En cette après midi de juin, personne n'avait vu l'enseignant en art depuis qu'il avait fini de donner cours et pour cause, il s'était enfermé dans son atelier dès qu'il l'avait pu et n'avait pas quitté sa toile depuis cet instant.

Assit sur son tabouret, sa palette dans la main gauche et le pinceau dans la main droite, il était entrain de donner ses couleurs à l'une de ses œuvres.

" Tiens, je vois trouble ? "

S'étonna Hasegawa alors qu'il portait sa main devant lui. Levant doucement les sourcils, il venait de se rendre compte que quelque chose clochait. Depuis quelques temps, ses yeux le picotaient, il toussait et sa chemise lui collait à la peau.

Reprenant peu à peu conscience du monde réel, le jeune homme se rendit compte de la chaleur qui régnait autour de lui.

" Même dans cette pièce ? "

La situation avait de quoi étonner quand on savait que Yuusuke prenait toujours grand soin de maitriser la température de la salle. Plusieurs raisons à cela, la pièce contenait des produits de préparations qui n'aimaient pas les changements de température, il en était de même pour les toiles d'élèves qui étaient conservés ici.

Son nez finissait de l'alerter sur l'odeur très forte qui commençait à enivrer son esprit. Battant précipitamment des paupières, il quitta son tabouret pour poser pinceaux et palettes. Fronçant légèrement les sourcils, il alla vérifier les petites lucarnes de la pièce et les trouva fermer à son grand étonnement.

" Ce sont les gens de l'entretien qui ont cru bien faire en fermant ces arrivés d'air, je suppose ? "

Supposa-t-il en les rouvrant une à une. Peu à peu l'air, légèrement plus frais, du dehors rafraichirait la pièce. Portant ses mains à ses hanches, il balaya les lieux d'un air désappointé, une moue sur ses lèvres.

" J'espère que les toiles n'ont pas souffert. "

Il ne s'étonnait pas lui-même de ne pas s'être rendu compte plus tôt de la situation. Quand il peignait, le monde n'existait plus. Il rentrait dans une sorte de transe et rien n'aurait pu sans doute l'en sortir.

Finissant pas secouer légèrement la tête négativement comme pour lui-même, il s'approcha du lavabo et commença à laver ses outils et ses mains. Mué par son instinct, il recueilli l'eau entre ses mains pour l'appliquer contre son visage et sa nuque.

" Ah... Ça fait du bien. "

Son visage gagnant un sourire de satisfaction, il commença à déboutonner sa chemise pour la retirer et découvrir son torse sculpté de muscles massifs sans être grossiers ou saillant.

Il y avait quelque chose de bien dans le fait de s'occuper de l'atelier de préparation pour le matériel des cours d'art, c'est qu'on avait accès à l'eau, à l'électricité et à une intimité relative. Jusqu'à maintenant, l'enseignant n'avait eu quasiment aucune visite quand il se trouvait en ce lieu.

Il n'enseignait pas une matière qui créait vraiment l'inquiétude ou le besoin chez les élèves, la plupart s'acquittait des cours qu'ils avaient régulièrement avec lui. D'autres venaient désormais aux cours du soir qu'il organisait. Mais autrement, il était plutôt au calme.

C'est donc armé de ce constat qu'il se donnait quelques libertés. Voilà pourquoi il saisit l'éponge qu'il gorgea d'eau fraiche avant de l'appliquer sur lui. Le jeune homme commença par parcourir son cou et ses épaules tendues par l'effort qu'il avait consentit en peignant avec autant de concentration, puis il s'attacha à frotter son torse.

Son entraînement était terminé. Elle quitta donc rapidement son maillot de bain dans les vestiaires pour enfiler son uniforme sportif. Minji jeta un coup d’œil dans son agenda. Elle avait noté qu’elle devait aller voir son professeur d’art, mais elle ne se souvenait plus de la raison. Elle était restée figé un moment, creusant dans sa mémoire un motif. Si c’était écrit dans son carnet, ce n’était sûrement pas par hasard. Secouant la tête, elle continua de marcher pour se rendre dans la cour de l’école.

Après le sport, son estomac réclamait à manger. Assise en tailleur dans l’herbe, son bento à la main, elle avala son repas tout en prenant le temps de le savourer. Les sushis et les makis qu’elle avait préparés étaient si délicieux qu’elle regrettait déjà que le vider rapidement. En même temps, elle devait écrire à ses parents et envoyer une jolie carte postale du mont Takao en Corée. Comme elle n’avait pas le temps de passer à la poste, elle les mit dans un casier spécial où tous les élèves les déposaient quand ils envoyaient des courriers à leurs familles. C’était assez pratique quand certains n’avaient pas le temps de passer un coup de fil ou d’aller les voir.

