[ Terminé ] Un lâcher d'ogres [ Tatsuya Kimino ]

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Qui a dit que les sumos étaient les seuls asiates à pouvoir se nourrir comme le feraient dix hommes affamés ? L’avancée dans la puberté pouvait s’apparenter à un bouleversement hormonal qui modifiait bien des choses dans le corps des adolescents. Pas de mystère, pour qu’une jeune pousse puisse s’épanouir il lui fallait en priorité de quoi se désaltérer. Si l’on voulait faire une analogie de cet exemple végétal, il suffisait de suivre les vociférations stomacales de deux étudiants qui eux réclamaient de quoi se sustenter. En route pour le banquet, toutes leurs pensées semblaient converger vers la nourriture qu’ils allaient bientôt dévorer. Ils n’étaient pas de simples anonymes qui avaient décidé de manger à l’extérieur en ce beau début de soirée, sûrement pas ! Ne nous laissons pas leurrer par leurs risettes et leurs airs – presque – innocents, leur véritable nature serait dévoilée dès qu’ils seraient armés de leurs baguettes, prêts à fondre sur leurs plats tels de féroces rapaces. Deux ogres en marche, mais également en compétition.

Pour connaitre les raisons de cette concurrence, il faut remonter un peu plus loin dans le temps. Tatsuya et Ryosuke étaient destinés à être seuls présents dans leur chambrée aujourd’hui, semblait-il. Après quelques instants de conversation, le dialogue s’était presque naturellement orienté vers la nourriture, cette passion que tous les habitants de la chambre 103 partageaient avec ferveur. Tout aussi spontanément, ce sujet s’était transformé en une querelle amicale sur celui qui était le plus vorace d’entre eux, avant de muter en un challenge aussitôt relevé. Une habitude qui avait rapproché les deux jeunes hommes en dépit de leur disparité caractérielle, ils ne comptaient plus le nombre de défis tous aussi inutiles les uns que les autres qu’ils s’étaient lancés. Leur imagination n’avait pas de limites, du classique apnée sous-marin à la course de vitesse perchés sur des talons de fille. Tout était prétexte à ne pas s’ennuyer, mais aussi à affirmer une certaine virilité en battant son adversaire, car là était le but principal ! Sans animosité, le binôme avait un nombre impressionnant de crétineries à leur actif, et l’année ne faisait que commencer. Ce soir ne serait qu’une épreuve de plus, mais pour laquelle les antagonistes étaient tout à fait motivés. Pour l’occasion, le fils Dojima s’était même « déguisé en civil » comme il aimait à le dire. Lui qui avait l’habitude de porter kimonos et autres vêtements traditionnels au quotidien, était vêtu d’un jean, d’un t-shirt et d’un haori tout simple en guise de veste fine. Incroyable mais vrai, comme quoi il était aussi capable de s’habiller comme tout le monde.

Les colocataires déambulaient dans les rues d’Hachioji, en réalité Ryo voulait absolument emmener Tatsuya dans un restaurant récemment ouvert et qu’il avait découvert quelques jours auparavant. Une occasion d'en tester un nouveau, mais ce qui était particulièrement attirant était son buffet à volonté, entrée, plat et dessert, avec un prix qui plus est abordable. Avec la quantité qu'ils mangeraient sûrement, mieux valait ne pas parier sur les simples menus... Le regard furetant sur les différentes enseignes, ses lèvres affichaient une moue qui accompagnait sa réflexion.

« Mh… Je crois que c’est juste là, après la boutique de musique… Ah ! Le voilà ! »

Il se dirigea vers le commerce et pénétra à l’intérieur avant de respirer les arômes à plein poumons.

« Tu sens ces odeurs ? Je meurs de faim ! »

Dit-il en tapotant son ventre, un grand sourire aux lippes.

Élève de la 3-A

S'il y avait bien une chose que l'étudiant adorait faire, c'était des paris idiots. La compétition l'amusait en général, il aimait se mesurer aux autres, bien que bon perdant. Mais surtout, il aimait le fait de se donner à fond, et que chacun tente de vaincre l'autre sans tricherie. Ce qui était encore mieux, c'était de se donner à fond pour un truc ridicule, et manquer de mourir de rire dès que le souvenir était évoqué. Ce genre de paris et de concours faisaient d'excellents souvenirs, impérissables. Sans nul doute, leur propension aux défis douteux était une des raisons pour lesquelles Tatsuya appréciait autant son colocataire. Malgré leurs différences, jamais les deux jeunes hommes n'avaient eu de problème pour s'entendre. Le basketteur se souvenait d'ailleurs de la victoire écrasante de Ryosuke dans la course en haut talons, et il compatissait depuis beaucoup avec les filles qui en portaient. Il aurait presque juré devoir se faire amputer après avoir retiré les instruments de torture que représentaient ses chaussures. Heureusement, ses pieds étaient toujours la, et c'était sur eux que le jeune homme déambulait dans Hachioji. Il y a peu de choses qu'il prenait au sérieux, parmi lesquelles la connerie figurait en bonne place. Lorsqu'il s'agissait de faire des bêtises, Tatsuya déployait souvent des efforts considérables, pour le sacre de la connerie. Par exemple, la, depuis qu'ils s'étaient lancé ce défi et malgré son estomac hurlant à la lune pour être nourris, aucune nourriture n'avait rejoint son ventre. Et pas une cigarette n'était venue jouer le rôle de coupe faim. Non, il se devait d'être dans des conditions optimales avant leur grand affrontement.

