Il faisait vraiment beau en ce dimanche après-midi. C’était le cas depuis quelque temps d’ailleurs. La jeune femme avait d’ailleurs profité du samedi pour aller lire un peu dans le parc. Elle avait repoussé les devoirs en espérant que dimanche il ferait un temps maussade et que par conséquent rien ne la déconcentrerait. C’était peine perdue. Il faisait grand soleil et Maiko n’avait qu’une envie : en profiter au maximum. Son regard passa du livre qu’elle devait analyser à la fenêtre de sa chambre. Elle haussa ses épaules, autant travailler au soleil. Ça lui éviterait de jeter des regards à la fenêtre toutes les deux minutes. Après tout, elle avait fini tous les autres ce matin et l’analyse n’était pas à rendre tout de suite. Malgré tout, mieux valait ne pas repousser jusqu’au dernier moment.

La jeune femme ouvrit son exemplaire Le Suicide écrit par Durkheim et y glissa quelques feuilles et un stylo. Elle referma le tout et se dirigea vers son placard qu’elle ouvrit. Ses camarades de chambre n’étaient pas présentes. Elle pouvait donc se changer à l’aise. Étant donné qu’elle souhaitait aller au plan d'eau, elle décida de troquer son jogging contre une jupe rouge plissée avec un petit chemisier blanc à manches courtes. Contrairement au mercredi dernier où elle n’avait pas attaché ses cheveux et où elle s’en était mordu les doigts, la jeune femme se fit deux couettes hautes. Enfin prête, elle prit son livre et sortit de la chambre qu’elle ferma à clé qu’elle glissa dans la poche droite de son chemisier.

Le chemin au parc se fit rapidement. Elle se hâta d’aller au point d’eau où déjà quelques élèves s’étaient amassés. Elle défit ses ballerines rouges et alla s’asseoir au bord de l’eau laissant ses pieds jouer dans celle-ci. C’était vraiment agréable. La brune avait bien fait de venir ici pour travailler. Maiko empoigna alors son stylo et une feuille qu’elle annota au fil de sa lecture. Il faisait vraiment très chaud et le vent ne soufflait pas. Depuis quand était-elle ici ? Aucune idée, elle avait lu une trentaine de pages et déjà rempli deux feuilles recto verso. La jeune femme leva son regard en soupirant. Elle commençait à fatiguer, peut-être que s’allonger l’aiderait un peu. Elle se redressa et recula un peu pour s’allonger face au lac. Sur le ventre, elle continua son ouvrage et saisit une nouvelle feuille. Mais la lecture se faisait difficile et petit à petit ses yeux devinrent lourds. Finalement, elle s’endormit laissant son livre grand ouvert et les feuilles libres de s’envoler. Ce qui ne tarda pas le vent se décidant à l’inverse de Maiko de se réveiller.

Yuhei bossait toute la semaine et il s'accordait peu de temps pour lui-même. Une partie de foot de temps à autre mais guère plus. La plupart du temps, entre les cours, les devoirs et ses activités de journaliste au club, il ne connaissait pas de pause.

Pourtant, en ce dimanche après-midi, dernier refuge de calme dans une vie vécue un peu à cent à l'heure, il sortait des douches pour revenir à sa chambre. Heureux de s'être délassé après le match qu'il avait joué dans la matinée, il avait désormais le projet d'aller au soleil profiter de sa chaleur et de son éclat.

Pour un jeune garçon ayant passé la plus grande partie de sa vie dans des pays ou l'ensoleillement est souvent la règle. Le manque de soleil était sans doute la chose qui le touchait le plus. Recherchant sa caresse ardente avec avidité et gourmandise, il s'était habillé d'un bermuda orange et d'une chemise légère blanche aux rayures fines s'étalaient en dégradé beige. A ses pieds, il portait des babouches tout à fait saugrenus au Japon mais qui rappelait bien l'exotisme de son passé.

Quittant le dortoir avec un magazine, une serviette de bain et de quoi se désaltérer, il marcha d'un pas long et vif vers le plan d'eau, là ou il savait pouvoir profiter d'une relative fraicheur. L'été était une saison étouffante et difficile à supporter, Detsuda le reconnaissait. Mais son métabolisme paraissait usé à faire face à ces fortes températures.

Quand il parvint au lieu, il ne fut pas étonné de ne pas avoir été le seul à caresser l'idée de se retrouver ici. A vrai dire, il s'étonnait même qu'il n'y ait pas plus de monde que cette jeune femme qui paraissait étendue, abandonnée à l'astre solaire.

C'est alors qu'il vit le vent soulever les pages d'un livre et en libérer des feuillets s’élevant dans les airs. Mue plus par l'intuition que par la pensée, Yuhei se tendit et fit quelques pas pour les cueillir ou les ramasser. Prenant quelques instants pour les classer, il put en survoler le contenu. Son regard marron-vert alla alors des copies à la jeune femme d'un air un peu pensif et hésitant quand à l'attitude à adopter.

" Elle doit faire une analyse de texte ou un truc du genre... "

Il caressait son visage endormie de ses yeux et un sourire doux naquit sur ses lèvres. Le jeune garçon ne savait trop quoi en penser mais ce spectacle paisible réchauffait son cœur. S'approchant auprès d'elle, il s'accroupit et hésita une nouvelle fois.

Yuhei avait beau avoir beaucoup voyagé, il n'avait pas vraiment côtoyé de femmes dans sa vie. Cela expliquait un caractère hésitant qui lui ressemblait pourtant peu. Il se rappelait les interdits qui existaient dans les pays ou il avait vécu et il avait parfaitement conscience des mœurs nippones à ce sujet.

- Mademoiselle ?

Tenta-t-il d'un ton charmant sans grand succès appairant. Sa grande inquiétude était de réveiller cette jeune femme en sursaut. Il ne le désirait pas et se creusait la tête pour la tirer du monde des rêves sans violence.

Enfin, empruntant une mine résolue puis un sourire qui hésitait entre le charme et la fierté, il passa sa main dans les cheveux qui retombaient sur le visage de l'inconnue et prononça ces quelques mots en arabes d'un ton chantant et léger.

- A quoi sert la lumière du soleil, si on a les yeux fermés.

