Suite de Une allure de révision

Avec l'assentiment de Hugh pour la coupe, ils n'avaient pas vu de raison d'attendre vu qu'ils ne comptaient pas se remettre à réviser, et avaient quitté le parc en discutant justement de ses fameuses révisions, comparant leurs méthodes de travail et les sujets de prédilection. Il était toujours bien plus facile de parler à Hugh des cours qu'à Kantaro. La manière blasée dont leur cadet parlait de ses cours et de ses notes, toujours supérieures à 90%, donnait à Eiji l'envie de l'étrangler ou de coller sa tête sous un oreiller. Au moins, avec Hugh, ils étaient sur la même longueur d'ondes, surtout pour leur plainte envers le sadisme du professeur de mathématiques. Si Hugh n'avait pas soutenu qu'il était véritablement humain, voir sympa – solidarité américaine sans aucun doute – Eiji n'aurait trouvé que des défauts à ce sale type.

Après un détour par la chambre – vide, sans surprise – pour déposer leur sac de cours, abandonné sans aucun remord, et récupérer au passage sa trousse de toilette avec tout ce qu'il fallait pour redonner une tête décente à Hugh.

Trente minutes après avoir quitté le parc, Hugh était assis sur un tabouret dans la salle de bain, une serviette éponge sur la tête, tandis qu'Eiji s’affairait au dessus de lui, une lame de rasoir aiguisée entre ses mains. Faire ça sur les cheveux d'un autre n'était pas nouveau – il l'avait déjà fait une fois ou deux dans son ancien lycée, encore avant Hamura – mais sur des cheveux blonds tout doux et tout fin par contre... c'était bizarre. Il avait même failli se couper le doigt en y allant trop franchement sur la première mèche, et avait fini par y aller par moment tout doux et délicat, de peur de raser l'américain de trop près.

" Bouge pas trop, je ne voudrais rien couper d'important..."

Peu probable : ses habitudes au kendo et au kyudo l'avait rendu tout, sauf maladroit, et ses gestes nets et précis avec la lame pouvaient rappeler ceux qu'ils utilisaient pour manipuler ou réparer son matériel de sport, là où l'a peu près n'avait pas sa place. Il était sur que son prof de maths -et ses autres profs en cours d'ailleurs – aurait apprécié qu'il fasse preuve de la même patience et de la même attention en cours. Malheureusement, il avait une limite à la concentration dont il arrivait à faire preuve chaque jour. Ca finissait par en être épuisant. Priorité mal placée, encore une fois...

"Tu veux que je raccourcisse sur la nuque aussi ? " Le jeune homme laissa échapper un bruit entre rire et grognement de frustration. " Écoute-moi, on croirait que je suis un habitué des salons de coiffure... le manque de sport me monte à la tête."

Il avait beau continuer à courir dans son coin, il devait avouer que depuis qu'il avait pris l'habitude des entrainements éreintants avec Tizziano-sensei, ne plus les avoir était agaçant, un manque qui trainait dans un coin de sa tête sans qu'il arrive à mettre précisément le doigt dessus. Ses muscles étaient déçus de ne plus être aussi martyrisés, si c'était possible.

Le trajet jusqu’à la salle de bain avait été l’occasion de se réfugier dans une confortable et rassurante discussion de purs étudiants laxistes à propos de révisions, de professeurs, et d’examens qui arrivaient inexorablement. Au passage dans la chambre, Hugh avait regardé avec amusement la trousse de toilette bien remplie du brun, mais s’était abstenu de commentaires, et l’avait docilement suivi dans la salle de bain, ou il avait suivi ses ordres, un peu gauche soudainement face à la situation. Contrairement à Eiji, qui ne semblait jamais autant à son aise que lorsqu’il avait un but et une chose concrète à faire.

Le blond se figea à la plaisanterie, traduite comme tel, mais pas forcement rassuré par ce rasoir qui frottait ses cheveux. Déjà qu’il lui arrivait de se couper le menton le matin, alors avec des lames comme ça… Mais son coiffeur improvisé semblait totalement à son aise.

« Moi les lames, je préfère ça sur des trames, c’est plus naturel ! »

Il évita de bouger malgré sa récrimination, toujours tressé à l’idée de coupures, stress provenant surtout de sa mère à vrai dire, qui avait toujours amplifié le moindre petit soucis relatif à sa santé. Mais malgré lui, enfant éponge, il n’avait put que suivre ses idées.

La question le fit rire, et il tourna un peu la tête, malicieux.

