Le petit papier avait du glisser à cause d'un courant d'air, ou d'une porte un peu trop vite refermée. Gisant sur le sol à quelques pas de la porte d'entrée, il aurait probablement été oublié jusqu'à la fin des temps – ou jusqu'au prochain grand ménage – si Cathan n'avait pas aperçu du coin de l'oeil cet éclat blanc et ne l'avait ramassé avec curiosité.
En raison d'une intervention de l'équipe technique sur les tuyaux d'alimentation, l'eau sera coupée entre 18 et 19h. Veuillez ne laisser aucun robinet ouvert.
Il avait eu raison de profiter du café en salle des profs alors qu'il était coincé sous d'obscurs prétextes comme les réunions de préparation des examens, les demandes du conseil des élèves et autres billevesées administratives identiques dans chaque système : lourdes et aucunement intéressantes en son sens.

L'américain s'était éclipsé quand d'autres – parmi lesquels Jiro et Akutsu, sans grande surprise - discutaient encore de pieds fermes de détails sans intérêt selon lui. Ce n'était pas le court trajet jusqu'à son appartement ou la petite note à l'accueil qui allait le mettre de bon poil : impossible de se faire couler un bon café ou de se doucher. La prochaine étape de sa journée allait surement être de filer en ville pour s'aérer l'esprit.
Cathan ouvrit la porte à la volée, sans se douter du charmant spectacle qui l'attendait, et fut arrété dans son entrée triomphante par la présence d'un certain rital, nu comme un ver, dans la cuisine, aussi droit et fier qu'une statue grecque déposée là dans l'attente d'être déposée dans un musée. Tranquillement, l'américain referma la porte derrière lui tout en laissant son regard courir avec intéret sur les formes offertes avec générosité, ne cherchant même pas à comprendre – du moins, pas tout de suite – pourquoi son colocataire se baladait nu dans la cuisine, avec tout juste quelques résidus de savons sur sa peau, ces derniers offrants peu de protection à la pudeur.

Le roux laissa échapper un sifflement appréciateur – si l'italien se montrait ainsi autant lui faire savoir qu'il était apprécié – pendant qu'un joyeux rictus moqueur apparaissait sur le visage de Cathan, lui faisant oublier les dernières frustrations de l'après-midi.
Il n'avait pas encore eu beaucoup le temps de croiser son dernier colocataire pour la simple et bonne raison que celui-ci était toujours absente, et quand il ne l'était pas, restait suffisamment dans son coin pour se faire oublier. Non que Gabriel soit du genre fétard et collant, mais Luca portait le terme asocial à une nouvelle apogée, pas des plus dérangeantes en soi : il préférait un colloc absent qu'un colloc casse-pied. Néanmoins, vu ce qu'il avait sous le regard, Cathan ne pouvait garder la sacro-sainte neutralité établie par Tizzi.

"C'est le jour d'un obscur rituel italien dont j'avais oublié la date ou c'est un simple moment de retour à la nature ?"

Il déposa ses affaires sur le canapé avant de s'approcher plus avant de son colocataire, dans le but de se servir un coca dans le frigo. Son regard s'arrêta une fois de plus sur le galbe dénudé, sur un détail que la distance lui avait fait prendre pour un signe de distance ou une ecchymose. Son sourire s'élargit encore un peu plus, passant de moqueur à celui du chat qui vient de bouffer un canari. Et quel canari !
Comme la signature d'un artiste sur son œuvre, le mot tatoué détonnait sur la musculature parfaite du sportif.

"Oohh... charmant. Je vais vraiment devoir me pencher un peu plus sur les coutumes italiennes."

Nonchalamment, il finit par tendre à l'italien la petite feuille négligée qui se vengeait maintenant d'une manière sadique sur le professeur de sport, au delà des espérances qu'on aurait pu accorder pour un simple morceau de papier.

Après une réplique peu amène, son collègue disparut dans la salle de bain – dommage, sa plastique agréable en faisant un charmant spectacle après ses discussions avec certains de ses collègues un peu trop collet-monté – lui laissant toute latitude pour s'installer dans le salon. Pour sa part, se laisser tomber dans un fauteuil en ouvrant sa canette de coca, les yeux mi-clos, un sourire narquois sur le visage à l'image de sa tatouage incrusté dans une fesse ferme. Pasta... il avait déjà vu des tatouages plus ou moins artistiques, des carrément moches, des voyants et des plus discrets, sans jamais avoir eu envie de s'en offrir un... mais celui-ci dépassait ses attentes. Sur le coup, il était relativement fier qu'aucune de ses conneries n'ai fini incrusté de manière définitive dans sa peau – d'autant plus qu'il aurait probablement fini écharpé par une autre rouquine pour oser se marquer définitivement.

