Tenver marchait lentement, elle ne voulait pas retourner dans cette école, elle ne voulait pas. Trop de mauvais souvenir ? Peut être, elle-même ne savait pas. Avec une expression de dégoût, elle contourna le grand bâtiment blanc et continua de suivre sa route, là où ses jambes la portaient. Son sens de l’orientation de s’était pas du tout amélioré, au bout d’un moment, elle regarda autour d’elle tant bien que mal vu qu’elle ne portait pas ses lunettes ni ses lentilles. Elle plissa les yeux et constata qu’elle ne savait pas où elle était. La jeune fille regarda de chaque côté, essayant de trouver un point de repère.

Elle ne trouva rien et continua à avancer. On verra bien où ses pas la mèneront. Ses cheveux dégagèrent son visage avec le vent et ses yeux bleus apparurent tels deux émeraudes brillantes au soleil. Elle passa la main dans ses cheveux et cala une mèche derrière son oreille, où apparaissait une boucle d’oreille en argent représentant une croix. Ses cheveux étaient toujours aussi rouges et les gens se retournaient sur le passage de la jeune fille éberlués. Tenver plongea ses mains dans les poches de sa robe. Elle n’avait pas changé de style et continuait de porter les mêmes robes noires, à volant.

Elle ne passait vraiment pas inaperçue avec ses cheveux rouges flamboyants et sa robe noire. La plupart des gens qui la croisaient la regardait fixement avant de détourner le regard. Son regard rencontra celui d’une jeune fille, elle en resta choqué et ouvrit de grands yeux surpris. Les yeux de Tenver étaient magnifiques, son regard, bien que froid, était très expressif, sans qu’elle le veuille. Ce jour là, et tant d’autres depuis 2 ans, son regard était distant et traduisait une certaine agressivité. Elle avançait à son rythme sur le trottoir et secouait la tête pour remettre, à chaque coup de vent, sa mèche en place.

Quelques temps après, Tenver butta dans une pancarte et poussa un juron en anglais. Elle recula et approcha sa tête a deux centimètres de la pancarte pour y déchiffrer ce qui était inscrit. Il lui fallut 5 minutes pour réussir à lire « Parc ». Bien qu’elle fût inscrite dans une école japonaise, elle n’avait toujours pas fait d’effort concernant la langue. Elle préférait converser en Anglais, et les japonais la comprenaient la plupart du temps, bien qu’elle parle très peu. Depuis deux ans, elle n’avait presque pas ouvert la bouche. Elle avait peur de ne pas y arriver, de ne pas réussir à le retrouver.

Elle était revenue exprès pour cela, mais savait au fond d’elle-même que ça ne donnerait rien. Autant retourner en Angleterre. Et pendant qu’elle ruminait de sombres pensées, ses jambes recommencèrent à avancer. Elle entra dans le parc. Tenver leva la tête et vit que personne ne s’y trouvait. Elle sortit une main de ses poches et mit ses lunettes sur son nez. Maintenant qu’elle voyait clair, elle avançait en regardant tout droit devant elle, sans vraiment faire attention aux magnifiques fleurs, aux ponts en bois et aux ruisseaux. Ses lunettes n’étaient pas horribles, mais elle détestait les porter. Il est vrai qu’avec sa tenue et ses cheveux rouges, une paire de lunettes noires faisaient encore plus bizarre. Avisant un banc, elle s’en approcha et s’y assit sans aucune délicatesse, lourdement et bascula sa tête en arrière pour observer le ciel.

La jeune fille fixa l’arbre qui se trouvait derrière elle en plia plus le cou en arrière, une vive douleur la força à relever la tête. Elle avait vu des branches bouger et comme il y avait peu de vent, elle trouva ça bizarre. Elle ferma les yeux en se disant qu’il ne s’agissait sans doute pas plus d’un écureuil ou autre sorte d’animaux de ce genre complètement inutile et qui ne lui servait pas à grand-chose. Tenver ouvrit doucement les yeux et fixa le soleil qui brillait assez fortement devant elle, elle détourna les yeux et posa une main sur ses lunettes. Elle les retira encore une fois et les plongea dans sa poche. Personne ne passait assez près d’elle pour lui adresser la parole et il n’y avait rien à voir alors peu importe qu’elle les garde ou pas. Elle passa ensuite sa main dans ses cheveux où se reflétait le soleil et les ébouriffa légèrement. Tout dans son attitude, ses vêtements, sa manière de se comporter par rapport aux autres évoquait la provocation. Elle ne savait pas être discrète.

La jeune fille tourna la tête et son regard se fixa dans le vide, elle se dit qu’il valait peut être mieux qu’elle ne reste pas ici, au Japon. Mais si elle retournait en Angleterre, elle devrait vivre seule et pour tout avouer, sans un seul but. Même si au Japon elle était seule, sans aucuns amis, elle préférait ce pays au sien, allez savoir pourquoi, question de feeling, elle-même n’en savait rien. Son pays natal lui rappellerait des mauvais souvenirs ? Bonne question… Tenver avait l’impression de vivre comme une ombre, un an en Angleterre, deux au Japon, un an encore en Angleterre. Elle vivait comme une fugitive. Ne restant jamais au même endroit. Elle avait toujours besoin de bouger, de voir des gens différents, sans vraiment changer beaucoup.

Tenver approcha une mèche de cheveux assez près de ses yeux et la regarda avec intérêt. Elle pouvait la voir parfaitement puisqu’elle la tenait à deux centimètres de son visage. Sa coloration rouge était assez vive mais elle fit une grimace malgré elle, ses cheveux n’étaient pas assez rouge. Tout était à refaire. Elle lâcha sa mèche d’un geste désinvolte et sa main tomba brusquement sur le banc avec un bruit sourd. D’où mouvement de tête rapide et précis, elle remit sa mèche en place, à l’arrière de sa tête. Elle soupira et se redressa sur le banc. Sa vie était trop monotone, il manquait quelque chose. Elle aurait aimé retourner au temps où elle trainait dans les rues, avec sa bande de casseurs. A l’époque, elle n’avait pas plus de 12 ans et son caractère lui avait valut d’être renvoyée de plusieurs établissements, d’avoir consulté de force plusieurs psychologues et autres sbires, jusqu’au jour où, par une simple recherche sur internet, tout avait basculé, et dans le mauvais sens, d’après elle.

