Le travail lui prenait beaucoup de temps et les week end n'étaient pas assez long pour qu'il puisse partir en randonnée en montagne. De fait, Hasegawa cherchait un moyen de continuer son activité physique durant la période des cours.

L'activité sportive était pour lui une chose nécessaire à son équilibre. Mais, il appréciait vraiment peu la compétition. Au contraire, le dépassement de soi et la réalisation d'exploits étaient des choses qu'il aimait beaucoup. Cela l'avait naturellement mené vers les sports dits "extrêmes".

Ces derniers souffraient d'une mauvaise réputation bien injuste. Aux yeux de Yuusuke, ces activités n'avaient rien de dangereuses à partir de l'instant ou les gens qui les pratiquaient se montraient être responsable.

Néanmoins, ce particularisme pouvant attirer un regard désapprobateur sur lui par certaines classes de biens pensants, inutile de dires qu'il gardait cette occupation discrète. Pourtant, le besoin de dépense physique était là et l'enseignant en art s'était résigné en ce tout début de matinée à se présenter sur les courts de tennis du campus.

C'était donc le week end et l'endroit était très calme. Le soleil transparaissant à peine à l'horizon n'avait pas encore dardé et chauffé les lieux de ses rayons ardents. L'air goûtait encore la fraicheur de la nuit. La rosée perlait sur la pelouse entourant le dispositif sportif.

Rentrant sur le court pour poser son sac de sport sur une des chaises, Hasegawa jeta un regard à la ronde. Il n'y avait personne. A vrai dire, il se doutait que certaines personnes viendraient bientôt le rejoindre. Le jeune homme ne devait pas être le premier à avoir eu cette idée et certains habitués se présenteraient sans doute bientôt, peut-être même le club de tennis lui-même.

Quoi qu'il en fut, l'enseignant ouvrit son sac de sport. Il retira son survêtement pour ne garder qu'une tenue légère de joueur, comportant donc une chemise et un short blanc. Ainsi vêtu, il révélait toute la sportivité de sa silhouette faite de muscles massifs sans être saillant ou grossier. Remontant ses chaussettes blanches et vérifiant ses lacets, il finit par saisir sa raquette et à glisser quelques balles dans les poches de son short.

Après quelques longues enjambés sur le court, il fit face au mur. Tapotant le bout de ses pieds contre le sol, il retira une partie de la terre battue qui s'était collé sur ces dernières.

" C'est vraiment le luxe de penser qu'ils entretiennent même une surface comme la terre battue. "

Pensa-t-il avec un léger sourire. Armant son bras et relâchant la balle qu'il tenait en l'air, il frappa un coup droit sans forcer. Il était encore question de s'échauffer, il était donc inutile donc de forcer. L'objet rebondit contre le mur, Yuusuke exécuta deux pas sur le coté pour se mettre en position de revers et exécuta le geste avec la même intensité.

Samedi matin, le moment parfait pour la majorité des étudiants qui en profitaient pour récupérer leur dette de sommeil, ou tout simplement pour trainer au lit autant que possible. Sauf pour ces masochistes de Eiji et Kantaro qui, alors que le soleil n’était pas encore levé, étaient déjà debout, habillés et prêt à sortir. Ils n’avaient pas fait tant de bruit que ça. Mais un bruit, ou un instant de sommeil plus léger, et il s’était retrouvé éveillé, à écouter les 2 jeunes hommes échanger quelques mots à voix basse. Kantaro n’était pas bien loin. Il eut aimé qu’il ait un petit geste affectueux à son égard, comme lui caresser le pied qui dépassait de sa couette, mais face à Eiji, ce genre de comportement n’était pas de mise. Même sans sa présence. Le jeune homme était encore assez hésitant pour toutes ces choses la.

Ils avaient quitté la chambre, le laissant ainsi que Kenji qui lui dormait profondément sans bouger. Après 10 mn ou il s’avéra qu’il ne retrouvait pas le sommeil, Hugh s’était finalement résigné à l’idée de se lever. Le soleil n’était pas encore tout à fait levé, et même s’il n’aurait jamais rejoint les 2 garçons pour leur footing matinal, il comprenait leurs motivations. Bien vite, le soleil monterait dans le ciel et l’air serait plus étouffant.