Quelques minutes plus tard et le prof de sport refaisait une apparition, cette fois habillé – enfin un peu plus décent – et plus calme si le ton contrit de sa voix était une indication. Vu l'expression encore houleuse sur son visage, Cathan se demanda combien de temps l'italien arriverait à garder un ton aussi doux sans exploser. Nul besoin de statistiques et de multiples paramètres pour imaginer que cela ne pourrait durer bien longtemps. Le regard du roux dériva sur un détail qui lui avait échappé, bien trop occupé à s'intéresser à l'aspect général de la plastique de son collègue : la plaie sur sa lèvre inférieure qui la laissait rouge et pulpeuse comme un maquillage trop prononcé.

"Tu donnes pourtant l'impression d'avoir eu de quoi te défouler récemment."

Vu l'emplacement de la plaie, soit il s'était pris un coup... soit une maîtresse un peu trop fougueuse l'avait mordue. Et vu l'aspect immaculé du reste de sa peau et l'état d'agacement de l'italien, il pariait plus sur la première, allait donc savoir pourquoi.
Il avait encore un peu de mal à cerner l'italien, peu sociable et surtout peu présent dans la colocation. La chose la plus amusante qu'il avait pu remarquer à son égard était la manière qu'il avait de suivre Radha des yeux quand il se pensait à l'abri du regard des autres. Comme n'importe quel homme doté d'une vision normale, en gros. Le tout ne collait pas forcément bien avec l'image qu'on se faisait d'un ex-pilote de chasse. Sans avoir énormément fréquenté l'armée de l'air, Cat s'était imaginé que ceux-ci étaient censé avoir un mental à tout épreuve. A moins qu'il ne soit, comme Gabriel, à classer dans la catégorie des traumatisés ? Il avait juste fait quelques recherches rapides sur lui et n'avait donc que son point de vue la dessus, et il valait ce qu'il valait.

"Et pas de soucis. Le spectacle n'était pas désagréable ma foi, je vois pourquoi tu es prof de sport."

De la part de quelqu'un qui arborait un physique du même genre, et à qui on avait souvent dit qu'il avait plus une tête de prof de sport que de professeur de maths, c'était à peine ironique.
Bon, ok, un tout petit peu – mais mieux valait pour Luca prendre ça à son intention première : un compliment étrangement formulé.
Les yeux détournés de l'étendue de peau offerte aux regards – il l'avait déjà assez lorgné – Cathan passa la canette froide sur son front. Avec la brève coupure d'eau, la climatisation avait du être coupée en même temps, laissant une chaleur moite s'installer dans l'appartement pour son plus grand déplaisir. Vivement la nuit et que vienne le moment où il pourrait s'installer sur la terrasse avec sa clope et son pc et profiter un peu de l'air frais, ou de ce qui en tenait place au Japon.

Vaguement, Cathan se demanda quelle tête était sensée avoir un prof de maths. Il avait quelques exemples de Berkeley de spécialistes de cette discipline qui n'avait ni le crâne dégarni ni un physique de rat de bibliothèque qui ne supportait plus la lumière du jour après des semaines complètes enfermés dans sa cave à magnifier des calculs complexe. L'un d'eux avait été le fier dépositaire d'une longue chevelure blonde et d'une barbe assortie, soit disant un lointain héritage de ses ancêtres viking. En tous cas, niveau gabarit, il n'avait rien à leur envier à Luca ou lui. Bon, ok, la majorité des profs – exceptés les profs de sport – ne semblaient pas capable d'aller courir une petite heure sans cracher tripes et boyaux.
Que la remarque ait un vague lien avec la longueur de ses cheveux ne lui vint même pas à l'esprit. Ils étaient très bien ses cheveux, non ?

Le rital allumé, s'attirant un vague regard plus ou moins intéressé de l'américain sur la boite à images. La fascination de son colocataire sur le match de foot qui s'afficha fut bientôt plus amusant à contempler que l'écran en lui-même : l'intérêt de voir des crétins courir derrière un ballon rond lui échappait. Certes, il adorait voir des matchs de base-ball, mais la technicité et la classe nécessaire pour relancer la balle avec une batte n'avait absolument rien à voir avec le spectacle de barbares offerts par les footballeurs. Cathan se contentant d'un sourire condescendant à la remarque de Luca, notant à quel point l'italien semblait normal et vivant en cet instant, débarrassé de la colère qui semblait l'habiter en chaque instant. Il était amusant de constater que chacun de ses colocataires semblait trainer sa propre aura à sa manière : tristesse pour Gabriel, colère pour Luca et froideur pour Radha. Et lui, comment était-il vu ? En tous cas, un psychiatre se serait probablement régalé des différentes personnalités de l'appartement, si tant est qu'il ne partait pas en courant avant de les avoir tous vus... ou si l'un d'entre eux ne le tuait pas après trois mots.