Sa mère avait trouvé ça très bien qu’elle se fut calmée aussi rapidement, bien que quelque peu suspect. Et c’était surtout sa demande d’inscription dans un établissement japonais qui lui avait mit la puce à l’oreille. Mais maintenant qu’elle était morte, autant ne plus en parler et la laisser où elle était. Le bruit de réception d’un saut sur un sol dur fit sursauter Tenver. La jeune fille n’avait pas l’habitude d’être surprise en pleine rêverie mais le fait qu’une personne eu été près d’elle sans qu’elle s’en aperçoive la choquait d’autant plus. Elle avait tourné la tête vers l’inconnu tellement vite que ses yeux voyaient encore plus mal que d’habitude. Une bourrasque de vent plaqua ses cheveux en arrière. Elle plongea la main dans sa poche mais avant d’avoir pu faire le moindre geste pour les mettre, des mèches de cheveux lui tombèrent devant les yeux. Avec un geste brusque, elle les plaqua en arrière et fixa la silhouette avec un regard qui trahissait de l’énervement.

Ses yeux ressortaient avec le soleil et ses cheveux en arrière mais elle ne laissa pas une seconde de plus passer et posa ses lunettes sur son nez avec agacement. Elle voyait enfin qui l’avait fait sursauter. Il s’agissait de la chose qui avait fait bouger les branches tout à l’heure probablement. Tenver leva les yeux et détailla le jeune homme debout près d’elle. Elle le regarda droit dans les yeux avant de se lever et de dire avec un ton assez élevé :

« Nan, mais ça va pas ! Tu peux pas imaginer la peur que j’ai eue !! »

Elle avait parlé en japonais, mais son accent était risible, on entendait très bien la pointe d’anglais dans sa façon de parler.

Tenver observa le jeune homme avec intérêt, il ne disait pas un mot, et le fait d’avoir crié contre lui semblait le faire rester. Il n’avait pas l’air d’un homme normal, mais bon, pour elle, normal ne signifiait pas grand-chose. Elle pencha sa tête sur le côté, une mauvaise habitude, et continua à observer le jeune homme. Lui aussi ne la quittait pas des yeux. La jeune fille baissa les yeux et détailla des pieds à la tête son interlocuteur muet. Cela pouvait sembler obscène et impoli mais elle s’en fichait éperdument, elle ne voulait pas savoir forcément qui il était, mais son attitude était proche de la sienne, et lui inspirait, bien qu’elle ne veuille pas se l’avouer si rapidement, de la curiosité. Ses cheveux rouges voletaient dans n’importe quel sens sur sa tête mais elle gardait les yeux fixés sur lui sans se détourner une seule fois. Il y avait dans l’attitude du jeune homme quelque chose qui faisait croire à Tenver qu’il se moquait d’elle au plus profond de lui. Elle n’en doutait pas, tout dans son attitude montrait qu’il se fichait de la jeune fille autant qu’une feuille de l’arbre dans lequel il était monté.

Par rapport à la taille de l’inconnu, on pouvait la qualifier de petite, soit il était grand, soit elle était petite. La jeune fille était obligée de lever la tête pour le regarder dans les yeux, ce qui pouvait sembler bizarre, qu’une petite fille se dresse contre un homme aussi grand. Les cheveux du jeune homme vinrent frôler le visage de Tenver, elle écarquilla les yeux à ce contact, chose à ne pas faire, et une mèche de cheveux lui toucha un œil. Elle poussa une exclamation avant d’ôter ses lunettes pour se frotter l’œil en question. Des mèches de cheveux rouges cachèrent son visage alors baissé. Tenver releva la tête en écartant ces mèches, ses yeux bleus brillèrent au soleil et accentuèrent son regard froid et provocateur. Elle fixa ce qui semblait être les yeux du brun et attendit. Ses pupilles étaient bleus, d’un bleu très foncé mais à la fois très voyant qui n’était pas commun. Tant qu’il ne dirait pas ne serait-ce qu’un seul mot, elle n’ouvrirait pas la bouche.

Elle avait l’impression qu’il jouait à un jeu avec elle, qu’il savait bien qu’elle ne pouvait pas tenir plus longtemps sans parler vu son tempérament. Et bien, elle le défierait, bien qu’elle ne savait absolument pas qu’elle expression il pouvait adopter. Elle était myope et devait vivre avec. Elle avait toujours eu du mal à voir, depuis toute petite elle trimbalait des lunettes. Mais c’était maintenant le plus difficile, avec son style, ses lunettes ne s’accordaient pas du tout, et elle n’avait pas pensé à mettre ses lentilles, et oubliait tout le temps. En même temps, elle avait les pensées prises par une seule chose depuis 4 ans. Elle se rabâchait tout le temps les mêmes pensées dans sa tête et finissait par ne plus penser qu’à ça. Ça l’obsédait, elle voulait savoir, mais en même temps, elle avait tellement peur. Peur de ne pas savoir, peut être peur d’apprendre la vérité, encore un doute… Peu importe, dans peu de temps elle repartirait dans son pays et l’oublierait surement. Elle se disait ça à chaque fois, mais revenait toujours.

Les lèvres de Tenver se tordirent avec énervement, elle n’en pouvait plus, elle était impatiente et n’en supportait pas plus. Elle poussa un grognement et se laissa tomber sur le banc en fermant les yeux.

« Tu me soûle… »

Fallait-il le dire ? La voir céder lui avait fait plaisir, mais d’un autre côté, sa façon de céder était amusante. Elle n’avait pas cherché à se faire petite, et ce qu’elle avait dit n’avait rien de bien agréable si on était un peu susceptible. Lui... Non on ne pouvait pas dire qu’il le soit. On pouvait en général lui dire tout ce qu’on voulait, il était exceptionnel que ça le fasse réagir ou alors il fallait l’avoir blessé... Rares étaient les personnes capables de cet exploit, si bien qu’au fond, il ne s’énervait que peu souvent.

