Pour la première fois depuis le début de la semaine, le retour à Gingko ne lui fit pas grincer des dents. Enfin après la nuit qu'il venait de passer, il n'avait plus assez d'énergie pour se prendre la tête et tout lui coulait sur le dos comme l'eau sur les plumes d'un canard. L'image mentale lui arracha un sourire sarcastique : il en était presque revenu à son comportement initial qui était de se foutre de tout, du moins en apparence.

Apparence, qui, pour le moment, n'était pas hyper rassurante avec la marque laissée par le poing de Kagome sur son visage. Avec un peu de chance, elle aurait suffisamment régressée pour ne pas être trop visible lundi quand il donnerait ses cours. De toutes les marques dont il avait écopé au cours de la nuit , c'était la seule que le port judicieux d'une chemise à col fermée ne cacherait pas.

Un jappement bref le tira de ses pensées, suivit aussitôt par l'agression simultanée de deux pattes boueuses sur ses jambes. Hiro jappa une nouvelle fois pour signaler sa bonne humeur, la queue battement follement. Et qui disait Hiro en train de courir... Cathan distingua la silhouette rousse de Aku qui arrivait au petit trot derrière son chien, une laisse cassée entre les mains. En baissant les yeux, il remarqua effectivement l'extrémité tordu d'un maillon qui s'était ouvert. 
La dernière discussion entre les deux frères avaient tourné court à cause de sa colère, le rendant incapable de prendre assez de recul pour discuter avec l'autre fruit de son géniteur – techniquement, il y en avait encore d'autre, mais Aku était le sul qu'il reconnaisse.
Maintenant... un rictus s'étira sur les lèvres de Cat, le genre de sourire que Aku ne lui avait pas souvent vu.

« Ah, Aku, parfait.»

Sans lui laisser vraiment l'occasion de discuter, l'ex-agent attrapa son demi-frère par le poignet et le tira derrière lui dans un poigne trop forte pour être défaite à moins de réellement se battre. Il fallait croire que la soirée et la nuit qui avait suivi l'avait privé de toute forme de délicatesse, ce qui serait sûrement le cas jusqu'à la prochaine nuit de sommeil.

La porte de son appartement se referma sur eux deux . Théoriquement, le bibliothécaire était absent pour le week-end, et l'italien et l'indienne en train de convoler quelque part, parfait pour la tranquillité. Le métis poussa son cadet vers le sofa et lâcha le chien dont il avait attrapé le collier pour le faire rentrer à la dernière minute.

« Il faut qu'on parle. »

Encore que.

« Non, en fait, je vais me changer avant. Fait du café pendant ce temps. »

Sur ces belles paroles, Cathan abandonna un Aku probablement surpris pendant qu'il allait s'enfermer dans la salle de bain, histoire de reprendre une apparence un peu plus décente, si on oubliait les quelques décorations sur son visage.

Mais qu'est-ce qu'avait fumé Cathan ? Il n'en était pas au point d'avoir recouvré son comportement du début, mais il y avait chez lui une décontraction et une bonne humeur qu'Akutsu ne lui avait plus vu depuis un moment. Et une superbe marque au visage, aussi, qu'il était difficile d'ignorer et faisait naître dans les yeux du cadet une multitude de points d'interrogation.

S'il n'avait pas commenté le largage de chien et de petit frère dans l'appartement - la surprise ne lui en avait pas laissé le temps et il n'avait que marmonné un "lâche-moi bordel" qui fut ignoré - il laissait dorénavant cour à sa perplexité. Malheureusement l'akita inu semblait plus occupé à renifler l'appartement qu'à lui rendre son regard dubitatif et ce fut avec un haussement d'épaules pour lui-même qu'il alla effectivement préparer le café. Quant à la laisse, elle se retrouva bien vite abandonnée sur le comptoir.

« Tu veux bien m'expliquer ce qui te prend ? » apostropha-t-il finalement son aîné en se tournant vers lui lorsqu'il l'entendit descendre les marches. « Je te préviens que si c'est pour encore me prendre la tête, je repars promener Hiro. »

Enfin courir après pour le rattraper, surtout.