" Faut bien avoir quelques faiblesses pour compenser tout ce qu'on fait bien mieux que la vieille Europe."

Cathan haussa les épaules à la question. Colocation ne voulait pas dire vivre ensemble. Certes, dans sa précédente, il avait eu le bonheur d'avoir sous la patte un cordon bleu qui n'adorait rien tant que faire la cuisine et faire partager aux autres ses bons petits plats, ce qui n'était absolument pas le cas ici. L'américain avait vite retrouvé ses bonnes vieilles habitudes de take away, congel et autres livraisons, du moins quand il ne sortait pas carrément en ville. Hachioji regorgeait de petits resto idéals pour les flemmards dans son cas, sauf dans les cas où il en avait marre de la bouffe japonaise. Dans ce cas là, il attrapait généralement Akutsu pour trouver un restaurant qui ressemblait plus à ce qu'il mangeait aux USA, avec du gras et de la sauce.

" Comme je ne suis marié avec personne ici, c'est un peu chacun pour soi. J'avais prévu de commander quelque chose. Je préfère me tenir éloigner du frigo, c'est moins dangereux pour lui et moi. "

A la limite faire quelque chose dessus, mais quelque chose avec.... non, sans intéret.
Le roux draina sa canette jusqu'à la lie avant de la balancer dans une magnifique parabole dans la poubelle. Amusant de constater que certaines choses apprises à l'adolescence restaient encore actives une fois l'age adulte – ou ce qui en tenait lieu – atteint.

Un sourcil levé, Cathan observa son collègue fureté dans la cuisine avec autant d'attention qu'un agent sur les lieux d'un crime. Ne manquait que les gants en latex et un costume en papier pour éviter de contaminer les lieux et la scène aurait été complète. Autant ses expressions que ses manières d'aller pécher ce qui trainait au fond des placards étaient assortis à cette image mentale qui fit fleurir un nouveau rictus déchainé sur le visage du rouquin. Avec ses manières de sergent instructeur dont il avait beaucoup entendu parler par ses élèves ou en salle des profs, il était aisé d'imaginer le rital en instructeur qui faisait une démonstration sur une scène factice parfaite.

Le roux finit par se lever pour s'appuyer sur le comptoir pour observer cet étalage de produits d'un peu plus prét. Jusqu'à l'instant précédent, il aurait bien été en mal de dire le contenu exact de la cuisine – il aurait même juré qu'elle contenait moins que ce que Luca venait de ramener. A part les réserves de café, coca et bière et quelques petites trucs qu'il grignotait la nuit quand il trainait sur son portable, il ne s'intéressait guère à l'état des placards. Vaguement, il attrapa le paquet de ramens oubliés et jeta un oeil sur la date de péremption avant de le reposer en vitesse comme pour masquer pudiquement l'horreur indicible. Vu la date, il y avait fort à parier que ce paquet avait été acheté bien avant son arrivée dans la colocation, peut-être même y avait-il été laissé comme un souvenir par quelqu'un depuis longtemps parti ?

Comme au bord du désespoir, Luca lança quelques propositions. Si l'américain ne pouvait qu'être enthousiasmé à l'idée d'avoir à nouveau un colocataire qui n'avait pas les deux pieds dans la même poêle, un petit détail lui chatouillait bien trop la cervelle pour qu'il se taise dessus. Une telle allusion était certes largement bas de gamme, plus du niveau des adolescents auxquels il enseignait que du sien mais... il n'avait jamais été connu pour avoir sa langue dans sa poche dans ce genre de situation.

"Pasta assaisonnée... c'est si gentiment proposé."

Impossible d'oublier ce qu'il avait vu un peu plus tôt. Si Luca avait voulu croire que Cathan lui laisserait facilement oublié la vision qu'il avait eu de son arrière-train musclé de la décoration incrustée dans ses pores, il se mettait le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Avez-vous déjà essayé de retirer une sourire de la gueule d'un chat quand il a décidé de jouer avec ? En aucune manière il n'avait prévu de le dévorer. Mais jouer, par contre, c'était nécessaire à sa nature. De plus, ces derniers temps, entre Radha et Gabriel, il devait avouer qu'il était un peu frustré.