Cette fois encore, il se contenta donc de rester stoïque, immobile. Elle ne pouvait pas le voir, ayant fermé les yeux, mais elle devait bien sentir sa présence, comprendre qu’il n’était pas parti. Pourquoi restait-il alors qu’il avait voulu mettre les voiles au départ ? Peut-être parce que ses yeux, avant qu’elle ne les ferme, lui en avaient rappelé d’autres : les siens. Ils avaient les mêmes, s’en était troublant d’ailleurs. Qu’elle soit métissée n’avait rien d’exceptionnel mais qu’elle ait les yeux bleu cobalt, comme lui, avec ce visage qui ressemblait assez à celui du jeune homme à la réflexion, ça n’était pas courant, ça. Une pensée curieuse lui vint à l’esprit. Après quelques recherches, il avait fini par obtenir l’identité de ses parents biologiques. Son père était un coureur de Jupon. Avait-il engrossé une autre femme au pays du Soleil Levant ? Curieuse méthode que d’engrosser une femme différente à chaque visite différente dans un pays...

« Ton père est anglais ? »

La seule manière de savoir était de poser la question. C’est pourquoi il s’était décidé à parler finalement, snobant du même coup la plainte de la demoiselle. Mais l’intérêt qu’il portait à la réponse de sa question ne transparaissait pourtant pas dans sa voix. Son ton, égal à celui qu’il employait d’habitude, aurait pu faire frémir un iceberg, si ces derniers étaient pourvus de nerfs. Il voulait savoir mais ne voulait pas se faire apprécier. Ce qu’elle pourrait penser de lui, avec ses questions surprenantes et sa chaleur dépassant tout juste le 0°C lui était égal. Sans doute était-ce là l’un de leurs points communs, s’il en jugeait à sa façon de se comporter. Ou alors elle cachait ça bien, mais au fond, qu’importe.

Sheikhan alla s’appuyer dos au tronc, face à la jeune fille. Il observa distraitement un couple d’élèves passé. Ils semblaient pressés... ou intimidés par les deux jeunes gens « en grande discussion ». C’était dans de tels instants qu’on voyait à quel point la différence pouvait faire peur et à quel point les apparences comptaient. Parce qu’ils étaient différents, parce qu’ils ne se fondaient pas dans la masse, la fille et lui devaient faire peur à plus d’un. Bien à tort, car dans le cas du brun, même s’il n’était pas un saint, il fallait le chercher pour se le mettre à dos. Il avait mieux à faire que pester contre l’Humanité entière. Les humains n’avaient de toute façon pas besoin de lui pour se blesser les uns, les autres.

[Désolé, c’est court malgré le retard T_T]

Tenver le regarda avec un sourire ironique. Oh ! Il savait parler ! Formidable ! Elle détourna les yeux mais son petit sourire ne la quitta pas. C’était vraiment infime, presque imperceptible, mais ce garçon, elle venait de s’en rendre compte, avait une pointe d’accent américain dans la voix. Il fallait vraiment chercher pour l’entendre, mais elle l’avait tout de suite entendu. Pas bien difficile pour quelqu’un qui vient d’Angleterre et qui parle le japonais à l’anglaise, en deux mots : très mal. Enfin bref, elle mit cette nouvelle information de côté et repensa à la question qu’il lui avait posée. Futé le petit, très malin. La jeune fille le regarda avec exactement la même lueur glaciale, que lui avait dans les yeux, dans son regard à elle avant de répondre d’une voix lente et limite provocante.

« Ça s’entend tant que ça ? »

Non seulement son père était anglais, mais son pays d’origine était l’Angleterre alors ce n’était pas très dur, pour quelqu’un qui connaissait un tant soit peu la langue de le deviner. Elle n’avait pas connu sont paternel, l’avait juste vu sur une photo une seule fois, et elle ne s’en plaignait pas. D’après sa mère, il était très violent, coureur de jupon, séducteur, infidèle, et tous les qualificatifs que les hommes aiment collectionner. Au physique de Tenver, on pouvait voir qu’elle était du mélange asiatique-occidental, donc, fallait pas trop se prendre la tête pour en déduire que de l’autre côté, il y avait une asiatique. La jeune fille regarda son interlocuteur du coin de l’œil. Elle ne le voyait pas très bien, mais elle le savait distant à son attitude et froid au ton de sa voix. Quoique froid était minime, glacial convenait mieux, ou encore complètement asocial. Pourquoi lui avait-il posé cette question s’il n’était pas disposé dès le début à lui parler ? Peu importe, de toute façon, elle n’était pas venue ici pour parler avec un inconnu aux cheveux longs et au comportement extraordinairement désagréable. Pour quoi faire alors ? Aucune idée, mais il ne l’aurait pas dérangée alors qu’elle était dans ses pensées, sa vie se serrait peut-être mieux portée, va savoir. Tenver tourna la tête et le regarda, cette fois directement.

« Et le tien, il est américain ? »

Qu’est-ce qu’il en avait à faire qu’elle soit anglaise, qu’est-ce qu’elle en avait à faire qu’il soit américain ou non ? Peut-être que tout à l’heure ils allaient repartir pour boire un thé en se racontant leur vie ? Elle leva les yeux au ciel en secouant la tête et détourna son regard du jeune homme. Mais si vraiment elle se fichait de lui, pourquoi n’était-elle pas partit sans répondre à sa question ? Enfaite si, ce jeune inconnu l’intéressait. Pas parce que c’était un homme, absolument pas, si un jour elle devait s’intéresser à un homme, elle espérait franchement qu’il ne soit pas comme ça. Et les histoires d’amour, ce n’était vraiment pas son truc. Non plus par son physique, primo, elle ne savait presque pas à quoi il ressemblait puisqu’elle ne voulait pas mettre ses binocles et deuzio, il faudrait vraiment qu’il sorte du commun des mortels pour qu’elle le trouve beau, ce n’était pas près d’arriver. Il l’intéressait par son attitude, le fait qu’il ne soit pas distant par rapport à elle, comme tout les autres jusqu’à maintenant. Même sa propre mère avait eu du mal avec son style bizarre. Elle se savait différente, sans aucunes ressemblances avec les gens normaux. Et lui, il n’omettait aucune distance entre lui et Tenver, au contraire, il restait là sans bouger. Certes, avec une attitude super froide et pas non-plus encourageante pour faire la discussion, mais il était là quand même.