La balade lui ouvrait d'ailleurs l'appetit encore plus, bien que le basketteur ait un doute sérieux quand au fait que ce fut utile. Habillé confortablement, d'un vieux jeans en partie déchiré et d'un t-shirt sans manches, il marchait tranquillement aux côtés de Ryosuke. De temps en temps, il lui jetait un regard, tentant de déterminer si son adversaire était suffisamment en forme pour ingurgiter plus de nourriture que lui. Le restaurant auquel il les emmenait venait d'ouvrir, et Tatsuya les espérait bien rodés. Nul doute que deux ogres affamés, impossible à rassasier, devraient mettre la cuisine en émoi. Ce serait un bon test pour l'équipe de cuistots, estima le faux blond, s'ils pouvaient leur survivre, ils survivraient à tous les clients.

Arrivant enfin à destination, le jeune homme fixa son regard sur le restaurant. Il suivit son camarade et entra dans le restaurant peu après lui, l'eau à la bouche dès que les premières odeurs lui parvinrent.

« ...J'en ai l'eau à la bouche. »

Le restaurant était de taille moyenne, un comptoir se trouvait sur la droite, ou les gens pouvaient s'annoncer et se faire placer. Formant un L, la deuxième partie du comptoir laissant voir les cuisiniers, s'agitant devant leurs fourneaux. Le reste de l'établissement était composé de tables de taille variables, et au centre trônait le plus énorme buffet que Tatsuya ait jamais vu. Sur trois étages se trouvaient toutes sortes de nourritures, des soupes aux nouilles, en passant par les desserts, en quantité correcte.

«Tu crois qu'il y aura assez de nourriture pour nous, deux, hn ? »

Il parla d'un air taquin, la nourriture plus que largement en quantité suffisante. Cela dit, impressionner un peu son adversaire avant le match était toujours efficace. Son large sourire aux lèvres, il salua la dame, et demanda une table pour deux, près du buffet. Celle-ci sortit de derrière le comptoir, et les guida jusqu'à une petite table. Ne perdant pas de temps, et une fois assis, il commanda un coca, et indiqua qu'ils désiraient manger tous deux au buffet à volonté. Dans un effort surhumain pour ne pas se jeter sur les plats présentés, il se tourna à nouveau vers Ryosuke, en face de lui, attendant qu'il passe commande de sa boisson.

« L’hôpital le plus proche n'est pas très loin, c'est rassurant de savoir que si on mange au point d'exploser, les secours seront sur place rapidement. »

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L’eau à la bouche, c’était peu dire, une bien faible métaphore pour ce pauvre Ryosuke qui était prêt à s’écrouler et à ramper jusqu’aux plats en hurlant dans une voix étouffée « nouuurriiiituuuureeee ». Etrange image, mais c’est ce qu’il crut faire lorsque ses prunelles d’ébène se posèrent sur l’ambroisie aux mille et une couleurs et senteurs. De tous les péchés, celui de gourmandise siégeait au sommet haut la main, et tout comme son acolyte il s’était contraint à ne rien avaler pour être en appétit ce soir. Quelle torture, lorsqu’il voyait ses dangos qui le réclamaient de toute leur âme, mais la compétition remportait le dessus. Il n’était pas homme à aimer se mesurer à autrui lorsque la bataille était prise trop au sérieux, mais lorsque le challenge était purement amical comme c’était ici le cas, ce ne pouvait être qu’un régal.