Alors qu’elle s’apprêtait à retourner dans sa chambre pour aller se reposer, elle vit un camarade de sa classe tenir un tableau. Elle se tapa le front et se souvenait à présent du mémo qu’elle avait laissé dans son agenda. Elle devait aller voir son professeur pour récupérer son tableau. Elle courait en direction du bâtiment Showa. Poussant la porte, elle ne perdait pas de temps pour se rendre à l’étage. Elle cherchait du regard la salle d’art. Par la même occasion, elle avait oublié sa trousse.

Les classes étaient souvent libres d’accès. C’est pourquoi, l’étudiante n’avait pas de difficulté à entrer dans la salle. Elle marcha jusqu'au fond dans l'atelier. C'était là où était stocké les toiles. Sauf qu’une scène étrangement gênante se déroulait sous ses yeux. Hasegawa-sensei était en train de se laver le torse. Bien que la température à l’extérieur était assez chaude, l’intérieur était plutôt ambiante. La nageuse resta bouche bée avant de se cacher derrière ses mains et faire demi-tour sur elle-même. Elle avait l’habitude de voir ses collègues nageurs torse nus, ce qui n’était pas très choquant. Mais voir son professeur d’art était un peu choquant. Encore une fois, ses joues virèrent tomate.

Il fallait à tout prix qu’elle trouve une excuse et partir rapidement de la pièce. Elle se tourna à nouveau vers Hasegawa-sensei tout en gardant ses mains sur son visage. Elle se racla la gorge pour signaler sa présence.

« Pardonnez-moi sensei…je ne voulais pas vous déranger dans votre intimité…je…mais il y a des douches vous savez… »

*C’est beau Minji, dois-je te rappeler que tu t’adresses à ton professeur ?*

Elle ne s’attendait pas à une telle situation. Elle qui pensait simplement que son professeur serait en train de peintre et non pas en train de s’éponger le torse. De plus, elle aurait un autre regard sur lui.

" Oh... Non... "

C'est la pensée qui raisonna dans le grand vide qui se trouvait entre ses deux oreilles quand il entendit la porte du petit atelier s'ouvrir, se figeant comme si cela allait lui permettre de disparaître dans le décor.

" Faites que ca ne soit pas le directeur... "

Son regard se coula lentement sur la personne qui venait de faire son apparition. Et bien entendu, il croisa le regard d'une de ses élèves, comme pour rien arranger. Ses lèvres s'entrouvrirent comme pour dire quelque chose mais son esprit fut bien incapable de former un quelconque mot.

Lâchant son éponge, il se détourna courageusement à son tour tout en saisissant sa chemise avec empressement. Ses mains coururent précipitamment sur le tissu sans parvenir à se décider sur l'envers de l'endroit. En fin compte, il se résigna à la revêtir puis à refermer un à un ses boutons avec une nervosité qui rendait l'exercice périlleux.

" Pourvu que je ne pète pas un ... "

La phrase de l'élève s'éleva à l'exact instant ou il sentit un bouton venir dans sa main. Grimaçant piteusement face à sa malchance, il rangea l'objet dans sa poche. Sa maladresse devait désormais l'empêcher de refermer complétement son vêtement, laissant sa gorge une partie de ses pectoraux découverts.

"Comme par hasard..."

Soupirant profondément, il finit par se tourner vers la jeune fille. Son visage était, malgré lui, encore le siège d'une certaine gêne et d'une rougeur qui n'avait pas vraiment à voir avec le temps estival. Son sourire mi-ennuyé mi-charmant s'esquissait sur ses lèvres alors que ses iris légèrement tremblante entre amusement et trouble caressait celui de son interlocutrice.

- C'est à moi de te demander pardon, Toshihiro. Un enseignant se doit d'être présentable en tout occasion face à ses élèves. Néanmoins, je ne saurais trop te rappeler qu'il faut frapper à la porte et attendre d'être invitée à l'intérieur avant d'entrer dans la pièce.

Dans son ton de voix transparaissait ses réelles inflexions pour le sujet car si, dans la première partie de ses propos, il s'était montré plutôt sérieux et sincère.