[Pareil pour toi x) j'ai pas mal de choses à préparer en ce moment nihi ]

Attention aux sujets à ne pas aborder. La famille de Sheikhan était une chose presque taboue chez lui. Il n’aimait pas parler d’elle, que ce soit de ses parents adoptifs ou de ses parents biologiques. Quelque part, même s’il ne regrettait pas sa vie, il leur en voulait à eux quatre de l’avoir soit abandonné, soit maltraité. Il lui arrivait de se demander comment aurait été sa vie s’il avait eu des parents comme les autres, aimants et attentifs. Sans doute n’aurait-il pas vécu tout cela. Peut-être même aurait-il moins souffert dans sa vie...

« Non. »

Il espérait qu’elle ne s’intéresserait pas de trop près à l’explication de son très léger accent américain. Oh il pourrait bien lui dire la vérité, ça n’est pas qu’il en avait honte, mais contrairement à d’autres qui avaient une gueule d’ange, lui serait crédible... Et il avait réussi à semer les flics quelque part entre Chicago et Détroit, donc nul besoin de griller sa couverture au Japon. De plus, il n’avait aucune confiance en elle. Ce ne serait pas la première fois qu’il voyait une jeune fille ne payant pas de mine s’avérer bien plus dangereuse qu’elle n’en avait l’air. Il n’aimait pas prendre de risque, il ne lui dirait rien... Seulement, le brun n’était pas sûr qu’elle s’en aille s’il le lui demandait. Elle lui semblait être trop obstinée pour l’écouter. A croire qu’il avait l’air d’un bisounours maintenant, vu comme elle lui tenait tête ou tentait une discussion avec lui. S’en était presque vexant. Sheikhan tenait aussi à faire peur aux autres. Ca avait l’immense avantage de lui garantir une tranquillité que trop de gens n’avaient jamais. Malheureusement, ce n’était pas pour ce jour-là...

Le brun regarda autour de lui. Il hésitait à partir. L’ennui, c’est qu’il ne comptait pas retourner chez lui – ça lui faisait bizarre d’appeler son appartement ainsi, lui qui n’avait jamais rien eu d’autre que des vieux hangars ou une rue comme maison. Il ne savait pas tellement quoi faire. Ses journées étaient longues et monotones ces derniers temps, mais après son dernier coup, il préférait se tenir un peu tranquille... et frapper à nouveau quand plus personne ne s’y attendrait. C’était plus drôle ainsi.

« Mon père est anglais. »

Le brun ne savait même pas pourquoi il lui disait ça. Elle n’avait aucun besoin de le savoir. Vraiment aucun. Ce n’était pas une chose très importante dans la vie du voleur. Savoir ça ne mettrait pas la demoiselle en danger, loin de là, néanmoins, ça ne lui ressemblait pas de s’exprimer sur sa vie. Elle n’en saurait de toute façon pas plus, même si le très très léger accent new yorkais du jeune homme pouvait surprendre avec cette révélation. Oh elle pourrait bien se dire que ça venait de sa mère. Il n’aurait pas été le premier enfant se retrouvant à vivre chez sa mère après divorce des parents. Et toute façon, elle croyait bien ce qu’elle désirait, cette miss qui n’y voyait pas grand chose. Le brun s’approcha d’ailleurs d’elle et lui prit les lunettes avant de les lui mettre dans une main.

« C’est ridicule de les enlever. »

Après tout, il s’en moquait comme de sa première chaussette qu’elle ait ou non ses lunettes, mais c’était pénible de parler à quelqu’un qui faisait tout pour cacher sa mauvaise vision. Si elle était myope, elle était myope. Pas besoin d‘en faire tout un foin, surtout devant lui qui se fichait bien des apparences !

Alors là, ça dépassait l’inespérable. Elle le regarda longuement, une lueur détestable s’installant au fur et à mesure dans ses yeux. Elle renvoyait un regard pire qu’haineux. Tenver détestait ça, personne, d’encore vivant ou capable de parler ne lui avait fait un commentaire sur ses lunettes. Son visage se contracta, sa main tenant ses binocles aussi. Ses yeux étaient à faire froids dans le dos. Elle plissa les yeux sans ciller, continuant de l’assassiner mentalement. Son énervement était à son comble, et il en fallait vraiment peu. Elle avait toujours été susceptible et l’attitude du jeune homme n’arrangeait pas les choses. Elle ouvrit la bouche et parla en anglais, sa voix fusa, elle ne réfléchissait pas vraiment, ses paroles déferlaient toutes seules.

« De quel droit ?! De quel droit peux-tu juger ce qui est ridicule ou ce qui ne l’est pas ? Tu ne te sens pas ridicule toi, avec cette attitude ? Mettre ou pas mes lunettes, en quoi ça te regarde ? Tu n’es pas mon putain de père à ce que je sache ?! Toi-même tu n’as jamais ou presque jamais été ridicule, ou même éprouvé ce sentiment, tu ne sais pas de quoi tu parle ! Ça se voit ! Ça se sent ! Tu as l’air parfait et lisse comme un roc, mais tu n’es pas mieux que moi ! Arrête de me prendre de haut ! On ne se connaît pas ! »