Le soleil sur la peau de la jeune femme était vraiment agréable. Il la berçait si bien qu’elle s’était ancrée profondément dans le royaume des songes. Elle était dans un parc. Ses parents avaient organisé un déjeuner avec leurs nouveaux amis de la haute société. C’était une grande première. Pour l'occasion, Maiko avait attaché ses cheveux en chignon, ses yeux étaient finement soulignés de noirs et ses lèvres peintes d’un rouge aussi rouges que les fraises mûres. Quant à sa tenue, elle portait un yukata bleu nuit avec en motifs des pivoines rouges. Elle était élégante. Cependant, elle faisait pâle figure à côté des autres filles qui ne manquèrent pas de venir se moquer d’elle lui montrant à plusieurs reprises qu’elle n’était qu’une parvenue. Elle se sentait mal, seule, agneau parmi les loups.

Soudain, une voix venue d’ailleurs sembla l’appeler. Elle tourna la tête et avança vers l’endroit d’où elle lui était parvenue. La voix se fit entendre de nouveau, elle était beaucoup plus présente à l’inverse du paysage qui s’estompait. En revanche, Maiko ne comprenait pas un mot. C’était, semble-t-il une autre langue. Une autre sensation s’était emparée d’elle, c’était comme si quelqu’un lui caressait les cheveux. Elle fronça légèrement les sourcils et papillonna des yeux se réveillant doucement. Elle roula vers cette main qui était présente sur ses cheveux. La Belle aux Bois Dormants posa un regard tout endormi sur le jeune homme à la voix qui l’avait réveillée. Elle le voyait sans le voir. Elle amena ses poings sur ses yeux qu’elle frotta pour se réveiller avant de bâiller. Elle s’étira alors doucement laissant échapper un léger gémissement. Bien réveillée elle put observer le visage penché au dessus d’elle.

Il s’agissait d’un élève vu la jeunesse de ses traits. Ses grands yeux couleur noisette étaient posés sur elle. Quelques cheveux bruns retombaient sur son visage. Elle ne l’avait jamais vu auparavant. Ainsi, c’était lui qui l’avait arraché aux bras de Morphée. La brune s’empressa de se redresser, restant toutefois assise. Elle plongea son regard chocolat dans le sien et lui adressa un petit sourire gêné.

« Bon… bonjour. »

Elle baissa la tête, ses joues devenant progressivement aussi rouges que sa jupe. Un autre bâillement la prit et elle rougit de plus belle. Elle redressa doucement le visage de peur de voir un regard de reproche ou gêné de la part du jeune homme en face d’elle. Elle put ainsi détailler sa tenue. C’était assez, comment dire, voyant, enfin, l’orange était vif, et puis ces babouches étaient tout sauf ordinaires au Japon. Était-ce un étudiant étranger, une sorte d’échange entre les écoles ? Cette sonorité étrangère qu’elle avait entendue lors de son rêve était-ce lui ? Elle regarda un peu partout autour d’elle. Ils étaient seuls. Donc soit ça venait de son rêve, soit c’était ce garçon en face d’elle qui lui avait parlé.

« Merci de m’avoir réveillé… euh… »

Elle se sentait bête à ne pas savoir quoi dire. Gênée elle joua un instant avec ses cheveux et se mordilla la lèvre inférieure. Elle se souvint que si elle ne savait pas qui il était, alors lui non plus ne devait pas savoir qui elle était. Elle inclina alors légèrement son visage et se présenta :

« Aikawa Maiko, enchantée. »

Detsuda avait toujours emprunté le même sourire et le même air débonnaire alors qu'il voyait avec plaisir la jeune fille se réveiller, révélant ainsi son regard. Se tenant sans bouger, il ne put s'empêcher d'être quelque peu troubler par le rose qui naissait sur les pommettes de celle qu'il venait de réveiller.

" Je... Je la trouble ? "

Yuhei accusait une certaine expérience dans les réactions féminines et cela causait toujours en lui un nombre importants de questions qui demeuraient bien souvent sans réponse. Dans ses souvenirs, il n'avait fais face à une jeune femme à la fois jeune et pourtant de plusieurs années sont ainés. Cela le laissait dans un état de questionnement intense.

Accroupit au niveau de son interlocutrice, il profita que cette dernière fuyait son regards pour caresser sa silhouette du sien. Elle était belle et différente de ses camarades. C'était une femme, ou du moins, l'était-elle bien plus que ses camarades féminins. Il se perdit sur ses formes, s'enchanta des reflets de ses cheveux pour revenir à l'éclat de ses yeux.

- Detsuda Yuhei.

Annonça t-il d'un ton un peu claironnant, ayant laissé ses origines japonaises au vestiaire pour l'occasion. Son visage emprunta une expression mêlée de fierté et de charme, c'était là un bien exotique mélange, bien loin des mimiques nippones. Le jeune garçon tendit alors les feuillets qu'il avait récupéré.

- En temps normal, je t'aurais laissé dormir, Sempai. Mais le soleil et le vent, tu risquais d'y perdre tes feuilles et d'y gagner une bonne insolation. D'ailleurs... Tu as soif ?

S'exprima t-il d'un ton chantant et enjoué, portant ses mains libérés des feuillets à la bouteille qu'il portait dans un porte gourde en tissu synthétique orange et noir.

La brunette sourit poliment après avoir entendu le nom de son cadet. Ce nom lui disait quelque chose. Elle avait dû le croiser depuis la rentrée, mais sans y faire attention. Il n’y avait pas eu d’évènements particuliers depuis la rentrée. Ça remontait donc à ce moment-là. Sûrement quand elle avait dû s’inscrire dans un club. Par curiosité, elle avait fait le tour. Elle se souvenait s’être attardée sur certains stands ou bien juste avoir passé la tête et regardé les noms des inscrits, présidents et vice-présidents. D’ailleurs, maintenant qu’elle y pensait, n’était-il pas celui du club de journalisme ? Il faudrait qu’elle se renseigne.

Des feuilles se mirent en premier plan au niveau de sa vision ce qui la fit sortir de ses pensées. Mais… c’était ses feuilles. Comment se faisait-il que... ? Elle tourna la tête vers son livre et écarquilla ses yeux. Elles avaient toutes disparu. Quelle sotte elle avait été de s’endormir ainsi. Elle n’avait même pas eu le temps de se préoccuper de ses affaires. La jeune femme prit les feuillets des mains de son camarade en lui faisant un petit sourire. Elle s’empressa de les remettre dans son livre sur lequel elle replaça son stylo. En cas de vent elle aurait le temps de maintenir le tout fermé.