Ce fut un Cathan plus frais mais toujours de bonne humeur qui redescendit dans le salon en enfilant un t-shirt propre. L'odeur corsée du café l'accueillit comme les bras tentateurs d'une maîtresse – en moins agressif ceci-dit – attirant l'américain plus sûrement qu'un missile à tête chercheuse ne fonce sur sa cible. Sans prendre garde à la retenue de son petit frère, Cat servit deux tasses avant de s'appuyer sur le comptoir, grattouillant machinalement un Hiro revenu à la charge.

« Non, ça va, je me suis assez défoulé pour être maintenant capable de tenir une conversation sans avoir envie de tuer tout ce qui me fait penser à notre père. »

Un sourire rendu plus sarcastique que prévu à cause de sa nouvelle décoration étira ses lèvres. S'il avait su que se défouler brutalement serait aussi efficace... il n'aurait pas laissé Aku l’empêcher de mettre son poing dans la figure de son géniteur. Une gorgée de café vint effacer le sourire qui devenait un peu trop déviant sur son visage, pour laisser place à des pensées un peu plus modérées.

«Désolé pour ces derniers jours Aku. Je sais que tu n'avais rien à voir avec sa présence, mais je t'ai mis dans le même sac. Et je déteste être pris en défaut, ce que cet enfoiré a fait de manière magistrale. Je n'en ai pas tellement l'habitude. »

Surtout depuis son arrivée au Japon où il avait pris l'habitude de mener la danse au milieu de tous ces gens qui ne connaissaient ni son passif ni l'étendue de ses capacités. Se voir rappeler qu'il n'était pas le plus gros prédateur du coin restait vexant.

Cathan était-il malade ? Fiévreux ? Shooté ? De toutes les choses auxquelles Akutsu s'attendait - et ça comportait effectivement un comportement à peu près civilisé - l'entendre s'excuser pour son comportement n'en faisait pas parti. A bien y réfléchir, il ne se rappelait pas d'une seule fois où Cathan avait eu cette réaction mais... il ne se rappelait pas d'une seule fois où il en avait eu besoin non plus.

« Ouais... » Un sourire incertain étira ses lèvres, témoin de la bataille entre son envie de taquiner Cathan et le reste d'amertume qui l'animait. « Bah, de toute façon le vieux a jamais été fin psychologue avec ses rejetons et j'ai un peu abusé aussi. Désolé pour ça. »

Sans que son regard lâche durablement le visage amoché de son frère, il alla récupérer la seconde tasse de café, à laquelle il ne pensait pas toucher mais qui avait le mérite de lui occuper les mains. Et s'appuyant sur le comptoir de la cuisine, il reprit :

« Qu'est-ce que tu t'es fait au visage ? T'as l'air aussi frais qu'un sushi périmé. »

Cathan haussa les épaules, toujours accroché à sa tasse de café. Penser à ce qu'avait pu léguer son géniteur au niveau caractère à ses rejetons ne faisait pas parti de ce qu'il avait envisagé de faire en attrapant Aku dans le parc. Pour un peu qu'il est vraiment réfléchi précisément à ce qu'il avait compter faire avec son frère, à part revenir sur un terrain où ils se parlaient.

A la mention de son bleu, il toucha avec délicatesse la marque laissée par le coup de Kagome. Encore bien sensible.

«  J'ai trouvé un adversaire à ma hauteur quand il s'est avéré que me prendre la tête avec toi ou menacer Jiro ne suffisait pas à passer mes nerfs. J'ai presque visé trop haut, je manque d'entraînements ces derniers temps. »

L'honnête sourire gourmand sur le visage de l'américain signifiait tout ce qu'il avait pensé de sa rencontre, y compris pour les détails que le plus jeune ne pouvait pas envisager à la seule vue de sa marque sur le visage.
Être entièrement ouvert avec son frère était une nouveauté pour lui, nouveauté qui ne durerait pas éternellement devant ses habitudes personnelles de tout contrôler. Mais pour le moment, il jouait avec autant d'entrain qu'un chat avec un mulot.