Elle reprit difficilement son souffle. Elle avait envie de lui faire comprendre, qu’il arrête d’être comme ça, que ça ne servait à rien d’avoir cette attitude avec elle, qu’elle connaissait, qu’elle savait pourquoi certain avait cette attitude… Comme elle l’avait dit, il n’était pas mieux qu’elle, mais elle ne valait pas bien plus que lui, elle le savait. Son obstination était telle, qu’elle oubliait qu’elle avait à peu près la même attitude que lui, qu’elle prenait elle aussi les gens de haut, avec son regard sans expression, qui ne trahit absolument rien, et qu’elle l’avait fait aussi avec lui. En se calmant lentement, son visage se décontracta et reprit son habituel air ailleurs. Tenver réalisa qu’elle s’était mise debout et son visage collait presque celui de son interlocuteur. Elle était comme ça Tenver, elle s’énervait tout à coup, des fois pour rien, y passait parfois aux mains, mais se calmait immédiatement, après la confrontation passée. Elle reprit ses esprits et cligna des yeux, la première fois depuis longtemps. La jeune fille, aussi près du visage du jeune homme, pouvait parfaitement distinguer ses traits. Elle plongea ses yeux dans les siens et ouvrit la bouche de stupeur. Elle en fut presque choquée, et son visage se tordit en une grimace de dégout avant qu’elle ne recule.

Comment ce…ce mec pouvait avoir d’aussi beaux yeux ? S’en était équerrant ! Elle passa de la colère non réfléchie au dégout et à l’exaspération la plus total. La jeune fille se laissa tomber en arrière, et, par chance, atterrit sur le banc avec un bruit sourd. Elle passa une main dans ses cheveux en soupirant. Elle avait eu trop d’émotion en moins de cinq minutes, elle n’en revenait pas elle-même. Ce gars la rendait presque folle, elle n’aurait pas du lui adresser la parole. Elle repensa à son regard, froid, désireux, provocant, plein de violence et de désirs inavouables…Au moins, cette fois là, il laissait quelque chose transparaître. A y réfléchir, il y avait même une pointe de tristesse qui perçait dans ses prunelles, mais elle n’y fit pas attention, ses pensées était autre part. Elle avait déjà vu ce regard là, mais où ?

« T’es d’un bizarre… »

Ironie du sort, elle l’était sûrement plus que lui, mais on comportement, sa présence à vouloir cacher des choses était énervant au plus haut point. Il était lisse, très glacial, certes, mais on ressentait une impression de perfection à ses côtés. Tenver regarda sa main droite, celle qui tenait ses lunettes et vit, en les rapprochant à deux centimètres de ses yeux, qu’elles les avaient cassées en deux, même un verre s’était déboité. Elle soupira une deuxième fois, n’osant plus relever les yeux vers lui, de peur de rencontrer encore une fois son regard énigmatique. Elle pencha la tête, presque sûre, leur regard se ressemblaient beaucoup, mais lui était trop différent, il y avait quelque chose. Une chose inavouable dans ses yeux.

Les changements d’humeur brusques de la fille lui rappelaient les changements d’humeur de quelqu’un d’autre. Il n’avait jamais compris comment on pouvait être si expressif et aussi lunatique. Comment on pouvait s’énerver pour pas grand chose, se sentir abattu l’instant d’après et te sortir un truc tellement illogique que tu te demandais bien d’où ça venait. Mais Sheikhan avait l’habitude de rencontrer tous les types de personnes, alors il n’était plus si surpris que cela. C’est qu’à force de voir des gens très différents les uns des autres, il en fallait pour arriver à le surprendre. Ceci dit, là, il s’amusait un peu. Les sautes d’humeur de la demoiselle ne l’affectaient pas vraiment. Elle pouvait lui dire ce qu’elle voulait, il n’était pas susceptible et il avait encaissé bien pire.

Qui plus est, elle n’avait pas totalement tort. Le ridicule, il ne connaissait pas. Le regard des autres, il s’en moquait royalement. Qu’on pense ce qu’on veut de lui, tant qu’on le laissait en paix ! Donc non, il ne s’était jamais senti honteux pour telle ou telle attitude dite « ridicules » mais là, quand même, ne pas mettre ses lunettes par crainte du regard des autres et les casser en s’agaçant parce que le sujet vient d’être abordé, franchement... Il y avait de quoi rire !

Le brun se pencha et récupéra le verre tombé à ses pieds avant de le jeter sur les jambes de la fille. Avec un peu de chance, elle allait encore se mettre en colère contre lui, à cause de ses bizarreries. Ca avait quelque chose de comique venant d’elle, vu qu’elle n’était pas franchement dans la norme non plus. Et c’était sans doute pour ça qu’elle devait le supporter tandis qu’il passait le temps avec elle. D’ailleurs, il ne savait pas plus qu’elle pourquoi il restait là. A la base, il voulait être seul et non accompagné d’une inconnue, même amusante... L’inconnue en question avait raison de dire qu’il était bizarre !

D’ailleurs, elle l’intriguait. Lorsqu’elle s’était approchée de lui en s’énervant, il avait pu voir ses yeux. Deux beaux yeux bleus presque identiques à ceux qu’il voyait lorsqu’il se regardait dans un miroir. Impassible comme toujours, il avait effacé toute surprise de son visage mais il n’en restait pas moins étonné. Il avait pu voir avant l’éclat bleu de ses yeux, mais des yeux bleu cobalt comme les siens, chez une autre métissé, ça n’était pas courant. Pas courant du tout ! Et le fait que leur père à tous deux soit anglais faisait naître bien des interrogations dans l’esprit du brun. Etait-il possible qu’ils soient nés du même père ? Et plus surprenant encore, qu’ils se rencontrent ici par le plus pur des hasards...

« Comment s’appelle ton vieux ? »

Mieux valait vérifier. Être sûr. Il n’aimait pas avoir des doutes et se prendre la tête quand il pouvait obtenir rapidement la réponse à sa question. Néanmoins, il y avait fort à parier que la jeune fille ne lui répondrait pas directement. Qu’elle veuille le pourquoi du comment... Il n’était pas d’humeur à supporter une avalanche de questions diverses et variées et, pour son bien, il valait mieux qu’elle apporte assez vite une réponse.