« Je te remercie Detsuda-san, c’est très attentionné de ta part. C’est vrai qu’il fait très chaud, un peu d’eau serait la bienvenue, merci. »

La jeune femme fit un doux sourire au jeune homme. Elle avança lentement ses mains vers la bouteille. Elle ne voulait pas se montrer brusque, ni insistante malgré la proposition du jeune homme. Ses mains se posèrent alors sur la boisson tant attendue, mais elle frôla celles de Yuhei. Une rougeur apparue sur ses joues. Elle se hâta de prendre la bouteille tout en bégayant un « désolée » à peine audible. Maiko porta la bouteille à ses lèvres et but quelques gorgées avant de refermer la bouteille et de la tendre à Yuhei. Quelques gouttes perlaient à ses lèvres tandis qu’elle s’adressait à lui :

« Tu as une voix mélodieuse Detsuda-san, j’ai l’impression d’avoir entendu le même son chantant en rêve, mais impossible de me rappeler, je n’y comprenais, rien. »

La jeune femme fit une petite moue et son regard se perdit dans la contemplation du paysage. Elle était en somme repartie dans le monde des rêves.

Detsuda hocha de la tête quand elle le remercia de sa proposition. Son expression se détendit et s'éclaira d'un sourire franc. Il était heureux, même s'il ne saisissait pas forcément pourquoi. L'expression de la jeune femme insufflait de la chaleur dans son cœur. Tendant sa bouteille d'eau, il ressentit la douceur des mains d'Aikawa sur les siennes pendant un bref instant. Cela ne l'aurait pas troublé outre mesure s'il n'avait pas vu la jeune femme exprimer de la gêne. Pris légèrement au dépourvue, sans comprendre vraiment en quoi elle devait être désolé, il bégaya un:

- Ce n'est rien...

Tout aussi hésitant. Yuhei avait oublié que les japonais apportaient une forte symbolique aux contacts humains. Il ne connaissait pas d'équivalent là ou il avait vécu. Il ne put s'empêcher de trouver ça grotesque. Après tout, il n'avait ressentit aucun déplaisir à ce contact.
Le jeune garçon se demanda alors avec un léger amusement s'il devait lui signifier qu'il avait déjà bu à cette bouteille quand il vit Maiko porter ses lèvres au goulot. Son regard s'enflamma d'une légère lueur de douce malice et son sourire s'agrandit.

" Disons que ça sera mon petit secret. "

Ce fut à son tour d'être prit légèrement dépourvu quand elle le complimenta sur sa voix. Portant machinalement sa main à sa nuque pour la caresser avec un rire un peu nerveux, il laissa son regard s'évader vers le plan d'eau, le temps de retrouver un peu de paix intérieur.

- Oh, c'est juste un vieux dicton arabe qui m'est revenu en te voyant dormir, Sempai.

Revenant de nouveau vers son interlocutrice, il poursuivit d'un ton plus léger et chaleureux.

- Cela veut dire " A quoi sert la lumière, si on a les yeux fermés. " C'était une formule que je trouvais pertinente pour la situation.

Il accentua une nouvelle fois son sourire avant d'emprunter une mine plus mesurée, ses iris noisettes exprimant toujours la même lueur. Se sentant plutôt à l'aise, il décida de s'asseoir complétement à terre au coté de Maiko.

- En tout cas, je comprends ta fatigue. C'est vachement ardue les études de textes et d'ouvrages. Assez fastidieux, même...

Regardant tour à tour la jeune femme puis le plan d'eau, Detsuda paraissait hésiter quand à ce qu'il devait vraiment admirer. Il ne pouvait rien y faire, il n'était vraiment pas usé à la compagnie féminine et son éducation nipponne était exsangue à ce sujet. De fait, il laissait bien davantage parler ses héritages plus exotiques dans son attitude.

- Ca va? Tu t'en sors?

La jeune femme fut sortie de ses rêveries quand son cadet lui répondit. Elle détacha son regard des ginkos et le posa sur Yuhei. Sa curiosité était piquée à vif. Ainsi, il parlait l’arabe ? Ce n’était pas une langue très commune au Japon, de plus, il connaissait un dicton de cette langue. Elle-même avait dû mal avec les expressions espagnoles et pourtant elle étudiait la langue depuis quelques années déjà. Maiko observa plus attentivement ce jeune garçon. Finalement, sa tenue n’était peut-être pas si extravagante que ça pour quelqu’un qui avait sûrement vécu, supposait-elle, en Arabie.

La brunette laissa là ses suppositions, après tout, elle aurait le temps de lui poser la question. Et puis, elle voulait vraiment savoir ce que signifiait ce dicton. Elle tendit machinalement sa tête en avant, c’était comme si, par ce geste, elle pressait le jeune homme de lui répondre. Réponse qui ne tarda pas à suivre et qui la fit sourire. En effet, ces paroles avaient été très appropriées en pareille situation. Elle leva alors son regard vers le ciel passant sa main devant ses yeux pour se protéger du soleil. Pas un nuage ne couvrait ce parterre bleu. Au choix, si elle n’était pas destinée à travailler aujourd’hui, elle aurait préféré prendre un livre et se plonger dedans en même temps qu’elle aurait plongé ses jambes dans l’eau de l’étang. Elle n’avait plus du tout envie de se remettre au travail après cette sieste. Pourtant, il fallait bien qu’elle termine cette étude, et le plus tôt serait le mieux. Elle poussa alors un petit soupire avant de reporter son attention sur son camarade.

« L’étude en elle-même est intéressante. Simplement, j’ai du mal à faire comme l’auteur, à rester neutre, extérieure. C’est une étude sociologique sur le suicide. J’ai encore du mal avec l’idée que selon tel ou tel critère on a plus de chance de se suicider, que certains jours il y a plus de suicides que d’autres. C’est une généralité qui existe. Je la trouve assez effrayante. Il y a un facteur psychologique, la personnalité de la personne compte, son histoire aussi, mais on s’en fiche, on doit exclure ça et malgré tout on trouve des constantes. C’est cette conclusion que j’ai du mal à accepter, du coup j’essaie de me débarrasser de cette étude le plus vite possible, mais aujourd’hui c’est raté ».