Il descendit précautionneusement de son lit, encore peu habitué à cet étrange échelle – il avait un temps envisagé de s’installer un futon au sol – et remis ses vêtements de la veille, un pantalon baggy et un tee shirt ) l’effigie d’un groupe de baseball américain, avant d’enfiler ses vieilles baskets sans vraiment prendre le temps de les lacer. Quite à être réveillé lui aussi et l’esprit aussi clair, autant profiter lui aussi à sa manière de cette heure particulière. La luminosité du matin était très agréable pour certaines photos.

Il avait quitté les bâtiments depuis quelques instants, une barre chocolatée à la bouche et son appareil pendu à son cou par la dragonne, lorsqu’un bruit familier l’interpella. Se dirigeant vers le bruit, il réalisa qu’il se rapprochait des terrains de sports, et que le bruit était celui d’une balle de tennis. Pas étonnant que cela soit familier. Une silhouette fine s’activait sur le cours, seule face au mur. Se rapprochant du cours tout en restant dans l’herbe, il put reconnaître le professeur d’art plastique. Des quelques cours qu’il avait eut avec lui, il en avait retenu un jeune homme calme et gentil, qui s’intéressait à ses élèves, à la démarche souple et féline. Rien à voir avec l’autre taré de son ancienne école. Mais il aurait été difficile de lui trouver un équivalent.

Prenant plaisir à regarder ses mouvements, Hugh leva son appareil après avoir glissé le papier d’emballage dans sa poche, prenant quelques prises en rafale dans un léger cliquetis tout en finissant de mâchonner son petit déjeuner. Prendre des photos de sportif en action restait quelque chose qu’il aimait, au delà de l’aspect documentaire que la chose prenait à posteriori. Sur une 50ene de cliché, seuls quelqu’un uns seraient bon, par leur cadrage, la pose et la tension du sportif. Un jeu qu’il aimait pratiquer. Né à l’ère du numérique, il n’avait pas connu d’autre manière de pratiquer, et même s’il choisissait le moment pour appuyer sur la détente, il s’appuyait grandement sur l’appareil pour parvenir à ses fins.

Un sourire un peu enfantin gagnait le visage d'Hasegawa à mesure qu'il augmentait la force de ses frappes. Peu à peu, il sentait son corps s'installer dans l'effort. C'était une sensation chaude et douce, à la fois enivrante et tonifiante de sentir ainsi son être répondre à ses injonctions.

Glissant peu à peu sur la terre battue, le sportif laisse ses membres s'étendre sur la surface. Ses gestes se libèrent alors que son jeu va crescendo. Peu à peu, il fait monter la pression face à lui-même.

Ses mouvements ne sont pas ceux d'un professionnel mais Yuusuke connait son corps et ses limites. Jouant sur cette connaissance innée de l'effort qu'il concède à chaque mouvement, il dose sa démarche avec maitrise.

" Comme en amour. "

Se laissa t-il penser avec un sourire charmeur, frappant la balle d'un effet amenant cette dernière à rencontrer le mur avant de prendre de la hauteur. Hasegawa prévoyant la trajectoire s'écarta déjà de trois pas avant de saisir l'objet au dessus de son épaule pour la smasher en lâchant un cri libérateur.

La balle percute alors violemment la surface avant de s'élever et retombe de l'autre coté du court. Riant doucement tout en cherchant à reprendre son souffle, heureux de sa propre performance, il esquisse un sourire satisfait. L'enseignant se détourne alors pour se rendre près de son fauteuil pour saisir une grande serviette dans son sac et la passer sur son visage.

Ainsi débarrasser de la sueur, il disposa le tissu autour de sa nuque et sur ses épaules pour garder la chaleur de son corps intact. Ses mains cherchaient alors une bouteille d'eau quand son regard se posa sur la silhouette d'un élève qui ne lui était pas inconnu.

Assez reconnaissable de part ses origines gaijin, l'enseignant n'eut guère de mal à mettre le nom du jeune garçon sur son visage.

- Bonjour Brown.

