Leur arrivée s'était faite dans un calme qui tranchait avec les quelques mois passés. Akutsu s'était installé la veille dans son nouvel appartement de fonction, découvrant avec satisfaction que Jiro le partageait toujours avec lui, avec un peu plus de surprise que l'infirmier de la Hamura les y avait rejoint, avec clairement plus de circonspection que leur dernier colocataire était aussi insulaire qu'un Japonais, aussi ouvert à l'étranger qu'eux... mais malheureusement Anglais.

Cathan s'était quant à lui retrouvé dans l'appartement voisin et il lui semblait avoir compris dans la journée que ça s'était bien passé, mais leurs occupations respectives et les emplois du temps un peu plus remplis qu'auparavant avaient largement écourté la discussion. Ils s'étaient finalement donné rendez-vous pour le soir-même.

Appuyé contre le mur face à la porte de l'appartement 2, Akutsu jeta un coup d'œil à sa montre. Il était bientôt vingt-et-une heure, son frère n'allait maintenant plus tarder. Penser à lui de cette façon l'étonnait toujours un peu lui-même et il lui semblait, parallèlement, qu'il se faisait très vite à cette idée. Probablement parce qu'avant d'être de la famille, le professeur de mathématiques était un ami. D'une certaine façon, il avait choisi de l'incorporer dans ce qu'il considérait comme ses proches.

L'objet de ses pensées ouvrit finalement la porte et avec sa tignasse rousse vint le sourire sur les lèvres du cadet. Celui-ci se redressa, quittant le mur pour se rapprocher un peu de son aîné, les deux mains enfoncées dans la poches avec cet air qui avait fait dire parfois qu'il n'avait rien de recommandable. Celui qu'il aimait prendre avec Cathan de temps en temps, juste par jeu.

« Je suppose que tu as déjà pas mal visité le coin ? J'ai fait un tour aussi, y a quelques bars sympathiques. »

Les deux avaient fait leur tour en ville. Le plus jeune des deux roux supposait que Cathan avait surtout pris ses repères par stricte paranoïa, lui voulait seulement pouvoir sortir sans se perdre, aussi avait-il souvent pris la moto pour aller en promenade. Il se demanda d'ailleurs pourquoi l'Américain ne possédait pas, quant à lui, de voiture. C'était pourtant bien plus simple et évitait de se retrouver, les sens en alerte, dans les transports en commun bondés.

« T'as toujours pas de bagnole je suppose ? »

[As always : green = english]

Si, quelques mois avant son arrivée au Japon, on avait dit à Cathan qu'il se retrouverait à sortir le soir avec un gosse de 22 ans pour une soirée qui n'incluait aucune probabilité de séduire la personne qui l'accompagnait, il se serait grassement gaussé avant de passer à autre chose. Si en plus s'y ajoutait en détail que le gamin en question était son petit frère, il aurait probablement proposé à son interlocuteur d'aller longuement discuter avec un psy de ses fantasmes projetés. Et pourtant, le gamin en question qui l'attendait derrière la porte, addossé au mur avec un petit air de voyou, partageait pas mal de gènes avec lui aux dernières nouvelles, hormis celui des cheveux roux, parfaitement artificiels dans le cas d'Akutsu. Comme lui, Akutsu avait autant l'air d'un prof qu'un ours en costard, avec le détail que son cadet adorait pourtant ce qu'il faisait et y mettait tout son coeur. Probablement la faute de l'âge...

En sortant de son appart, Cathan ne put s'empécher de regarder de haut en bas son petit frère. Il avait une allure de petit voyou reveche, du genre de ceux que personne de censé n'irait arréter. Du genre de ceux que Cathan ne pensait même pas à observer dans son ex-job parce qu'au final, ils n'étaient pas si dangereux que ça... mais dont il n'aurait pas hésité à botter le train si besoin. Le pire, dans tous ça, c'est qu'il lisait aisément dans le regard d'Aku qu'il était plutôt fier de son allure.
S'il avait apprécié le japonais décontracté et américanisé dès leur première rencontre, Cat devait reconnaître que de connaître leur lien avait ajouté un petit quelque chose à leur relation, réveillant une fibre familiale qu'il ne se serait jamais cru avoir.
Cathan referma la porte derrière lui, sans toutefois la fermer à clé. Si Radha était sortie quelque part, Gabriel était encore à l'intérieur, occupé à prendre soin de la multitude de plantes vertes qui égayaient l'appartement. Ce qu'il pouvait avoir à leur dire, il n'en était pas très sur, et ne voulait même pas le savoir. Il se tourna vers Akutsu, marchant avec lui vers les escaliers et la sortie du bâtiment.

" C'est vrai que la première chose à faire quand on change de ville c'est de s'acheter une voiture. J'admire ton sens des priorités."

Il aurait pu le faire, ou se procuer une moto, comme Akutsu, s'il n'avait pas eu envie de s'encombrer d'un trop gros véhicule. Cependant, toute la paperasse adminstrative que cela impliquait – dont de faire traduire son permis à la préfecture – était un peu trop officiel au goût de l'ex-agent et il avait préféré éviter, d'autant plus que dans la péréiphérie de Tokyo ou de Hachioji, les transports étaient assez denses pour qu'il n'en ait guère l'utilité. Autant éviter de se coller trop de choses matérielles à traîner derrière soi. La réponse, cependant, était difficilement explicable pour le jeune homme.

L'américain sortit de sa poche un élastique et attacha ses cheveux en arrière, sentant la lourde masse de cheveux bouclés tomber sur le haut de ses épaules. Ils avaient poussé depuis son arrivée au Japon... il faudrait qu'il pense à les faire raccourcir un peu avant de se retrouver avec des dreads incontrôlables. Le look serait peut être sympa, mais niveau pratique, on pouvait repasser. L'air frais de l'extérieur l'accueillit, le faisant inspirer avec plaisir.Cette période de l'année, lourde et moite, lui donnait envie de ne sortir qu'à la nuit tombée.

" Et j'ai repéré un ou deux bars qui iront parfaitement avec ton look de gamin de bonne famille. Tu me rejoins en ville avec ta monture ? "

La taquinerie de son frère fut accueillie par un grand sourire qui se voulait innocent, mais son regard pétillant trahissait son amusement. Il avait un sens des priorités qui en valait un autre et trouvait bien souvent celui de son ancien colocataire à la limite de la bizarrerie la plus totale. La plaisanterie, de fait, fut accueillie comme ce qu'elle était sans qu'il se sente touché d'aucune manière dans sa façon de voir les choses : il préféra emboiter le pas à son aîné, les mains toujours bien au fond des poches.

A ses bras ne traînait aucun casque de moto, ni pour lui, ni pour son frère. Il n'avait pas prévu de chevaucher son bébé ce soir-là malgré l'envie qui bien souvent le prenait aux tripes. Lorsqu'il en avait fait l'acquisition presque un mois auparavant, il n'aurait pas cru s'y attacher autant. Son précédent propriétaire était aussi un professeur de la Hamura High School. Quelques affichettes dispersées dans l'école avaient attiré l'attention d'Akutsu et celui-ci était parti voir son presque voisin dans l'espoir d'en savoir plus sur l'engin. Le lendemain, il se l'offrait. Devant les excellentes capacités de la moto, il s'était longuement demandé pourquoi diable le professeur de philosophie avait voulu s'en débarrasser. Sa réponse était arrivée avec l'avis de décès de cet homme. Parce qu'il l'avait croisé, le jeune homme s'était senti obligé de s'y rendre, mais de ce qu'il avait pu en voir, l'autre enseignant n'était pas tellement populaire. En tout cas depuis il bichonnait son bébé.

« Nan, on y va ensemble avec les transports en commun. Si je bois – et je suppose que ce sera le cas – je pourrait pas prendre mon bébé au retour. Et j'ai pas tellement envie de laisser ma bécane à perpet' en galérant pour la récupérer. »

L'air frais lui fit un bien fou après une journée particulièrement chaude et moite. Il goutta à la légère brise en fermant les yeux, détachant ses cheveux maintenant qu'ils ne lui tenaient plus trop chauds en retombant sur sa nuque. L'élastique passé autour de son poignet pour ne pas le perdre, il avança tranquillement aux côtés du rouquin en direction de la sortie de l'école.

« Alors, comment sont tes colocataires ? Tu ne nous regrettes pas trop ? » lâcha-t-il avec un rire dans la voix.

A dire vrai, si les colocataires de Cathan étaient trop pénibles, il n'était pas sûr de le plaindre lui. Son demi-frère savait parfaitement se débrouiller tout seul et se défendre au besoin, il l'avait déjà prouvé lors d'une autre sortie assez récente. A ce moment-là, ils étaient avec Jiro et la soirée s'était terminée sur le canapé après une bagarre au bar où ils s'étaient rendus. Il espérait bien que cette fois ils puissent être tranquille et ne pas devoir corriger un homme trop ivre pour savoir garder son avis pour lui.

Le chemin qui menait jusqu'à la sortie du lycée était vide et silencieux – vu le couvre-feu, les élèves qui voulaient sortit partaient plus tôt – pour le plus grand plaisir de Cathan. Se méler aux élèves n'était pas son passe-temps favori. La conception du campus lui laissait une certaine tranquillité, mais tant qu'ils étaient dans les mêmes lieux, il était forcé de les croiser à un moment ou un autre hors des cours.
L'américain réfléchit un instant à ses deux colocataires avant de répondre. Difficile de se faire une idée globale après 24h et quelques échanges – dont un au beau milieu de la nuit – mais a priori, il pouvait prédire que les choses seraient probablement calmes, chacun vacant à ses occupations sans trop se préoccuper des autres. Une grosse différence de la précédente, entre Akutsu et Jiro, où dans liens amicaux s'étaient assez facilement constitués entre eux. Ce n'était pas plus mal au final : c'étit une colocation de convenance entre personnes qui travaillaient au même endroit, pas la rencontre des désespérés anonymes à la recherche de liens.