Dans la poursuite de ces derniers, il avait usé d'un timbre bien plus désinvolte et léger, signe que la chose lui importait peu, de son point de vue. Il avait même rompu le contact visuel à cet instant pour se déplacer dans la pièce.

L'enseignant tira une chaise pour la disposer face à son haut tabouret. Il s'installa sur ce dernier et invita la jeune fille à s'y asseoir d'un geste avant d'accompagner ce dernier de nouvelles paroles.

- Si tu veux bien t'installer et me dire ce qui t'amène.

Le choc de la situation avait provoqué un oubli de la part de l'artiste. En effet, sa toile en cours était restée à la merci de quelques regards curieux et si les couleurs n'étaient pas encore totalement appliquées, le sujet se définissait tout de même facilement.

Sur la toile, on pouvait admirer une étrange composition ou un homme armée d'une longue épée, montée sur le pont d'un navire faisait face à une énorme créature tentaculaire cherchant à détruire le bateau de ses puissants membres. En arrière plan, on pouvait voir à l'horizon, une île ou l'on discernait d'anciens temples de pierre blanches irradiant au soleil.

De la composition s'exprimait une force prenante, le tableau paraissait prêt à s'animer. L'embrun soulever par la créature semblait presque palpable. Tous cela apparaissait être dynamique, comme la capture d'un mouvement, d'un instantané critique ou les choses vont basculer.

Minji restait sur place. Elle n’osait plus faire un geste. Elle était restée figé sur place. Comme si la Gorgone l’avait transformé en statue de pierre. Ecartant lentement les doigts, elle le vit en train de se rhabiller. Elle souffla intérieurement, lui laissant encore quelques instants pour qu’il remette sa chemise. La remarque qu’il lui avait faite était plutôt pertinente. L’étudiante aurait peut-être du frapper à la porte avant d’aller directement dans la salle et aller récupérer sa toile.

« Je…je prends note sensei… »

Elle pouvait être une pile électrique avec ses camarades, mais envers ses professeurs, elle avait trop de respect pour dire ou faire quelque chose de déplacé. Ses mains se baissèrent suite à un bruit de chaise qui venait dans sa direction. L’enseignant venait de l’inviter à s’asseoir. Elle n’était pourtant pas censée consulter un psychologue.

Elle s’installa donc sur la chaise face à son professeur. Ce qu’elle aimait chez Hasegawa-sensei, c’était le calme qu’il dégageait. La métisse alla même se demander, si faire de l’art pouvait la rendre aussi calme ? Déjà qu’elle était loin d’être Léonard de Vinci ou encore Van Gogh. Ses œuvres penchaient souvent vers du Picasso.

« Je…eh bien…A vrai dire, j’étais venue récupérer le dessin que j’avais fait et ma trousse par la même occasion. Mais je peux toujours venir la chercher plus tard vous savez. »

Ses yeux se baladèrent dans l’atelier et s’arrêtèrent sur une toile. Elle alla même jusqu’à s’approcher du tableau pour l’admirer. Elle regarda son professeur un instant, puis reporta son attention sur l’œuvre d’art.

Mis à part qu’il manquait de couleur, la scène d’un homme en train de combattre un monstre avec des tentacules qui tentait de faire couler le navire. Elle observa de plus près l’homme, qui n’était autre que le capitaine du bateau. Un capitaine qui était prêt à donner corps et âme pour défendre ses hommes et son voile.

L’effet était tellement bien fait, qu’elle avait envie de toucher. Mais c’était bien connu, on touche avec les yeux et pas avec les mains. Elle essayait d’imaginer comment la scène se serait terminée. Si le héros aurait le dernier mot et rejoindre sa bien-aimée sur l’île ou alors continuer sa quête d’aventure à la recherche d’un trésor caché dans les temples en arrière plan.

« Cette œuvre est de vous ? »

Hasegawa hocha légèrement la tête alors que la jeune fille exprimait qu'elle entendait ses dires.

" Elle parait un peu troublée..."

Le jeune homme s'attendrit un court instant, plus parce qu'il partageait lui aussi ce sentiment. Son sourire s'agrandissant davantage encore pour se faire charmante et chaleureux, il suivit la démarche de l'élève tout en la couvant de son regard sombre.

" Dois-je l'aider à chasser son trouble ? "

D'expérience, il savait que repousser ses sentiments dans un fond de tiroir inconscient n'était pas la meilleure chose à faire pour en décharger l'énergie qui venait soudainement de s'y inclure. Voilà pourquoi il se posait alors cette question.