Hugh n’était pas capable de voir le professionnalisme dans ses mouvements. Juste leur vitesse crescendo et leur grâce qui ne faiblissait pas. Il faisait du tennis comme il aurait dansé, la force en plus. Après un dernier jet, l’enseignant s’arrêta, riant à la surprise de Hugh, comme simplement et sincèrement content de s’être entraîné. Il n’avait jamais vu Kantaro rire à son entraînement, pas plus qu’Eiji. Quoique, Eiji semblait souvent dans un état de béatitude après la course, comme si se vider de son énergie lui permettait de se vider de ses soucis. Mais c’était encore autre chose.

Une serviette sur les épaules, l’enseignant se retourna et l’aperçu avant de le saluer, ne semblant pa se formaliser ni de a présence ni de l’appareil dans ses mains. Il était difficile de demander la permission à quelqu’un de le photographier. Hugh préférait au final, le plus souvent, le faire dans son coin sans rien demander. Cela conservait les naturel des gens.

Il sourit tranquillement au salut.

« Bonjour, Hasegawa-san. »

La vie en Internat avait cette particularité que les professeurs croisés les jours de congés n’étaient plus seulement des professeurs, mais aussi des adultes que l’on côtoyait. Avant d’y entrer, Hugh avait durant de longues années bénéficié de professeurs particuliers, raison pour laquelle il n’était pas coutumier de la distance que les élèves mettaient souvent entre eux et leur professeur. Il était poli, mais aussi ouvert – du moins, autant qu’il le pouvait – envers eux.

« J’admire les gens sportifs comme vous capables de se lever aux aurores pour s’entraîner, surtout le week end ! »

Commenta t’il, l’amusement perçant dans sa voix tandis qu’il établissait le parallèle avec ses compagnons de chambrée. Ses mains tenaient toujours l’appareil dans ses mains, baissé prêt du cœur, comme s’il répugnait à l’idée de le laisser pendre à son cou. Il n’aurait pas voulu le voir s’abîmer pour une quelconque raison.

Hasegawa se fendit d'un sourire ému aux paroles du jeune garçon. Portant sa main à sa nuque pour la caresser, il hocha doucement la tête. Ses yeux sombres pétillaient d'une lueur vive et dansante.

- Il te suffirait de prendre une raquette et de me rejoindre pour en faire autant.

Lança-t-il d'un ton léger et désinvolte, comme une invite mais sans obligation aucune, une proposition qui n'appelait pas à rien, motivé par une simplicité rafraichissante. Son regard se posa sur l'appareil que tenait l'élève.

" Bel appareil... N'est-ce pas lui qui a confié sur sa fiche de présentation qu'il aimait la photographie ? "

Il n'était pas très coutumier de cette forme d'art mais il avait côtoyé des camarades à l'académie Saissoku qui lui avait tenu quelques discours à ce sujet. Sans en être certains, l'enseignant décida tout de même d'en faire un acquis. Battant doucement des paupières, il revint aux iris de son interlocuteur et poursuivit d'un timbre enjoué et encourageant.

- Mais je vois que tu es déjà occupé. Et à mon sens, il ne faut pas moins d'énergie pour l'activité artistique qu'il n'en faut pour le sport. As-tu déjà décidé ce que tu allais photographier aujourd'hui ?

Un certain intérêt pointait discrètement dans la voix de Yuusuke. L'enseignant savait d'expérience que ce n'était pas toujours l'élève qui apprenait du maître. Enseigner était souvent la meilleure façon d'apprendre soi-même.

De plus, a sa grande joie, il avait pu voir que certains élèves de l'établissement pratiquaient une forme d'expression artistique. Ces vocations étaient naissantes et il faudrait surement beaucoup de courage à ces jeunes gens pour franchir le pas et décider d'en faire leurs carrières.

Mais, n'étais-ce pas pour cela qu'il était là ? En tant qu'enseignant, ne se devait-il pas de conseiller et d'encourager au mieux ses artistes en herbe dans l'expression de leurs talents ?

Un sourire torve étira les lèvres de Hugh à la proposition, et il secoua la tête en signe de dénégation.

