha tout en le maintenant et tendit sa main de libre.

« Attrape ma main maintenant ! »

Quand il s’empara fermement de la main, la prise sûre, il le tira pour qu’il retrouve le plancher des vaches, un peu essoufflé de tout ces efforts. Si le petit était prêt à lui sauter dessus ou à le frapper en traître, Jake était prêt au moindre geste louche à parer.

« Maintenant calmes-toi okay, on va discuter tous les deux au lieu de faire n’importe quoi, j’aurais pas du m’emporter comme ça. » Avoua-t-il.

Après tout, il voulait simplement lui renvoyer la pareille avec le coup de la flotte mais pas au point de le défenestrer. Et avec ça, au moins, ça avait eu le mérite de le calmer sec.

« Pourquoi tu m’as balancé de la flotte ? »

Il ne se reculait pas spécialement et si le petit morveux avait encore des envies de se barrer, Jake ne tarderait pas à réagir.

Et encore des insultes, et ça pleuvait, comme une bonne averses à la période des pluies. Jake fronça les sourcils tout en regardant le jeune homme qui avait un langage bien fourni et imagé, diantre.

« C’est bon ? T’as finis ? » demanda Jake en le fixant. « Ouais j’aurais pas dû m’emporter mais si tu veux, j’aime pas trop qu’on me renverse de la flotte sur la tronche. Tu crois quoi franchement que j’allais te tabasser ? Tu me prends pour qui ? » demanda l’américain qui n’attendit même pas la réponse et fixa sévèrement le jeune homme.

« Ouais peut-être que c’était pas le plus mature comme réaction mais justement tu crois pas qu’on pourrait peut-être en parler là non ? Si t’es si malin et adulte que tu le dis. »

Jake était légèrement piqué à vif et surtout, toujours trempé jusqu’aux os, les femmes de ménage allaient lui passer un putain de savon.

« Et franchement tu crois que me balancer de la flotte sur la tronche, c’est mature ? » demanda Jake, c’est vrai quoi, il l’avait bien vu avec ses cheveux brun et… Ou alors étaient-ils plus foncés ? Plus roux ?

Merde… Soudainement, il ne s’en rappelait pas si bien que ça… Sa vue avait-elle encore baissée… ?

« C’est bien toi qui a fait ça non ? »

Les choses dégénéraient, lui échappaient… Et Jake avait une sainte horreur de ça, surtout qu’il savait qu’il était en partie responsable. Dans un sens, il refusait d’admettre qu’il voyait moins bien, l’idée de perdre un peu plus la vue le terrifiait au plus haut point, d’autant plus que le médecin l’avait mis en garde contre ça. Mais il refusait d’admettre cette possibilité, même si c’était complètement idiot. Du coup, c’était le jeune homme qui en pâtissait et qui n’avait peut-être rien fait à part être sur le chemin du borgne. Alors admettre qu’il s’était trompé engendrait pour Jake beaucoup plus d’aveux qu’il ne le voulait… Têtu, il ouvrit la bouche pour protester et nier, quitte à secouer l’autre comme un prunier pour lui faire avouer que c’était lui… Ou dire que ça n’était pas lui et que c’était sans doute la distance ou l’eau qui lui avait brouillé la vue.

Mais il ne put qu’ouvrir la bouche, l’autre enchaînait, remonté comme un diable dans sa boite, prêt à bondir s’il le fallait. Et il le faisait verbalement pour le moment mais tout ça prenait des proportions vraiment trop énormes qui dépassaient clairement l’américain qui ne sut cacher sa surprise face aux menaces. Il voulu tenter une dernière approche, il fallait qu’il le fasse, qu’il reprenne le contrôle de la situation… Il tendit le bras, tout en commençant sa phrase par un ‘Tu…’ qui fut coupé net dans sa gorge. Trempé de la tête au pied depuis tout à l’heure, les chaussures comprises, il n’avait plus aucune adhérence sur le sol lisse de la salle de cours. Son pied glissa en avant et il lâcha par réflexe Yuhei pour ne pas l’entraîner là dedans et aussi pour tenter de reprendre son équilibre.

Il bascula d’instinct son corps en arrière et prit appuie sur l’autre pied qui glissa en avant lui aussi. Il tomba lourdement sur le dos, comme une tortue et sa tête embrassa amoureusement le dossier d’une chaise, l’assommant à moitié. Il resta immobile au sol, le visage figé dans une grimace de douleur… Le mal de crâne était monté directement, tambourinant violemment dans la cervelle secouée. Un grognement s’échappa de ses lèvres et en plissant les yeux, sa vue était devenue pitoyable. Déjà qu’il avait son angle mort, son œil restant semblait ne pas avoir apprécié le choc. D’ailleurs, il appuya sa main dessus, serrant les dents en respirant fortement pour évacuer la douleur.