En parlant de régal, il imaginait déjà l’orgasme culinaire qu’ils s’apprêtaient à avoir. Les pauvres propriétaires n’imaginaient même pas dans quoi ils s’embarquaient… Leur commerce en serait ruiné, ou presque. D’ailleurs lorsque son acolyte y fit référence, il ne put qu’afficher un énorme sourire en opinant négativement du chef, et fut tellement envoûté par les effluves des plats qu’il laissa Tatsuya répondre à la serveuse qui les accueillit. Signe du destin ou simple providence, le binôme fut installé juste à côté de l’impressionnant buffet qui ne cessait d’attirer l’œil du quidam. Cependant, il prit son mal en patience et commanda à son tour sa boisson, une simple eau plate bien fraîche qui l’aiderait sans doute à mieux digérer. Il aurait besoin de toute l’aide disponible pour ne pas mourir juste après, il n’avait même pas pensé à dire au revoir à sa petite sœur… Qui aurait certainement explosé de rire après avoir pris connaissance de la nature du défi. Ryosuke détourne alors ses prunelles du buffet lorsque son acolyte s’adressa à lui, puis il expira un rire spontané avant de lui répondre presque aussitôt.

« Parce que tu crois qu’on pourra encore passer le cadrant de la porte ? Le nettoyage d’estomac va avoir lieu sur place. »

Il grimaça légèrement en riant à cette pensée plutôt écoeurante.

« J’imagine déjà les gros titres, " deux étudiants ont littéralement explosé après une orgie de nourriture, nous cherchons encore à les identifier " .»

Le jeune homme explosa de rire, il imaginait parfaitement la scène et se demandait quelle quantité leurs estomacs seraient aptes à contenir. Il ne sous-estimait en aucune façon l’appétit de Tatsuya, ni même sa détermination, car même s’il avait pu remporter la victoire à la dernière épreuve de course de talons, son colocataire l’avait purement et simplement écrasé à plusieurs reprises également. Leurs scores finissaient pour la plupart du temps à se compléter au vu de la différence des challenges, ce qui était particulièrement amusant. Maintenant qu’il y pensait, Akihito aussi aurait très bien pu participer à cette soirée, lui qui était un véritable glouton. A eux trois, ils auraient certainement mis le restaurant en faillite, à deux ils pourraient au moins limiter les dégâts, mais l’idée de sortir manger à l’extérieur avec tous les habitants de la chambre 103 n’était pas désagréable.

C’est alors qu’ils virent la serveuse revenir avec leurs boissons et les disposer sur la table avant de leur souhaite un bon appétit. Elle ne pensait pas si bien dire ! Affamés comme ils l’étaient, ils se retenaient cependant encore à ne pas se jeter sur le buffet comme de vulgaires animaux. C’était peut-être là aussi une tactique pour observer les réactions du rival, puisque confortablement installé dans sa chaise, Ryosuke observait son vis-à-vis avec les bras croisés et une risette aux lèvres. Lequel attaquerait le premier ? Une tension palpable – ou pas – alors que l’épreuve était bientôt sur le point de commencer.

« Dommage qu’Akihito ne soit pas avec nous, il aurait fait un sérieux concurrent tel que je le connais. »

Il lui adressa un regard à la lueur provocatrice.

« Mh… Concernant les règles, je propose que l’on soit obligé de prendre de l’entrée et du dessert au moins une fois, pour faire un vrai repas. Qu’est ce que tu en dis ? »

Élève de la 3-A

La serveuse était plutôt jolie, Tatsuya le remarqua du coin de l’œil, mais elle fut vite oubliée. Non, il n'avait d'yeux que pour le buffet, juste sous son nez, tandis que son ventre gargouillait avec force. Il lui semblait d'un trou noir s'était développé dans son estomac, et que bientôt il commencerai à s'effondrer sur lui même, avalé dans le néant. Le manque de nourriture pouvait vraiment causer des ravages. D'ailleurs, si ça ne tenait qu'a lui et que son éducation n'avait pas été aussi bonne, le jeune homme se serait volontiers vautré dans le buffet. Pour manger comme un romain, affalé entre les plats, n'ayant qu'a tendre la main pour se servir... Son estomac se serra douloureusement à cette idée, tant la faim devenait insoutenable. L'idée d'une piscine pleine de nourriture traversa rapidement son esprit, pour disparaître parmi les dizaines d'autres pensées du même acabit qui hantaient son crâne. Lorsque son colocataire pris la parole, ses lèvres commencèrent par frémir un peu, puis il partit d'un grand rire, imaginant fort bien la chose.
Les médecins se demanderaient s'ils n'avaient pas à faire une nouvelle espèce, le médecin légiste serait mystifiée, et le gouvernement finirait par s'en mêler tellement l'improbabilité de la chose paraîtrait énorme. Pouvait-on vraiment avaler trois fois son poids en nourriture ? Quel était leur secret ?

Bien sur, il n'aurait jamais révélé son secret. Même s'il en avait eu un. Il attrapa son téléphone en envoya un sms des plus ridicules à Seiji, lui indiquant de ne pas le chercher s'il ne revenait pas, c'était sans doute que le buffet avait eu raison de lui. Et que le type impossible à identifier dans un restau à l'autre bout de la ville pour cause d'orgie de bouffe serait sûrement lui.