" Pour ma plus grande tranquilité d'esprit, et la leur, nous sommes tous gaijins. Aucune chance d'avoir des surprises génétiques cette fois. "

Même s'il était invisible dans la faible lumière entretenue par les quelques lampadaires qui bordaient l'allée, difficile de ne pas entendre le sourire dans la voix de Cathan. Il n'avait pas pu s'empécher de se renseigner sur le background de ses colocataires, ainsi que sur celui du directeur de la Ginkgo. Pour le moment, celui de Gabriel restait de loin le plus intéressant et hors norme, d'autant plus qu'il ne semblait pas si difficile d'amener l'homme à en parler. Ca changeait des profs et autres passionnés de l'enseignement. Non qu'il soit tellement difficile de leur faire parler d'autres choses, mais ils manquaient un peu... d'expérience ? Quoi qu'ils en pensent, et même si Akutsu, et son air peu fréquentable, prétendait clamer le contraire.

Le trajet jusqu'au centre ville se passa sans évènement dans les transports en commun loin d'être bondés contrairement à ce qu'avait prétendu Akutsu. Hachioji les accueillit avec force lumière et monde dans ses rues, mais toujours un certain calme que l'américain trouvait irréel. Quelque part, il avait l'impression que les japonais devaient boire des drogues dans leur soupe miso du petit déjeuner pour rester aussi calmes et disciplinés en tout temps. Les rares expériences inverses qu'il avait pu voir n'était toujours que ça : des exceptions. Au final, la mini bagarre à laquelle il avait participé lors de sa dernière soirée avait été plutôt amusante, même si vite résolue. Pendant un instant, il avait pu être ailleurs qu'à Bisounours-land. Malheureusement – ou heureusement -, il y avait peu de chance que cet état de fait se reproduise ce soir, à moins que l'américain ne traine la pagaille avec lui, ce qu'il allait éviter.

Cathan profita des quelques pas à l'air libre pour s'allumer une cigarette, le regard rivé sur les néons colorés autour d'eux, autant pour observer que pour se repérer.

" Je crois que je ne me ferai jamais au calme des villes japonaises. "

Le trajet s'était fait dans le calme alors que les transports en commun n'avaient pas accueilli trop de monde. L'heure sans doute expliquait cela d'autant qu'ils étaient en semaine. Les jeunes et les moins jeunes ne sortaient pas forcément quand ils devaient travailler le lendemain. Qu'il s'agisse de Cathan comme de lui-même, cela ne posait pas particulièrement de problème. Tous deux avaient l'habitude de passer des nuits quasi complètes dehors et d'enchaîner le lendemain avec leurs activités coutumières, si bien qu'ils ne se posaient pas tellement de questions lorsqu'ils sortaient tous les deux.

« C'est sûr que ça change des USA... »

Surtout de New York où il avait vécu pendant un peu plus de trois ans. Néanmoins, le calme du Japon ne le heurtait pas plus que ça, il s'y était fait très vite et l'appréciait finalement assez. Probablement parce qu'il s'agissait d'une partie intégrante de son éducation : il avait connu ça pendant 19 ans, le retrouver au retour au bercail faisait plus de bien que de mal.

« Mais c'est plus facile de s'habituer à ce calme que de se faire à l'agitation permanente des grandes villes américaines, même si j'avoue avoir adoré croiser toujours du monde. C'est juste un peu... agaçant quand on veut réviser alors qu'il y a un bruit monstrueux dehors. »

Il lui vint à l'esprit, alors qu'il fouillait ses poches à la recherche de son paquet de cigarettes, que Cathan n'avait pas connu ce désagrément depuis un moment. Peu importe ce qu'il avait fait avant d'arriver au Japon pour y enseigner, sans doute son aîné avait-il du étudier, mais il l'imaginait mal y avoir passé la majeure partie de sa vingtaine.

« T'as fait quoi comme études d'ailleurs ? J'ai même pas la moindre idée de ce qu'on doit avoir comme bagage pour être prof de maths... Fac de maths je suppose ? » lâcha-t-il pensivement avant d'allumer le bâton de nicotine entre ses lèvres.

Son regard suivit la volute de fumée qui s'élevait alors qu'il rangeait son matériel, puis s'attarda sur les néons autour d'eux. Les deux roux avançaient tranquillement – pour eux du moins – mais il n'avait pas la moindre idée d'où l'autre enseignant comptait les emmener. Tout au plus reconnaissait-il vaguement l'endroit où il était passé quelques fois auparavant.

Cathan eut un sourire amusé aux souvenirs des cours révisés dans le bordel le plus complet quand il était encore étudiant et logé sur le campus de Berkeley. Si la BU avait été le lieu ultime du recueillement où seul le bruit des pages tournées troublaient le silence pesant, il fallait être un champion de la concentration pour réussir à bosser entre les fêtes et le joyeux bordel le reste du temps. Au final, ses emplois du temps avait bien traduits ce mode de vie : des semaines à glander et à faire n'importe quoi intercalées de semaines à bosser comme un taré et à passer la plupart de ses heures éveillées dans la bibliothèque à enchainer les projets et bosser les exposés, quand ce n'était pas les nuits blanches entre membres d'un même projets pour assurer le jour de la présentation. En général, tout à la fois les veilles d'exams. Au final, il gardait u excellent souvenir de ses années d'études.

" On se fait à tout, même au bruit, surtout quand on veut y arriver. Je crois pas que le bruit ou l'absence joue... plus les distractions. Et les villes japonaises sont peut-être plus calmes, elles ne manquent pas pour autant de coins où se défouler. "

Le roux plissa les yeux et tourna sur une rue bien éclairée, quoi que plus petite que la grosse artère sur laquelle ils se baladaient jusqu'à présent. Des enseignes signalaient la présence de bar de manière moins tapageuse que les gros néons qu'ils venaient de laisser derrière eux. Exactement le genre d'endroits que cherchait Cathan : plus soft, moins prompt à accueillir des touristes et des étudiants en mal d'excitation. Un peu moins bien fréquenté probablement aussi, mais vu la population japonaise... il y avait de forte chance pour qu'un bar de ce type reste plus calme qu'un endroit classique dans un quartier populaire de Los Angeles. En premier lieu, il n'y aurait personne d'armé à Hachioji, à moins de tomber dans un coin contrôlé par les Yakuzas. Et non, ce n'était pas ce quartier là. Il allait quand même éviter ce genre de conneries.

" Je ne savais pas trop ce que je voulais faire ado, du coup j'ai fait un double master MSE et chimie. J'imagine qu'il y a plus simple pour enseigner les maths à des lycéens. Ou l'anglais. "

Si les diplômes étaient plus que suffisant pour enseigner des maths à des lycéens – qui parlait d'utiliser un boulet de canon pour tuer une mouche ? - le parcours n'était pas impossible, il s'était amusé à le vérifier avant de se présenter pour le job. Juste... peu courant, même si au final, les ingénieurs ne devaient pas avoir une vie beaucoup plus palpitante que celle du prof de lycée lambda. Il le savait, il avait failli finir ranger dans ce genre de petite vie tranquille.

L'américain s'arréta devant une porte à l'aspect sans histoire, qui s'ouvrit sur un bar à la décoration mitigée, comme si le tenancier avait longuement hésité entre Japon et influence occidentale sans savoir vraiment où se positionner, finançant par alterner les chaises et tables classiques – pour lui - et les tables basses avec coussins tout au fond de la salle. Cat avait repéré l'endroit pour sa carte outrageusement non japonaise – le saké et la kirin, merci bien, il voulait quelque chose avec du gout - et pour ses petites alcôves tranquilles qui laissaient la place pour discuter sans être étouffantes.

" Alors, tu préfères finir sous ou sur une table ? "

Le bar ne payait pas de mine de l'extérieur et avait une sorte d'ambiance qui lui était propre à l'intérieur. Un mélange pas forcément subtil de modernité occidentale alliée aux traditions nippones qui ne le surprit qu'à moitié. Avec Cathan, il ne s'attendait jamais à venir dans des lieux typiquement japonais : l'autre était bien trop Américain pour s'y sentir totalement à son aise, là où lui-même y était comme un poisson dans l'eau. Question d'habitude, sûrement.

« Tu as de la chance d'être mon frère, sourit-il en lui jetant un regard en coin. Ta question est quand même assez tendancieuse... mais sous la table de préférence. »

Sans le regarder – il préférait éviter de croiser ses yeux lorsqu'il lâchait des énormités pareilles, Cathan ayant l'art et la manière de le faire se sentir comme un gamin de 8 ans pris en flag' – Akutsu fit quelque pas, se dirigeant tout naturellement vers l'une des alcôves du fond. Une de celles à la table basse entourée de coussins. Après quelques pas, il se tourna néanmoins vers son aîné, une lueur d'interrogation au fond des yeux. L'autre homme sembla toutefois comprendre (ou peu se soucier de la question muette) : il le contourna et se dirigea vers la table que lui-même visait un peu plus tôt, et le jeune homme le suivit tranquillement jusqu'à être assis.