« Le manque de sport, ben voyons… N’essaye pas de trouver des fausses excuses, tu révèle juste ta vraie nature ! »

Il passa les doigts sur sa nuque, hésitant un instant. La chaleur moite du japon lui revint bien vite à l’esprit, et il acquiesça à la proposition. Il aimait garder une certaine longueur de cheveux, mais pour l’été, avoir la nuque dégagée ne lui ferait pas de mal.

« Après je suis pas sur qu’aimer trancher soit la qualité d’un bon coiffeur. C’est plus celle d’un kendoka non ? »

Après un temps de silence rythmé par le bruit du cutter sur ses cheveux, il réalise les paroles d'Eiji, et demanda :

"De quoi tu parles le manque de sport ? Tu veux me faire croire que tu révise tellement que tu fais plus de sport ? Alors que tu sort courir tous les matins comme un masochiste ? "

Il avait tourné la tête malgré les instructions, regardant Eiji avec interrogation.

Réussir à couper ses cheveux sans le couper relever de la gageure quand Hugh tournait la tête pour lui parler. Pour quelqu'un de si tendu à l'idée de se faire couper, il avait décidément bien du mal à rester immobile. Une fois ou deux, il fut même forcé de reculer complètement ses mains pour éviter de risquer d'entamer la peau du blond, avant de lui attraper gentiment la tête pour le remettre dans la bonne position et commencer à effiler les mèches de sa nuque, laissant tomber au sol de longues mèches blondes. Après la séance coiffure, ils auraient intérêt à trouver un balai dans la salle de bain s'ils souhaitaient ne pas laisser trop de traces derrière eux.

Des mèches dans les mains, Eiji s'interrompit un instant, regardant le visage de Hugh dans le reflet du miroir. Kendoka, coiffeur, bizarrement, les deux ne s'associaient pas parfaitement bien dans son esprit, au point de faire naître sur son visage un large sourire, alors qu'il répondait en interprétant volontairement de travers les paroles de l'américain.

" Essayer de couper des cheveux avec un katana... j'ai bien peur que ce ne soit un peu difficile. Je ne suis pas sur d'être encore assez précis dans mes mouvements pour ça. On pourra toujours essayer dans le dojo si tu veux."

Dans le Japon antique, c'était plus des têtes de criminels qui étaient utilisés pour vérifier si un katana était assez affuté, mais le remplacer par des cheveux... L'idée avait un charme décalé qui ne manquait pas d'être amusante. Surement un truc qu'on pourrait retrouver dans un manga en fait.
Une fois de plus, Hugh tourna la tête vivement, et Eiji sectionna net une mèche sans pouvoir retenir son geste. Avec un grognement, il attrapa la tête du blond un peu plus fermement et entreprit de cacher les dégâts, quitte à lui couper la nuque un peu plus court, avant de prendre le temps de répondre à une question qui le mettait toujours un peu mal à l'aise.

Il avait déjà du y faire face avec des membres du club d'athlétisme, perturbés que leur prof n'ai en plus pas dénié répondre à leur question, sauf en les envoyant courir quelques tours de terrains de plus. Pour sa part, il avait esquivé la question en parlant des révisions, du club de kendo, et parlant à demi-mot de soucis persos. Il ne savait pas si les autres avaient compris ou pas, mais le flot de questions avaient fini par se tarir, le laissant quelque peu à l'écart du club pour le moment. Après les examens et les vacances, se voir ignorer serait surement plus dur, mais en attendant, il en avait pris son parti.
Eiji ébouriffa les cheveux de Hugh et recula un peu, autant pour avoir une vision d'ensemble sur la tête du blond que pour le fixer en parlant.

" Ne pas courir serait du masochisme. Tu voudrais que je la mette où toute mon énergie ? Et je me suis fait virer du club d'athlé." Eiji attendit un instant avant de reprendre sur le même ton léger qu'il avait employé. " Je me suis battu avec le prof..."

Jusqu'au dernier moment, il avait hésité avant de révéler toute la vérité. Encore en cet instant, Eiji était choqué par la propre énormité de ce qu'il avait fait, et comment il avait pu en arriver là. En réfléchissant calmement, les éléments étaient faciles à retrouver : à bout de nerfs, la manière dont le prof l'avait cherché... mais même à cause de cela, il était impossible de justifier son acte.
Dans un vague mouvement pour reprendre l'activité suspendue, comme figée, Eiji tendit la main et ébouriffa la frange du métis.

" Ça doit être bon là."