" Une petite question tout de même... la cuisson des pâtes sans eau, ça donne quoi ?"

Le regard de Cat chercha machinalement le petit papier roulé en boule par les bons soins d'un italien dénudé. Avec un peu de chance, l'eau serait rétablie avant qu'il ne soit trop tard et Luca pourrait tout de même faire la cuisine... de préférence avant qu'il ne vexe définitivement le rital chatouilleux et qu'il ne l'abandonne en solitaire avec les pastas. Les non-cuites, bien sur.
Vu sous cet angle, Cathan se demandait s'il n'aurait pas mieux fait de commander immédiatement quelque chose chez le vendeur du coin.

Comme un gosse, l'italien était une source inépuisable de surprise, entre ses répliques du tac au tac et ses éclats de colère dirigés vers les footballeurs sur l'écran. Un instant, Cathan songea à lui expliquer gentiment que non, le coureur en question n'entendait ni ses conseils ni ses récriminations, avant de juger que, comme pour les enfants, mieux fallait le laisser dans son imagination. Ce n'était pas bien méchant après tout, et plutôt divertissant à regarder. S'il était aussi délicat avec ses élèves qu'il l'était face aux sportifs du petit écran, pas étonnant que les gosses aillent dans son cours à reculons. Pour une fois qu'il y avait un prof à peu près autant adoré que lui, il n'allait pas s'en plaindre.

Nouveau spectacle en perspective quand Luca s'agenouilla – non devant lui, mais devant le frigo, il n'en était pas encore à ce stade d'intimité – et commença à frotter avec ardeur à l'intérieur de celui-ci. La cuisine et les taches ménagères ? Luca commençait à présenter plus de ressemblance avec Jiro qu'il n'aurait cru possible entre eux deux. Sourire crispé aux lèvres pour retenir un éclat de rire, l'américain recula de quelques pas pour éviter de se prendre un jet d'éclat framboise secoué avec bien trop de vigueur par l'européen.
Les yeux fixés sur les muscles des épaules qui jouaient sous la peau mate de l'italien, le roux nota distraitement un gargouillement persistant non loin dans la cuisine, plus ou moins étouffé par le bruit du match sur l'écran plat et les frottements incessants de la serviette sur le frigo.

Il fallut que l'eau se mette à jaillir du robinet avec violence pour que l'américain – aussi doué dans l'art de l'entretien d'une maison qu'un mouton l'était pour la samba – pour qu'il réalise que le bruit avait été avant coureur de la remise en eau. Et surtout, petit détail supplémentaire intéressant, que l'italien qui avait vérifié que l'eau ne marchait effectivement pas dans tout l'appartement n'avait pas refermé les robinets une fois son test effectué.

Dans un magnifique flot de jurons à rendre fier son colocataire ex-militaire, le prof de maths se précipita vers le robinet, sautant vaillamment au dessus de l'obstacle qui lui faisait face – un italien à 4 pattes, quoi de plus banal comme obstacle de la vie de tous les jours – et tendant le bras au dessus de la gerbe d'eau pour fermer le robinet non sans récolter quelques dizaines de milliers de gouttes au passage. Cet idiot de transalpin avait vraiment eu besoin d'ouvrir les robinets à fond pour être sur que l'eau ne marchait pas ?!
S'essuyant machinalement son visage humide avec ses mains trempées – comme l'avant de son t-shirt qui lui collait maintenant au torse comme une seconde peau – Cathan tourna lentement la tête vers l'italien, des mèches rousses collées sur les joues comme des algues envahissantes, un vague sentiment de stress sourdant à l'arrière de son esprit tandis qu'il contemplait l'ampleur des dégâts. Et se demandait au passage où était cette fichue serpillère qui devait servir dans ce genre de cas. La pensée fugace finit par s'identifier, lui permettant d'émettre à voix haute une pensée dérangeante.

" Rassure-moi Luca... tu as fermé les robinets de la salle de bain avant de quitter la pièce, non ? "

Il avait confiance.
Réellement, il avait confiance en l'intelligence et la logique de l'être humain et dans son esprit de prévoyance. Dans l'être humain, pourquoi pas, mais dans l'italien ?

Avec un vague grognement plus animal que professoral – encore que, on pouvait vaguement entendre ce genre de bruits quand il s'apprétait à s'atteler dans une leçon dont il savait parfaitement que ses élèves ne comprendraient goutte, du moins pas avant des heures et des heures de rabachage intensif – Cathan attrapa la serviette et l'enleva de sa tête, préférant ne pas regarder de trop près au désastre qui les attendait. Le robinet n'était pourtant pas resté ouvert si longtemps, mais le professeur de maths se refusa à tenter de calculer une estimation du débit et de la quantité d'eau renversée. Il ne fallait pas pousser tout de même.