Tout en parlant, elle avait tapoté son visage avec un objet. Ce n’est qu’à la fin de son discours qu’elle remarqua avoir joué avec la bouteille de Yuhei. Elle rougit de nouveau très légèrement avant de lui tendre sa bouteille précipitamment. Décidément, la jeune femme avait le rouge aux joues facilement. Il fallait dire qu’elle faisait de son mieux pour paraître très maîtrisée, que ce soit dans les gestes ou dans les paroles. Et là, elle rencontrait à peine ce jeune homme qu’il avait pu la voir endormie, qu’elle l’avait frôlé et qu’en plus elle avait parlé pendant un long moment le visage légèrement relevé puisqu’elle tapotait son menton avec la bouteille du brun. Elle faisait souvent ça lorsqu’elle réfléchissait, mais c’était sur un devoir avec un stylo ou un crayon. Les relations ce n’étaient vraiment pas son fort. Elle n’arrivait pas à être naturelle et quand elle l’était, elle se sentait gênée, même avec ses proches amis et comme elle n’accordait que très peu facilement, des amis, il n’y avait pas besoin d’une main pour les compter : elle n’en avait pas.

« Navrée, je parle parfois un peu trop. Merci encore pour l’eau Detsuda-san. Et toi, comment se passe ta scolarité ? Je ne sais même pas en quelle année tu es. En tant que sempai, je suis là si tu as besoin d’aide d’accord ? C’est la moindre des choses après ce que tu as fait. »

Elle lui fit un sourire tendre et attendit qu’il reprenne sa bouteille et surtout qu’il lui réponde. Malgré certaines petites gênes, elle n’avait pas envie de retourner tout de suite à son dortoir. Et puis, à quoi cela aurait-il mené ? Il faisait beau, elle n’avait plus le courage de faire quoi que ce soit si ce n’est de profiter du beau temps et faire un peu connaissance avec le jeune homme en attendant la fin de la journée.

Detsuda haussa les sourcils quand Aikawa lui proposa son aide. Il n'en attendait pas tant pour un si petit service. A vrai dire, il n'en attendait rien du tout. Depuis qu'elle l'avait écouté s'expliquer sur son expression arabe avec un regard insistant, le jeune garçon était profondément troublé. Les yeux de sa Sempai en étaient la cause. Le battement de son cœur s'était accéléré et une douce chaleur avait envahi son corps. Contrairement à la plupart des gens, il n'espérait plus qu'une chose, qu'elle porte de nouveau son regard sur lui.

- Je te remercie pour ta proposition. Je serais très heureux de pouvoir profiter de ton aide si jamais j'en ressens le besoin.

Il s'était exprimé spontanément, avec une certaine naïveté et un entrain certain. Bien sûr qu'il voulait en profiter! Si cela pouvait lui donner une occasion de la revoir et... Et... Il ne savait pas quoi. Mais, il y penserait plus tard.

- Je suis en deuxième année, j'ai quelques difficultés dans certaines matières à cause de quelques lacunes. Mais rien que je ne puisse pas gérer.

Débonnaire, d'un ton léger et chantant, il se fendit d'un sourire charmant et chaleureux. Il était vrai que ses connaissances étaient très déséquilibrés de part son éducation très particulière. Passez d'une étude libre à domicile avec son père à une éducation formative dans un établissement japonais n'était pas sans difficultés. Mais le jeune garçon n'était pas un être à se laisser démonter par ce genre de choses. De toute manière, le sujet ne l'intéressait pas vraiment. Par contre, l'étude que Maiko devait réalisé avait tout son intérêt. Il avait suivit le commentaire de la jeune femme avec une certaine concentration et avait déjà entamé, en coulisse, son propre raisonnement sur ce qu'elle venait de lui expliquer.

- Pour reparler de ton texte, Sempai, je sais que je ne suis pas forcément du même niveau que toi et que les choses sont peut-être un peu différentes mais, je ne pense pas que tu doives nécessairement partager ce que raconte l'auteur pour étudier ce qu'il a voulu faire. Tu peux même critiquer ce qu'il a fait en disant justement qu'il oublie les particularités des individus. Même si...

Un instant, il se rendit compte qu'il était entrain de faire un semblant de leçon à sa supérieure. Au Japon, la chose n'était vraiment pas la règle. C'était même plutôt le contraire. Il porta sa main à nuque pour la caresser avec un léger rire nerveux. Son regard préféra fuir vers le plan d'eau.

- Bah... C'est un sociologue, tu vois. Ces gens là, ils pensent au niveau de la société et pas au niveau de l'individu. Ils utilisent des outils de recherches qui ne leurs permettent pas de résonner là dessus. Ça ne veut pas dire que leurs théories sont fausses pour autant. C'est juste qu'ils apportent des réponses au niveau auquel ils sont formés pour répondre. Du coup, c'est un peu normal que tu trouves que ton auteur ne prend pas en compte l'individu. Ça, c'est déjà plus du domaine de la psychanalyse.

Reste qu'à notre époque, c'est un peu étrange de pas penser à croiser les sources et à multiplier les approches. Donc, ça serait pas idiot d'au moins relativiser ses propos dans ton étude de texte, je pense. Justement, en suggérant d'autres approches qui montrent que d'autres choses viennent jouer dans ce qu'il décrit.

Il avait parlé à un rythme particulièrement rapide, jouant nerveusement de ses mains pour figurer intuitivement ce qu'il voulait exprimer avec ses mots. Le jeune garçon se trouva gêné de s'être ainsi tant épanché sur le sujet. Mais pour lui, réfléchir sur ces choses là était devenue une habitude dès qu'il avait été en âge d'avoir un esprit critique. Cela, il le devait surtout à ses parents qui avaient développé en lui un sens très aigu de ce genre de choses.