« Voilà, j'ai prévenu, s'il nous arrive quoi que ce soit ils sauront ou nous chercher...Je n'aimerai pas finir en cobaye de labo parce que ça parait impossible d'avaler à deux un buffet qui fait environ quatre fois notre poids... »

L'étudiant rigola encore un peu, puis remercia la serveuse qui leur ramenait leurs boissons. Enfin, la débauche de boustifaille pouvait commencer. Le temps de se préparer mentalement, d’édicter les règles, d’affûter ses baguettes, et ils pourraient se ruer et s'oublier complètement à leur repas.

« Oui...Mais mettre le restaurant en faillite dès sa première semaine n'est pas très indiqué, je pense. -Il hocha la tête, soutenant son regard, l'amusement le plus profond brillant au fond de ses yeux- Parfait, les règles me conviennent. Prêt? Partez. »

D'un mouvement souple, il fut debout. Sa technique pour beaucoup manger consistait à manger sans relâche, à un rythme ni trop rapide, ni trop lent, pour que son ventre puisse tenir le rythme. Il évitait aussi les différences de températures trop élevées. Le châtain se dépêcha d'arriver près du buffet, et emplit plusieurs assiettes, faisant l'aller retour pour les déposer sur la table. Gâteau aux fraises, porc pané, omelette sucrée, nouilles sautées, légumes à la vapeur. Une fois son premier round composé et bien réinstallé sur sa chaise, il fit craquer ses doigts, et commença son repas. Un bout de gâteau par la, quelques morceaux de porcs par-ci...Comme à son habitude, les mélanges de goût étaient insolites, mais il aimait ça. Tatsuya guettait aussi régulièrement son colocataire, souriant très largement dès que leur regard se croisait. Combien de temps mettraient les cuisiniers à comprendre face à qui ils étaient tombés ? Ils le sauraient bien assez tôt.

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Il avait prévenu une tiers personne ? En voilà une bonne idée, au moins ils pourraient les retrouver lorsqu’il l’école aura remarqué leur absence, c’était rassurant de savoir qu’ils ne resteraient pas anonymes dans leur bêtise… Ou pas d’ailleurs. Ils se demandaient dans quelle catégorie leur chronique figurerait. Faits divers, pour n’être qu’une anecdote de plus ? Rubrique économique, pour avoir mis le restaurant en faillite ? Dans la culture peut-être, pour avoir permis à la médecine de connaître les limites du contenu d’un estomac humain ? Tant qu’ils évitaient celle nécrologique, peu importe à quelle page ils pourraient bien les attitrer. Une petite bouchée pour l’homme, une grande pour l’humanité… Voilà un en-tête des plus vendeurs, peut-être même qu’ils toucheraient une petite prime de risque ? Bon, il était sans doute temps de redescendre un peu sur terre… Trop de fabulations tuent la fabulation.

Ryosuke patienta jusqu’à ce que son acolyte commente sa proposition, avant de lancer le départ et de ne surtout pas l’attendre pour fondre sur le buffet tel un aigle sur sa proie. Un peu surpris par cette rapidité qui le fit à nouveau rire, il se leva à son tour et se lança à l’attaque, avec cependant plus de circonspection pour bien choisir ses plats. Il remplit également plusieurs assiettes sous les regards dubitatifs des autres clients qui voyaient le buffet se faire cambrioler Il rejoignit sa table et tenta de trouver une place où disposer son repas – ou gavage selon le point de vu – entre celui de son colocataire. D’ailleurs, celui-ci se goinfrait dans des amalgames culinaires plus saugrenus les uns que les autres et semblait bien parti dans la compétition. Le kendoka s’installa et commença lui aussi à se mettre dans le jeu, avec cependant une technique quelque peu différente. Premièrement, pas de mélanges insolites, il alliait les aliments correctement et à une allure régulière mais modérée. Ensuite, il buvait énormément d’eau, créant une enveloppe aquatique sur la paroi de son estomac et ainsi estomper la sensation de satiété. Deux façons de faire opposées, laquelle allait briller ?

Etrangement, le jeune se sentait observé, et il se rendit compte que c’était le cas lorsqu’il osa lorgner la salle. Il fallait dire que c’était peu commun de voir des gens manger de la sorte dans un restaurant. Mais pour autant, il ne lui fallait pas perdre le rythme, son adversaire était coriace ! En parlant d’antagoniste, il leva les yeux vers Tatsuya… Et ce qu’il aperçut manqua de le faire s’étouffer. Par réflexe, il rentra la tête dans les épaules en posant sa main sur sa bouche, partagé entre un fou rire et les toussotements. Il avala difficilement ce qu’il mastiquait, puis se pencha presque sous la table en manquant de cracher ses poumons. Son poing martela sa poitrine alors que le rouge envahit son faciès, les larmes au bord des yeux par toutes ces émotions qui avaient du mal à passer. Ne pouvant vraisemblablement pas parler, il désigna son propre nez pour faire comprendre à son camarade que sur le sien, trônait une substance non identifiée, qui ressemblait à un mélange de sauce caramélisée et de chantilly. Il avait l’air malin ! Ryosuke attrapa son verre d’eau et en but de longues gorgées avant de reprendre sa respiration.