A la place, après un morne regard pour le prof de sport, plus détendu qu'il n'aurait été en droit de l'être, il retira son t-shirt – ou plus exactement pela le coton détrempé qui s'amusait à coller à sa peau – et le lacha sur le comptoir en un geste avant d'entreprendre de sécher un minimum sa crinière avec la serviette, essayant de ne pas trop les éméler au passage, au risque de passer des heures avec un peigne ce soir, quitte à faire concurrence aux midinnettes qui peuplaient ses classes. De guerre lasse, il finit par pécher un élastique dans ses poches et coinça ses cheveux dans une espèce de queue de cheval repliée d'où s'échappaient des anglaises rousses du plus bel effet. Pour un peu, il pourrait presque faire un cosplay de Marie-Antoinette en rousse. Pas étonnant que ce genre de personnalité ait fini décapitée.

" Humm.... je suppose que c'est la raison pour laquelle tu te retrouves en coloc avec des profs célibataires alors. "

Le fait que Luca ne soit que partiellement responsable du dégats n'était qu'un petit détail sans importance face au sarcasme matiné d'humour de Cathan.
Pataugeant au minimum – le contact du sol mouillé sous les pieds humides n'était pas des plus plaisants – il s'agenouilla sous l'évier, cherchant dans ce placard si par hasard quelqu'un avait eu la bonne idée de recharger la réserve à serpillère ou ce qui pouvait en tenir lieux. Lingettes jetables, un paquet, pour les taches, pour le sol, pour les vitres.... oui, c'était sa manière de faire le ménage, et elle marchait très bien sans dégats des eaux et sur les taches superficielles, puis enfin dans une révélation, plusieures serpillères pliées et empilées, dont une encore jamais sortie de son emballage.
Cathan se redressa et en tendit une au rital avec un sourire charmeur.

" Tiens, avant de devoir nettoyer avec ton calbut. "

Bon, il fallait commencer par où maintenant ?
Comme un capitaine sur son navire en train de couler, Cathan regarda autour de lui le chantier maritime au dessus duquel ne manquait que les mouettes à la dérive et quelques requins pour compléter le tableau. Et derrière eux, ces connards de footballeurs courraient encore, comme s'ils n'avaient que ça à faire. Ils en avaient pas un peu marre le gars, ils pouvaient pas se prendre chacun un ballon ?

" Merde, ça peut pas faire partie des colles pour nos élèves ça ? Travaux d'intéret général, ou un truc du genre..."

Frotter, astiquer, éponger, essorer, recommencer... décidément, le ménage et lui n'étaient pas fait pour s'entendre. Sur fond de commentaires footballistiques dont il n'avait que faire, intérêt patriotique oblige, Cathan essayait de rendre son aspect premier à la cuisine avec toute la bonne volonté d'un premier année collé à qui l'on a demandé de réécrire une cinquantaine de fois qu'il n'écrirait plus sur sa table. Néanmoins, il y avait besoin d'autant d'intelligence pour les deux taches, et la motivation limitée du roux suffit à faire s'évaporer à l'aide d'un peu d'huile de coude. Un moment plus tard, et la seule eau subsistant dans la cuisine était celle encore contenue dans ses cheveux ou sur sa peau, sous forme de quelques gouttelettes décoratives sur la peau pâle de l'américain. Appuyé sur le comptoir, l'américain nota que cette inondation forcée avait eu du bon : la cuisine était maintenant brillante et resplendissante comme après un grand ménage de printemps auquel elle n'avait jamais eu droit depuis son emménagement. Intéressant. De là à suggérer d'autres inondations... mieux valait se pencher sur la piste, on ne peux plus intéressante, de récupérer les heures de colle des élèves et de les soumettre aux travaux forcés dans l'appartement.