D'un geste vif, le professeur d'anglais s'empara de la carte qui traînait sur la table pour y jeter un œil rapide, souriant avec amusement en constatant que pas une seule des boissons proposées n'était japonaise. Même les marques de bières étaient résolument européennes ou américaines, alors que de son avis de nippon, celles du pays valaient bien le coup aussi.

« Pour en revenir à ce qu'on disait un peu plus tôt... Qu'est-ce que tu fous dans un lycée avec des diplômes pareils ? Surtout que t'aimes pas enseigner à des gosses... »

Pour lui c'était tout l'inverse. L'opportunité inespérée de ce travail à la Ginkgo Gakuen avait un peu étouffé son projet premier : travailler dans un collège. Il n'avait aucune affection particulière pour les gamins, mais aimait beaucoup l'idée de leur enseigner les bases de l'anglais plutôt que rattraper les conneries de leurs anciens professeurs. Peu certain toutefois de retrouver un travail aussi vite, il avait sauté sur l'occasion et était venu dans cette nouvelle école, avec d'autant plus d'enthousiasme que Jiro et Cathan s'y rendaient également.

Dévisageant tranquillement son demi-frère, il tenta de l'imaginer en costard-cravate, prêt à enseigner à une nuée d'étudiants qui boiraient ses paroles sans forcément tout comprendre (Akutsu ne se faisant guère d'illusions sur l'accessibilité des maths universitaires). L'image amena un sourire franchement moqueur sur ses lèvres qu'il ne chercha pas à cacher, de toute façon trop mauvais pour le faire quand il n'y avait rien d'important qui en dépendait.

« Ou alors tu es masochiste... Ça expliquerait bien des choses. »

Cathan se laissa tomber assis sur un des coussins, renonçant à s'agenouiller correctement sur un de ces machins conçus pour s'adapter à des japonais d'une taille moyenne de 1m70, pas des américains de 1m90. Y plier sa carcasse relevait du défi. De toute façon, au fur et à mesure que la soirée avancerait, il y avait de bonnes probabilités que leur décorum soit jeté aux oubliettes. En face de lui, Akutsu s'était installé de façon tellement naturelle qu'il était facile de voir l'éducation japonaise de haut niveau derrière les vétements et le comportement de chien fou qu'il affectait la plupart du temps. Sa - leur ? - famille était aisée, terriblement aisée, et l'éducation qu'avait eu son petit frère ne ressemblait en rien à celle qui avait été la sienne. Avant même de penser à se rebeller contre ce carcan, il avait du absorber les traditions et les obligations japonaises dans ses biberons.
En était-il jaloux ? Il y a 20ans peut-être l'aurait-il été, quand il se battait contre ces fichus cours de japonais sans vraiment comprendre l'intéret que voulait y accorder sa mère. Elle avait beau appuyer que ça faisait partie de lui, il ne se sentait pas plus japonais que la famille portoricaine moyenne ne se sentait américaine. Maintenant... autant il était content de connaître le japonais, autant cette culture ne faisait pas plus partie de lui qu'à l'époque, tout juste était-elle un manteau dans laquelle il pouvait s'envelopper. Et même s'il l'avait voulu, son physique le clamait bien trop gaijin pour qu'il passe pour un japonais. Alors la jalousie... à la place restait un sentiment diffus de curiosité envers ce petit frère et ce qu'il était, qui se surajoutait étrangement au mépris qu'il avait pour son père.

" Parce qu'honnêtement, je me voyais mal continuer sur un doctorat. Franchement, est-ce que j'ai une tête de thésard ? Je n'avais pas envie de m'enterrer dans une université. J'ai aussi un peu bossé en tant qu'ingé avant de devenir prof. Et il y a eu l'idée de venir au Japon aussi. "

C'était presque ça. Il élaguait juste une grande partie de l'histoire entre le moment où il avait bossé un peu en tant qu'ingénieur et celui où il était devenu prof, à savoir quand il avait été admis à Quantico pour ensuite devenir agent fédéral, ce qui faisait... un petit tiers de sa vie ? Balayée en un revers de main et un sourire en coin.
Certes, il répondait aussi bien à la question d'Aku que s'il avait chanté la comptine en passant de la souris verte à l'escargot tout chaud en oubliant les différents stades, mais à ce point, Akutsu n'avait pas besoin de savoir combien de fois il était déjà passé dans l'huile.

" C'est pas pire que toi... le fils d'un richissime chef d'entreprise qui finit prof d'anglais, il y a de quoi se poser des questions. Tu as été à fond sur une de tes profs étant gamin et tu as voulu émuler ?"

Un serveur arriva en silence, se positionnant sur le côté de leur table pour prendre leur commande, lui laissant enfin le loisirs de commander une bière dont le nom n'avait rien de japonais. Le kombini le plus proche du lycée, s'il était bien approvisionné, n'avait rien dans ses rayons qui ne soit purement japonais, au grand désespoir de l'américain qui préférait en rester au café que de boire une de ces bières trop légères.

Akutsu éclata de rire. Cathan en thésard était une image affreusement drôle, et terriblement improbable. Il y avait autant de chance de voir le vrai roux dans ce rôle si sage et si carré que de le voir, lui, prendre la suite du paternel. C'est-à-dire entre pas la moindre et absolument aucune. Il le laissa néanmoins continuer sans l'interrompre, le regard pétillant d'amusement, la bouche tordue en un sourire en coin fort peu discret. La jeune homme nota seulement dans un coin de tête la manière dont Cathan parlait de sa venue au Japon. Il aurait le loisir de chercher à comprendre plus tard. Le prof de maths venait d'embrayer sur lui.

La dernière question raviva son rire un bref instant alors qu'il tentait de se souvenir de ses premiers enseignants. Il y en avait eu une qui, effectivement avec le recul lui semblait plutôt jolie bien qu'à l'époque il n'y ait pas prêté une très grande attention. Il avait toujours préféré les jeunes gens de son âge : enfant, il s'émouvait donc bien plus d'une jupe soulevée chez ses camarades que des vieilles femmes de 25 ans qui lui faisaient la leçon.

« Interesting theory. Non en fait c'est un peu plus compliqué. Quand même, je peux pas avoir décidé de ma vie pour une histoire d'hormones... »

Le regard qu'il lança à son demi-frère le défia de le contredire. Il jugea cependant plus prudent de reprendre la parole sans trop laisser à Cathan le temps de formuler une réponse complète. Certaines habitudes se prenaient vite : celle de limiter les frais avec le roux s'était rapidement installée.

« Un vera rush pour moi. » lança-t-il au serveur.

Son regard quitta ce dernier lorsque celui-ci les laissa. Il se reposa sur Cathan alors qu'il prenait un peu de temps pour réfléchir à comment formuler ça. Son enthousiasme lorsqu'il parlait de sa profession s'amenuisait un peu lorsqu'il devait expliquer comment il l'avait choisi. Akutsu n'était guère friand des confessions sur ses difficultés avec sa famille, là où parler du reste de sa vie ne l'embêtait pas le moins du monde. Une chose que son frère avait constaté dès les premiers instants.

« C'est un peu... prétentieux peut-être. Sûrement en fait. J'ai fait toute ma scolarité jusqu'au lycée dans une école internationale, donc j'ai été habitué depuis tout petit à pratiquer l'anglais tous les jours. Mes parents avaient décidé qu'il était meilleur pour moi de m'ouvrir au reste du monde que d'avoir un enseignement typiquement japonais, même dans un établissement... haut de gamme, disons. »

Il sembla un peu pensif un instant et ajouta avec amusement :

« Ou alors ils ont compris très vite que ça me barberait. »

Ce qui était faux, bien qu'il s'abstint de le préciser. Malgré ses airs de rebelle et son passé relativement chargé, Akutsu avait toujours adoré étudier et apprendre. Sa vocation pour l'enseignement n'était pas née à partir de rien ni d'un total coup de tête, mais bien, d'abord et avant tout, de la profonde satisfaction qu'il éprouvait en se remplissant la tête d'un tas de choses.

« Toujours est-il qu'en constatant comment les Japonais apprenaient l'anglais et les résultats quasi catastrophiques que ça donnait, j'ai pensé assez vite qu'il faudrait faire changer les choses. L'idée a mûri et j'ai décidé de devenir prof... »

Tout paraissait si simple dit comme ça... Son regard s'égara un peu sur Cathan, puis derrière lui. Sans le savoir, il avait comme son frère éludé une bonne partie de ce qui avait pu se passer, mais est-ce que ça aurait vraiment intéressé son aîné... ? Ses yeux se reposèrent sur lui et il sourit légèrement. Peut-être, peut-être pas. Il avait encore du mal à le comprendre des fois.

Cathan ne répondit que d'un sourire narquois quand son frère se défendit d'avoir choisit sa carrière à cause de ses hormones, avant de, lui résumer succinctement la raison de son choix, laisser plus ou moins de côté ce qui était en rapport avec sa famille. Bizarrement, l'américain avait quelque doute sur l'accueil qu'avait eu le choix de carrière du cadet des Moe dans une famille qui avait plutôt l'habitude de brasser des millions. Ou si tel avait été le cas, le jeune homme se serait probablement retrouvé à enseigner dans un établissement de prestige plutot que le lycée de seconde zone dans lequel ils s'étaient rencontrés. Encore que, Gingko correspondait maintenant un peu plus à cette image.