Il n’arrivait même pas à lâcher un petit juron de rien du tout, il ne pouvait pas desserrer les dents.

La douleur lui vrillait les tempes, comme si on l’avait foutu au centre de la plus grosse cloche de Notre-Dame de Paris et qu’on l’avait fait sonner à grande volée… Quand il entendit la voix du jeune qui s’était apparemment apaisé, il eut juste envie sur le coup de l’injurier et de l’envoyer paître en lui disant que oui, il l’entendait. Mais rien que le fait de se concentrer sur ce son lui donnait l’impression qu’on lui faisait une lobotomie. Cette énorme perceuse barbare qu’on enfonce dans le crâne, les coup qu’on donne sur des endroits stratégiques… Cependant, il continua de grogner, réfrénant une subite envie de vomir que provoquait le mal qui se répandait par vague.

Jake gémit de protestation quand l’autre parla plus fort pour que les autres se bougent les fesses et réagissent enfin. Jake aussi, faisait partie de ceux qui réagissaient au quart de tour dans ce genre de situation. Mais beaucoup restaient planté, tétanisés par la surprise. Une fois que les autres furent envoyés, le jeune homme s’adressa à Jake qui n’entendit que « entendez » et « serrer main ».

Heureusement qu’il avait deux mains tiens, au moins il pouvait continuer de faire pression sur l’œil encore viable et il serra la main aussi fort qu’il le pu… C’est-à-dire modérément. Il comprenait pourquoi il avait du arrêter le kick boxing à force. Malgré les protections, les coups à la tête sont déconseillés et là il regrettait amèrement d’avoir insisté autant plus jeune, il le regrettait pour de bon en cet instant. D’ailleurs, ce coup à la tête réveillait au passage cette sensation dont le borgne avait horreur. Cette impression que son œil droit était toujours là, bien vivant… Le doc disait que ça s’appelait la sensation du membre fantôme. Un terme flippant. La peur gagna la tête de l’américain qui se demandait si sa petite cascade allait lui coûter un peu, puis, agacé par son cache œil, il le vira et laissa tomber. Il se foutait bien qu’on remarque qu’il avait un œil de verre tant qu’on faisait en sorte qu’il n’ait plus mal au crâne.

« ça va… C’est rien d’méchant. » Fit-il alors qu’il était pâlot, en réalité, il cachait à présent difficilement la trouille qui s’amusait à lui tordre tripes et boyaux. « Faut juste… que j’reste allongé un peu, après ça ira mieux… » lâcha-t-il entre ses dents serrées sans lâcher la main du jeune homme, inconsciemment.

Mais il savait que s’il se relevait maintenant, la douleur serait alors encore plus fulgurante et agressive. Bref, ça serait un carnage et il le savait, malgré tout ça, il rageait intérieurement qu’on le voit comme ça, si vulnérable. Et puis merde, ce petit jeune était pas si con que ça, il l’aidait là et sans lui foutre un coup de latte en traître.

Ah le bel automne, toutes ces couleurs… Qui n’aime pas cette saison ? Natsumi elle, l’aimait beaucoup, avec les arbres qui rougissaient, les feuilles qui tombaient lentement. Cela lui rappelait toujours d’excellent souvenir quand son père était encore de ce monde. Les longues promenades en forêt, à donner des coups de pied dans les tas de feuilles qui froufroutaient sous ses pas. Et puis il y avait toujours cette odeur humide qui réveillait son envie de boire du lait chaud. Cependant là, elle devait retourner en classe avant d’aller retrouver la tranquillité de sa chambre. Après tout ils devaient faire le ménage et ils avaient peut-être encore besoin d’aide quoique comme elle avait été prise par un de ses amis du club d’athlétisme, elle arrivera sans doute trop tard.

Un écouteur en place, elle écoutait encore sa musique, son sac en bandoulière passé sur son épaule. Elle ouvrit la porte, les cheveux toujours lâchés, comme d’habitude, avant de voir un de ses camarades de classe. Le jeune homme semblait être contrarié, vu l’expression peu habituelle qui animait son visage, ce qui eut pour effet de surprendre la demoiselle. Lui qui était toujours si calme et avenant, que s’était-il donc passé ?