« Hum non, ce n’est pas pour moi. »

Sans ses soucis de santé, aurait il été attiré par le sport ? Il n’arrivait pas à le dire. L’essoufflement, le cœur qui s’emballait au moindre effort, faisait tellement partie de lui depuis toujours qu’il était incapable d’imaginer son état d’esprit sans ces soucis la. Quand il était jeune, très jeune, il courait avec les autres enfants. Comme tous les gosses, en somme. Mais c’était à cette époque que la maladie avait montré ses premiers signes.

Il répugnait à expliquer tout cela, vraiment. C’était gênant, humiliant et inutile. Il préférait généralement simplement dire qu’il n’aimait pas ça. Seul les camarades faisant le lien avec son absence systématique au cours de sport pouvait y penser.

Le blond eut un sourire gêné face aux paroles de son professeur, pas vraiment d’accord avec ses propos. Ca ne se faisait certes pas tout seul, mais ça restait un loisir facile et reposant, surtout pour lui qui allait au hasard capturer les images qui lui plaisaient.

« Je ne choisi pas à l’avance, je flâne et je cherche des images qui m’interpellent. »

Avoua t’il, un peu penaud de se voir accordé tant d’attention respectueuse sans la mériter. Cet homme lui donnait l’impression de tout voir de manière extrêmement positive et méliorative, pour le plus grand plaisir de certains de ses élèves qui se voyaient congratulés et encouragés dans leurs efforts. Mais pour Hugh, cela le mettait plus mal à l’aise qu’autre chose, sans qu’il puisse déterminer exactement pourquoi.

« J’aime bien photographier les sportifs en action en ce moment. »

Finit il par déclarer après un petit silence, le regard coulé en biais tandis qu’une légère rougeur naissait sur ces jours, face à ce semi aveu de qui il avait photographié précisément jusque lors.

Hasegawa pencha légèrement la tête sur le coté quand le jeune garçon repoussa sa proposition sans un instant d'hésitation. Il semblait bien qu'il n'avait pas trouvé son partenaire pour la matinée.

" Dommage..."

Pensa-t-il en esquissant une légère moue du bout des lèvres. Le promptitude de la réponse de l'élève le laissait malgré tout perplexe. Son étonnement naquit encore davantage en voyant la gêne de son interlocuteur grandir.

" Il n'apparait pas faire grand cas de sa passion. Ou est-ce de l'humilité ?"

Clignant doucement des cils, il acquiesça lentement aux dires de Brown jusqu'à ce que ce dernier lui exprime son intérêt pour un thème bien particulier. Un léger frisson parcouru Yuusuke malgré lui. L'idée qu'il puisse être prit en photo l'angoissait pour une raison qu'il ignorait.

" Il n'y a pourtant rien de mal... Si ? "

Cherchant à comprendre ce sentiment, il ouvrit sa bouteille d'eau pour boire quelques gorgées, histoire d'occuper le silence par une raison suffisante et dissimuler son trouble. En tant qu'enseignant, quel était sa place dans tous ça? Pouvait-il vraiment poser pour ses élèves?

Des images de scandales dans les journaux japonais ou des montages arrangés par des jeunes malveillants avaient ruinés la carrière de professeurs lui vinrent à l'esprit comme pour nourrir cette soudaine peur qui le saisissait.

" Ce n'est pas le genre des élèves d'ici. "

Raisonna-t-il avec fermeté envers ce qu'il ressentait comme un symptôme évanescent de ses problèmes intérieurs. Refermant son bouchon et prenant soin de ranger sa bouteille d'eau à l'abri dans son sac, il replongea son regard sombre dans celui de Hugh, esquissant un sourire engageant quoi qu'un peu plus raide.

- Si tu demandes à certains clubs sportifs l'autorisation en échange des clichés qui leurs plairaient, tu pourrais sans doute avoir de quoi photographier le sujet qui t'intéresse.

Face à sa déclaration, l’enseignant sembla un peu gêné. C’était compréhensible. Le soucis de photographier des gens à leur insu. Lorsqu’ils l’apprenaient, leur réaction n’était pas toujours de plus avenantes, et c’était normal. Mais ceux qui savaient de quoi il en retournait étaient aussi trop figés.