Contrairement à beaucoup de gens, frapper une femme ne le gênait pas. Il savait trop à quel point elles pouvaient s’avérer dangereuses elles aussi pour faire des chichis. Du coup, il ne comprenait pas vraiment qu’on veuille toujours ne s’en prendre qu’aux hommes. Le temps où les femmes étaient juste bonnes pour faire le ménage était – malheureusement – révolu, il fallait savoir s’adapter pour survivre...

Il soupira un peu et alla s’appuyer dos contre le tronc d’arbre d’où il était descendu. Ses yeux fixaient avec intensité la jeune fille, tandis qu’il attendait sa réponse avec une certaine impatiente. Cela lui refaisait penser à Nihya et sa sœur Tsukiyo, sœur qui par le plus grand des hasards portait le nom de sa fille. Comment Nihya avait-il réagit en apprenant qu’il avait une sœur ? Il ne le lui avait jamais demandé. Sans doute aurait-il du, ça lui aurait peut-être permis de ne pas tellement se poser de question... Non sans un certain amusement, il se demanda si la fille face à lui se nommait Aoi. Après out, la sœur de Nihya avait le nom de la fille de Sheik’, alors pourquoi sa sœur – s’il ne se trompait pas – ne pouvait-elle pas se nommer Aoi ?

Avec des yeux étonnés, la jeune anglaise regarda le verre coincé entre ses deux jambes. Très fines d’ailleurs, sans pour autant être maigres, mais fines, remarquablement fines. Tenver n’avait pas pour habitude de pratiquer du sport, ou de manger beaucoup. La nourriture n’était pour elle qu’une chose facultative, elle n’était pas une de ces filles qui n’ont pas de chance avec la vie qu’on appelle anorexique, mais elle considérait le besoin de se nourrir comme secondaire et n’en éprouvait presque jamais la sensation. Le sport, n’en parlons pas, elle détestait ça. Rien que de l’imaginer, elle, courir, c’est à la limite du risible. Elle leva la main et l’effleura du bout du doigt. Elle s’était si vite calmée qu’elle ne disait plus rien. Elle n’était plus motivée pour rien maintenant. Son caractère, pour autant exceptionnel, était très vite décourageant pour les personnes qui souhaitaient faire connaissance avec elle, si peux qu’ils soient, ou pour les rares jeunes qui la côtoyait. Une jeune fille bizarre attire l’attention, mais fait peur. On préfère éviter quand ça intrigue ou quand on a peur. Les gens sont comme ça. Tenver releva la tête et ses yeux cherchèrent le jeune homme. Maintenant qu’il était retourné contre « son » arbre, elle ne le distinguait que très mal. Une ombre floue avec des couleurs par-ci par-là. Elle fronça les sourcils, sans grand succès, elle ne le voyait plus. Elle aurait voulut le distinguer encore, l’avoir juste en face d’elle pour graver dans sa mémoire tout ses traits. Tout ce qu’elle retenait pour l’instant, c’était ses yeux, si semblables aux siens, sans pour autant être identiques. Elle fixa la tache floue avec insistance, les yeux lançant des éclairs gelés, comme à leur habitude.

Son vieux ? Elle haussa un sourcil, et son regard se transforma presque immédiatement. Tenver se pencha légèrement en avant. Pourquoi voulait-il savoir ça ? En quoi cette information l’aiderait dans la vie ? Elle savait très bien comment s’appelait son paternel, elle connaissait son nom par cœur, comme une chanson dont on ne peut pas oublier les paroles. Elle savait qui il avait été, qui il était et pourquoi un être insignifiant comme lui avait couché avec sa mère. Elle savait pas mal de chose, mais en ignorait la moitié. Il y avait des choses qu’elle n’avait absolument pas envie de savoir sur son compte, elle avait lu, entendu les rumeurs à son sujet, elle n’avait pas honte d’être sa fille, elle était même fière de ne jamais l’avoir connu. Une seule chose le reliait à elle, à part le lien père-fille. Elle y avait passé les 3 dernières années de sa vie en grande partie. Mais elle n’avait aucune envie de penser à ça maintenant. Pourquoi voulait-il savoir son nom ? Tenver, d’habitude absolument pas curieuse, ne supportait pas que ce mec, qui se croyait le maitre du monde, lui cache la raison de sa question. Elle le regarda, enfin, ce qu’elle pouvait voir, et ses yeux noirs hésitèrent entre le fixer et regarder le sol. Ses cheveux rouges virevoltèrent et plusieurs mèches vinrent se poser devant ses yeux. Elle ferma les yeux, soupira et se redressa lentement.

« Erwann Hargreaves … C’est comme ça qu’il s’appelle… »

Elle avait parlée d’une voix qui trahissait une profonde amertume pour cet homme. Oui, elle le détestait. Elle ne l’avait jamais connu, ne lui avait jamais parlé, l’avait juste vu une seule fois sur une photo dans les affaires que ça mère avait laissée avant de mourir de sa maladie à l’hôpital. Le peu de chose qu’elle avait entendu de sa mère lui avait retourné le cœur. Sa mère avait été la seule et unique personne qu’elle n’avait jamais insultée, contre laquelle elle ne s’était jamais énervée pourtant, elle n’avait jamais éprouvée un amour sincère pour elle. Sa mort ne l’avait jamais profondément touchée, elle n’avait pas versée une seule larme. Lorsqu’elle avait reçu la lettre lui annonçant sa mort, elle n’avait pas réagit, elle s’était juste « exilée » en quelque sorte. Une fois toute la paperasse réglée, elle s’était envolée pour ce pays tant détesté, le Japon. Enfin bref, revenons à nos moutons. Sa voix était distante, profonde, comme venue d’autre part. Elle n’arrivait même pas à imaginer qu’elle avait réussi à prononcer son nom sans le crier ou sans rajouter une tonne d’insulte à la suite. Tenver rouvrit les yeux, encore plus noirs qu’avant, on ne distinguait presque plus le bleu tellement il était foncé.