« Detsuda-kun ? Comment ça se fait que tu sois tout seul ? » demanda Natsumi en posant son sac avant de voir les traînées de flaques d’eau par terre…

Elle les évita soigneusement tout en s’approchant du jeune homme puis ramena une mèche derrière son oreille. L’écouteur enlevé, elle coupa le baladeur au passage.

« Il s’est passé quoi ? »

Quittant les flaques d’eau, elle regarda Yuhei avant de retrousser les manches de son uniforme.

« Je vais te donner un coup de main, on ira plus vite à deux. »

Le sourire était revenu sur le visage de son camarade de classe à qui Natsumi sourit légèrement en retour, il était quelqu’un d’agréable. Natsumi l’écouta alors qu’elle s’emparait de la serpillière, cherchant maintenant dans sa mémoire pour mettre un visage sur le nom donné… Hiroshi san… Elle se rappela avoir croisé un type en train de râler, parfois en train de siffloter joyeusement dans les couloirs de l’école, toujours en trimballant sa caisse à outil rouge.

« Oh oui je vois qui c’est. Il n’a pas l’air méchant pourtant… Mais tu lui a dit que c’était pas toi et il a insisté ? » demanda-t-elle avant de s’accroupir, une main rabattant les pans de sa jupe sous les fesses.

La serpillière au sol, sans avoir peur de se salir les mains, elle laissa le tissu boire le plus d’eau possible.

« Enfin je ne le connais pas vraiment. Mais il a l’air un peu du genre impulsif je dirais. » Fit la jeune fille en levant le nez au plafond, pensive. Puis elle se tourna vers Detsuda. « S’il te connaissait, il aurait su que ça n’était pas toi. Comment ça s’est terminé du coup ? » Déclara Natsumi avec son air calme habituel, le sourire l'avait quitté.

Elle était un peu curieuse, pour la peine et puis ça n’est pas comme si ça la dérangeait de parler quand elle se sentait bien avec quelqu’un. Elle repensa d’ailleurs à cette fille qu’elle avait souvent vu en compagnie de son camarade de classe, elle devait être sa petite amie. Il n’y avait rien de surprenant après tout. Yuhei était un garçon plutôt gentil à première vue et il n’était pas désagréable à regarder.

Elle récupéra ensuite le tissu gorgé d’eau, le tordit au dessus du seau et laissa l’eau couler, les mains bien serrée pour tordre la serpillière d’une bonne poigne.

Après les événements rocambolesque qu’il venait de vivre. Cette petite discussion civile faisait le plus grand bien à Detsuda. Saiga paraissait de bonne humeur et la manière dont elle discutait lui était agréable. Tout le monde n’était pas forcément aussi sociable qu’elle dans la classe. Il se souvenait de nombreuses filles de son âge que la timidité empêchait bien souvent de s’exprimer librement.

Mais Natsumi paraissait vraiment assez posée comme fille. Elle réagissait sans complexe ou manière. Du coup, Yuhei se détendait vraiment et lui racontait volontiers ce qu’il s’était passé ensuite.

« Eh bien, il a glissé dans sa propre flaque d’eau en tentant de me saisir et il est tombé en tapant sa tête contre une chaise, se mettant K.O. Après, l’infirmier est arrivé et là, il se repose dans l’infirmerie. »

Le jeune garçon s’arrêta dans son travail en faisant une moue boudeuse, son regard noisette se perdit pensivement dans le vide.

« Du coup, je sais même pas s’il a compris que je n’y étais pour rien. Il va ptêt me retomber dessus avec le conseil de discipline ensuite. Mais bon, t’façons, je nierais tout en bloc et j’aurais des témoins à l’appui pour défendre mon innocence. »

Il mâchonnait ses mots. C’était un signe subtil de son exaspération et de son manque cruel d’engouement à ce sujet.

« Mais bon, ça, c’est encore classique. Moi, y autre chose qui me gêne, un truc qu’il m’a dit et que j’ai pas apprécié. »

Tout en s'occupant de ses tâches, Natsumi restait parfaitement à l'écoute de son camarade de classe qui lui expliquait un peu plus en détail ce qui c'était passé. Elle s'arrêta à un moment, posant son coude sur sa cuisse et leva la tête vers Yuhei qu'elle se mit à observer. Chaque mimique, les moindres froncements de sourcils... Elle regardait aussi les nuances d'expression dans les yeux couleur noisette, pendant qu'elle restait parfaitement calme.