« Hey Tatsuya-kun… »

Il mit ses mains en évidence, avant de les mettre dans son dos pour montrer qu’ils ne les utiliseraient plus. Il se pencha ensuite sur son assiette et attrapa une boulette de riz qu’il goba, laissant quelques grains autour de ses lèvres. Il lança un regard vers son colocataire pour voir s’il le suivait dans la nouvelle difficulté… Ils étaient tombés si bas dans le ridicule que plus rien n’effrayait Ryo.

Élève de la 3-A

La carrière du challenger n°2, 1m82, 79kg de muscles, avait démarré très tôt. Les concours « Tu n'arriveras pas à manger plus de quatre menus big macs en moins de 2h » et autre, avaient été sa spécialité, étant plus jeune. Nombre de ses adversaires avaient péris, déclaré forfait, ou imploré sa merci. Peu l'avaient égalés, et moins encore l'avaient battus. Il fallait dire que tout le sport que Tatsu faisait à cette époque le creusait vraiment, et que les prix réduits du McDonald permettait de faire des orgies de nourriture à un tarif acceptable.
Toutefois, en retournant au japon, son régime alimentaire s'était modifié. Et il lui avait fallut du temps pour s'y réhabituer. Bien sur, l'étudiant avait continué à manger japonais à San Francisco, mais beaucoup moins souvent que s'il était resté dans son pays d'origine. Et son estomac n'avait pas forcement vu d'un très bon œil le retour en masse du poisson et du riz, nourriture bien moins graisseuse que les hamburgers. Même si cela faisait longtemps maintenant qu'il était à nouveau habitué aux plats locaux, Ryosuke partait avec un avantage certain que Tatsu espérait compenser avec sa grande résistance à la douleur.

La technique de son colocataire était d'ailleurs intéressante, et il supposa que l'eau y jouait un rôle. Mais au final, son style d'engloutissage de nourriture était accordé à sa personne : Réfléchit, posé et digne. En tout cas pour l'instant. Quant au coca du basketteur, son rôle était bien particulier. La boisson était si acide et corrosive que le jeune homme comptait bien sur elle pour l'aider à digérer plus rapidement les aliments. Nulle doute qu'une partie de la nourriture serait dissoute dans le coca avant même que ses sucs gastriques n'aient le temps de l'attaquer.

L'hilarité de son vis à vis le laissa d'abord perplexe. Un fin sourire s'étirait simplement sur ses lèvres car le rire du kendoka était très communicatif. Puis il loucha sur la chantilly posée sur son nez, et se mit à rire aussi. Il l'a retira d'un doigt puis le porta à sa bouche en continuant de rire un peu. Il allait se remettre à manger, sentant son ventre protester, exigeant d'être rempli, lorsque son camarade le héla. Ses yeux s'écarquillèrent, il plaqua ses mains sur son ventre, ignorant les regards des gens sur eux, et partit dans un fou rire difficilement contrôlable. De voir Ryosuke ainsi, penché pour gober son riz, lui rappela qu'il le considérait comme un espèce de dieu des paris idiots. Tatsuya eu de la peine à contrôler son fou rire, continuant de l'observer d'un air incrédule, se tordant sur sa chaise.
Il n'aurait jamais cru, à ses débuts en colocation, que ce serait avec Ryosuke qu'il ferait le plus de bêtises, et qu'il rigolerait le plus. Sous son air calme et mesuré se cachait une véritable tornade. Après quelques instants passés à rire ainsi, il se redressa et mit à son tour ses mains derrière son dos.

« Bien, à partir de maintenant, interdiction d'utiliser les mains pour autre chose que pour boire ou se resservir, et celui qui sera le plus propre à la fin aura des points bonus. »

Voilà, c'était dit, l'apocalypse pouvait commencer. L'américain se pencha lentement sur son gâteau à la fraise, surmonté de crème chantilly, et commença à la laper. D'ici la fin du repas, il en était sur, sa langue aurait gagné en souplesse et en dextérité. Pour l'instant, il était surtout occupé à trouver un compromis entre manger rapidement, et manger proprement, ce qui n'est pas très facile lorsque la personne n'a que peu d'expérience en gobage.