Maiko était soulagée que son camarade n’ait pas besoin d’elle. Pas qu'elle ne souhaitait pas l’aider. Son offre restait valable jusqu’à ce qu’elle quitte l’école. C’était juste que ces derniers temps elle n’avait plus eu une minute à elle. Le vase allait bientôt déborder et se fissurer. Il fallait dire que sa conjonctivite l’avait fatiguée cette semaine. Elle s’en remettait seulement aujourd’hui, dernier jour de son traitement. C’était agréable de voir les choses correctement, notamment ce jeune élève dont elle appréciait les traits. Son sourire était ce qu’elle appréciait le plus. Il était pareil au soleil, rayonnant, sincère. Tout comme la voix qui s’échappait de celui-ci, chantante et chaleureuse.

C’est cette voix, elle l’écoutait attentivement lui donner des conseils quant à son travail. Il avait beau avoir deux années d’études de moins qu’elle, ses idées étaient intéressantes. Mais ce qui l’était encore plus c’était sa façon de réagir. Même si cela faisait peu de temps qu’elle avait fait sa rencontre, la jeune femme s’était rendu compte qu’il était bien plus à l’aise qu’elle et assez spontané. Aussi était-ce étrange de le voir ainsi gêné. Il fuyait son regard et riait nerveusement passant une main dans ses cheveux. On aurait dit elle. Quand elle était nerveuse, elle avait tendance à baisser le regard voire la tête et à jouer avec ses cheveux. Elle sourit tendrement, amusée de la situation.

« Je te remercie pour tes conseils. Il est vrai que la sociologie est une étude qui nous force à prendre du recul, à ne pas voir l’homme seul, mais comme faisant partie d’un tout. Quand on est sociologue, on est le petit poisson hors du bocal qui observe ses camarades. Je pense suivre tes conseils, mais uniquement à la fin. Un peu comme une ouverture. »

Elle hocha la tête imaginant déjà un peu plus qu’elle serait l’organisation de son plan. C’était décidé, elle ferait ainsi. Déterminée, elle se leva laissant à terre ses affaires. Elle s’étira, poussant un petit soupire, de bien-être, yeux fermés et sourire aux lèvres. Quand elle les rouvrit, la jeune femme posa son regard sur Yuhei.

« Bon, maintenant fini de parler travail ! »

Pour une fois qu’elle pouvait se reposer. C’était son premier week-end sans ses parents, le premier qu’elle passait ici. Quand elle rentrait, c’était pour travailler d'arrache-pied, rencontrer les relations de ses parents, leur prouver qu’elle se comportait correctement à l’école. Bref, aucune source de loisir. Là, depuis hier elle cherchait juste à repousser encore et encore le moment où elle devrait ne plus penser qu’aux études. En tout cas, ce ne serait pas pour aujourd’hui. Elle enleva ses ballerines et alla se poser au bord du lac. Ses jambes trempaient dans l’eau et bougeaient alternativement. C’était frais, agréablement frais, on pouvait voir la sérénité sur le visage de la jeune femme. Maiko se pencha vers le point d’eau et s’aspergea le visage et la nuque en murmurant que c’était vraiment agréable. Malgré tout, il faisait encore très chaud c’est pourquoi elle passe ses doigts sur le premier bouton de sa chemise et qu’elle entreprit de le défaire. Une fois la chose faite elle tourna son regard vers Yuhei à qui elle sourit avant de se pencher en arrière en prenant appui sur ses bras et de fermer les yeux.

Les yeux noisettes de Detsuda suivirent la silhouette d'Aikawa alors que cette dernière se relevait pour s'étendre. Il pouvait l'apprécier davantage ainsi et un sourire admiratif naquit sur ses lèvres alors qu'il l'entendait soupirer de contentement. Croisant son regard à nouveau, il acquiesça vivement à ses dires. Se relevant à son tour, il retira ses babouches et suivit Maiko jusqu'au bord du plan d'eau. S'installant à ses cotés, il commença à caresser la surface de l'eau de son pied comme pour y tracer des symboles. Le jeune garçon était de plus en plus empli d'un sentiment de chaleur et d'excitation. Et c'était la présence de la jeune femme à ses cotés qui en était la cause. Là encore, il ne savait pas trop ou laisser son regard aller, ses yeux noisettes étaient irrésistiblement attiré par les courbes, par la douceur des traits et par les yeux de Maiko. Quand elle déboutonna son col pour laisser deviner sa gorge. Une nouvelle émotion vint s'abattre sur Yuhei. N'avait-il jamais vu autant d'une femme auparavant ? Le regard qu'elle lui réserva pendant quelques secondes finit de le bouleversé. Un léger rire franchit ses lèvres alors qu'il perdit son regard dans la contemplation des reflets scintillant de l'astre solaire sur la surface à peine troublée du plan d'eau. Son cœur battait de plus en plus vite. Le soleil ne suffisait plus à expliquer la chaleur qu'il ressentait. Sa méconnaissance de la compagnie féminine empêchait Detsuda d'avoir un quelconque comportement préconçu envers elle. Seul son intuition le guidait. Cela lui donnait forcément une grande spontanéité.

- Tu es vraiment une belle femme, Aikawa-Sempai.

Il retourna son regard pétillant d'une vive lueur dansante vers Maiko.

- Tu me rappelles cette dame que j'ai, un jour, rencontré dans un oasis du désert d'Arabie. Vous n'avez pourtant physiquement rien en commun, même vos manières sont différentes. Mais la situation, le bord d'une source d'eau, un soleil ardent. Je me souviens...

Tout en parlant, il se porta plus au bord et recueilli le liquide précieux entre ses mains sous la forme d'une vasque puis il l'éleva sans paraitre en perdre une goutte, tendant les bras vers sa Sempai.

- Elle avait joint ses mains ainsi puis avait amené l'eau devant moi pour m'inviter à en boire. Ainsi, disait-elle, nous étions désormais plus lié encore face à Dieu, car nous profitions du même Don, celui qu'Il nous avait offert pour vivre en ce lieu.

Un sourire naquit avec un léger amusement et une grande malice dans le regard.

- J'étais encore un enfant à cette époque et je ne comprenais pas trop. J'avais juste soif, donc j'ai bu.

Il s'était expliqué là avec une simplicité tout simplement déconcertante.