Un adversaire à sa hauteur. Akutsu se demanda bien qui pouvait être à la hauteur de Cathan, au juste. Ou plus exactement à quel niveau s'était élevé l'échange, quoi qu'à la manière dont son frère en parlait, il devait être plutôt bon. Pour un peu il aurait été curieux de voir ça, mais une part de lui estimait qu'il s'agissait d'une de ces zones de vie privée à laisser libre de tout regard extérieur chez Cat'. Et, effectivement, il ne pensait pas un instant au sexe. En revanche et malgré son instant de réflexion, il n'avait pas perdu de vue une partie importante du discours.

« Pourquoi tu as menacé Jiro ? »

Comme tout bon preux chevalier, le plus jeune des rouquins s'était tendu et légèrement refermé, prêt à défendre son ami contre les méthodes qu'il connaissait absolument dénuée de douceur de son frère. Et surtout, surtout, il ne voyait pas pourquoi il y avait besoin de menacer un type comme Jiro : il n'aurait même pas fait de mal à une mouche (sauf si elle se trouvait malheureusement sur la cible au kyudo).

Hum, il aurait du se douter que ce morceau de la conversation ne passerait pas inaperçu pour l'adorable chiot protecteur et loyal qu'était Aku. Cathan replia son poing sous son menton, laissant filer quelques instants alors qu'il buvait à nouveau un peu de café. Jiro. Pour être honnête, s'il n'avait pas été d'humeur aussi massacrante ces derniers temps, il aurait peut-être mis son nez dans cette affaire de manière moins frontale. Mais là encore, rien n'était moins sur tant un fossé monumental d'incompréhension le séparait d'avec le professeur d'espagnol.

« Parce que c'est le rôle des profs de protéger les élèves, si j'ai bien compris le concept que vous prêchez tous les deux. Assez ironique de sa part, sauf si les relations avec les élèves font parties de ses méthodes bien sur. »

Malgré le ton goguenard, l'expression de l'américain s'était faite plus sérieuse et plus dure, exposant plus qu'en aucun mot ce qu'il pensait réellement de ce genre de relation. Que Jiro lui ai avoué des sentiments pour le gosse ne rendait pas la chose plus saine pour autant, quoi que celui-ci en pense.
Fichus japonais aux mœurs pas toujours respectables.

D'un geste tranquille, il se resservit en café – non, il ne comptait pas dormir pour le moment.

« Mais on devrait peut être laisser de côté les petits secrets de chacun. Sauf si tu as des questions ? »

Une ouverture qu'Aku risquait de ne pas re-entendre de si tôt.

« Il couche avec Kimihiro ? »

La question avait fusé sans qu'il réfléchisse et il la regrettait déjà. Ça faisait bien un moment qu'il s'en doutait, mais pour voir son protégé et son ami être bien plus heureux depuis sensiblement le même moment, il n'avait pas cherché à approfondir la question. Indéniablement pourtant, il avait conscience qu'il aurait du et il était très étrange de se dire que Cathan, sur ce coup, avait plus assuré dans son rôle que lui. Pourtant ce n'était pas un mea culpa qu'il tenait à faire en ce moment même, mais bien avoir confirmation de ses doutes. Et tant pis s'il faudrait ensuite qu'il explique pourquoi il avait immédiatement songé au jeune kendoka.

Un bref éclat de rire marqua la spontanéité de la réponse de son demi-frère. S'il avait eu le moindre doute concernant Jiro et son amant... Akutsu aurait achevé de les confirmer. Le fait qu'il le sache et ne s'en préoccupe pas plus que ça était plus dérangeant, mais une fois de plus, la différence d'âge devait entrer en jeu.

« Oh, tu vois, tu connaissais déjà la réponse. C'est si courant au Japon ? »

Vague curiosité mélangée à un peu d'agacement – qui n'avait absolument rien à voir avec les faits récents – juste un sens aigu de ce qui était malsain du point de vue d'un américain patenté. Et ce même si l'élève en question était plus grand et plus large qu'Aku. Les deux autres profs n'avaient tout de même pas besoin qu'il leur explique la notion de personne avec ascendant et la domination aisée que pouvait avoir un prof sur un élève, non ?

Un grattement insistant appela son attention là où Hiro tentait d'ouvrir le placard, à la recherche de quelque chose à manger ou d'une bêtise à faire. Cat tendit le bras et attrapa le collier du fautif pour le ramener près d'eux, sourd aux gémissements du jeune chien.