Yuusuke le cachait fort bien mais lui-même se trouvait quelque peu mal à l'aise après l'introduction gênante que les deux personnes venaient de connaitre. A vrai dire, il devait faire un réel effort pour ne pas laisser ses sentiments s'enflammer.

" Est-ce la première fois qu'elle voit un homme à moitié nue ? "

Clignant des paupières, il repoussa la question incongrue qui était survenu à son esprit pour prêter attention aux paroles de son interlocutrice. Il acquiesça à ses dires, il avait en effet retrouver sa trousse.

Cela l'avait même fait légèrement sourire. Il croyait fermement que les oublis étaient une expression de l'inconscient. En admirer une chez cette jeune fille signifiait qu'elle devait avoir en elle des préoccupations que sa conscience faisait force d'ignorer. Ce témoignage d'humanité chez les êtres qui partageaient son existence ne pouvait que le toucher.

Sans mouvoir son propre visage, l'enseignant suivit le regard de la petite femme allant de la toile qu'il travaillait un peu plus tôt pour revenir à lui. De fait, l'artiste qu'il était n'appréciait pas forcément qu'on admire son œuvre avant que cette dernière ne soit complète. Mais, face à cette situation ou personne n'était à plaindre, il décida naturellement de ne pas s'en formaliser.

Acquiesçant de nouveau, il saisit son intérêt comme une manière de détourner sa pensée des récents événements. Élevant une voix qui se voulait dynamique et enjoué, tel une invite libre et sans complexe, il échangea son propre regard entre la toile et le visage de la jeune fille.

- Qu'est ce qu'elle t'évoque ?

Minji n’avait plus besoin de fouiller très longtemps. Hasegawa-sensei avait eu soin de garder sa trousse de côté. Elle n’était pas très étonnée d’ailleurs. Un professeur comme lui, il n’y en avait pas des masses et qui semblait être à l’écoute de ses élèves par la même occasion. L’un des rares adultes qui lui donnaient l’impression qu’elle pourrait venir lui demander n’importe quoi. Mais la voix masculine lui venait de lui couper dans son étude sur la toile. Elle se tourna vers son enseignant quand il lui demanda ce qu’elle évoquait.

« Que m’évoque-t-elle ? »

L’étudiante répétait la question pour mieux l’analyser. Elle prêta donc son attention vers le dessin. Elle se pencha légèrement en avant, les sourcils froncés et sa bouche en forme de canard. Elle se mit à réfléchir à la demande de son professeur. La jeune fille scruta donc la peinture afin de répondre à ce qu’elle ressentait en la regardant. Ses prunelles étaient surtout restées figées sur le capitaine du bateau. Comme si elle venait de recevoir un message de sa part. Elle se redressa lentement avant de reprendre calmement la parole.

« Elle m’évoque de la force, du courage et de la peur… », dit-elle en marquant une pause avant d’enchaîner. « Parce que l’homme avec son épée montre sa force mental à vaincre la créature. Du courage, car la volonté de protéger son équipage et son bateau est présente. Même si il a cette force et le courage d’aller affronter la bête, le héros se demande si il réussira à s’en sortir indemne de cette bataille pour aller jusqu’au bout de sa quête, d'où la peur invisible. »

Elle s’étonnait elle-même d’avoir sorti cette explication, mais gardait une petite fierté caché au fond d’elle. Son regard se posait sur son professeur affichant un sourire sur son visage. La métisse allait même jusqu’à se demander, si la toile n’était pas un autoportrait de son sensei.

Elle se rappelait d'une phrase qu'elle avait entendu lors d'un reportage où un peintre disait que ce qu'il peignait était le reflet de la personne qu'on était.

Une voix familière venait de couper les deux personnes. Elle tourna la tête en direction de cette voix. La jeune brune était étonnée de voir sa colocataire présente dans l’atelier. C’est avec un grand sourire qu’elle l’accueillit, accompagné de la salutation traditionnelle.

« Oh Tanaki-chan ! »

Visiblement, sa camarade avait également oublié quelque chose. Minji riait intérieurement. Elle se disait que les jeunes filles feraient bien la paire. L’une avait oublié sa trousse, l’autre sa veste, l'équivalent de deux têtes en l'air. Une chose est sûr, il n’y aurait pas une qui rattraperait l’autre. Elle n’avait pas beaucoup d’information à son sujet, hormis qu’elle venait d’arriver au pensionnat. Peut-être que la journaliste aura l’occasion de l’interviewer dans le futur. Afin de mettre à l’aise la nouvelle arrivante, elle s’approcha de Tanaki en passant son bras autour de ses épaules. La métisse secoua la tête pour la rassurer.