Le rire de Yuhei lui fit tourner la tête vers son camarade. Avait-elle fait quelque chose de drôle ? Une tâche sur le visage ? Elle ne comprenait pas. Surtout, qu’il ne la regardait pas elle en riant ! Son regard suivit le sien. Une carpe avait-elle décidé de sauter hors du plan d’eau ce qui avait provoqué cet éclat de rire ? Bah, elle ne le saurait sûrement jamais. Mais au cas où ce serait d’elle qu’il riait, elle se pencha au-dessus de l’eau et observa son visage. Non, aucune trace à l’horizon. C’est au moment où elle se redressait que le jeune homme lui adressa ces paroles si troublantes. Elle tourna vivement son visage rouge de gêne vers celui dont venait le compliment. Cependant, elle restait interdite. Incapable de sortir un mot. Sa bouche s’était entrouverte pour vite se refermer. Elle, une belle femme ? Non, il avait dû se tromper, le soleil frappait un peu fort et l’avait ébloui. Elle n’était pas belle, et encore moins une femme. Elle se trouvait juste quelconque, elle ne se détachait aucunement des autres filles et elle ne cherchait pas à le faire. Pas une trace de maquillage sur son visage sauf lorsque ses parents l’exigeaient lors de grandes occasions. Des tenues toujours simples, elle n’était pas le genre de fille à mettre des tas de froufrou ni le genre de celles qui se conduisent pire que des prostituées avec un bas leur couvrant à peine les fesses et un haut laissant voir bien plus qu’un soutien-gorge ne cache. Quant au côté femme. Elle ne faisait vraiment pas ses dix-neuf ans. Avec ses cheveux souvent attachés en couette comme les petites filles, mais surtout avec cette méconnaissance des autres et surtout des hommes. Elle n’avait jamais de relation amoureuse avec un homme. Les seuls contacts physiques qu’elle avait eus avec eux, c’était en cours de sport ou pour des expériences en sciences. C’était aussi la raison qui faisait que la jeune femme rougissait pour rien et qu’elle ne savait plus quoi dire, plus quoi faire. Et ce regard qui ne la lâchait pas et qui semblait briller d’excitation, c’était vraiment troublant.

Elle écouta la suite de son récit du mieux qu’elle pouvait. Observant chacun de ses mouvements avec une certaine appréhension et une boule au ventre. Que devait-elle faire ? Que devait-elle dire ? Ces mains qu’il tendait devant elle comme cette femme l’avait fait auparavant, était-ce une invitation ? Tout se bousculait dans sa tête. Même si c’était une invitation, était-il correct d’agir ainsi ? Ils se connaissent depuis peu de temps, et, et puis, qu’est-ce que cela signifierait ? Surtout, désirait-il qu’elle agisse de la sorte ? Certes, il devait avoir des origines japonaises, le nom, le physique, mais il semblait avoir vécu ailleurs, ne pas avoir toutes les mêmes références qu’elle. Alors, peut-être n’était-ce pas si grave ? Il n’y avait personne autour. Et ce cœur qui battait si fort et de plus en plus vite. Et cette chaleur insoutenable qu’elle avait aux joues. Fichu soleil !

Son regard était plongé dans celui de son cadet. Il était intense et cherchait à entrer profondément dans celui de Yuhei. Ne dit-on pas que les yeux sont le reflet de l’âme ? Cependant, elle n’arrivait pas à voir celle du brun. C’est sans quitter son regard des yeux qu’elle se pencha sur les mains tendues vers elle oubliant de respirer durant ce lent trajet. Elle hésitait tellement. Elle se sentait sotte et surtout gênée. Jamais elle n’avait été si proche d’un garçon. Pourtant, ce n’était sûrement pas grand-chose pour la plupart des gens de son âge. Pour elle en revanche, c’était tout une épreuve. Ses lèvres se posèrent maladroitement à la surface de l’eau qu’elle but du mieux qu’elle put vu les circonstances. Quand elle sentit ses lèvres se presser sur la peau de Yuhei elle se redressa vivement. Elle avait été comme brûlée par ce contact. Elle se rendait compte de ces actes. Ses yeux étaient grands écarquillés. Elle avait agi comme l’enfant qu’il était à cette époque. La portée possible de ses actes, elle ne la réalisait que maintenant qu’elle repensait à la phrase de la femme du désert. Maiko avait eu un contact si proche, si intime avec Yuhei qu’il ne pouvait plus être un quelconque deuxième année rencontré au bord de l’eau. Il était Yuhei, le garçon avec qui elle avait partagé de l’eau, avec qui elle avait partagé un peu de son intimité.

« Je… je suis désolée. Je… je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Vraiment, je suis sincèrement désolée Detsuda-san. »

Elle s’était penchée en avant tout en disant ces phrases d’excuses. Elle osa à peine un regard vers lui de peur d’y trouver… En fait, elle ne savait pas quoi y trouver et c’était ça qui l’effrayait. Elle regarda ses affaires un instant et se leva.

« Je ferai peut-être mieux d’y aller, enfin… je… »

Je quoi ? Elle ne savait pas. Elle savait juste qu’elle était terriblement gênée. Elle fixait ses pieds tout en se dirigeant vers ses affaires.

Une main encore moite de l'eau qu'elle recueillait quelques secondes auparavant saisit le poignet d'Aikawa pour la ramener face à Detsuda. Il n'était pas question de la laisser partir à cet instant. Du moins, le cœur enflammé de Yuhei ne pouvait s'y résigner. Ce dernier se relevant dans le même mouvement se tenait devant elle avec un sourire éclatant, léger et franc. Il se sentait parcouru d'une énergie enivrante. Maiko avait bu dans le creux de ses mains, ses lèvres avaient frôlées sa peau. Un frisson grandiose l'avait alors parcouru. Son cœur était alors partit tel un étalon au galop. Le jeune garçon ne pouvait comprendre ce qui lui arrivait et il ne cherchait pas vraiment à le faire. Emporté par une vague qu'il avait décidé de suivre sans crainte, il laissait libre cours à ses sentiments.

- Aikawa-Sempai!

Dans ses yeux, ses iris tremblaient d'émotions, une flamme dévorante d'excitation y flamboyait. Adoucissant sa prise au poignet, il glissa sa main dans celle de la jeune femme pour la serrer affectueusement.

- Sempai... Tu... Tu n'as pas... Enfin, pourquoi tu es désolé?