« Sale gosse. »

Aucun sourire ne vint étirer ses lèvres, rien, quand il vit Cathan attraper son chien pour qu'il cesse de fouiller les placards à la recherche d'un peu de nourriture. Était-ce si courant au Japon ? Il savait bien de quoi son frère voulait parler. La différence d'âge, déjà. Ils en avaient discuté à d'autres occasions et sans que Jiro soit impliqué dedans heureusement. Plus gênant...

« Non... » souffla-t-il finalement dans un soupir. « Non et je ne savais pas que Jiro et Kimihiro étaient ensemble, ça ne me surprend simplement pas. »

Et ça ressemblait presque à un mensonge. Il n'en avait jamais eu la confirmation, mais une part de lui savait très bien ce qu'il en était. Il avait juste choisi sciemment de l'ignorer.

« Ils étaient malheureux, l'un et l'autre. Kimihiro était paumé, on a pas mal discuté de ses problèmes personnels. Un peu après, au retour des vacances d'été, on les retrouve rayonnants l'un et l'autre. Tu sais comme moi qu'ils ont toujours été très proches, alors pour que ce soit aussi simultané... »

Réalisant qu'il avait finit par regarder un peu plus bas alors qu'il parlait, Akutsu revint accrocher son regard à celui de son frère.

« Tu connais Jiro comme moi. Il n'irait jamais profiter de Kimihiro-kun. »

Ça ne l'empêchait pas de penser déjà à une bonne partie des choses que Cathan risquait de lui répondre. Jiro n'en profitait pas, non, mais il y avait tout un tas de raisons qui pouvaient laisser penser le contraire.

Une fois relaché, le chien fut heureux de s'affaler comme une flaque aux pieds d'Akutsu, tapis animal vivant et remuant de la queue à intervalles réguliers. Si les élèves avaient été aussi faciles à dresser... Mais une fois n'était pas coutume, ils n'étaient pas au cœur du débat. Ou de manière détournée.

« Je ne pense pas Jiro capable d'abuser d'un élève, et c'est sûrement la seule raison qui fait que je n'ai pas été en parler au directeur. Tu as beau être à peine plus vieux que tes élèves Aku, tu sais comme moi l'ascendant qu'un prof peut avoir sur ses élèves. Sans compter l'adoration des gosses d'ici pour leur sensei. Même s'il n'essaie pas d'en jouer... et tu dis toi-même que le gosse était paumé.»

Cathan haussa les épaules en fixant son demi-frère. Si celui-ci n'arrivait pas à voir le mal, lui n'arriverait pas à le voir comme quelque chose de sain. De toute façon, les histoires d'amour soit-disant passionnée... si le lycéen était tant en manque que ça, il aurait mieux fait de trouver un autre de ses camarades aussi en manque que lui pour tester leur sexualité plutôt que d'aller voir un professeur pour ça.

« Oui, parce qu’il n’assumait pas d’être gay. »

Même si ça n’expliquait pas tout. Avec un sourire vaguement amusé à l’égard de son chien, Akutsu s’accroupit pour caresser vigoureusement la bestiole à moitié sur ses pieds. Cela sembla convenir à Hiro dont la queue se fit à battre plus rapidement alors qu’il se tortillait, laissant au jeune enseignant le temps de composer la suite de sa réponse.

« Je suis d’accord avec toi Cathan, par rapport à l’ascendance involontaire que Jiro aurait pu avoir mais… Dans le cas présent, j’ai du mal à y croire. Tu as Kimihiro-kun en cours comme moi, tu sais à quel point il supporte les enseignants et les voit en modèles. La seule raison pour laquelle il m’écoute, c’est précisément que j’ai à peine l’air plus vieux et je lui parle hors des cours. Quant à Jiro, je parierai sur le kyudo. »

Kyudo que le kendoka avait arrêté avec les cours d’espagnol à la période où il était perturbé, Akutsu avait été vérifier. Et ce fut avec un léger soupir qu’il cessa de caresser son chien, levant le nez vers son frère pour finir.