Le serveur revint rapidement et déposa sur la table le cocktail ambré d'Aktusu dans un verre décoré de sucre où trônait une magnifique tige d'un bleu outremer d'un aspect des plus seyants et une bière bien fraiche à l'aspect des plus traditionnel. Cathan attrapa sa boisson, ne dissimulant guère le sourire amusé de circonstance à la vue du cocktail d'Akutsu. Le verre était plutôt assorti à son propriétaire, haut en couleur. Certes, il avait déjà pu constater avec quelle facilité il était capable de s'enfiler des boissons plus fortes et moins sucrées, mais le cocktail convenait bien mieux à ce voyou de bonne famille qu'était son petit frère.

" Même la boisson est assortie... C'est amusant de voir que tu as tout autant le profil type du prof que moi. La différence, c'est qu'on ne risque pas de me confondre avec les élèves."

Il porta le verre à ses lèvres, savourant la saveur de la boisson fraîche, une de ces multitudes de petites choses qui lui manquaient des USA. Rien de franchement désagréable, mais des petits détails qui lui rappelaient chaque jour qu'il n'était pas chez lui. C'était au final assez marrant de voir qu'il était plus traumatisé par des manquements alimentaires que par les franches différentes d'état d'esprit. Ces derniers, il s'y était attendu, et ils étaient plus rafraichissants que réellement choquant. Il s'y était soumis, ou les avait contournés sans trop se poser de questions. Pour le reste... il n'avait pas vraiment le choix, même si au final, son incursion en pays exotique ne s'était pas révélé si traumatisante. A cause du petit gôut de fuite qu'elle avait prise ?

" Entre la couleur de cheveux et le tatouage, tu donnes pourtant l'impression d'avoir tenté de devenir yakuza. Tu as raté au dernier examen de passage ?"

Si la tignasse rouge était le premier détail surprenant quand on croisait Akutsu, celui qui était vraiment choquant était le tatouage de dragon étendu tout le long de son dos. Non seulement il avait du douiller de nombreuses heures pour obtenir un pareil résultat, mais vu la connotation que pareil inscription avait au Japon... difficile de ne pas faire le rapprochement avec la mafia japonaise. Cependant, Cathan y avait vu un message différent la première fois qu'il en avait aperçu les contours en voyant Aku sortir de la douche dans leur précédente colocation : fuck daddy.

Il s'était attendu à ce sourire tellement caractéristique de Cathan lorsqu'il vit arriver à son cocktail. A force de fréquentant son aîné, il finissait pas bien connaître les moments où il aurait droit à une petite remarque en passant, toujours amusée, voire ironique. Cette fois-ci n'échappa pas à la règle et la taquinerie arriva comme convenu alors qu'il dégustait une première gorgée de son cocktail. Un sourire un peu énigmatique, presque charmeur – bien que ce fut assez loin de ses intentions – fleurit sur ses lèvres en réponse. Il but une autre gorgée.

S'abstenant donc de réponse, il laissa le soin au roux de boire un peu de sa bière avant de reprendre la parole. Son propre regard flirta avec l'étiquette de la bière américaine. Tout comme son choix de boisson n'avait pas beaucoup surprit son frère, les goûts de celui-ci ne l'étonnaient pas. Ils en avaient parfois parlé, plus souvent ils avaient bu. Il savait qu'il préférait ce qu'on appelait communément des boissons d'homme, chose qui lui passait par-dessus la tête. S'il s'enfilait très bien des mélanges plus forts que son vera rush, il n'avait aucun complexe à siroter des cocktails sucrés. Et les réticences ou moqueries d'autrui à ce sujet l'indifférait assez. La plaisanterie sur son tatouage par contre le fit rire. Bizarrement, ils n'étaient pas nombreux ceux qui, ayant vu son dos, se permettaient d'en parler. Alors plaisanter... Les gaijins, au moins, avaient ça de rafraîchissant.

« Bien sûr, mais je n'étais, paraitrait-il, pas suffisamment crédible malgré mes efforts, aussi ai-je noyé ma peine dans l'alcool. D'aucun avance que c'est là l'explication de ma profession, mais je te laisse juge en la matière. »

Son propre langage le surprit un peu, lui qui s'était habitué à manger certains de ses mots et employer des tournures de phrases beaucoup plus courantes. Pour ne pas dire vulgaires, quel que fut le sens donné à ce terme. A croire que se remémorer ses souvenirs avaient sur lui une certaine tendance à faire remonter avec eux de vieilles habitudes, comme un langage un peu plus châtié que celui employé d'habitude. Employé en fait depuis plusieurs années.

Son enfance n'avait pas été particulièrement marquante pour lui. Fils d'une très bonne famille, élevé dans un milieu aisé et très traditionnel, il n'avait songé à mettre son énergie au service de sa rébellion qu'à l'entrée dans l'adolescence. Sans doute était-ce à cette époque que les choses étaient allées de mal en pis puisqu'il avait commencé par simplement contredire son père avant de ne plus hésiter à se battre à l'extérieur et faire un tas d'âneries auxquelles sil préférait souvent ne pas repenser. Son adolescence avait donc été chaotique, et son entrée dans l'âge adulte s'était fait sur un claquement de porte de la maison. Le tatouage avait suivi.

Peut-être, à la réflexion, n'était-ce là qu'une bêtise de grand gamin, mais il ne la regrettait pas. Le motif gravé sur son dos à la méthode traditionnelle – et donc particulièrement douloureuse – avait nettement plus de sens à ses yeux qu'on ne le croyait souvent. Lui, comme sa moto ou ses cheveux roux étaient une partie de lui et, à ses yeux, les symboles de sa liberté. Un peu naïf sans doute, mais ça lui convenait.

« Tu n'as pas fait de choses comme ça toi ? J'ai du mal à t'imaginer en brave gamin bien sage... »

C'était assez amusant d'entendre Akutsu passer à un japonais et à un vocabulaire plus châtié. Il tenta un instant d'imaginer le jeune homme en costume, avec une coupe et une couleur de cheveux plus classique, assis à un bureau avec un air sérieux. Difficile à imaginer... mais pas si lointain. Il avait lui-même ressemblé à ça quelques années auparavant. La question la plus intéressante, mais à laquelle il n'aurait pas la réponse dans l'immédiat, était de savoir s'il resterait comme ça ou pas. Son petit frère avait beau se penser posé et bien engagé... il était jeune, plus jeune que lui quand il avait fini ses études et s'était engagé par la suite en tant que fédéral. Selon n'importe quels critères, il était à peine plus qu'un gamin. Il avait encore du temps pour changer de voie. Mais ça, pas la peine de lui dire : il ne l'aurait pas entendu.

L'américain essuya une goutte de condensation qui coulait le long de son bock, essayant de se remémorer sa vie en tant que lycéen puis étudiant, les conneries qui avaient émaillées sa scolarité alors qu'il avançait, cornaquait par une mère inébranlable. Avec le recul, il n'avait rien de faire de terriblement méchant ou catastrophique. L'échec n'avait pas été une option, que ce soit aux yeux de sa génitrice ou des siens. Même sans savoir où il allait, il avait toujours eu cruellement conscience qu'il ne pourrait compter que sur ses capacités et non sur son nom de famille. En partie pour lui, mais surtout pour rendre fière celle qu'il s'était battu pour lui, Cathan n'avait pas dérapé comme il aurait pu le faire, comme le faisait bien souvent des jeunes de son milieu social.
Plus tard oui... mais c'était une tout autre histoire. Preuve qu'Akutsu pouvait encore largement évoluer.

" Pourtant je l'ai été... ma mère m'a élevé seul et faire n'importe quoi pendant mes études n'a jamais été une option. Je devais être un gosse plutôt mignon en fait, qui a accédé à tous ses caprices, y compris les cours de japonais et de culture japonaise. Ca a changé avec Berkeley. Je pense que mon groupe aurait pu se réunir sous le nom du département des sciences expérimentales..."

Des conneries d'étudiants, que tout le monde faisait, plus ou moins illégales, plus ou moins dangereuses, mais pas foncièrement catastrophiques. Bien différent de la rébellion adolescente de son petit frère envers une famille trop étouffante qui tentait de l'enfermer un moule qui ne lui convenait pas. A cette époque, il n'aurait jamais pu prédire qu'il finirait agent fédéral. Et dans ses débuts au FBI, si on lui avait dit qu'il finirait du mauvais côté de la barrière...
Il avait fallu qu'il travaille au milieu de la loi pour comprendre à quel point les règles et les lois, il aimait les contourner et s'en servir à son avantage, si ce n'est carrément les oublier, pour le défi, et tout simplement sortir du carcan. A côté de ça, ses conneries de gosses étaient vite oubliées.

L'image d'un Cathan petit était perturbante. Celle d'un Cathan enfant ou adolescent sage l'était encore plus. La vision qu'il en avait se superposait difficilement à l'homme paranoïaque et cynique face à lui, à celui qui clairement en avait trop vu pour garder des illusions sur le genre humain, et qui pour une obscure raison avait décidé de quitter un pays où il se sentait pourtant bien. La question taraudait l'esprit d'Akutsu depuis leur première rencontre pratiquement, et peu importe le nombre de fois où ils avaient abordés le sujet, le plus jeune était frustré par les réponses que son aîné donnait. Qu'était-il vraiment venu faire au Japon, à enseigner à des gosses pour qui il n'éprouvait pas le moindre intérêt ?

Son verre, arrêté à quelques centimètres de ses lèvres par la surprise, retrouva finalement sa route le temps d'une gorgée bue. Akutsu préférait se laisser le temps de répondre qu'enchaîner immédiatement, principalement parce qu'il ne se faisait pas à cette idée que Cathan put être sage à une époque. Lui eusse-t-on assuré qu'il fut mafieux, le jeune homme en eut été moins surpris.