Un rire léger débordait de ses dernières paroles, démontrant son incompréhension la plus totale. Alors que lui vivait des sensations plaisantes et chaleureuses, son interlocutrice semblait emprunte à un grand trouble, voir même à une certaine peur. Il ne comprenait définitivement pas pourquoi ces contacts doux et à peine esquissés, se partage en toute simplicité et légèreté pouvaient se révéler douloureux. Luttant contre la distance qui séparait leurs deux êtres, il pondéra son sourire pour se faire plus calme et plus posé.

- J'ai adoré moi, sincèrement! A vrai dire, je pensais que tu ferais comme si tu comprenais pas ou que tu aurais décliné d'un rire. Mais que tu acceptes... Merci.

Bien entendu, il avait été complétement surpris que la jeune femme est compris son geste comme une invite à reproduire son souvenir. Il en avait été à la fois délicieusement surpris et surtout ému. Ce qu'elle avait fait, presque intuitivement, avait frappé l'imagination de Yuhei. Il était inutile d'expliquer toutes les choses qui lui était venu à l'esprit à cet instant. Elles étaient les fascinations de son âge et expliquaient volontiers en grande partie ce qui le menait à tant d'attachement envers la jeune femme. Voilà, pourquoi il poursuivit.

- Enfin, il ne serait pas bien qu'on aille pas plus loin. Je veux dire... Dans mon souvenir, la dame m'a expliqué que le partage devait être dans les deux sens pour que le lien qui nous unisse soit celui de l'égalité. Alors, j'ai recueilli à mon tour de l'eau dans mes mains et elle y a bu.

C'était une manière de remettre les choses en équilibre et Detsuda y tenait. Bien souvent, ses amis avaient voulu lui apprendre que les femmes étaient des êtres qu'il fallait entourer de très nombreux interdits et qu'il fallait sans cesse les placer en situation d'infériorité. Même au Japon, la chose était encore parfois vrai. Mais dans cette oasis qu'il avait visité, les mœurs étaient autrement différentes, simplement que là, la vie avait montré son bon sens et mené les hommes à reconnaître toute l'importance des femmes pour la survie de la communauté. Et le jeune garçon respectait bien davantage les leçons de la vie que celles des hommes. Une gêne naturelle et instinctive venait rosir son visage déjà marqué par le soleil mais cela ne paraissait en rien faire vaciller la voix ou la pensée du jeune garçon. Dans son état de profonde excitation, il oubliait volontiers toutes les convenances de la société japonaise. Ces dernières ne semblaient décidément pas s'accorder avec ses sentiments et ils avaient toujours la priorité aux yeux de Detsuda, surtout à cet instant.

- Est-ce que tu voudras bien m'offrir un peu d'eau ?

Ajouta-t-il alors un grand sourire enjoué alors que ses yeux continuaient de pétiller d'excitation.

Un sursaut parcourut la jeune femme quand elle sentit la poigne de son camarade se resserrer sur elle. Cependant, elle ne se retourna pas. Pas tant qu’elle n’était pas calmée. Pas tant que toutes ses pensées, ses émotions ne cessaient de bouger dans tous les sens rendant impossible la moindre cohérence. Mais ce n’était pas les quelques petites secondes de répits que lui laissa Yuhei qui l’aidèrent à faire le tri. Elle se retrouva vite, bien trop vite, face à ses yeux pétillants d’excitations. Et cette voix qui l’avait vivement appelée augmentant la sensation au creux de son ventre. C’était vraiment troublant. Et sa main qui doucement se glissait dans la sienne. Un contact brûlant sur le moment qui se transformait progressivement en une douce chaleur. La sensation était étrange.

Pourquoi ? Pourquoi ressentait-elle une chaleur dans ton son corps et particulièrement au creux de sa main ? Pourquoi ressentait-elle une boule au ventre ? Pourquoi était-elle sur ses gardes ? Pourquoi ne savait-elle pas comment agir ? Pourquoi était-elle toujours désolée ? Peut-être que cette chaleur venait d’un contact proche avec un garçon gentil et plutôt mignon. Peut-être que cette boule au ventre avait la même origine que cette chaleur. Peut-être qu’elle était sur ses gardes parce que tout ça était nouveau et qu’elle ne savait pas tracer une nette frontière entre ce qui était correct et ce qui ne l’était pas, ce que ses parents accepteraient et ce qu’ils n’accepteraient pas. Peut-être qu’elle ne savait pas comment agir parce qu’elle n’avait jamais été aussi proche d’un garçon. Et peut-être était-elle désolée parce qu’elle ne savait pas si ce qu’elle faisait était bien ou mal.

Tous ces pourquoi et ces peut-être. Comment répondre à la question de Yuhei alors qu’elle-même se la posait ? Elle resta interdite tout en écoutant la suite de son discours. Ses yeux allant régulièrement de ses pieds au brun. Il semblait si à l’aise avec ses actes et ses sentiments, il était si spontané et pourtant lui aussi semblait gêné : son rire, ses joues teintées de rouge. Malgré tout, ses réactions, à elle, étaient bien plus démesurées. Aussi, quand il lui parla d’aller plus loin elle ancra un regard écarquillé de surprise dans celui du jeune homme. Aller plus loin ? Son cerveau avait tourné si vite que des tas de théories étaient nés, heureusement, le garçon n’avait pas bien mis longtemps à s’expliquer. C’est sans s’en rendre compte que la jeune femme avait soupiré de soulagement. Finir ce partage n’était rien comparé à ce qu’elle avait imaginé. Et puis, s’il lui proposait, c’est en effet qu’elle n’avait rien fait de mal. Que cet acte, bien qu’intime, était une manière de les rapprocher. En quoi était-ce mal ? À le regarder et à l’écouter, Maiko commençait à douter. Peut-être pouvait-elle se laisser aller un peu.