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Une vieille maxime disait que l’habit ne faisait pas le moine, et Ryosuke pouvait être une bonne incarnation de cet adage. Au revers de ses airs nobles de nippon parfaitement éduqué, de ses somptueuses soieries bigarrées et de sa philosophie pacifiste, le jeune homme était doté d’une fertilité sans limites pour faire des bêtises. Du moins, mesurées, il était volontaire pour toute activité tant qu’elle ne portait préjudice à personne. Beaucoup le prenaient pour quelqu’un d’éternellement placide et pieux, aux sourires suaves qui cachaient bien des choses. Mais lorsqu’on apprenait à le connaître, on découvrait un adolescent comme les autres, certes de bonne famille mais loin des lieux communs. Voilà pourquoi lui ne jugeait jamais les gens sur leur apparence. De nature altruiste et bon enfant, il avait pourtant redoublé d’efforts dès la rentrée, voulant rendre cette première et sans doute dernière année d’internat inoubliable. Jusqu’à présent, il n’était pas mécontent de tout ce qu’il avait vécu et des liens qu’il s’était forgés à seulement deux mois des débuts scolaires. Cependant, il était persuadé que leurs plus beaux souvenirs restaient encore à faire.

Il regrettait déjà qu’il n’y ait personne pour immortaliser leur duel qui s’annonçait encore plus folklorique que prévu. La main sur son ventre, il était partagé entre les douleurs de la famine et celles d’une récente hilarité qui lui avait presque coûté la vie. Il retira les quelques grains de riz qui avaient pris place autour de sa bouche et écouta attentivement les nouvelles consignes de son camarade. Qu’il ait officialisé ses pensées ne l’étonna guère, et ce fut avec une malice non dissimulée qu’il entra dans son jeu. Remettant ses mains dans son échine et se condamnant par la même occasion à ne plus les utiliser, il manqua de retomber dans un rire incontrôlé lorsqu’il aperçut Tatsuya lécher la chantilly mais ne s’y attarda pas longuement. A son tour, il reprit la course et avala ses boulettes de viande à une vitesse éclair, gonflant ses joues tel un écureuil à chaque morceau avant de le mastiquer pour diminuer le volume et l’avaler. Bien entendu, il se retrouva rapidement avec une barbe de sauce soja avec laquelle il luttait pour ne pas en faire tomber sur ses vêtements. Heureusement, ô grand dieu, qu’il avait pensé à attacher ses cheveux ! Il n’osait même pas imaginer le shampoing exotique qu’il se serait offert dans le cas contraire.

Parfaitement concentré, le kendoka fut soudain pris de cours lorsqu’un flash manqua de les aveugler. Il tourna la tête sur la droite pour découvrir un groupe de touristes étrangers – visiblement européens – qui les observaient dans leur lutte. Ces derniers semblaient particulièrement amusés de l’aplomb des deux étudiants et leur lancèrent des encouragements dans un dialecte germanique. Amusé par ce comportement, Ryo lança un coup d’œil en direction de son acolyte avant de reprendre son repas un peu particulier. Après quelques minutes de gobages et gavages en tout genre, les assiettes se retrouvèrent vides ou presque, il était temps de recharger les armes. Mais contre toute-attente, des mains déposèrent de nouveaux mets là où il y avait encore de la place. Quelques-uns des mêmes touristes que tout à l’heure s’étaient improvisés aides culinaires, et ayant tous choisi leur poulain, ils tentèrent quelques mots dans un japonais maladroit pour les soutenir. Absolument désabusé, le nippon se tourna vers son colocataire avec de grands yeux pétillants.

« Tatsuya-kun, on fait fort là… »

L’un des touristes attrapa une serviette et lui essuya la bouche, le faisant littéralement exploser de rire.

« Mince alors, je pense que ça devient sérieux. »

Qui aurait cru qu’un stupide pari tournerait ainsi ? Les réactions des autres clients étaient mitigées, certains affichaient des mimiques écoeurées, d’autres amusées et d’autres encore curieuses. En revanche, il n’était pas certain que les propriétaires toléreraient un tel chahut bien longtemps, il fallait espérer qu’il ne se fasse pas jeter dehors… Du moins pas avant la fin du repas.

Élève de la 3-A

Pouvoir s'amuser et manger en même temps ? Tatsuya n'aurait pas plus en demander plus, même si son ventre n'allait sans doute pas tarder à se rebeller. Manger et rire en même temps pouvait aisément lui filer des crampes d'estomac, et si c'était le cas, Ryosuke gagnerait par KO. Un autre inconvénient de cette technique était les grains de riz sauvages, qui, lors du gobage du riz sautaient un peu trop loin dans la gorge. Un poil désagréable, mais heureusement pour l'étudiant, il réussit à avaler sans s'étouffer.
Attrapant ensuite un morceau de porc conséquent entre ses dents, il rejeta la tête en arrière pour l'engloutir à la verticale. Très classe, distingué, ou alors, à choix, complètement ridicule. Mais soit, puisqu'ils expérimentaient le fait de manger sans les mains, autant y aller à fond. Le flash l'interrompit au moment ou le châtain admirait son colocataire qui imitait si bien le hamster, en gonflant ainsi ses joues. Médusé, son regard se porta sur les touristes allemands, auxquels il fit un gracieux clin d’œil.