« Étrangement, je t'imagine beaucoup mieux étudiant casse-cou que gamin qui se tient à carreau. Ta mère doit être absolument redoutable. »

Et de ça il ne doutait pas. Si Cathan semblait esquivé toute question un peu trop personnelle, il ne tarissait néanmoins pas d'éloges sur celle qui l'avait enfanté, puis élevé seule à la sueur de son front. A dire vrai, une ou deux fois, Akutsu avait songé que leur géniteur avait eu une chance absolument phénoménale de mettre enceinte une telle femme. Beaucoup d'autres auraient préféré créer un scandale et profiter de sa position.

Terminant de boire son verre – presque cul sec – Akutsu regarda quelques instants autour d'eux, pas dérangé le moins du monde par la position tellement conventionnelle dans laquelle il se trouvait. La décoration du bar, à mi-chemin entre le Japon et l'Occident, les choix de la carte et la présence de son gaijin de frère rendait l'ambiance totale surprenante, mais agréable. Il espérait néanmoins que pour cette première sortie juste entre eux, personne ne viendrait leur gâcher la fête en les obligeant – d'assez bon cœur cela dit – à se battre. Tout en repensant à l'altercation de leur dernière sortie, son regard se posa sur le trentenaire. Un léger sourire apparut sur ses lèvres, avant de s'accentuer pour ressembler un peu plus à ceux que Cathan arborait si souvent.

« J'ai un truc à te proposer... » commença-t-il tranquillement, laissant planer un silence pour faire durer le suspens. « On se pose chacun des questions. A chaque réponse, on boit cul sec. Le premier à déclarer forfait perd et le gagnant choisit notre prochaine destination. »

Il avait déjà une assez bonne idée de ce qu'il voulait voir Cathan faire, et de fait était totalement décidé à tenir le coup coûte que coûte, juste pour gagner et pouvoir enfin traîner son aîné là où il le voulait. Pas faute d'avoir essayé un jeun auparavant, mais son frère avait toujours refusé.

« Ça marche ? »

Cathan éclata d'un rire sonore à la proposition de son frère, un vrai jeu à boire digne des pires soirées estudiantines auxquelles il avait pu se joindre. Plus tard dans sa vie, il n'avait eu besoin d'aucune excuse pour descendre des bouteilles entre collègues, pour le plaisir ou pour la détente. Ce genre de jeu était la porte ouverte à certaines des pires conneries qu'il avait fait en tant qu'étudiant – mais pas en tant qu'adulte. Bizarrement ou pas, ses conneries adultes avaient toujours été faites de manière posée et ultra-réfléchie, ce qui les rendait d'autant plus délectable – et en toute logique la réponse aurait du être un non franc et amusé envers ce petit frère inquisiteur.
Mais la vie ne saurait être vécue sans un peu de sel et d'imprévu, en l'occurence face à ce jeune homme attachant et farfelu comme un chiot de 6 mois. Certes, Akutsu était aussi subtile que le chiot auquel il le comparait, mais c'était bien ce qui était rafraichissant chez lui.
Il prit une nouvelle gorgée de bière pour reprendre contenance avant d'observer le jeune homme d'un regard qui ne cachait pas le moins du monde son point de vue sur son cadet.

«  Tu veux absolument me faire redescendre à ton niveau sale gosse ? Pourquoi pas. Choisis ce que tu veux comme alcool, sauf de la vodka. »

De tous les alcools forts, c'était le seul pour lequel il n'avait décidément aucun goût. L'espèce de ressemblance avec de l'alcool à 90° - oui, il avait testé dans les labos de chimie et ne le referrait plus jamais, même en étant payé très cher – n'avait rien fait pour lui faire apprécier ce concentré de pomme de terre.
Pour être réaliste, il savait parfaitement qu'il avait de grande chance de se retrouver à mentir totalement si Akutsu arrivait à contourner ses demi-vérités et ses allusions. C'était un peu plus risqué – surtout avec l'alcool qui augmentait la mise – mais il n'était pas homme à baisser les bras devant ce genre de défi. Entre le Japon et ce qu'il avait fait comme agent, légalemet ou non, il pouvait – sans mentir, comble de l'ironie – dire qu'il avait un excellent entrainement à ce sujet. Ca avait été au moins aussi essentiel à sa survie que sa capacité à se servir d'une arme de poing ou à remplir en triple exemplaire les dossiers administratifs liés à chaque affaire.

Cathan intercepta une nouvelle fois le serveur, qui lança un long regard sa bière encore à demi pleine avant d'aller chercher une douzaine de petits verres à liqueur que Cat aligna avec un soin attentif entre eux deux, selon deux parallèles destinées à défier toutes les lois mathématiques et à se rencontrer dès que leur alcoolémie prendrait son essort. L'ainé des deux roux du retenir un ricanement à la consternation qui se lisait dans toute l'atitude du serveur, de ses lèvres pincées à ses épaules raides. Décidément, soit les bars japonais ne savaient guère s'amuser et l'habile illusion de bar cosmopolite tombait rapidement sous ce regard, soit ils étaient tombés sur l'unique serveur du bar qui craignait de voir des clients éméchés et donc potentiellement dangereux.

«  Je te laisse même le plaisir de commencer. »

Par moment, il se donnait l'impression d'avoir des gouts masochistes. Pour un paranoiaque, il avait une certaine tendance à adorer se mettre en danger.

« Tu es trop bon. »

L'ironie qui perçait dans sa voix n'était pas dénué d'un certain amusement, lui-même rehaussé d'un regard rieur. Il avait craint que Cathan refuse et en même temps espérer que son immense goût du jeu et du défi le ferait accepté. Qu'il veuille cacher des choses était un fait avéré – bien qu'en fait on puisse probablement dire de même de tout le monde. Qu'il s'amuse à risquer de les dire grâce à la boisson...

Mais craignait-il vraiment quelque chose ?

Se tournant vers le serveur consterné, dont l'attitude tellement japonaise ne manqua pas d'amuser Akutsu, il lui commanda en bonne et due forme une bouteille de rhum. Moins fort que la vodka, nettement plus à son goût et répondant parfaitement aux exigences de son frère. Ce serait parfait. En attendant que l'homme revienne avec sa commande, il rendit toute son attention à son aîné.

« J'aurais du préciser avant te connaissant, mais pas de mensonge dans les réponses ! »

Ça lui paraissait important de le signaler, il croyait parfaitement son frère coupable d'arranger la vérité à sa sauce pour faire coller une image qui lui allait sur une vérité moins propre. Et où était le plaisir du jeu si le résultat était gâché par de la malhonnêteté ? Lui était incapable de mentir – encore plus sous alcool – ou tout du moins de ne pas être transparent dans ses mensonges. Et ça, l'aîné l'avait très bien compris...

Le serveur revint avec la bouteille et il fallut peu de temps pour que les verres soient remplis. Avec un sourire prédateur, Akutsu fixa son regard sur son frère. L'alcool déjà ingéré ne lui faisait pas encore énormément d'effet, mais il sentit en lui une chaleur bien connue et une désinhibition légère. Pas qu'il en ait jamais besoin pour se laisser aller néanmoins à dire ou faire des conneries. Ça... Il le faisait aussi bien sobre.

« Allez, première question... Comment ta mère t'appelait quand tu étais gamin ? »

Juste pour noyer le poisson... et rigoler un coup.

Cathan ne chercha même pas à masquer son sourire ironique à la condition supplémentaire imposée par son petit frère. Mais oui, c'était connu, les règles, il les suivait toujours parfaitement, jusqu'au moment où ses intérets divergeaient. Mais était-il vraiment important de rappeler ce petit détail ? Personnellement, il ne s'en donnait guère la peine. Tout le monde mentait, et la société dans son ensemble se portait tout aussi bien de fermer les yeux devant cet état de fait. A quoi bon ennuyer les gens avec des détails fastidieux.. Un monde de vérité aurait été bien trop cruel à porter, n'en déplaise à Dr House et son petit frère.

Les verres furent remplis avec une précision et une rapidité exemplaire, l'odeur sucrée du rhum se répendant dans l'atmosphère en amenant un air de douce folie nocturne, ramenant avec elle quelques vieux souvenirs rendus bien trop flous par l'alcool pour donner autre chose que quelques impressions intéressantes.

«  Je ne pensais pas que les japonais étaient amateurs de rhum... »

Encore une chose que son petit frère avait récupéré aux USA ? C'était toujours amusant de constater que le jeune homme avait ramené bien plus que la langue, s'impregnant de toute une culture a priori plus permissive que la sienne. En le contemplant, Cathan se demandait à quel point ce métissage était du à un intérêt pour la langue et la culture, ou par opposition à une éducation plus traditionnelle et à la mésentente avec ses parents. Les deux sans aucun doute. Mais à quel niveau en avait-il conscience, c'était encore une autre histoire.

Cathan s'installa un peu mieux sur son pseudo siège, regrettant de ne pas être installé plus confortablement dans un fauteuil, attendant la première question qui ne tarda pas, laissant un sourire amusé sur son visage. Les petits noms de sa mère ? Akutsu était remonté loin pour commencer, ou voulait juste de quoi le faire chanter, ce qui était plus probable vu l'expression hilare qui s'affichait sur son visage juvénile.