Hugh était bien loin des réflexions de l’homme face à lui, et s’il en avait eut connaissance, aurait put en rire. Les photos à scandale n’étaient pas son but, et les photos montage, encore moins. Ce n’était pas quelque chose qu’il aimait faire. Lui, il aimait capturer l’éphémère. Cette habitude particulière, qu’il avait pris dans la solitude de sa chambre à new york, avait perduré. Il avait trop longtemps passé son temps à photographier les gens pour s’arrêter ainsi du jour au lendemain.

Hugh frémît face au regard sombre de nouveau fixé sur lui qui lui semblait alors bien accusateur. Les paroles de Hasegawa, même si polies et mesurées, laissaient bien comprendre son ressentit elles aussi.

« Ah, oui, certainement… Mais les sportifs qui jouent ensemble sont trop fouillis, et quand ils sont en individuels, souvent ils sont gênés d’être… »

Hugh s’interrompis, ayant l’impression de n’être qu’en train d’aligner des arguments qui pourraient paraître faibles même s’il étaient vrais pour lui.

Il baissa le regard vers son appareil, fautif. Ce genre de situation finissait forcement par arriver, de toutes manières.

« Heu, je, vous voulez que j’efface les photos que j’ai prises de vous ? »

Demande t’il finalement à contre cœur. Il ne comptait rien en faire d’autre qu’un usage personnel, mais il n’avait pas envie qu’un malaise s’installe ainsi entre lui et son professeur. Même si ce serait à regret, certaines photo étant prometteuses.

Hasegawa arqua un court instant les sourcils.

" Qu'il parait retenu... "

Pensa-t-il avec une légère douleur empathique. Encore une fois, son interlocuteur avait tenté de s'expliquer mais ses propos s'étaient effondrés d'eux mêmes, comme si quelque chose venait empêcher le flot de ses pensées de s'exprimer librement.

Il évoqua alors quelque chose qui n'avait pas traversé un seul instant l'esprit de l'enseignant. Le fait que l'élève l'avait peut-être déjà prit en photo à son insu. A cet instant, une réelle et franche stupéfaction naquit sur son visage. Il se félicitait d'avoir raisonné la peur qui l’étreignait quelques secondes plus tôt.

Ses sourcils se froncèrent tout de même. Son regard se durci et s'assombrit légèrement alors que sa voix se faisait plus profonde et sérieuse.

- Tu ne dois pas capturer l'image des gens sans leurs autorisations. La protection de l'image est un droit qu'il est important de respecter. Je ne doute pas que cela nuit à la spontanéité des photos que tu pourrais saisir. Mais c'est là un des défis que les photographes respectueux de leurs sujets doivent relever.

En son fort intérieur, il bouillonnait. La peur qu'il retenait en lui et qu'il empêchait de laisser s'exprimer en colère le tenait à la gorge.

" Je dois me calmer si je veux lui faire comprendre. "

Raisonna-t-il en tentant de garder son rôle d'enseignant à l'esprit. Esquissant un sourire retenu, il reprit d'une voix grise.

- Veux-tu bien approcher et me laisser voir les images que tu as prises de moi ?

Hugh crut qu’il allait lâcher son appareil et le laisser tomber au sol avant de se retourner et courir en sens inverse. Ou alors simplement faire un arrêt cardiaque ici même. Son cœur s’était emballé dans sa poitrine sous l’effet du stress, et un léger tremblement agitait ses mains face à la réaction de l’enseignant qu’il n’avait apparemment pas imaginé jusqu’à cet instant qu’il avait été jusque la le centre d’intérêt de ses photos malgré les allusions qu’il avait fait à cet égard. Il aurait du être plus direct ? Mais quel idiot.

Hugh déglutit difficilement face à la réprimande calme du professeur. Il comprenait ce qu’il voulait dire, mais en même temps… C’était tellement lointain, comme notion. Il ne prenait pas de photo pour les diffuser, c’était véritablement à titre personnel, alors….

Il hésita un instant face à la demande, comme incertain de la conduite à tenir, avant de s’avancer un peu plus prêt, décrispant difficilement ses doigts de l’appareil pour porter les mains à la dragonne et l’ôter de son cou. Précautionneusement, il tendit l’appareil à l’homme face à lui.