Erwann Heargeaves... Un nom qu’il avait appris non pas à aimer mais au moins à ne plus détester. Le nom d’un homme qu’il aurait volontier enfermé avec sa bonne sœur de mère pour les faire brûler vif. Durant des années, cet homme avait été son ennemi n°1, l’homme à abattre. Il ne l’avait pourtant jamais réellement vu ce businessman, hormis à un gala un soir, mais son apparition avait été trop brève pour que Sheikhan ait pu faire quoique ce soit. A l’époque, de toute façon, il avait déjà décrété qu’il n’avait jamais eu de peur, juste un géniteur et un enfoiré qui l’avait adopté.

Pendant longtemps, il en avait voulu à Heargreaves d’avoir abandonné sa mère enceinte, de l’avoir abandonné lui. A cause de ça, parce qu’il avait mis une nonne "en cloque" et que celle-ci, trop croyante pour élever son enfant avait préféré l’abandonner à son tour pour qu’il soit confier un couple cinglé, il avait eu une enfance catastrophique. Oh, bien sûr, maintenant, il avait passé le cap mais jusqu’à ses 15 ans, il n’avait pas digéré ça. Maintenant, il comprenait un peu son père. Il ne valait pas franchement mieux à dire vrai. Lui aussi avait abandonné sa fille et la mère d’une certaine façon, en n’essayant pas de les retrouver après le déménagement de Miyu. Il n’essaierait d’ailleurs pas de les rejoindre. Ce n’était pas qu’il tenait réellement à elles, même si les souvenirs qu’il avait de Miyu étaient généralement positifs, mais il ne tenait quand même pas à leur attirer plus d’ennuis qu’elles n’en auraient naturellement. De plus, en toute sincérité, le sort de Tsukiyo lui était totalement indifférent. Le fait qu’elle sache sans doute parler et marcher maintenant ne lui changeait pas radicalement sa vie. A dire vrai, à part quand il repensait à son géniteur et donc à sa propre paternité, Miyu et sa fille étaient bien loin de son esprit.

Cependant, là, même s’il eut une pensée fugace pour elles, ce fut surtout la révélation de la jeune fille ainsi que son ton qui occupèrent son esprit. Erwann Heargreaves, cet homme qu’il connaissait sans réellement le connaître était également le père de cette fille. Savait-elle que le seul fils reconnu de l’homme d’affaire se nommait Ethan Jewel ? Qu’ils étaient au moins trois à partager ce sang ? Et chose curieuse, pas un seul des enfants ne portaient le nom du père. A croire que cet homme si conservateur ne voulait pas faire perpétuer son nom. Une chose bien curieuse d’ailleurs.

« Tu le hais... »

Comme tous ses enfants je suppose, compléta-t-il mentalement. Il ne pouvait pourtant pas lui dire qu’il était, bien contre son gré, de ceux-là, ni même qu’il comprenait dans un sens la réaction de leur géniteur. Auraient-ils vraiment été plus heureux s’il les avait reconnus ? Quand bien même auraient-ils vécus en famille, il n’était pas dit que la joie aurait fait parti de leur quotidien. L’homme était connu pour sa dépendance aux femmes mais aussi et surtout pour son caractère intransigeant et, il fallait bien le dire, capricieux. Ce n’était pas idéal pour débuter dans l’existence, loin de là.

« C’est pour le fuir que tu es là ? »

Il doutait que ce soit ça. Fuir, la jeune fille ne semblait pas savoir faire, pas consciemment du moins. Comme tous, elle devait bien fuir quelque chose, un souvenir douloureux, un passé difficile ou une réalité trop dure. Les gens avaient tous une peur profondément ancrée. Pour se jouer de ça régulièrement afin d’obtenir ce qu’il voulait, Sheikhan en savait quelque chose. Ce qu’il savait aussi, c’est que la fuite ne menait à rien mis à part se faire encore plus mal quand ça nous rattrapait. Et pourtant, même quand c’était le cas, on recommençait...

La jeune anglaise se retint presque d’éclater de rire. Son expression se transforma très rapidement, et elle avait maintenant l’air d’une sadique avec ses yeux froids comme la glace et son sourire hautain. Bien sur qu’elle le détestait, plus que tout même. Ce gars était un peu lent à la détente. Tenver n’avait jamais connu son père, mais cela ne l’empêchait pas de le détester de tout son être. Elle se doutait que si elle l’avait connu, peut-être aurait-elle eu une enfance moins torturée et un peu plus gaie, mais un doute persistait. Si elle l’avait connu, l’avait vu ou ne serait-ce lui avoir parlé une seule fois, cela n’aurait peut-être pas changé sa vie. Quoique, elle le savait très riche, beau et encore jeune. Alors pourquoi ? Elle s’était toujours interdite de se poser se genre de question, elle ne voulait et ne pouvait pas y répondre. Tenver releva la tête, ses yeux cherchèrent encore une fois ce gars sans qu’elle parvienne à le distinguer. Toute trace de sourire avait disparu de son visage, il était maintenant lisse et froid, comme d’ordinaire. Elle se savait très fatigante à changer tout le temps d’expression sans prévenir, beaucoup de personne trouvait cela très horripilant. Mais elle, ça l’amusait, enfin, elle ne contrôlait pas vraiment. Elle s’amusait plutôt à regarder les expressions de personnes qui se trouvaient en face au bon moment. Une fille irritante, détestable, hautaine, rien de plus, et pourtant, elle s’adorait.