Hugh ricanna à l'image d'un homme armé d'un katana pour couper les cheveux de quelqu'un. C'était proche de l'image qu'avaient les occidentaux du japon, mais risquait d'être fort peu pratique. Il agita les mains devant lui en signe de refus à la proposition, peu enclin à servir de cobaye pour une telle expérience.

Le blond sourit à la question sur l'énergie, ayant une idée très précise de ou et comment elle pourrait être utilisée mais se dispensant de commentaires. Au final, c'était assez impressionnant de constater à quel point le fait de côtoyer Eiji avait dressé et rabotées certaines de ses habitudes de clou qui dépasse : C'était avec lui qu'il avait finalement appris à modérer ses propos... Mais au final, c'était juste avec lui : Il conservait avec les autres son comportement débonnaire.

Le blond resta figé à la déclaration de bannissement du club d'athlétisme, et malgré l'attitude d'Eiji à cet égard resta surpris et figé, lui laissant ébouriffer sa frange sans trop s'en soucier.

« Attend, tu t'es battu avec... Mais comment ... »

Ca devait bien être la première fois qu'Eiji parvenait à lui couper le sifflet, mais les faits étaient d'une sacré ampleur. Il était partagé entre le choc de savoir que son ami s'était laissé aller à un tel débordement d'humeur, et la peine que l'idée d'un Eiji privé de son club défouloir lui procurait.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? »

Demanda t'il d'un ton inquiet, s'étant de nouveau tourné franchement vers Eiji maintenant que la menace du rasoir avait disparu. Sur l'instant, il se fichait bien de vérifier l'allure qu'il avait désormais dans le miroir, les révélations d'Eiji lui semblait bien plus préoccupantes. Et puis, comment avait il put passer à coté d'une chose pareille ? Le petit froid qui s'était installé entre eux avait passé sous silence bien plus de choses qu'il n'aurait put l'imaginer...

Avec un sourire gêné, Eiji nettoya son rasoir sous le robinet d'eau froide avant de le sécher puis de le ranger à sa place, gagnant un peu de temps avant de répondre à la question. Réexpliquer de bout en bout ce qui s'était passé n'était pas forcément agréable, d'autant que ça n'avait rien de glorieux. Les premiers jours, encore endoloris par les coups de son professeur, Eiji s'était baigné dans sa colère, ne trouvant pas vraiment à redire sur son comportement. Puis, au fil du temps, quand la colère et la douleur s'étaient estompées et qu'il avait pu penser à tête reposée, c'était plus un certain malaise qui l'avait pris.
Il se battait facilement – d'aucune aurait même pu dire beaucoup – mais s'était toujours débrouillé pour échapper aux pires conséquences, gardant les bagarres discrètes ou hors du lycée. Ce n'était pas si difficile à faire avec un peu de jugeote et contre des adversaires de son genre, qui ne voulaient pas non plus trop d'ennuis. Mais face au prof... il avait laissé tomber toute cette logique, toute cette retenue qui lui avait empêché d'être déjà expulsé une fois ou deux. Au delà de ça, même raconté logiquement, la scène paraissait surréaliste et le remettait forcément en cause.

Le jeune homme finit par se retourner, les deux mains appuyées sur le meuble alors qu'il fixait autre chose que Hugh. Le petit blond ne serait pas le plus étonné, pour avoir testé de première main les poings d'Eiji quand il était en rogne.

" J'étais en rogne à cause de Dojima, on s'était pris la tête en faisant l'exposé qu'on nous avait assigné, juste après je me suis pris de bec avec un 2ème année, Tizziano m'a choppé comme ça... je ne sais pas comme le ton a monté et il a tout fait pour me provoquer à me battre. Il a réussi. "

Le jeune homme posa la main sur son visage et secoua la tête. Non, raconté ainsi, même sans le moindre détail des insultes et autres titillages, il avait surtout l'air d'un abruti incapable de réfléchir autrement qu'avec ses poings. Ok, il était réellement une brute à craindre. Etrange qu'il n'ai pas encore fini dans un groupe de bosozoku, à terroriser un lycée de banlieue de son plein droit.

" Tu peux le dire, je me suis comporté comme un idiot... et j'ai de la chance d'avoir juste été viré du club, et pas du lycée."

Heureusement pour lui, il ne s'agissait "que" du club d'athlétisme. Moralement, il ne savait pas s'il aurait supporté de ne plus être dans le club de kendo. Non... ne plus avoir accès au dojo l'aurait rendu malade. C'était encore le seul endroit qui lui apportait un peu de stabilité.