« Tu ne nous déranges pas. Si tu as des questions à poser n’hésite surtout pas. Je ne pourrais peut-être pas t’aider pour les cours d’arts, mais si tu as besoin de demander sur autre chose, je me ferais un plaisir de te renseigner ! Sensei se fera un plaisir de répondre à ta demande. », dit-elle avant de se tourner vers le professeur.« N'est-ce pas ? »

Minji savait que la demoiselle était nouvelle. C’est pourquoi, avec beaucoup de dynamisme dans sa voix, elle était prête à proposer son aide pour la guider.

Une nouvelle émotion vint cueillir l'enseignant alors qu'il voyait l'élève grimacer face à toile. Toshihiro était expressive, ce qui n'était pas donné à tout le monde. Longtemps, le jeune homme avait porté un masque inexpressif ou personne n'arrivait à deviner ses émotions, du moins, à part sa mélancolie. Mais depuis quelque temps, d'abord consciemment puis de manière inconsciente, il avait reprit lui-même vie.

" Un portrait, peut-être ? "

L'idée lui parvint mais cette fois, il ne l'a repoussa pas. Le projet était tentant même s'il devait encore y réfléchir. Ses pensées revinrent à l'instant présent quand la jeune fille éleva la voix.

" Elle est sensible. "

Et elle avait étonnamment bien répondu, même s'il n'existait pas, en vérité, une bonne réponse à cette question. Minji s'était montrée sincère dans l'expression de ce que l’œuvre évoquait. Ce n'était, encore une fois, pas donné à tout le monde. A la rencontre de son regard et de celui de Yuusuke, ce dernier se fendit d'un nouveau sourire heureux.

" Je me demande si elle a saisie qu'elle parlait de ce que l'œuvre évoquait pour 'elle' ."

Alors qu'il allait reprendre la parole, une voix s'éleva. Son regard en fit autant pour se poser sur une autre de ses élèves. Cette dernière s'inclinant en le saluant, les gênes japonais du jeune homme reprirent un instant leurs droits, troquant son attitude relâchée pour quelque chose de plus académique, il se leva de la chaise et s'inclina à son tour.

Il ne prononça pas un mot, pour la simple raison que la nouvelle arrivante avait directement enchainé sur la raison de sa venue. L'enseignant saisit une nouvelle chaise qu'il plaça autour d'un centre illusoire à égale distance entre Minji et lui. Ceci étant fait, il se rassit sur son tabouret.

" Encore un oubli. "

Pensa-t-il en retenant à peine un sourire malicieux. Ses yeux sombres suivirent la petite silhouette. Elle avait trouvé sans mal l'objet de ses recherches et s'apprêtait déjà à quitter la pièce. Hasegawa nota cet empressement et ne fut pas tellement étonné de le voir stopper comme si l'élève venait de se rappeler soudainement de quelque chose.

Recroisant de nouveau son regard, il ne répondit pas de suite. Toshihiro s'était levée pour s'approcher de sa camarade pour l'entourer de son bras, une manière de la saisir, de la retenir mais aussi de la garder à ses cotés. Un geste anodin de prime abord mais qui créa un étrange écho dans le cœur de l'enseignant.

" Pourrais-je un jour accepter un tel geste ? "

Alors que son trouble le détournait légèrement de la réalité, les derniers mots de Minji furent comme un ancrage bien utile pour son navire à la dérive. Acquiesçant d'un bref hochement énergique, il caressa le visage de la nouvelle arrivante de son regard doux et léger. L'enseignant l'invita du geste à venir prendre place.

- Comme tu veux, Dojima. Tu peux poser ta question maintenant ou préférer venir me voir plus tard. Dans les deux cas, j'y répondrais du mieux que je le peux.

Hasegawa rendit son salut à Dojima avec la même profondeur. Il trouvait cela agréable de rencontrer une jeune fille de cet âge encore attachée à la politesse. Cela lui tira même un nouveau sourire à son encontre, chaleureux et doux.

Suivant la conversation du regard, il resta silencieux. Ses iris pétillaient d'une lueur calme. Il ne pouvait s'empêcher de trouver la camaraderie de ces deux personnes touchantes. Cela le ramenait des années en arrière, à son ami Juchiro.