«  Uniquement avec des petits noms en gaélique. Mo ruin, Ruadh ou Cath. » Devant le regard interrogateur du jeune homme, le roux compléta obligemment l'explication, sa voix emprunte d'une certaine tendresse alors qu'il repensait à sa génitrice. «  Mon amour, roux et avant que tu ne te poses la question Cath veut dire bataille en gaélique, pas chat. »

En primaire, c'était une des principales raisons pour laquelle il avait pu se battre, les petites remarques sur son prénom et sur le diminutif qui allait avec. Jusqu'à ce que sa mère lui en apprenne la vraie signification : à partir de ce moment, il l'avait porté avec fierté et rage, tel son étendart de bataille. Avec le recul, il était dingue de constater à quel point, à chaque moment de sa vie, il pouvait trouver des moments où quelques mots de sa mère avaient suffi à lui faire relever la tête et avancer. C'était vraiment la meilleure.

Cathan leva son verre avec un certain amusement, saluant Akutsu, et en but le contenu – une seule gorgée en fait – avant de le reposer dans un claquement sur la table. Après la bière, l'alcool fort réveillait les papilles.

« A mon tour... combien de fois as-tu déjà été arrété par les flics ? Histoire de savoir si je traine vraiment avec un repris de justice. »

Il en savait pas si les Japonais étaient particulièrement amateurs de rhum ou non. Friands d'alcool, c'était un fait, celui-ci étant au centre d'assez nombreux « rituels », notamment des beuveries entre collègues ou dans l'espoir de trouver l'amour. Le coté strictement gaijin du rhum ne devait, effectivement, pas le rendre particulièrement populaire. Akutsu connaissait la boisson de longue date cependant, mais en avait surtout consommé une fois arrivé aux USA. Niveau goût, elle était dans les alcools forts qu'il préférait.

Le rouquin répondit donc à la remarque d'un haussement d'épaules, écoutant sans l'interrompre la réponse que lui fit son aîné. Les surnoms étaient pour lui parfaitement incompréhensibles jusqu'à ce que, voyant son interrogation, son frère n'y réponde. L'anticipation de celui-ci quant au dernier surnom le fit simplement rire ; il préféra ne pas enfoncer le couteau dans la plaie.

Un éclat de rire accueillit la question de Cathan, étouffé pour ne pas être trop bruyant et ne pas déranger les autres clients. D'où lui était donc venu une idée pareille ? Le regard rieur, Akutsu l'observa sans répondre immédiatement. Malgré l'hilarité, il devait reconnaître qu'il se retrouvait un peu embêté. Était-il à ce point transparent pour que son frère lui ait deviné un passé un rien... houleux ?

« Deux fois au Japon, une fois aux USA. Aux USA, j'avais trop bu. »

Au Japon, il s'était trop battu. Énervé, il avait à l'époque un peu tendance à s'en prendre à ceux qui voulaient l'arrêter en pleine bagarre et ça lui avait joué des tours. Heureusement pour lui -même s'il en avait honte à présent – son père avait toujours arrangé les choses pour éviter un esclandre trop important pour la famille. En vérité, il avait appris très vite à se modérer et le temps aidant n'avait plus souhaité éclaboussé son nom... bien que cela ne l'ait jamais empêché de n'en faire qu'à sa tête.

Tendant le bras, il récupéra l'un des petits verres et le souleva entre Cathan et lui, avant de le vider d'un trait. L'alcool lui brûlait agréablement la gorge et ce fut dans le même geste que son frère qu'il reposa le récipient. Le claquement le satisfit presque autant que pouvoir à nouveau questionner le matheux.

« A quoi ressemblerait pour toi la femme idéale ? »

Question qui n'avait rien de bien romantique malgré ses airs. L'amour, la quasi vénération que Cathan portait à sa mère avait un peu intrigué Akutsu. En y réfléchissant, il avait fini par en arriver à deux conclusions : si ça n'était pas un complexe d'œdipe, ça y ressemblait vraiment, et le seul genre de femme qui conviendrait à Cathan devrait avoir de fortes ressemblances avec sa mère. Il n'y avait qu'à voir comment il parlait du reste des belles. Autant avoir sa réponse maintenant.

Cathan haussa un sourcil à la révélation qui lui laissa un sourire narquois – autant pour celle-ci que l'expression mitigée de son frère. Akutsu n'avait donc pas conscience d'à quel point il portait ses émotions sur son visage ? Il avait connu des gamins de 15 ans plus convaincants quand il s'agissait de mentir. Ca jouait à le rendre adorable et juvénile, sans aucun doute. Et le classait dans bien des catégories, mais certainement pas dans celle de quelqu'un de menaçant, ce qui n'était pas plus mal.

«  J'aurais cru pire. »

Effectivement, 3 fois... certes, Akutsu n'avait que 22 ans, et avec une majorité à 20 ans au Japon, c'était déjà pas si mal. D'un autre côté, il ne doutait pas que les interventions de son – de leur – père avait du couvrir quelques bétises, et que le jeune homme ne s'était pas toujours fait attraper. Si les policiers attrapaietn systématiquement toutes les bétises des jeunes gens, il n'auraient plus vraiment le temps de s'occuper de choses sérieuses... enfin, son avis en tant qu'agent sur ces incpables était probablement un peu biaisé.

La question suivante manqua de lui faire lever les yeux au ciel. A la place, il se contenta d'un reniflement peu élégant. Est-ce qu'il avait l'air de quelqu'un qui cherchait la femme de sa vie ? Certainement pas, et c'était surement ce qui rendait la question amusante aux yeux de son cadet. Cathan attrapa son verre, bien décidé à boire avant de devoir répondre à ce genre de question. Le plaisir du rhum capiteux sur ses papilles l'aiderait à envisager une réponse correcte.

«  La femme idéale ? Ca dépend pour quel objectif... Niveau courbes, celles de ma colocataires sont fort engageantes si tu l'as déjà croisée. Pour le reste... quelqu'un qui n'a pas froid aux yeux et capable de me tenir tête. Je pense que je je finirai pas marié au Japon. »

Le « ni nul part ailleurs » était sous-entendu dans la fin de la phrase, et plus qu'amusait. Autant il pouvait respecter les femmes en tant que personnes, autant il restait sur la ferme idée que se commettre avec une personne pour la vie – puisque c'était ce qui était compris dans la notion de couple – équivalait à se mettre la corde au cou. Tant qu'il était capable de se trouver des partenaires, pourquoi s'emmerder à se coincer avec quelqu'un ?

Le verre retrouva sa place parmi les autres, rappelant que le jeu prendrait surement plus d'intéret quand il y aurait plus de verres vides que de verres pleins, d'ici quelques tours.

«  Après les femmes, passons aux hommes... dis-moi petit frère, passif ou actif ? »

Oeil pour oeil...

Ah oui, il l'avait vu sa colocataire. Le moins que l'on pouvait en dire était que Cathan n'avait pas perdu au change en se retrouvant au milieu d'illustres inconnus. Entre la belle Indienne et l'Allemand qu'il ne s'était pas privé de reluquer non plus, il en arrivait presque à envier son aîné. Néanmoins, les propos suivants du roux chassèrent vite ces pensées parasites et il ricana légèrement. La vision de son frère marié était si saugrenue qu'il avait du mal à réellement le visualiser. Non qu'il vît mieux son frère avec un homme, du reste, parce qu'il peinait tout simplement à se l'imaginer stabilisé avec quelqu'un. Néanmoins, le jeune homme avait sa réponse. Bien que formuler tout à fait autrement, la femme idéal de son aîné restait donc assez semblable à ce qu'il en avait dit de sa mère – question caractère du moins, il doutait que le roux se soit un jour intéressé aux formes de sa tendre génitrice. Enfin il l'espérait fortement.

La question de son frère l'empêchait néanmoins d'épiloguer sur la question. Il n'aurait su dire si ça l'arrangeait ou non. Le regard fixé sur Cathan, l'air incrédule et totalement figé, il scrutait celui-ci comme s'il s'attendait à un « poisson d'avril » largement en retard. Il plaisantait n'est-ce pas ? Akutsu n'était pas toujours discret, mais dans le domaine, sans pour autant s'en cacher, il savait faire preuve d'un peu plus de retenue qu'habituellement. On ne l'aurait jamais vu draguer un homme au sus et à la vue de tous, pour commencer, et il s'efforçait de ne pas trop les détailler du regard. Peut-être pas encore assez, et puisqu'aucune parole ne venait souligner une plaisanterie...

Il se reprit et soupira un peu, avant de se passer une main sur la nuque. Sincèrement, il n'avait pas pensé parler de ça un jour, et maintenant qu'il repensait à la question elle-même, il se sentait vraiment gêné. D'autant plus que ce n'était pas le genre de question qu'il aurait abordé avec Ikkaku ou avec Hanabi, en tout cas pas de manière aussi crue. Cherchant ses mots, il s'humecta les lèvres avant de se décider à briser le silence établi entre eux. Si Cathan n'était pas encore certain d'avoir vu juste par rapport à sa sexualité, là, ce devrait être le cas... A moins qu'il ne le croit totalement aux hommes ?

« T'as vraiment de ces questions... Il va falloir que tu m'expliques comment tu as compris ça, là ça me dépasse. »

S'il tournait autour du pot ? Oui, un peu. En le réalisant, il se morigéna mentalement et secoua un peu la tête comme pour chasser ce comportement qui ne lui était pas habituel. Puisqu'il assumait...

« Cela dit je suis sûr que tu t'en doutes : passif. Avec toute la réserve que j'accorde à ce terme... »

Comme s'il se contentait d'écarter les cuisses... Reprenant un nouveau verre qu'il vida d'un trait et reposa sans grande douceur, il sourit un peu à nouveau, fixant Cathan dans les yeux. Si vraiment il voulait qu'ils aillent dans les questions personnelles, alors soit. Il en avait une toute prête.