Tizziano revint dans le salon après un détour par sa chambre, et ce fut ses muscles de sportif dissimulés sous une tenue décente qu'il proposa enfin la trêve du travail sous forme de deux bières fraichement pêchées dans le frigo, pour le plus grand plaisir de Cat. La question lui fit offrir un brillant sourire de chat à l'italien en récupérant sa bière. Une fiancée ? Mais quelle était cette notion vieillotte et désuète ? Une copine à la limite mais une fiancée, une nana a qui il était sensé être fidèle avant de se marier à l'Eglise, avoir des petits et tout ça... La notion était carrément étrangère à son esprit. Non qu'il n'estime pas assez les femmes pour ça – avec une mère comme la sienne, il ne pouvait qu'être faciné par les femmes fortes qui savaient ce qu'elle voulait – mais rentrer chaque jour retrouver la même personne, savoir que les 15 prochaines années de sa vie seraient consacrées à l'éducation d'une mini portion de soi qui n'avait comme point d’intérêt d'avoir quelques gènes communs... Cathan décapsulé sa bière et en avala une longue gorgée pour effacer cette pensée impie de son esprit. Autant aller directement voir ses ex-collègues en leur agitant un certain mandat d'arrêt sous le nez, la prison serait presque identique.

" Toutes les femmes sont mon types, et il serait justement dommage de m'arréter à une seule. Je laisse ça aux européens. Le mariage, la monogamie... pas trop mon truc."

Mais déjà le rital était reparti sur son match avec un intéret sans partage, s'intéressant à des détails techniques pour lequel Cathan reconnaissait son inculture sans soucis. A la place, il s'assit sur un des hauts tabourets du bar, le coude en appui, bien décidé à déguster sa bière avant d'aller se changer à son tour, son t-shirt abandonné attendant avec désespoir posé sur un autre tabouret.
La promesse – ou pari – attira un rire de gorge chez l'américain.

" Essaie de m'embrasser le crâne et je te garantis que je te prouve que les américains embrassent mieux qu'ils ne jouent au foot."

Sa phrase se ponctua avec un coup de sifflet de l'arbitre signalant l'entrée du ballon dans les foot, un
un magnifique but qui provoqua un déluge de hurlement dans la télé. Sans attendre plus de réponse, Cat déposa sa bière sur le comptoir et fit les quelques pas qui le séparaient du canapé avec un magnifique sourire.
En quelques secondes, il profitait de la surprise du rital pour attraper son visage entre ses mains et l'embrasser magnifiquement sur les lèvres, s'abstenant tout de même de pousser les choses trop loin – un hétéro surpris dans sa virilité pouvait vite mordre – sur un nouveau rire, il retourna récupérer sa bière abandonnée.

Cathan dut se faire violence pour ne pas éclater de rire devant le spectacle qui lui était offert : Luca passa par toutes les couleurs, ses expressions changeant avec presque autant de rigueur que les faciès exagérés des personnages d'animation, laissant tout le plaisir à l'américain de savoir qu'il lui avait vraiment fait de l'effet. Aucun coup ne suivit, tout juste une déclaration choquée avant que le rital ne file se mettre à l'abri sous le regard chafouin d'un américain bien tenté d'en remettre une couche. Le moment n'était cependant pas le plus opportun. Comme le montrait ses regards en coin et ses muscles tendus comme un fauve près à bondir, Luca était totalement sur la défensive, près à fuir à la moindre suggestion du pas qu'il ferait vers lui, lèvres tendues ou non.

Laissant Luca quelques instants seul en tête à tête avec les footballeurs sagement rangés dans le petit écran, il retourna en vitesse remettre un T-shirt sec et décent aux couleurs des Angels de L.A, la ligue de Base-ball qu'il soutenait. Il avait déjà longuement discuté avec un de ses élèves sur la valeur de son équipe et sur le fait qu'il la soutenait surtout par préférence territoriale. On était américain chauvin on ne l'était pas.
Il revint pour assister à un nouveau but – et une nouvelle prouesse sportive de Tizziano, qui battit le record de temps pour parcourir la distance canapé/cuisine – à laquelle Cathan répondit par un sifflement admirateur. Si ce comportement était un échantillon de ce qu'il allait voir les jours suivants, la cohabitation promettait d'être très très amusante. Après tout, l'hétérosexualité était une notion vieillotte qui n'avait pas lieu de rester en apogée. Après tout, qui, de nos jours, pouvait se vanter de baiser uniquement dans un but reproductif ? Et surtout, c'était très, très fun de s'amuser au dépend de ces machos hétéro, d'autant plus qu'il était loin de présenter le stéréotype du gay comme Jiro ou Akutsu par exemple.

Suffisamment docile pour provoquer des sueurs froides chez quiconque s'attendait à un sale coup de sa part, Cathan s'approcha des placards pour récupérer le nécessaire pour diner pour deux personnes – que les mauvaises langues se taisent, oui, il savait s'orienter dans la cuisine pour plus que les mugs, le café, et le téléphone pour les commandes de pizza – s’arrêtant quand même un instant pour savoir s'il devait prendre des baguettes ou des couverts plus classiques pour lui. Vu la tête des pâtes, il se opta pour des couverts non japonais, frôlant Luca pour atteindre le tiroir, du moins essayant de le frôler alors que le sportif faisait des écarts digne des meilleurs footballeurs pour l'esquiver. Encore que, dans ce cas, la comparaison avec un étalon rétif aurait été plus judicieuse.