"Qu'est-ce qu'il t'as dit ? Pour que tu sembles agacé comme ça Detsuda-kun, il a dû être horrible avec toi." Fit-elle avant de reprendre sa tâche, en fait, il y avait plusieurs points qui lui sautaient déjà aux yeux dans le récit du jeune homme.

Elle qui voulait être flic avait pris la fâcheuse habitude de tout décortiquer quand les autres lui parlaient. C'était un entraînement comme un autre après tout, même si elle le faisait dans l'intention d'aider les autres. Sa mèche de cheveux coula le long de son visage tandis qu'elle se relevait. D'un même mouvement elle se chargea de remettre la rebelle à sa place, derrière l'oreille avant d'attraper un torchon propre. La jeune femme s'essuya les mains avec et le lança négligemment sur la table la plus proche.

"D'ailleurs, c'est la première fois que je te vois comme ça." remarqua Natsumi en s'appuyant les fesses contre la table derrière elle.

Elle l’écoutait, maintenant qu’ils avaient fini, elle pouvait être toute ouïe avec Detsuda. Elle fut plutôt étonnée, intérieurement, que les choses aient pu dégénérées comme ça et elle fronça imperceptiblement les sourcils.

« Attends, il a faillit te faire tomber ? Comment ça ? Il t’as pas poussé quand même ? » demanda-t-elle vraiment intriguée pour la peine. Si Hiroshi-san semblait être impulsif et qu’il avait des airs de pirates, il n’avait pas non plus l’air d’être un tueur d’élève… Si ?

Elle savait qu’il ne fallait pas se fier aux apparences mais tout de même… Elle avait envie d’en savoir plus pour la peine.

« Tu m’intrigues, Detsuda-kun... »

Elle ne doutait pas vraiment de la parole de son camarade de classe, il n’avait pas l’air du genre à extrapoler les choses mais elle voulait en savoir plus, tout simplement, pour comprendre.

« Si ce que tu dis est vrai et qu’il t’as vraiment poussé, il va falloir aller en parler. Mais tu lui a dis que ça n’était pas toi qui avait fait ça ? »

Elle croisa les bras et étendit ses jambes pour les croiser aussi aux niveau des chevilles.

Elle écouta, encore, comme toujours avec son calme d’apparence inébranlable. Elle se redressa en voyant son camarade grimper de là, n’aimant pas du tout ça, surtout quand elle l’entendit parler de sauter d’ici à l’arbre plus bas. Elle ne pensait pas que Yuhei imaginait ce genre de chose, c’était plutôt curieux à son sens.

Elle s’approcha donc de lui, maintenant près de la fenêtre elle aussi et le regarda.

« Je vois, ingénieux. Je ne te pensais pas casse-cou… »

Elle fut rassurée de le voir descendre de là et enchaîna, s’appuyant maintenant sur le bord de la fenêtre.

« Mais… Tu sais, il a peut-être eu peur que tu te fasses mal et qu’il a voulu t’attraper pour t’éviter de te fracasser par terre. C’est plutôt dangereux, et puis il ne pouvait pas savoir que tu étais acrobate à tes heures perdues, tu ne crois pas ? »

Et voilà que son côté terre à terre revenait au galop, Yuhei n’était pas méchant, mais ce qu’il avait fait semblait, aux yeux de Natsumi, un peu inconscient.

Voilà que Yuhei faisait le mystérieux mais après tout, ils ne se connaissaient pas vraiment, se rappela Natsumi. Tranquillement, jouant avec la grenouille Kuroro de son portable, elle releva ses obsidiennes dans les noisettes du jeune homme qui souriait. Le voir comme ça, vivant, d’être apparemment gêné, tira un petit sourire à la jeune fille.

« Et bien Detsuda-kun, je suppose que tout le monde a ses petits secrets. »

Elle l’observa un court instant une fois encore, puis se décida à ranger son portable pour s’emparer du seau. Doucement, elle regarda l’arbre à côté d’elle et se pencha un peu, ramenant une énième fois derrière son oreille la mèche qui s’en était échappé.

« Dis moi Detsuda-kun, ça fait un moment je ne t’ai pas vu en compagnie de ta petite amie. » Fit-elle en tourna son visage vers lui.

Autant changer de sujet, elle irait voir Hiroshi-san d’elle-même, histoire de voir s’il était vraiment capable de vouloir autant de mal que ça à un élève. Et puis ça lui était revenu, une courte discussion où elle était avec une camarade de classe avec qui elle avait vu au loin Yuhei et une autre élève.