« Et pour le moment je crois qu’on ferait plus de mal que de bien à aller voir le directeur. »

Et bien il devait assumer beaucoup plus ces derniers temps, sans même prendre en compte la photo où il se tenait à côté d'une drag-queen dans un club SM de Hachioji. C'était bien tout ce que cette photo prouvait : que piqué dans le bon sens, un adolescent faisait exactement tout ce qu'on voulait.
La main refermée sur sa tasse maintenant vide, l'américain écouta posément la réponse désespérée de son demi-frère, pour finalement secouer la tête.

« Je sais, c'est pour ça que je ne l'ai pas fait. Je n'étais pas tout à fait assez de mauvais poil pour foutre totalement la vie de Jiro en l'air, et les plonger tous les deux dans un marasme digne d'un mauvais roman d'amour. »

La seule bonne solution effective aurait été que Jiro retombe de son petit nuage où il était soi-disant amoureux et envoie dans les roses son amoureux si bien accroché. Tout autre possibilité était tout juste bonne à convaincre un ado têtu qu'il était sur la bonne voie et que le reste du monde voulait juste l'empêcher d'avoir ce qu'il voulait. Ca ne voyait pas beaucoup plus loin que le bout de son nez à cet âge. Déjà que plus vieux... Son sourire se fit plus ironique en contemplant Akutsu. Ça ne changeait pas des masses en vieillissant en fait, américain rouquin métis compris.

« Tu en discuteras avec lui si tu veux. Je crois qu'il va m'éviter pour les temps à venir. »

La discussion finissait par se tarir, finalement. Ils étaient d'accord sans l'être et en parler entre eux n'arrangerait strictement rien au problème. Un sourire aussi taquin qu'ironique étira tout de même les lèvres du plus jeune à la suggestion de son aîné. Aller voir Jiro à ce sujet ? Il lui ferait peut-être comprendre un jour qu'il savait pourquoi il ne pouvait plus le voir le week-end, qu'il savait pour Kimihiro. Un jour. Pour le moment, il préférait ne pas s'en mêler. Ni risquer de finir confident à propos d'une histoire qui le mettait mal à l'aise.

« Il faut dire aussi que tu manques de tact. »

Son sourire se fait plus amusé et grandit, tandis que son chien réclamait à nouveau son attention. Il le gratifia d'une ultime caresse avant de se redresser, ce que Hiro prit comme un signe pour faire de même, la queue battant un rythme fou.

« Content de te voir à nouveau détendu en tout cas. Je suis sûr que tes élèves apprécieront également. »

Cathan éclata de rire à l'évidence. Il ne manquait pas de tact : il n'en avait juste pas eu l'usage face à Jiro. En fait, depuis qu'il était au Japon, la seule fois où le tact et la finesse auraient pu lui servir, ses nerfs avaient lâché avant qu'il puisse en faire usage. L'ex-agent n'était pas sur que cela aurait pu servir de toute façon : sur ce plan, le vieux avait des années d'expérience de plus que lui cet enfoiré. Au mieux, ça n'aurait été que reculer pour mieux sauter.

« Pourquoi ? J'adore mes élèves tétanisés et silencieux, en train de se jeter des regards de lapin affolé dès qu'on entend une mouche voler. Ils n'ont jamais été aussi attentifs. »

Il haussa les épaules et se leva pour aller laver sa tasse, accompagné d'un cliquetis caractéristique de griffes sur le sol qui indiquait qu'Hiro avait cru de bon de le suivre. Raisonnement prouvé quand le chiot posa ses pattes et le bout de son museau contre le meuble pour voir ce qu'il faisait, sa langue déroulée dans un long serpentin. Mû par une pensée, Cat rinça sa tasse une première fois puis la remplit d'eau froide avant de la tendre à l'animal qui commença à laper avec ardeur, apparemment assoiffé depuis sa balade.

« Des années de rancœur, ça ne passe pas en quelques secondes. »

Il pouvait difficilement le nier après coup : même s'il avait toujours cru l'avoir résolument mis de côté, il avait au final construit une lourde rancœur envers son géniteur absent. Rancoeur qui avait explosé en croisant quelqu'un de tout aussi manipulateur et peu émotif que lui.