La tournure que prenaient les événements l'enchantaient, pour un peu, il se serait presque jeté sur son camarade pour le prendre dans ses bras. Nulle doute que l'aura mystique de bêtise qui entourait Ryosuke devait influencer positivement les choses. Avec un peu de chance, les propriétaires du restaurant ne les jetteraient même pas dehors. Il se pencha pour terminer son omelette, et s'apprêtait à se relever, lorsque qu'une jolie Allemande, blonde comme les blés, lui tendit avec un sourire différentes assiettes. Depuis quand étaient-ils entrés dans l'établissement ? Aucune idée, mais la lumière dans son regard, quand il accrocha celui de son adversaire, était significative. Tatsuya s'amusait beaucoup.

« Oui...Avec un peu de chance ils penseront à une tradition régionale et bientôt plein de touristes d'europe débarqueront en exigeant de nous voir manger... »

Pendant un court instant, le basketteur s'imagina ce que ça donnerait. Les touristes devant le restaurant, les restaurateurs blasés, finissant par leur offrir un buffet par semaine parce que ça attire plein de touristes...Quel rêve magnifique.

Mais pour l'instant, ils en étaient toujours au duel. Et jamais l'étudiant ne déclarerait forfait. Il remercia poliment la jeune fille dont il était le champion, avant de replonger le nez dans son assiette. Et un, du bouillon, rapidement avalé, et deux, des légumes, engloutis, et trois...Du poulet recouvert de sauce piquante...Les choses se compliquaient. Le piquant lui donnait très soif, et rapidement, Tatsuya du recommander à boire. D'un geste, il héla la serveuse, lui demandant du coca pour lui, et de l'eau pour Ryo, dans le cas ou il voudrait encore boire. Sans attendre plus longtemps, il fonça sur le dessert, gobant les daifuku facilement, la maîtrise du manger sans les mains lui venant petit à petit.

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Une soirée épique qu’ils ne risquaient certainement pas d’oublier. Certes, Ryosuke n’irait jamais s’en vanter auprès de ses parents, surtout que sa mère était propriétaire d’un restaurant distingué et aurait succombé à un arrêt cardiaque si elle avait aperçu son pauvre fils. Mais on avait souvent des caractères quelque peu disparates lorsque l’on se retrouvait en famille que lors d’une excursion entre amis. Nulle question de dévergondage, peut-être un simple besoin d’évacuer la pression scolaire accumulée au quotidien, et un irrépressible désir de rappeler qu’ils n’étaient encore que des adolescents. L’envie de remettre la faute d’incartades behavioristes sur le compte de sa jeunesse, tant qu’il en était encore capable. Etre sérieux et mesuré oui, n’être qu’un simulacre de circonspection, non. Et ce n’était pas maintenant qu’ils étaient trop impliqués qu’ils pourraient faire machine arrière, sollicités par des étrangers en pleine ferveur. D’ailleurs si Tatsuya avait hérité d’une plus que charmante blonde aux mensurations de rêve, le kendoka lui… Se voyait masser les trapèzes par un quidam dégarni et à l’embonpoint certain. On ne pouvait pas tout avoir, dans la vie, alors autant se contenter de peu…

A son tour, il revint à leur bataille acharnée. Maintenant que de nouveaux plats trônaient sur leur table, il était temps de réattaquer. Sans se faire prier, le jeune homme reprit son gobage en omettant surtout pas de boire régulièrement pour soulager son estomac qui hurlait encore, mais d’une quantité de nourriture trop fournie cette fois. Il vit son acolyte flancher pour avoir trop joué avec une sauce irritante, et en profita de son côté pour finir – comme il le pouvait – ses nouilles sautées. Il ignorait si c’était cela, la sensation d’être enceinte, mais il pouvait clairement sentir son ventre d’un volume bien plus conséquent que lors de leur arrivée. Vitesse alliée à quantité, même son rythme respiratoire commençait à défaillir et un léger essoufflement venait lui annoncer qu’il était plein. Allait-il y arriver ? Il ne voulait pas abandonner, juste encore un petit peu…