La jeune fille secoua la tête et écarquilla les yeux quand elle eu fini. Sa vue avait du mal à revenir à l’état d’origine, c'est-à-dire brumeuse et floue. Elle passa une main dans ses cheveux. Pour ça aussi, elle était énervante, elle passait son temps à toucher ses cheveux ou à passer une voir plusieurs mains dedans. C’est comme se manger les ongles pour certains, sauf que elle c’est avec les cheveux mais elle ne les mangeait pas. Elle reposa doucement le bras sur sa robe noire et son expression devint dédaigneuse. Le fuir ? Encore mieux, elle n’avait pas pour habitude de fuir et quand bien même elle le ferait, surement pas devant cet ordure. Elle serait restée jusqu’au bout, pour lui faire regretter. Si seulement elle avait pu, elle en aurait peut-être gardé un bon souvenir. Mais elle ne l’avait vu qu’une seule fois et en photo alors pour ce qui était de fuir…

« Quel intérêt de fuir un homme qui je n’ai jamais vu ? »

Tenver trouvait ça vraiment bizarre. Pourquoi ce jeune homme s’intéressait autant à son paternel. Si il voulait des renseignements, il n’avait qu’a lire les articles qui étaient paru il y a de cela quelques années, les seuls qu’elle avait lu à propos de son père. Il en était sûrement sortit d’autre, mais elle ne lisait pas le journal et détestait internet. Mais comment pouvait-il vouloir savoir ça ? Elle-même n’aurait jamais demandé ça au premier venu et voila que lui, lui demandait des informations sur son père. Ils ne se connaissaient même pas, elle s’était énervée contre lui, il l’avait provoquée inconsciemment et il affirmait qu’elle le détestait en lui extirpant des renseignements. Nan mais qui était ce gars pour agir comme ça ? Il frôlait le n’importe quoi.

« Au fait, t’es qui toi ? Pourquoi tu me parle de ça ? On s’en fout de mon père… C’est n’importe quoi… »

Elle soupira et partit en arrière. La jeune fille s’allongea de tout son long sur le banc, avec un bras lui cachant les yeux. Elle était fatiguée, elle ne voyait rien, il ne lui disait rien sur lui et leurs attitudes proches ne cessaient d’être au aguets. Tenver ne voyait pas où cette rencontre pouvait la mener, et elle se retenait de partir. Laisser ce mec seul ici lui semblait être une bonne astuce, mais elle voulait savoir pourquoi son père l’intéressait autant. Peut-être était-il un de ses anciens employés, ou alors un collaborateur. Elle ouvrit grand les yeux d’un seul coup et se redressa vivement, les yeux écarquillés. Impossible, ce ne pouvait pas être lui.

« Comment tu t'appelle ?? »

Elle n’avait pas réellement compris le sens de sa question apparemment. Cependant, il ne se sentait pas d’humeur à préciser avec de plus amples détails. Les autres propos de la jeune fille finirent d’user sa relative bonne humeur et Sheikhan se renferma encore un peu plus. Elle ne le voyait sans doute pas, mais le regard qu’il lui lança lui aurait sans doute fait froid dans le dos. En toute bonne foi, c’était un juste retour des choses. Néanmoins, il était hors de question que le brun lui réponde. Il ne lui avait pas demandé son identité à elle. Il s’en moquait un peu à dire vrai. Le nom des gens lui importait peu en règle générale, et même dans ce cas précis où il aurait pu s’en soucier, c’était un détail qui ne méritait pas son attention.

Le vent s’éleva à nouveau. Immobile, le voleur resta appuyé sur son tronc, les yeux posés sur sa demi-sœur. Peut-être sentait-elle la brûlure de ce regard polaire, peut-être pas. IL regrettait néanmoins que ses lunettes soient hors d’état de nuire. Peut-être aurait-elle pris peur en le voyant ainsi. Curieusement, il en doutait. Lui qui avait tellement l’habitude d’effrayer les gens n’était pas du tout sûr qu’avec elle ça fonctionne. Cette fille était juste... hors norme. Bizarre ne collait pas, il pouvait la qualifier de bien des manières mais atypique était le terme le plus juste, même sans prendre en considération son aspect physique. Le brun se demande brièvement quelles pouvaient être les raisons l’ayant poussées à devenir ainsi. A être si froide, si renfermée.

« Ca ne te regarde pas. »

Sa voix brisa le silence qui s’était installé. Silence tout relatif si l’on prenait en compte le souffle du vent parmi les feuilles et le bavardage de quelqu’un, loin d’eux certes mais dont les propos revenaient déformés à cause de la brise. Attentif, le brun tenta d’en comprendre quelques mots pour tromper l’ennui qui lui tenait compagnie. Cette discussion n’avait plus rien de drôle. La demoiselle l’avait amusé un temps, c’était terminé. Il voulait partir, il voulait lui dire. En fait, il ne savait pas trop. Devait-il lui avouer qu’ils avaient des liens de sang ? Devait-il se contenter de la laisser le maudire pour ses questions indiscrètes ou son manque de réponse ensuite ? Il ne savait vraiment pas. Le problème était surtout : si elle savait, l’aurait-il sur le dos ? Serait-elle en sécurité par la suite ? Il ne la connaissait pas, et on ne pouvait pas dire que son sort l’intéresse grandement mais il ne comptait pas la mettre en danger aussi stupidement pour autant.

Il lâcha un léger soupir et se redressa complètement. Le jeune homme fit quelques pas et se planta devant elle. Elle n’était pas grand, contrairement à lui. En fait, à part leurs yeux, ils n’avaient rien de réellement semblable physiquement. Il la détailla de haut en bas. A la réflexion, leurs attitudes étaient curieusement semblables. Fiers tous deux, froids, taciturnes, tout cela se voyait au premier coup d’œil chez elle comme chez lui. S’en était surprenant. Et pour le peu de photo qu’il avait vu de son géniteur, cela semblait être un trait de famille. Oh en général sur les photos, Heargreaves souriait, mais son regard, lui, ne se coordonnait pas à ses lèvres. C’était un contraste que l’on pouvait aussi retrouver chez Sheikhan, même si ce dernier, photo ou pas, ne souriait pas (et quand il le faisait... Nan en fait il valait mieux qu’il s’abstienne, ça ne promettait jamais rien de bon).

« Oublie que tu m’as vu. »

Curieux conseil n’est-ce pas ? Et pourtant, même si c’est lui qui avait instauré le contact entre eux, mieux valait qu’elle ne se rappelle pas de lui. Qu’elle fasse comme si jamais ils ne s’étaient vus. C’était bien mieux pour l’un comme pour l’autre. Evidemment, il ne pouvait pas être certain qu’elle obéisse, sans doute ferait-elle le contraire par esprit de contradiction, mais lorsqu’il tourna les talons pour retourner chez lui, il ne s’en souciait déjà plus.