Sa main, au lieu de retomber sagement à son coté, monta au niveau de sa tête, et Il posa le doigt sur sa tempe.

« Et pour capturer les gens dans ma tête, je dois aussi demander l’autorisation ? »

Nulle bravache dans sa voix, même si l’ironie perçait également. Néanmoins, il avait passé suffisamment de temps au japon pour savoir que son comportement était déplacé. Il en aurait été de même ailleurs. Il baissa le regard, gêné.

« C’est la même chose pour moi. Ce sont des images qui ne servent qu’à moi. Je ne cherche à léser personne. »

Ses mains étaient perdues sans l’appareil à tenir, et elles avaient finies par se joindre devant lui, se triturant nerveusement les doigts, tandis que l'homme face à lui avait la totale liberté d'accéder aux photographie prise ce matin la, ainsi que d'autres auparavant. Des sportifs en tous genre, même si un certain grand brun à lunettes revenait régulièrement, jouant au tennis lui aussi avec une concentration certaine.

Ces photos la étaient confusément différentes, sans qu'il soit possible de déterminer pourquoi au premier clin d'oeil. Avant de comprendre que s'il semblait trouver à chaque fois l'angle juste ce n'était pas parce qu'il avait de la chance mais parce qu'il connaissait ce modèle la sur le bout des doigts. Le retrouver dans d'autres situations sur la carte mémoire n'avait donc rien de surprenant.

Les gens sur les photos avaient toujours été des inconnus, avant. Mais maintenant, les choses avaient changées, réalisait Hugh, le regard rivé sur le sol. C'était une part de sa vie et de son intimité qui se trouvait aussi dans la mémoire de cet appareil. Mais après avoir défendu sa liberté à photographier qui il souhaitait, il aurait été de bien mauvais gout de la ramener lui aussi à ce sujet.

Son coeur battait fort dans sa poitrine, résonnant désagréablement dans ses oreilles.

L'enseignant prit l'appareil avec soin et respect. Il devait demeurer attentif à lui-même car il savait inconsciemment qu'il désirerait le détruire. Réfléchissant à ses gestes, les paroles de son étudiant parvinrent difficilement jusqu'à son esprit.

Quelques secondes passèrent avant qu'il n'élève la voix en réponse, cette dernière était neutre et détaché alors que son regard commençait à parcourir les photos ou il était représenté.

- Tu n'as pas besoin de ça pour capturer l'image des gens en toi, Brown.

Hasegawa s'arrêtait respectueusement aux photos qui le concernait seul. Il ne jeta aucun regard aux autres. Tout simplement parce qu'il n'en avait pas l'autorisation. Alors que ses yeux sombres détaillaient ce que le petit écran lui donnait de voir, un sourire doux naquit sur ses lèvres.

" Il est pourtant doué."

Pensa-t-il avec amertume avant de lever un regard nouveau sur son interlocuteur. Ses iris noirs ne distillaient plus une humeur sombre mais quelque chose de plus léger et de doux. Ses lèvres esquissèrent un sourire un peu plus grand même s'il restait pincé.

- J'ai longtemps été incapable de peindre le portrait des gens de mémoire. A chaque fois que je cherchais dans mon esprit leurs visages, ils m'échappaient. J'ai appris récemment que c'était parce que je ne les avais jamais laissé approcher d'assez près et que je n'avais jamais été assez proche d'eux. Ce n'est que mon expérience mais je voulais t'en faire part.

Il reposa son regard sur l'appareil et lâcha un soupir déchirant et sincère.

- Quel gâchis...

Dit-il avant d'appuyer sur le bouton d'effacement, retirant ainsi ses photos de la mémoire de l'appareil. L'enseignant tendit de nouveau l'objet avec déférence tout en plantant son regard dans celui de son interlocuteur.

- Tu as besoin du monde pour photographier. La chose ne sera jamais totalement personnel. Tu partageras forcément une relation avec ton sujet au moment de le saisir dans ton objectif. Il est important de la considérer si tu veux permettre aux sujets de s'offrir sincèrement au regard de ton appareil.