" D'un point de vue positif, ça me laisse plus de temps pour réviser."

Vu où il était à cet instant même, ça n'était pas tellement crédible. Avec toute la passion qu'il mettait à fuir les révisions, incapable de se concentrer plus de 10 minutes d'affiler, il voyait venir les examens avec angoisse. Le seul point positif de l'affaire était qu'il avait de grande chance de se retrouver à suivre les mêmes cours de soutiens que Hugh. Maintenant qu'ils s'étaient réconciliés, l'idée était presque sympathique.

Le silence d’Eiji traîna en longueur, comme si celui ci cherchait ses mots. Ou alors s’était il perdu dans la remémoration de ces évènements mentionnés ? Il se retourna finalement, balançant quelques explications qui ne les convainquirent ni l’un ni l’autre, le blond affichant un air des plus perplexes tandis qu’Eiji se passait les mains sur le visage en soupirant.

Hugh pencha légèrement la tête de coté, songeur, observant son ami qui, finalement, laissa échapper quelques mots pour se donner l’air de voir le bon coté des choses.

« Et pour me refaire ue coupe de cheveux. Tu devrais te proposer pour les autres élèves qui révisent tellement qu’ils ne prennent pas la peine de sortir se faire dégager le crane de leur masse capillaire. »

Il sourit de toutes ses dents, avant de se relever, s’époussetant les épaules des dernièrs cheveux qui y étaient et de se regarder dans le miroir, passant la main dans ses cheveux. Les retouches étaient très correctes.

« Tu n’es pas assez con pour frapper un prof sans raison. »

Fixant son propre reflet dans la vitre, il chercha ses mots un instant, avant de reprendre :

« C’est vraiment grave ce que tu a fait, mais… Je te fais confiance. Tu devais avoir tes raisons. »

Réellement confiance ou envie d’avoir confiance, cette confiance aveugle et confortable dans laquelle on peut tout miser ? Ou alors une manière de réconforter Eiji. Un peu de tout ça. Mais une chose était bien vraie, c’est qu’il n’aurait jamais imaginé le jeune homme capable de porter la main sur un professeur sans raison valable. Après, il fallait voir son échelle des raisons bien sur…

Eiji secoua la tête, une expression génée sur le visage. La vision américaine de Hugh était à la fois effarante et rassurante. Depuis le temps, il aurait du y être habitué, à ces points de vue tellement franc qu'ils en étaient pour lui aberrants, mais bien souvent, il lui retombé sur le coin du nez, replaçant le métis à une place que ses cheveux blonds l’empêchaient de toute façon de quitter la plupart du temps.
Parfois, il avait l'impression que sa manière de prendre les choses étaient plus simple et qu'il se prenait moins la tête. Parfois seulement. Le reste du temps, il avait juste l'impression d'être le seul qui se posait autant de questions.

" Raison ou pas, ça reste impardonnable. J'aurai pu me faire virer... je suppose que la seule raison qui l'a empéché de le faire est qu'il m'a frappé aussi. Et il frappe plus fort que moi ce salaud. "

Il se répétait pour rien. L'adolescent secoua la tête et chargea son attirail de toilette dans les bras avant de désigner la porte de la tête à Hugh, se dirigeant tranquillement vers elle après avoir vérifié qu'ils ne laissaient pas de traces derrière eux. Vu la chaleur du dehors, il avait presque envie d'une bonne douche fraiche, mais s'il continuait à ce rythme, il ne ferait vraiment rien de sa journée, presque un crime dans cette période pré-examen. Dommage que son côté lycéen travailleur ne daigne pas se manifester de forme plus véhémente qu'avec quelques vagues regrets. Kantaro allait surement faire une rupture d'anévrysme quand il verrait les noms de ses deux colocataires en fin de la liste des résultats.

" On rentre à la chambre ? Je vais essayer de plancher un minimum sur les exams quand même. Au moins lire un chapitre ou deux d'histoire. "

Même s'il n'y croyait pas vraiment, il ne pouvait faire autrement qu'essayer de maintenir un minimum ses notes. A quel moment était-il devenu aussi laxiste et peu intéressé dans ses études ? Par moment, il avait l'impression d'être passé dans une autre dimension, ou un autre lui-même, moins sérieux et plus centré sur des intérets bénins, vivait à sa place.
Eiji retint un reniflement. Ca pourrait surement faire un sujet intéressant pour un manga que Hugh dessinerait, avec la même obstination que lui à éviter soigneusement les révisions ou tout ce qui pouvait s'en rapprocher.