« Neko-chan ! Tu n'as rien écouté de ce que je t'ai dit ! »

La jeune fille sursauta et poussa un interminable soupire, les mots qu'avaient prononcé sa mère adoptive l'avaient fait surgir de ses pensées. Pas vraiment éveillée, pas totalement endormie, elle avait passé tout le trajet à regarder défiler la route et comme d'habitude, elle n'avait pas écouté un mot de ce qu'avait pu dire Kyoko, durant tout le voyage. De toute manière, elle ne faisait que ressasser sans cesse les mêmes choses, les mêmes questions, les mêmes recommandations que l'on répéterais comme à un enfant pour être sur qu'il n'oublie rien. Mineko en avait assez, elle avait du mal à supporter sa mère adoptive devenue trop étouffante et malgré sa réticence à intégrer un pensionnat, ce serait enfin l'occasion pour elle de souffler un peu.

La voiture s'arrêta devant l'enceinte de l'établissement et sans rien dire, la jeune fille prit le document que lui tendait Kyoko avant d'attraper son sac ainsi qu'une lourde valise qu'elle posa sur chacune de ses frêles épaules en sortant du véhicule. Sa mère adoptive ne put s'empêcher avant de partir, de baisser la vitre de la voiture pour lui rappeler une énième fois de lui passer un coup de fil dans la soirée, Mineko acquiesça en serra le poing avant de faire tout de même, un signe de la main en guise d'au revoir. Bien sur, elle l'aimait comme une mère malgré qu'elle soit extrêmement chiante, cette pensée lui fit esquisser un léger sourire qu'elle perdit aussitôt en posant son regard cernés sur la façade de l'établissement. Elle appréhendait tellement ce moment qu'elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit et toutes ses craintes venaient de se réveiller en voyant le bâtiment se dresser devant elle. Elle s'alluma une cigarette pour se calmer et traversa à pas feutrés, la cour de récréation qui était déserte, à son grand soulagement. Une légère brise fit valser quelques pétales de cerisier qui s'écrasèrent sous la semelle de la jeune fille, elle repéra un banc à l'ombre où elle alla s'assoir et demeura un instant pensive à observer la vapeur qui émanait à chaque bouffées de sa cigarette qu'elle fumait lentement, comme pour retarder l'inévitable moment où il faudrait qu'elle se rende à l'intérieur de l'école.

Mineko avait toujours le regard fixé sur la pointe de sa cigarette, elle était presque hypnotisée par la fumée qui ondulait comme un serpent magistral, avant de disparaitre dans un souffle de vent qui fit frissonner la jeune fille. Elle appréciait ces rares moments où elle parvenait à ne penser à rien, cette sensation d'abandonner son être et de planer dans un vide absolu, une illusion de liberté.

À travers le chant des bourrasques qui faisaient danser ses cheveux, elle avait cru entendre des bruits de pas mais n'y porta guère attention jusqu'à ce qu'une silhouette s'imposa devant elle. Elle sursauta légèrement et ébloui par le soleil, elle put discerner abstraitement un jeune homme, un peu débrayé, un peu amoché bref un peu Sato tout craché. Ses yeux s'écarquillèrent, la ressemblance était tellement troublante qu'elle crut un instant à des retrouvailles avec son ami d'enfance - bien que cette idée soit totalement absurde - et alors que sa bouche s'entrouvrait d'étonnement, l'inconnu lui arracha la cigarette d'entre ses lèvres. Son bref espoir qui s'apparentait plus à de la crainte s'envola avec la fumée de la bouffée que venait de recracher le garçon. Elle resta un instant perplexe, un léger sourcillement accentuait son regard rivé sur sa cigarette qu'était en train de fumer ce jeune homme plutôt culotté. Pas le droit de fumer ici, tant pis et bien qu'il n'avait pas l'air de plaisanter, Mineko ne prit pas du tout cette remarque au sérieux qui intérieurement, l'amusa plus qu'autre chose. Elle se dressa à son tour face au jeune homme et de son index, donna un coup taquin dans la cigarette qui était presque entièrement consumée et qui roula au sol avant de se faire écraser sous la bottine de la fillette.

« S'tombe bien j'avais fini. »

La jeune fille n'avait pas envi de discuter, son interlocuteur n'en avait pas vraiment l'air non plus alors pour faire court à la conversation, elle ajusta sa jupe un peu au dessus de ses genoux et attrapa sa valise avant de faire quelques pas en direction de l'entrée de l'établissement. Mineko s'arrêta un instant de marcher et jeta un œil par dessus son épaule dans la direction du garçon, peut être avait-elle changé d'avis mais peut être saurait-il également lui indiquer où se trouvait l'accueil de l'école.

« Au fait, s'par où qu'on rend la paperasse de l'inscription ? »

Sous la réflexion du garçon, Mineko jeta rapidement un œil vers l'entrée de l'établissement et remarqua l'inscription au dessus de celle-ci qui la mettait dans une situation plutôt grotesque. La jeune fille n'avait même pas relevé l'écriteau en arrivant ou peut-être qu'elle l'avait ignoré volontairement pour se trouver une excuse de ne pas s'y rendre de suite mais quoi qu'il en soit, ce garçon qui l'avait déjà légèrement titillé en lui gâchant le plaisir suprême de la fin de cigarette se permettait désormais de lui donner un surnom plutôt agaçant. Malgré que les remarques du jeune homme était d'un sarcasme cinglant, Mineko n'en ressentait pas de la méchanceté pure comme celle qu'elle avait subit durant toutes ses années de scolarités précédentes et bien qu'elle n'avait pas pour habitude de s'attarder à papoter, encore moins avec des inconnus, c'est justement l'impertinence de ce garçon qui l'intriguait, qui la distrayait au point même de la retenir. La fillette se retourna dans la direction du jeune homme et posa le regard sur sa main droite visiblement blessée.

« Et moi j'apprécie ton exaspérance, m'sieur le balafré. »

Mineko ne prit pas la peine de le remercier du renseignement quelque peu inutile, plus préoccupée par le bandage autour de la main du jeune homme qui venait d'accroître sa curiosité mais elle ne se permettrait pas de demander des détails qui risqueraient d'être indiscrets, elle se contentait juste de soutenir un regard inquisiteur sur la blessure même. La jeune fille se décida enfin à se lancer imprudemment dans un élan de ce qui pourrait ressembler à de la sociabilité.

« On va continuer à s'appeler par des surnoms ridicules ou se décider à faire les présentations ? »