" C'est bon papa, la table est mise. Tu as besoin d'un coup de main ?"

Encore une fois, trop poli, à peine joueur et... trop près. A croire que l'américain avait totalement oublié la notion de distance personnelle à respecter et s'amuser à danser la samba dans la sphère intime de Luca, passant derrière lui en le frôlant d'une manière tellement naturelle qu'elle aurait pu passer pour sans arrière-pensée chez une personne non paranoïaque et ne connaissant pas Cathan. Somme toute, une combinaison loin d'être réunie en cet instant. Ce qui restait surprenant – d'un point de vue purement professionnel, encore que la profession soit dure à définir dans ce cas – c'est qu'un ex-pilote de chasse se montre aussi nerveux Dire qu'il avait toujours cru que ce genre de type avait des nerfs d'acier... Peut-être pas les ritals. Ça avait le sang chaud ces bêtes là...

Cat avala la bouchée de pates avec un grognement outré, acceptant pour cette fois la rebuffade et de reculer de quelques pas pour laisser Luca finir le diner. Il savait reconnaitre le sens des priorités, avoir un bon repas chaud, cuisiné et non sorti d'une boîte, faisait partie du top ten de la soirée, même si enquiquinner son colocataire n'était pas situé bien loin derrière. Où était le bon temps où il pouvait ennuyer Jiro tout autant qu'il le souhaitait sans risquer de se retrouver devant une assiette vide ? Certes, titiller un italien avait une autre saveur, il fallait le reconnaitre.
Sagement assis un peu plus loin, il ne se contentait maintenant que de regarder le cuisinier à son ouvrage – et si celui-ci trouvait encore à redire à son regard caressant qu'il vienne le lui expliquer en tête à tête – souriant à son air concentré qui aurait eu sa place derrière un bureau pendant un debriefing. Etait-ce même air qui effrayait les gamins pendant les cours de sport ? Vu les échos qu'il avait eu de ses élèves, celui-ci était apparemment aussi tendre en sport qu'il l'était en maths, à la différence qu'il ne risquait pas de laisser les mômes sur le carreau à la fin des cours.

" Je savais qu'on parlait des mamas italiennes, mais je n'avais aucune idée que c'était la même chose pour les papas... c'est vrai que t'as un gosse, c'est ça ?"

Là, c'était arrêt sur image. Autant Cathan pouvait voir quelques ressemblances entre Luca et lui - Deux hommes entrainés dans des unités spécialisées qui travaillaient avec leur propre code, loin du regard des civils et des règles plus basiques – autant à ce niveau là... déjà le coup de mariage l'avait amusé, mais alors l'idée d'avoir un enfant, un être miniature qui avait pour tout mérite de partager des chromosomes communs et qui dépendait entièrement de soi pour survivre et au passage bouffait les trois quart du temps libre... là s'arrétait toute ressemblance possible entre eux, et y commençait même une totale opposition. Il ne vivait sa vie pour personne d'autre.

Ses pensées se stoppèrent net à l'appel et surtout aux odeurs alléchantes qui vinrent carresser ses papilles avec toute la tendresse d'une demoiselle bien entrainée. Oubliées toutes les idées de faire sortir Luca de ses gonds ! Cathan s'installa à table avec plus d'intéret pour le plat que pour le rital, répondant juste par un sourire carnassier à l'appélation peu courtoise dont l'autre avait usé à son égard. Si même l'italien se lançait dans le jeu de qui embéterait qui le premier, l'ambiance de l'appartement promettait d'être haut en couleurs les jours à venir, avec une indienne et un allemand pour compter les points et ramasser les bonzais qui risquaient de tomber de leurs perchoirs.

" Je n'ose imaginer la tête de tes conquêtes ou de tes fantasmes si tu me confonds avec une femme Luca, faudrait sortir un peu plus que ça. Pour le vin... ne demande pas ce genre de chose à un américain expatrié au Japon. Deux fois plus de bonne raison de ne pas avoir ça sous la main. Gabriel par contre... je pense que ça l'intéresse beaucoup plus."