Un sourire éclaira ses traits. Que Cathan trouve satisfaction à voir ses élèves terrorisés ne l’étonnait pas beaucoup vu l'amour qu'il portait à ses élèves, à leur questionnements, à leur tâtonnements. Et malgré les révélations de leur père restait une question récurrentes : que faisait-il ici ? Car si Akutsu voulait bien croire que ça n'avait rien à voir avec la famille, ça n'expliquait toujours rien. D'ailleurs, même si ça avait eu un rapport avec eux, pourquoi professeur de lycée quand il aurait pu être ingénieur quelque part ?

« Je le sais. » conclut-il en sortant de ses pensées lorsque son frère reprit la parole. « Je suis même très bien placé pour le savoir. Ne vas pas croire que je te reproche ta rancœur, elle est compréhensible. »

Tout de même, il n'en était pas arrivé au stade où il demanderait à Cathan de pardonner son père. Et tant pis s'il n'y avait peut-être rien à pardonner, sinon un rapprochement très intime avec sa mère, lequel avait donné lieu à la naissance du roux. Enfin, maintenant, le paternel avait donné de bonne raison à son bâtard de le haïr.

« C'est totalement fou cette situation. »

Sa phrase sortit dans un soupir las, alors qu'il grattait la tête de son chien.

« Jiro sait pourquoi tu étais de mauvaise humeur au fait ? »

Un demi-sourire répondit à cette affirmation. Réussir à tomber sur le même lycée qu'un demi-frère inconnu jusque là... les probabilités avaient carrément été explosées sur le coup. Aurait-il voulu le faire exprès qu'il aurait eu du mal à réduire les probabilités pour trouver juste le travail idéal pour être au même endroit qu'un autre membre de sa famille.

« Nous n'avons pas tellement pris le temps de discuter de moi. On verra quand on se reparlera. »

Hiro abandonna son eau pour donner un coup de gueule trempée dans la main qui le caressait, rappelant une nouvelle fois à Cathan pourquoi, s'il aimait bien la brave bête qu'il avait offert à son frère, il n'en voulait pas pour lui. La tasse reprit le chemin de l'évier pour y être abandonnée une nouvelle fois, alors que l'américain croisait les bras sur la poitrine en considérant le jeune japonais.

«  Allez vas-y, pose les questions que tu crèves d'envie de poser. »

Il ne garantissait pas les réponses, mais ça, Aku devait déjà s'en douter.

Des questions ? Akutsu continua à caresser la tête de Hiro tout en s'interrogeant sur ce qu'il pouvait demander à son frère, indifférent à l'eau mêlée de bave qui dégoulinait de sa main. Il n'avait, finalement, pas grand chose à lui demander, réalisa-t-il. Peut-être qu'apprendre aussi soudainement ce qu'il faisait avant de venir au Japon l'avait un peu douché, et s'il était encore curieux au sujet de quelques détails, Akutsu ne se montrait pas impatient de le savoir pour autant.

« D'autres personnes sont au courant ici ? A part le vieux et moi ? »

La question posée, le rouquin s'écarta de la brave bête enthousiaste pour aller se rincer la main et attraper un bout d'essuie-tout quelconque pour essuyer le sol. D'ailleurs, à bien y regarder, l'appartement était franchement propre pour un lieu où vivaient trois gars qui n'avaient pas l'air particulièrement soucieux du rangement...

Un sourire narquois effleura le visage de l'américain sur ce qui signifiait cette question en particulier. Et sur la réponse qui avait eu de quoi le foutre en rogne en début de semaine. Avec le recul, il n'en voulait plus autant à Gabriel : au contraire, avoir quelqu'un avec qui pouvoir parler franchement armement et tactique était réelleemnt distrayant.

"Gabriel. Du moins pour la partie ex-job, pas pour la partie familiale. Il a correctement mérité ses galons de journaliste observateur. Allié au fait que nous nous sommes en fait rencontrés il y a quelques années aux States."

A l'observation, l'américain haussa les épaules, tant par le nombre de coïncidences qui marquait son séjour au Japon que par le fait qu'il n'avait pas réussi à se souvenir de toutes les personnes qu'il avait eu sous sa juridiciton à un moment ou un autre de son travail. A sa décharge, malmener un peu un journaliste pas forcément connu - à ce moment - n'était pas un cas qui méritait que l'on s'y attarde. Le blond ne s'était même pas révélé réellement dangereux à court ou à long terme. Autre vie, autre circonstance... à aucun moment il ne s'était attendu à devoir mêler les deux.