« C'est sérieux avec Jiro ou juste pour la détente ? »

La tête d'Akutsu, celle d'un gamin prit la main dans la boite à gateaux, valait son pesant d'or et aurait au moins mérité un rire moqueur dont s'abstint Cathan. Enfin, à moitié. Un sourire ironique accueillit la gêne manifeste du jeune homme qui, comme souvent, se passa la main sur la nuque, se tortillant jusqu'à ce qu'il arrive à répondre. Réponse effectivement sans surprise, mais si c'était là quelque chose que Cathan entendait bien ne jamais vérifier – charier son petit frère dessus serait largement suffisant. Grand seigneur, il accepta néanmoins de répondre à la question hors de son tour – pour le plaisir de voir Akutsu se tortillait un peu plus. Dingue comme un gamin habituellement si sur de lui pouvait se transformer en môme gêné pour une question un peu trop perso, alors que 5 minutes auparavant il était fier comme un paon. Il supposait que c'était ça qui le rendait mignon au final, ce mélange d'effronterie et de manières.

« Comment j'ai deviné ? Jamais un hétéro ne m'aurait maté de la manière dont tu l'as fait quand tu m'avais vu en train de faire des tractions. Plutôt flatteur j'avoue. »

L'ambiance salle de gym, il connaissait, avec les regards jaloux ou de compétition. L'ambiance salle de gym gay, avec le regard appréciateur qu'avait eu Aku, bien loin de se douter de leur lien à l'époque, il en avait bien moins l'habitude, mais connaissait suffisament ce genre de regard pour le reconnaître pour ce qu'il était. Heureusement que le nom de leur père était suffisament reconnaissable d'ailleurs, il aurait détesté se retrouver dans une situation plus qu'écoeurante.

Akutsu réattaqua avec une question plus privée comme vengeance, question qui manqua de transformer son sourire ironique en expression plus amère. Fort heureusement, il avait trop l'habitude des questions pièges pour y tomber facilement, d'autant plus que le soucis n'était pas pour lui dans ce cas précis, mais bien pour le japonais qui lui avait avoué du bout des lèvres une attirance pour un de ces élèves. De ce fait, Cathan avait beaucoup de mal à décolérer, comprenant difficilement l'attirance que pouvait avoir un professeur envers un de ces mômes imatures qu'ils devaient secouer tous les jours en classe. Sur le coup, il avait envie de donner un grand coup de pied dans cette saloperie de mentalité japonaise qui ne semblait guère choquée à l'idée d'une relation avec une large différence d'âge.
Il avait beau avoir une confiance toute relative en Akutsu, le moins de personne était au courant, le mieux Jiro s'en porterait. Et au final, ça n'avait pas grand chose à voir avec la question...

« Avec Jiro ? Ami avant tout. Donc relation détente et pratique. Avoir juste un couloir à traverser, le pied... »

Il vida son verre cul-sec et le reposa près des autres, l'alignant toujours avec un soin maniaque pendant que son esprit formentait une nouvelle question. Akutsu avait peut-être lancé le jeu, mais il ne voyait aucune raison de ne pas en profiter lui aussi.

«  Aimes-tu ta couleur de cheveux ou c'est juste par défi ? »

« Putain ! Faudrait vraiment que j'apprenne à être discret ! » furent à peu près les seuls mots que son cerveau consentit à former après l'explication de Cathan. La bouche légèrement entrouverte au départ, bien vite fermée en une moue gênée alors qu'il ne savait plus très bien où se mettre. Non qu'Akutsu soit particulièrement mal à l'aise de reconnaître son goût pour les hommes, mais qu'on lui mette sous le nez l'attirance manifeste éprouvée au départ pour son frère était déjà plus dérangeant. S'il n'avait pas eu comme règle d'or de ne jamais toucher aux collègues, amis et colocataires – ça évitait bien des emmerdes – la situation aurait pu être bien plus atroce cependant. A bien y réfléchir, que son frère connaisse le nom du paternel avait sans doute nettement joué aussi sur la chasteté de leurs rapports. Merci bien.

La réponse de Cathan lui arracha un sourire content, reléguant ses précédentes divagations au rang de pensées parasites auxquelles il ne fallait plus songer. Il n'était cependant guère surprit par ce que venait de lui dire son frère. Imaginer celui-ci en couple stable, totalement amoureux ou quelque chose comme cela était difficile. Le roux n'était pas fait pour la stabilité, quel que soit le domaine, Akutsu en était persuadé.

Finalement, les relations les plus suivies que le professeur de mathématiques avait eu dans sa vie devaient être celle avec sa mère et celle avec l'alcool, songea Akutsu en le regardant terminer un verre de plus. La chaleur de du rhum avait commencé à se répandre en lui un peu plus tôt, sans altérer encore trop son self control. Du moins le pensait-il, mais finalement, l'alcool devait petit à petit avoir raison d'eux pour qu'ils en arrivent à parler de choses à ce point personnelle. Curieusement, la question qui suivit le fut moins et le cadet ne put s'empêcher de fixer la chevelure flamboyante de Cathan avant de répondre.

« Un peu des deux... »

Il s'était teint les cheveux approximativement à la période où il avait eu son tatouage, donc lors de sa toute dernière année de lycée. A l'époque il n'avait que 18 ans et avait sauté sur l'occasion lors des vacances d'été pour aller à Tokyo se faire faire un tatouage dans les règles de l'art. La tête de son aîné, lorsqu'il avait vu le motif alors incomplet, valait bien la peine de l'avoir fait. Ikkaku n'avait pourtant pas tardé à se rendre complice de ce qu'il appelait « sa bêtise » pour éviter à ses parents de découvrir un jour ce que leur cadet avait débuté, puis continué plus tard. Préférant donc ne pas attirer l'opprobre sur le plus âgé de la fratrie, Akutsu avait opté pour une méthode plus voyante encore de rébellion. Ses cheveux roux avaient manqué de lui valoir une gifle bien sentie de son paternel, mais surtout avaient sonné le début des longues disputes entre eux.

« Ça emmerdait le vieux, moi j'aimais bien. Quand j'me suis retrouvé aux USA, je l'ai gardée. »

Il se passa une main dans les cheveux et tira un peu sur une mèche, louchant presque pour la regarder. Une petite moue arqua ses lèvres avant qu'il n'abandonne sa contemplation alcoolisée de ses cheveux. Redonnant son attention à son frère, alors qu'il attrapait son verre pour le vider d'un trait ensuite, il attendit d'avoir déglutit pour reprendre.

« Je devrais peut-être repasser au noir. Je crois que le dirlo préfèrerait que j'donne un meilleur exemple mais... Ça me ferait bizarre. J'm'imagine plus très bien en brun. »

D'un haussement d'épaules, il classa la conversation, se creusant alors la tête pour savoir quoi demander à Cathan. Il compta les quelques verres qu'il leur restait à boire et oublia l'idée de l'interroger tout de suite sur ce qui l'intéressait vraiment. Finalement, un nouveau sourire éclaira ses traits.

« Comment t'as su qu'les mecs aussi avaient tes faveurs ? »

Cathan essaya un instant de s'imaginer Akutsu en brun – avec une coupe plus classique, et des vétements plus sages – avant de rayer l'image de son esprit. Cette image du salary-man japonais ne convenait guère avec celle qu'il s'était forgé de son petit frère excité et peu conventionel. C'était comme de l'imaginer lui avec les cheveux courts et bruns : non que ça lui aille mal, mais c'était un homme qui donnait une impression totalement différente de celle qu'il dégageait. Le petit jeu des apparences qui leur faisait s'attirer quelques regards du directeur et de certains de leurs collègues japonais plus collets montés. Plus pour Akutsu que lui d'ailleurs : en tant qu'américain, il avait droit à une certaine latitude, voir tolérance, qui n'existait pas à l'intention d'un japonais natif.

L'alcool faisait ses effets sur Akutsu : il passait encore plus facilement du japonais à l'américain, avec un accent plus trainant qui le faisait parfois bafouiller entre deux syllabes. Cathan lui-même n'était pas sur que son japonais serait aussi immaculé que d'habitude s'il tentait d'avoir une conversation parfaitement sensée... ce qui était une excellente raison pour en rester à l'anglais. La question, aussi tendancieuse que sa précédente lui arracha un ricannement.

« Les soirées à l'univ. Comprendre beaucoup d'alcool et beaucoup de conneries : j'ai testé un soir où j'étais suffisament déchiré pour ne pas différencier une des nanas du labo de physique appliqué avec mon binôme, une tapette notoire. Après la gueule de bois, je me suis dit que ça vaudrait le coup de recommencer avec un peu moins d'alcool. Depuis... je ne peux pas dire que je préfère les mecs, mais ils ont un avantage : ils sont souvent beaucoup plus facile à décrocher que les femmes. »

Avec un sourire assez satisfait de lui, l'américain porta son verre à ses lèvres, sans faire beaucoup plus qu'y tremper vaguement les lèvres en réfléchissant à la question suivant qu'il pourrait offrir à Akutsu. Il avait déjà vu le jeune homme rougir et se tortiller sur son siège, aussi géné qu'un gosse pris en flagrant délit, que pouvait-il encore arriver à lui faire faire ?
Au passage, il profita du moment où Akutsu tournait la tête pour regarder le postérieur d'une des serveuses qui venait de prendre son poste pour vider la fin de son verre dans la plante verte la plus proche, espérant que le joli erable nain résiste à l'attaque du rhum. Certes, il avait comme avantage sur son frère d'être plus lourd, mais il y avait bien un moment où ça ne suffirait plus. Et autant ne pas dire trop de connerie.