Enfin, il put gouter le plat préparé par le prof de sport avec un plaisir non dissimulé. De manière surprenante, il cuisinait aussi bien qu'il en avait donné l'impression, et avait réussi à donner un véritable arôme à un paquet de pates sans terriblement d'intéret qui trainait au fond du placard. Un instant, il considéra l'idée de ne pas trop s'aliéner Luca pour essayer de le convaincre de faire la cuisine plus régulièrement, pesant les avantages et inconvénients entre satisfaction de son estomac et de son moral.
Honnêtement... il savait parfaitement qu'il ne pourrait pas s'empécher quelques commentaires de ci de là qui ne feraient qu'attiser le caractère haut en couleur de l'ex-pilote.

" Tu n'as jamais pensé à te reconvertir comme prof de cuisine plutot que de sport ? Histoire d'apprendre aux petits japonais à cuisiner autre chose que du riz ? Ils t'en seraient surement éternellement reconnaissants... "

Bon, les japonais mangeaient aussi des pates à toutes les sauces – enfin, plus exactement à toutes les soupes – mais pour une fois il avait vraiment l'impression de manger quelque chose de consistant. Ok, la vieille Europe avait bien quelques avantages.

Ah oui, l'Allemagne n'était pas forcément le premier importateur de vin. Il fallait lui pardonner, l'Europe était petite et tous ces pays collés les uns aux autres étaient parfois plus petits que les différents états américains. Se souvenir des spécificités de chaque pays quand on était aussi peu intéressé qu'il l'était par l'Europe – à l'exception de l'Irlande – était un pari qu'il n'avait jamais tenté. Ado déjà il avait préféré se concentrer sur tout ce qui avait trait au Japon, surtout pour faire plaisir à sa mère, mais aussi avec un intérêt réel pour ce qu'il avait considéré comme hautement exotique à l'époque.

Occupé à faire le sort à son assiette, Cathan écoutait les explications de Luca quand à ses talents culinaires. Si devoir se débrouiller seul pour devoir cuisiner avait du donner des facultés exceptionnels, il avait du oublier de signer quelque part. Sans être un grand cordon bleu, sa mère avait toujours très bien su gérer cette part du foyer, et quand il avait été livré à ses propres capacités de cuistot... Cathan avait plutôt fait preuve de ses capacités de séducteur pour arriver à squatter une table ou une autre, et, plus tard, quand il avait été un grand garçon avec son propre appart, l'immensité des plats à emporter ou à livrer qu'il avait eu à portée aux USA l'avait amplement satisfait.

" Me laisser faire la cuisine aurait été le meilleur moyen pour un empoisonnement rapide... sur ce coup ma mère a surtout eut le bon sens de m'apprendre à faire autrement."

Mais déjà l'esprit de Luca semblait ailleurs, à nouveau sur le match sur la télé, aussi excité qu'un gamin devant un épisode passionnant des télétubbies, à se demander si le petit machin orange allait ou non retrouver son doudou. En tous cas, Luca semblait sur le point de le trouver, à la manière dont il gesticulait et commentait dans la langue chantante qu'était la sienne. Le spectacle n'aurait pas dérangé outre mesure le roux – trop sagement occupé à dévorer pour prendre le temps de lâcher quelques commentaires ironiques sur son colocataire – si le spectacle final du but – ou du presque but – ne fut ponctuer par un geste un peu plus brutal de l'italien qui envoya valser pates et sauces sur l'assiette du professeur de mathématiques. Cathan se leva d'un bond, se retrouvant à jurer dans toutes les langues qu'il connaissait, maudissant sur un bon nombre de génération les ritals fana de foot. Et jurer en 4 langues pouvait prendre du temps, d'autant plus que l'hilarité de l'italien n'amenait pas à tempérer son caractère.

Lentement, il retira une pâte, puis une autre, pour les poser sur la table, une expression vexée sur le visage, tandis qu'il devait se reconnaitre – en son for intérieur, et avec beaucoup de réticences- qu'il devait avoir une sacrée tête avec ça sur le crâne. Une fois passée l'envie d'étrangler l'italien lentement et douloureusement, l'américain reprit la parole avec une voix trop doucereuse pour être honnête.

" Basse vengeance le rital, vraiment basse. T'as gagné, je te laisse finir ton match tranquillement pendant que je vais me doucher... mais fait gaffe à tes fesses."

Sourire de chat aux lèvres, Cathan quitta dignement la pièce en direction de la salle de bain, du moins aussi dignement qu'il était possible de l'être en ayant encore quelques pâtes emmêlées dans ses boucles rousses. Laver correctement ses cheveux allait probablement être une grande affaire... Promis, sa vengeance serait à la hauteur de cette horreur !