« Ah ouais ? »

Le ton était interrogateur, quand bien même Akutsu continuait d'essuyer au sol les traces d'eau que son chien avait dispersé. Un peu de surprise filtrait également, mais il ne leva pas les yeux pour autant, trop attentif aux mouvements de Hiro qui maintenant lui tournait autour. Celui-ci semblait particulièrement intéressé à ses mouvements et les très possibles âneries à faire.

« Il ne t'en veut pas trop pour ça ? »

Gabriel Ritter. Avoir un ancien journaliste aussi près de Cathan et lui ne lui plaisait pas énormément, quand bien même le journaliste comblait ce menu défaut par un physique qui laissait rêveur. Les questions de celui-ci lui avaient marquées l'esprit au fer rouge. Combien de temps encore le secret tiendrait-il avant que l'Allemand ne l'évente joyeusement, faute d'avoir autre chose à faire de plus intéressant ? Et quand bien même, s'ils n'étaient ni amant – une pointe de gêne à cette idée le fit découper une feuille d'essuie-tout de travers – ni de simples amis car trop proches pour ça... le choix devenait restreint. Akutsu préféra chasser l'idée de son esprit.

Cathan haussa les épaules. Il n'avait pas été si brute que ça. Pas forcément délicat, motivé par la fougue d'une jeunesse pas encore tempéré par l'expérience, mais le cas ne tenait pas de la bavure qu'il fallait mieux enterrer.

«  Les aléas de son job et du mien. Et ne te fie pas à ce qu'on voit dans les séries, il n'a même pas été sérieusement amoché. »

Le sourire de chat était de retour, moqueur, ne laissant pas deviner s'il disait la vérité ou ne faisait que l'édulcorer.

« Il m'a certifié qu'il n'en dirait rien... ce que je veux bien croire. Il faisait dans l'actu international, pas dans le ragot. Si tant est qu'on puisse faire confiance à un journaliste. »

Entre ceux qui préféraient bosser sous la relative protection de l'anonymat, et ceux qui voulaient clamer la vérité à tout prix, difficile de s'entendre. De toute façon, qu'ils soient des idiots idéalistes, ou juste avides de sensations fortes ou d'argent, les fouille-merde étaient juste chiants à gérer dans toutes les situations.

« Pas trop amoché ne veut pas dire pas du tout. » constata-t-il en tentant d'étouffer la réprobation dans sa voix.

Akutsu se releva pour aller jeter les morceaux d'essuie-tout trempés dans sa main, le rouleau dans l'autre qu'il posa sur le comptoir. L'actu internationale... ça ne l'étonnait pas franchement, il comprenait aussi un peu mieux que le blond fasse encore pas mal de sport malgré sa jambe, ou l'aura qui se dégageait de lui. Par bien des aspects, il ressemblait à son frangin... sauf qu'il avait l'heureuse idée de ne pas avoir de lien familial avec lui.

Un sourire éclairait ses traits quand il se tourna vers le grand roux, sourire qui souleva le coin de ses lèvres ensuite. Il resta une ou deux secondes à détailler son frère, s'éclaircit la voix et enfin répondit.

« En fait, vous êtes tellement semblables et tu as si peu foi en sa parole que je me demande si tu parviens à te convaincre toi-même. Ça ne t'arrive jamais de douter de ce que tu avances ? »

Impossible de ne pas entendre la taquinerie dans sa voix, ni le jappement approbateur du chiot pour pourtant ne comprenait pourtant rien à la conversation. Akutsu lui flatta la tête pour le remercier de son soutien. Ce chiot était une perle.

L'américain passa un bras au dessus des épaules de son cadet et le ramena contre lui avec une force suffisante pour interdire à son demi-frère de tenter de résister, en bonne brute qui en profite pour maltraiter le plus jeune que lui.