« Très joli, oui... Tu as chialé pendant que tu t'es fait tatouer ? »

Vu la taille de la bête... Cathan voulait bien croire que le moment à passer avait du être long et douloureux, surtout pour l'ado qu'Akutsu avait été... il n'y avait de cela pas si longtemps.

Pleurer pour son tatouage ? La question le laissa coi quelques instants, pendant qu'il remettait ses pensées en place – de préférence avec des phrases cohérentes – et lâchait du regard la jolie serveuse. Ses yeux noirs se posèrent sur Cathan qui semblait encore bien tenir malgré les verres bus. Lui commençait déjà à bien sentir les effets de l'alcool, d'ailleurs le petite moue qu'il affichait ne trompait pas, guère plus que son haussement d'épaules maladroit. Pleurer pour son tatouage ? Non. Lui fier homme, lui pas pleurer. Pas pour ça.

« Moi ? Chialer comme une fillette pour si peu ? Nooon ! Aucun risque. »

Bon, okay. Ça faisait un mal de chien. Lui qui s'était pris bien des coups – quelques cicatrices sur son corps en témoignaient – il avait franchement serré les dents pendant que le tatoueur s'occupait de son dos. Sans sa fierté, il aurait probablement fini par pleurer, en effet. Un tatouage classique faisait déjà mal lorsqu'on passait sur la colonne vertébrale, mais un à l'ancienne...

Un sourire bravache fleurit sur ses lèvres, alors qu'il levait son verre comme pour porter un toast à son frère. Il engloutit son contenu d'une traite, reposant le verre retourné avec une grâce d'ivrogne. Le claquement sec du récipient sur la table de bois ne l'empêcha cependant pas de reprendre la parole, aussi fier qu'un chiot ayant réussi un tour.

« J'l'ai fait en plusieurs fois. Ça fait mal, mais bon, quand t'y vas, tu sais c'que tu fais quoi. Donc j'ai pas pleurer. Et puis c'est quand même pas si douloureux. »

A peine...

« Tu d'vrais t'en faire un tiens ! J'suis sûr qu'un tatouage t'irait bien. Sauf si bien sûr c'est contraire à tes principes ! »

Une petite voix en lui, encore à peu près sobre, lâcha un « quels principes ? » que le fit ricaner tout seul pendant un instant. Lorsqu'il réalisa, il se reprit avec un grattement de gorge, scrutant les traits de son aîné. C'était à son tour de poser une question, maintenant. En continuant de le dévisager, il s'attela à se remémorer la réponse entière de Cathan à sa dernière question. Son regard descendit sensiblement sur les derniers verres en place, avant qu'il ne remonte. Bientôt, il pourrait l'interroger sur la seule chose qui l'intéressait vraiment.

S'il arrivait à s'en souvenir à temps.

« T'as déjà été maqué ? Durablement, j'veux dire. »

Difficile de retenir le sourire qui manquait de faire deux fois le tour de son visage alors qu'il se retenait déjà de rire au comportement d'Akutsu, aussi assuré et fier de lui qu'un chiot de trois mois qui revient en tenant son jouet à pleine gueule alors qu'il s'emmêle encore les pattes pour marcher correctement. L'élocution qui connaissait quelques ratées, les pauses un peu trop longues pour arriver à faire des phrases correctes – mais qui ne l'étaient pas tant que ça... - Cat avait gagné son pari : la dizaine de kilos de différence et les quelques verres qu'il avait escamoté sous le nez de son petit frère lui avait donné assez d'avance pour que le plus jeune soit bien fait avant lui. Akutsu n'avait jamais du même imaginé que son frère ne comptait pas jouer le jeu jusqu'au bout. Ah, l'innocence de la jeunesse... En attendant, voir le jeune homme se rengorger à propos de son tatouage était amusant. L'américain se contenta de secouer la tête. Graver dans sa peau des dessins et autres signes peu ou prou cabalistiques ne l'intéressait pas le moins du monde. Il tenait à son intégrité physique et ne comptait pas la modifier pour la changer de coloration.

« J'aime mon corps comme il est baby brother, aucun besoin d'y ajouter des décors. »

Cathan attrapa son verre de rhum avant la question suivante, se demandant comment il allait esquiver de le boire cette fois, avec le regard de son frère fixé intensément sur lui. Nul besoin de s'interroger : la question lui amena un regard surpris et un geste un peu brusque – il n'était pas aussi indemne de l'alcool qu'il aurait voulu le faire croire – envoyanty valser son verre et son contenu jusqu'au sol où il explosa dans un joli bruit cristallin. Aussitôt, la petite serveuse japonaise à l'air sévère fut près d'eux, son regard passant sur le désastre au sol, sur les verres retournées sur la table, sur le sourire hilard d'Akutsu pour enfin s'arréter sur lui. Cat lui offrit son plus joli sourire contrit... celui qui lui donnait l'apparence du chat venant de bouffer un canari.

«  Oups... »

« Si vous n'arrivez plus à tenir votre verre, je pense que vous avez assez bu et qu'il vaut mieux que vous sortiez prendre l'air. La maison vous remercie de vous être arrêté chez nous pour votre soirée. »

Il n'y avait pas à s'y méprendre : aussi jolie et polie soit la formulation, ils étaient foutus à la porte avec autant de certitude que si un gorille les avait pris sous le bras pour les jeter dehors manu militari. Avec le même sourire contrit, Cathan sortit quelques billets de sa poche pour régler les consommations, et attrapa Akutsu par le poignet pour slalomer entre les tables et le guider vers la sortie où un courant d'air frais l'accueillit avec plaisir. L'américain s'affala contre le mur, se laissant quelques minutes pour faire passer l'impression de tête légère que l'alcool semblait vouloir faire perdurer.

« Hum... désolé ? Et non, j'ai jamais été maqué longtemps. Par contre, j'ai failli avoir un chien... mais heureusement pour lui, je l'ai refilé à quelqu'un d'autre vite fait. »

Une malheureuse bête dont le maître avait été tué et que ni lui ni ses collègues n'avaient voulu laisser à la fourrière pour se faire piquer. Il l'avait gardé quelque jour avant qu'un collègue avec une femme, des enfants et une maison avec un petit jardin ne le récupère à la demande des gosses. Il espérait juste que ce brave type soit encore en vie, et pas divorcé, au moins pour le chien.

« J'en avais marre du rhum en fait... »

Il ne l'avait pas vu venir tout de suite, mais une fois la serveuse tout près d'eux, l'air pincé et le ton sévère, il ne put s'empêcher de se sentir sourire comme un gamin fier de sa connerie. D'ailleurs, il avait comme les enfants ce même sentiment de fierté à l'idée d'avoir braver l'autorité, ici représenté par une bien belle demoiselle. Il n'eut cependant même pas le temps de lui faire un commentaire sur sa joliesse qu'il sentit une main s'abattre sur son poignet alors que, de l'autre, Cathan payait. Une protestation mourut sur ses lèvres – sans que cela l'empêche de saluer la jeune femme pour autant, ainsi que les autres personnes du bar – et il se retrouva bien vite au frais très relatif de l'extérieur, au bord de l'hilarité. Son aîné n'avait pas tort de lui dire parfois qu'il était un petit con : il n'était même pas assez ivre pour ne pas savoir ce qu'il faisait, même si l'alcool ingéré aidait indubitablement à agir comme ça.

« Ouuh, ça fait du bien de prendre un peu l'air. Pas commode la d'moiselle ! »

Un rire ponctua encore sa remarque avant qu'il n'inspire à grande goulée, s'appuyant sur le mur tout près de son frère. Quelques minutes de silence leur permirent de retrouver un rien de dignité – d'ailleurs Akutsu, une fois à peu près remis, entreprit de replacer ses vêtements correctement. La question posée plus tôt lui avait presque échappée lorsque sa réponse arriva, lui remettant en tête à la fois le petit jeu qu'ils avaient mené et les conséquences. Avec une petite moue embêtée, le plus jeune finit d'ailleurs par réalisait qu'il n'aurait pas sa réponse maintenant, si tant est qu'il l'aurait obtenu au bar. Pourtant il ne désespérait pas de l'entendre, et un large sourire carnassier – et alcoolisé – barra son visage quand il vint se planter face à l'Américain.

« Toi avec un chien... Pauvre de lui ! »

Le commentaire un peu moqueur – surtout taquin – n'était même pas assez subtil pour cacher celui qui allait suivre. Peu importait. D'ailleurs, Cathan lui facilitait la tâche en abordant le sujet du rhum, faisant ricaner Akutsu du même coup. Marre d'en boire ? Ouais... Mais en attendant il était plus fait que lui, aussi étrange que cela puisse paraître. Il aurait cru qu'il allait perdre, mais estimait qu'il s'agissait là de sa victoire.

« En attendant t'as perdu. Donc pour la suite... karaoke ! J'veux t'entendre chanter ! Héhé... En plus j'en connais un bien qu'est pas trop loin d'ici. En route ! »

Le mouvement un peu brusque qu'il fit en se retournant l'obligea à se décaler un peu alors qu'il se remettait en marche. Revenant en ligne pour tenter de marcher droit, Akutsu démarra d'un bon pas. Il ne savait pas trop s'il réussissait à suivre la ligne imaginaire qu'il superposait à la route, mais s'en fichait au fond et tourna bien vite la tête pour regarder son aîné.

« On se r'prendra à boire une fois sur place ? »