Il n'avait jamais rien eu en commun. Hasegawa était un artiste rêveur et plutôt introvertie. Juchiro était un sportif aimant la vie sociale. Le jeune homme avait toujours eu une attitude et une tenue exemplaire à l'école alors que son ami avait toujours flirté avec le règlement et s'était teint les cheveux en blond très tôt dans son adolescence.

Pourtant, même les années, même la distance et même les femmes n'avaient pu les séparer. Ils étaient toujours liés d'ailleurs par ces souvenirs qu'ils avaient eus alors durant ces années au lycée. L'étudiant eut un sourire amusé en pensant à la légère jalousie que les femmes qu'ils aiment ressentaient quand ils faisaient leurs complicités quasi-surnaturelles devant ces dernières.

" Il faudra que je l'appelle en rentrant pour qu'on se voit. "

Se promit-il en pensée alors que cette dernière reprenait le chemin de l'instant présent en entendant la voix de Toshihiro. Une légère grimace vint s'esquisser sur le visage de l'enseignant.

Étrangement, il n'avait pas vraiment ressentit de gêne à montrer son travail inachevé à sa première élève. Pour autant, l'artiste n'apparaissait pas composer aussi facilement d'un nouveau regard.

Hésitant, il ne sut s'il devait se lever pour couvrir la toile comme le demandait impérieusement son cœur ou écouter sa raison qui ne voyait aucune raison valable à cette différence de traitement entre les deux personnes. Serrant légèrement la mâchoire, il resta donc plongé dans le silence, ses bras se croisant, il garda un sourire discret pour mieux dissimuler le trouble qui le gagnait, cherchant à en comprendre l'origine.

Tanaki avait été sincère dans ses propos, elle avait simplement émis ce que cette oeuvre lui avait permis de ressentir. Elle aimait l'art, plus précisément l'art traditionnel nippon comme les instruments anciens qu'ils utilisaient ou encore la calligraphie était quelque chose qu'elle aimait beaucoup regarder car cela l'apaisait. Elle aimait l'art sous ses différentes formes, la cérémonie du thé qu'elle pratiquait également était pour elle une forme d'art aussi. Elle était réceptive à tout ce qui était traditionnel. Pourtant la peinture qu'on venait de lui montrer ne l'était pas du tout, mais ce n'était pas pour ça qu'elle ne pouvait pas ressentir les choses et émettre un avis réfléchi et ressenti. Au vu du sourire de son professeur, il avait aimé sa réponse. Elle ne peut que lui sourire en échange également. Elle ne l'avait pas fait pour plaire, elle avait simplement exprimé ce que son coeur avait ressenti.
elle sourit à Minji et la remercia des paroles qu'elle glissa doucement à son oreille. C'est vrai qu'elle aussi elle n'était passée que pour prendre sa veste et repartir directement, et là elle avait perdu pas mal de temps. Il faut dire qu'elle avait encore beaucoup de travail avant de rentrer chez elle. Il fallait vraiment qu'elle avance. Alors qu'elle allait le dire, son professeur lui parla. Elle lui sourit, il était vraiment gentil de se soucier encore de son problème. C'était un professeur attentionné qui donnait relativement bien cours et qui était très agréable. Elle arrivait à être attentive à son cours, ce qui n'était pas difficile car c'était une occupation manuelle et non intellectuelle. Bon elle ne disait pas qu'elle n'avait jamais de troubles de concentration avec ce cours, mais moins qu'un cours plus intellectuel. Elle salua son professeur.

"Sans vouloir vous offenser Hasegawa-sensei, je préfèrerais vous la poser une autre fois car j'ai encore beaucoup de travail qui m'attend." Elle se redressa avant de sourire et de saluer de nouveau mais plus brièvement pour annoncer son départ. "Merci pour tout sensei, je vous souhaite une agréable fin de journée."

Elle lui fit un magnifique sourire avant de quitter la pièce.Elle retrouva Minji qui l'attendait en dehors de la classe. Elle sourit. C'était vraiment très gentil de sa part d'accepter de l'aider. Ce n'était pas la première fois, mais à chaque fois elle se disait qu'elle avait de la chance d'avoir une telle colocataire. Elle l'invita à retrouver leur chambre, il fallait vraiment qu'elle travaille. Elle espérait qu'elle allait arriver à tout finir rapidement.


[topic fermé pour ma part : ) ]