« Petit con. Tu sauras que j'ai toujours raison. Et si c'est pas le cas, j'ai d'autres arguments à faire valoir. »

Heureux, Hiro sauta contre eux, une patte sur chacune de leurs jambes, tendant le museau dans l'espoir d'attirer l'attention sur lui. Dommage pour le chiot, l'américain n'avait d'autre idée en tête que de faire subir des misères à son demi-frère.

« Ça t'emmerderait à ce point qu'il capte les infidélités de Daddy-dearest ? »

De son point de vue, il préférait largement que soient révélées aux mondes les habitudes extra-conjugal de leur paternel que son manque de fidélité au FBI par exemple, mais il était encore trop tôt pour parler de ce point de détail.

Crétin d'américain ! Profitant de sa force bien supérieure à celle du cadet, lequel était pourtant sportif, Cathan l'avait attiré entre ses bras où Akutsu se demanda quelle serait la suite. La position, quoi qu'un peu inconfortable pour lui, sembla néanmoins contenter son aîné et son chien, lesquels entreprirent respectivement d'en rester là et de poser ses pattes sur eux. Et un sourire revint sur son visage à la réponse du roux, sans qu'il ait besoin de faire un gros effort pour savoir de quels arguments il parlait. Cathan savait se montrer percutant quand le besoin s'en faisait sentir.

Pourtant son amusement s'acheva aux premiers mots en anglais de son frère, lui faisant l'effet curieux d'une douche glacée. Si ça l'emmerderait ? Pas qu'un peu ! Akutsu s'était toujours gardé d'aborder la chose dans le détail avec son aîné, mais force était de reconnaître qu'encore une fois, celui-ci lisait en lui comme dans un livre ouvert. Il fut tenté un instant de s'écarter de Cathan pour répondre, mais la position était telle qu'il n'avait pas à le regarder dans les yeux, et quelque part c'était mieux. Un couinement de Hiro lui offrit même une diversion, sa main venant se perdre sur sa tête qu'il gratouilla quelques instants.

« Ouais. Ouais, ça me ferait chier. J'ai beau ne pas supporter mon paternel ou d'autres de la famille, ni même vouloir que tu te planques, j'aime mieux... qu'on évite les scandales. »

A la crispation qui maintenait ses muscles contractés et le léger mouvement de tête qu'il fit pour observer Hiro, Cathan devait bien comprendre qu'il se sentait gêné de révéler quelque chose comme ça. Réellement, il aurait voulu ne pas avoir à cacher une chose pareille : même si son aîné n'y tenait pas, le roux méritait au moins d'être reconnu. Parallèlement à ça, force était de reconnaître que, d'une certaine façon, il privilégiait sa famille. Et réaliser qu'il ne les mettait pas tout à fait au même plan accentua son malaise.

Loin de lâcher son demi-frère, Cathan le fit tourner dans ses bras jusqu'à l'avoir en face à face. S'il avait voulu, il aurait pu facilement le manipuler dans n'importe quelle position mais il n'était pas là pour lui prouver qu'il pouvait le faire. A la place, l'américain se contenta d'attraper le visage de son frère entre ses mains, les yeux dans les siens, un sourire désabusé sur les lèvres.

« Quand ma mère s'est brouillée avec sa famille, elle a continué à aller de l'avant et tant pis pour les quelques siècles d'histoire irlandaise qu'elle a abandonné derrière elle. Et tant pis pour l'image de sa famille. Mais ce n'est pas comme ça au Japon, hum ? »

Familièrement, Cathan appuya son front contre celui de son frère, très loin de toute manière japonaise. A quoi bon les singer en cet instant ? Il ne serait jamais japonais, et n'aurait jamais envie de l'être.

« T'es vraiment un gosse Aku. »

Sans se départir de son sourire, il lâcha son demi-frère et se pencha pour caresser le chiot. Quelques jours auparavant, l'idée même d'Aku protégeant sa famille tant dénigrée l'aurait rendu furieux. Maintenant calmé, il convenait avec un pragmatisme effroyable que le jeune homme se contentait de ne pas briser tous les ponts. Parce que l'éloignement était une phase d'adolescence qui se terminait ou parce qu'il avait des intérêts monétaires à ne pas trop se les mettre à dos. Il pariait surtout pour la 1ère au vu du caractère de son cadet, mais les mobiles n'étaient jamais purs et uniques.