Terminant sa phrase qu'il espérait assez clair et précise pour permettre à son interlocuteur d'y réfléchir, il adoucit ses traits d'un nouveau sourire un peu crispé mais de bonne volonté.

La remarque de l’homme face à lui le laissa perplexe. Il avait déjà essayé de dessiner quelque chose de mémoire ? La première chose que l’on apprenait à ceux qui s’interessaient au dessin, c’était que dessiner, c’était savoir voir, et que la documentation restait au premier plan pour ça. Alors à moins de dessiner ses planches de manga en assistant à des matchs de tennis, et encore…

Et au déla de ça, il aimait la photo, tout simplement. Figer des moments. Les personnes représentées, après, importait peu quand il photographiait son environnement de cette manière.

Le professeur reprit la parole face à lui, lui faisant part d’une réflexion personnelle qui l’amena à penser à une autre personne de sa connaissance qui n’arrivait pas à dessiner les portraits, mais pour une autre raison. La pensée de Kantaro fut semblable à une bouffée de chatouille dans son ventre. Il pensait souvent à lui midinette, mais bizarrement, c’était plutôt sympa. Penser à lui en cet instant, même fugacement, le soulageait un peu de la pression de ce moment dont il ne voyait pas la fin.

Il regrettait de lui avoir parlé et de ne pas avoir tourné les talons. Il regrettait de lui avoir avoué qu’il l’avait photographié, et de lui avoir confié son appareil.

Sous son regard effaré, l’homme face à lui effaça consciencieusement les photos de son appareil, une à une, sans qu’il ne parvienne à réagir. Les paroles et le sourire de son interlocuteur ne l’atteignirent pas alors qu’il tendait une main fébrile pour récupérer son bien. Sa main se referma dessus et il le ramena contre son cœur.

Il se força à sourire, un sourire un peu tordu, un peu tremblant, dans lequel sa voix noué perça tout juste.

« … Je n’ai plus envie de vous photographier. »

Le jeune homme se retourna, refoulant les larmes qui se nouaient dans sa gorge, et partit en direction des dortoirs, les épaules recourbées sur lui même.

Hasegawa haussa les sourcils comme étonner par la seule phrase du jeune garçon. Il avait soudainement l'impression de voir un enfant face à lui qui venait de décréter qu'il ne voulait plus jouer avec lui. Ça n'avait rien d'insultant dans l'esprit de l'enseignant. C'était plus un ressentit naturel, une évocation qui était révélatrice à ses yeux.

" Quel traumatisme a-t-il du subir pour être si sensible et perdu ? "

Se demanda le jeune homme en voyant la silhouette s'éloigner comme portant un fardeau invisible. A bien des égards, Yuusuke y voyait la même silhouette pesante qu'il avait emprunté pendant longtemps, même si à n'en pas douter, ce qui devait faire ployer la présente personne étaient d'origine différente.

Un bref instant, il se sentit coupable. Mais l'enseignant secoua légèrement la tête négativement avant de retourner sur le court de tennis. Cette culpabilité, ça aussi s'était un fantôme d'un temps ancien.

Il avait fait ce qui devait être fait, avait prit la bonne décision et choisi les bons propos. Malheureusement, la personne a qui il s'adressait préférait entendre d'autres sirènes, plus familières, plus intérieures et plus sombres. C'était souvent le cas et Hasegawa n'y pouvait rien.

On ne pouvait aider les autres contre eux-mêmes. La seule personne qu'on pouvait aider était une personne qui le désirait vraiment pour elle. C'était là sa conviction profonde. De plus, en ce moment, lui aussi avait ses propres choses intérieures à comprendre.

" Comme ma peur d'être prit en photo par un inconnu ? "

Une peur qui n'avait rien de la crainte naturelle que cela pourrait inspirer. C'était encore une fois une de ces choses difficiles à trouver et à dire qu'il devrait chercher sans rechercher, se laissant le temps tout en demeurant attentif, un travail de longue haleine qu'était celui de s'analyser. Mais au combien libérateur cette œuvre se révélait être, en fin de compte, à mesure que la lumière chassait l'ombre.