Il n’eut néanmoins pas le temps d’attraper sa dernière boulette, puisque les assiettes empilées sur la table glissèrent soudainement comme un château de cartes pour finir avec fracas sur le sol. Que s’était-il passé ? Il n’en avait pas la moindre idée, dans tous les cas, ni Tatsuya ni lui n’avaient fait bouger la table pour tout déséquilibrer. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, le gérant du restaurant sortit de nulle part pour leur ordonner de s’en aller. Puis, comme si le burlesque des choses n’avait jusque là pas suffit, le propriétaire aux tremblements séniles s’arma d’un balais en se croyant dans un dessin animé. Les touristes tentèrent de le résonner dans des sonorités qui écorchèrent les tympans de Ryosuke, et avant que les choses ne finissent mal, celui-ci déposa une somme d’argent qui engloba le prix pour eux deux puis entraina son colocataire à l’extérieur. Du moins, il s’amusait à le pousser, puisqu’il fit le chemin à reculons sans cesser de se prosterner en répétant un « sumimasen » saccadé. Une fois à l’extérieur, il se frotta le crâne d’un air embêté.

« Je suppose que ça ne pouvait que finir ainsi… »

Il lorgna son camarade avec une frêle risette.

« De toute façon tu as gagné, je n’ai pas eu le temps de prendre de dessert, et je ne suis pas sûr que je l’aurais fait. »

Élève de la 3-A

Tout en mangeant, à un rythme un peu moins rapide à cause du plat épicé, Tatsuya en profitait pour admirer la belle allemande qu'il avait récolté. Même à San Francisco, le basketteur avait peu rencontré de filles aussi blondes et aussi jolies. Alors, certes, si lui n'avait pas le droit à un massage vigoureux, il avait encore mieux. Une nymphe à impressionner. Voir la fierté dans ses yeux, peut-être même l'aider à gagner un paris, qui sait ? D'un effort surhumain, le châtain termina son poulet et s'attaqua ensuite au riz blanc pour faire passer la sensation de brûlure. L'expression avoir les dents du fond qui baignent était particulièrement adaptée à la situation. Tatsu en était sur, son estomac était plein, et plus il mangeait, plus sa gorge se remplissait de nourriture, comme une oie qu'on aurait trop gavée. Seulement, une assiette de daifuku et une assiette de dango l'attendaient encore, semblant appeler son nom pour être mangés.

Alors qu'il se penchait pour gober un daifuku, du coin de l’œil, l'étudiant aperçu sa jolie princesse allemande appuyant ses fesses sur la table pour prendre la pose. Sans qu'il ait le temps de faire quoi que ce soit, tout vola. Son verre alla s'écraser plus loin dans un fracas, la sauce soja se répandit au sol. Comme au ralentit, le jeune homme se tendit, dans un geste ultime pour tenter de sauver son dessert perdu. Avant de se faire entraîner dehors par un Ryosuke qui se confondait en excuse, le glouton réussit à sauver quelques pâtisseries au vol. Même pour toutes les jolies allemandes du monde, il n'aurait pas voulu gâcher un tel délice.

Une fois dehors, et tandis que les allemands s'éloignaient un peu pour parler entre eux, Tatsuya fit un grand sourire à son colocataire en se massant le ventre.

« Je ne pensais déjà pas qu'ils nous laisseraient aller si loin. » Un rire lui échappa, rapidement contrôlé. Rire avec un ventre aussi plein était douloureux. « Mais ne t'inquiète pas, regarde ce que j'ai réussis à sauver... »

Les yeux brillants, il tendit un dango au kendoka. Dans son autre main, deux daifukus étaient au chaud, bien en sécurité. Le basketteur comptait les manger plus tard. Ce fut le moment que les allemands choisirent pour les prendre en photo. Le flash les éblouit, et l'américain fut immortalisé en train de tendre le dessert à son camarade. Son sourire s'élargit, et il leur fit signe, les saluant alors que leurs amis allemands s'en allaient vers leur guide, qui leur faisait signe plus loin.

C'est seulement à ce moment la que Tatsuya réalisa le nombre de grains de riz qui parsemaient son menton, et la sauce piquante qui s'étalait au coin de sa bouche. D'une main, il sortit un mouchoir et s'essuya, avant de le jeter dans une poubelle propre. Son ventre ballonnait, et une lente digestion s'entamait, nul doute qu'il dormirait comme un bébé cette nuit.

« Bon...On est de nouveau à égalité alors. Je propose qu'on marche en prenant notre temps pour rentrer, j'ai l'impression que je vais exploser... »

Humble, le châtain avait la victoire tranquille. Aucun besoin de fêter, de provoquer Ryo ou de s'afficher. Le fait qu'ils en soient revenus à égalité dans le décompte de leurs défis idiots ne signifiait qu'une chose: Ils devraient absolument recommencer pour se départager.

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