Elle hocha donc la tête une fois avant de se diriger vers le plan d’eau. Sa main était restée dans celle de Yuhei. La brunette n’avait pas cherché à se défaire de ce contact agréable. Mais pour finir ce lien qu’ils étaient en train de créer, il fallait qu’elle utilise ses deux mains. Elle lâcha donc celle du jeune homme. Maiko se mit à genoux devant le plan d’eau et se pencha lentement au-dessus. Les mains jointes, elle recueillit de l’eau qu’elle présenta avec mille précautions à Yuhei. Certaine que l’eau n’allait pas s’échapper, elle put ancrer son regard dans celui noisette de son camarade. Se laisser aller à son instinct semblait fonctionner. Aussi, c’est tout naturellement qu’elle s’adressa à Yuhei :

« Bois, ainsi, le lien qui nous unit sera celui de l’égalité. »

Ses paroles étaient celles que le jeune homme lui avait rapportées. Maiko savait qu’elle n’était pas obligée de les répéter. Cependant, une petite voix en elle lui disait qu’il serait bien de se rapprocher le plus possible du souvenir de l’enfant passé. Elle ne lâcha pas son camarade du regard, et toute sorte d’émotion défilait en elle : de l’appréhension, une légère gêne, une douce chaleur, un sentiment de partage et de proximité.

« Et maintenant ? »

Elle n’avait pas pu s’empêcher de murmurer cette question. Oui, et maintenant que le lien était fait, que fallait-il faire, qu’est-ce que ça signifiait ?

Detsuda poussa un long soupir de soulagement après avoir bu dans les mains d'Aikawa. Une partie de lui-même était désormais en paix, satisfait d'avoir accompli se petit rite à la forte symbolique. Mais l'excitation n'avait pas pour autant disparu et elle continuait à parcourir son corps. Le jeune garçon laissait son regard noisette plongé dans celui de Maiko qu'il couvait avec douceur et tendresse. Un fin sourire venait s'ajouter à son expression et renforcer la finesse de ses traits. De toute évidence, il n'avait pas entendu le murmure de son interlocutrice car il n'y répondit pas. Au lieu de cela, lâchant un grand soupir d'aise, il se laissa tomber sur le coté avant de rouler sur le dos et de glisser ses mains derrière sa tête. Le jeune garçon commença à contempler le ciel d'un bleu infini. Pour la première fois, il laissa son excitation retomber. Son cœur n'en pouvait plus de battre à la chamade, sa respiration hoquetait légèrement.

- Ça fait du bien de laisser parler ses désirs et de partager de tels instants sans se poser de questions.

Il eut un nouveau rire, là encore pour se libérer de la force qui le parcourait, aucune malice, aucune moquerie n'y raisonnait, il n'y avait que de l'énergie pure. Et puis sa phrase pouvait tout de même paraitre osé et il en avait bien conscience. Pour autant, s'il tenait des phrases comme "aller plus loin" ou "laisser parler ses désirs", il n'avait décidément rien des démons du vices qu'on venait souvent dépeindre, tenant ce genre de propos pour corrompre les âmes et les condamner à la damnation éternelle. Il ne parlait pas d'actes appelant forcément à ces travers humains, aux choses répréhensibles autant au regard de la morale que de la loi. Il ne parlait que de partager, que d'échanger, que de dialoguer avec l'autre en toute liberté. Et cela se ressentait pour qui avait sens de ces choses là, dans sa bouche les phrases qu'il prononçait perdait de ce que le sombre instinct humain avait noirci dans son imaginaire pour gagner sa claire et simple définition de mots.

- Depuis que je suis revenu au Japon, je ne crois pas que j'en ai beaucoup eu l'occasion. J'adore mon pays d'origine mais il y a tant de choses à penser avant de parler. Il y a pleins de choses utiles qui n'existent pas dans les autres langues, comme les différentes niveaux de respects. Mais, il y a des tas d'autres convenances idiotes et ça, ça écrase vraiment ce qu'on a sur le cœur. Ça nous empêche de le comprendre vraiment et d'exprimer ce qu'il a envie de dire. Mais toi, c'est différent, Aikawa-Sempai. Toi, tu écoutes encore ton cœur. Tu as bu l'eau recueilli par mes mains.

Il semblait si heureux de dires ça. Ça paraissait peut-être un peu mièvre et un peu doucereux mais il était certain que c'était bien là les propos sincères de ce que pensait vraiment Detsuda. Le sourire rayonnant trônant sur son visage ne laissait aucun doute. Il était vraiment au comble de la joie rien qu'à la remémoration de ce geste qu'elle avait eu. Même sa respiration s'éleva plus haute alors que son cœur reprenait à faire des bonds dans sa poitrine à l'éveil de ce souvenir.

- Quoi que tu es envie de faire, Aikawa-Sempai, je te suivrais. Car je sais qu'on pourra bien s'amuser ensemble.

Dit-il alors d'une voix légère et libre. Avait-il entendu sa question tout compte fait? Ou cela n'était-il qu'une simple coïncidence. Un simple aveux naturel après les paroles qu'il venait de tenir. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le jeune garçon ne manquait vraiment pas de sincérité et de spontanéité. Comme pour féliciter ses paroles d'une énergie nouvelle, un vent un peu chaud vint perturber la surface du plan d'eau et caresser la peau des deux personnes. Leurs cheveux dansèrent légèrement à son passage comme pour animer ce beau tableau d'un léger mouvement doux et chaleureux. De même, le souffle venait apporter un air neuf et repoussait un court instant la présence pesante des rayons du soleil. Partout autour d'eux, les arbres chantaient la venue d'Éole en faisant bruisser leurs feuilles. La nature parut reprendre vie pendant ces quelques secondes comme à l'invite d'un nouveau mouvement avant que tout ne retombe et que les insectes reprennent leurs cliquetis rythmés, inspirant l'engourdissement et la pratique d'une sieste estivale.

Maiko était restée à sa place, là près de l’eau assise sur les genoux. Ce n’était plus une douce chaleur qu’elle ressentait, et cette boule au ventre avait disparu pour se répandre à tout son corps. Elle était mal à l’aise. La cause de ce mal-être c’était elle. C’était ce que Detsuda pensait d’elle. Il la voyait telle qu’elle n’était pas. Il imaginait quelqu’un. Il appréciait une personne qui n’existait pas. Alors forcément non. Non, quoi qu’elle ait envie de faire ça ne lui plairait pas. Au mieux, il aurait l’illusion d’avoir passé un bon moment. La jeune femme se remémorait les phrases, les sourires de son camarade. Elle n’était pas spontanée. Elle était comme la plupart des Japonais. Elle n’aurait jamais agi ainsi s’il y avait eu du monde autour d’eux. Pire, comment agirait-elle face à ses parents ?

La jeune femme se mordit la lèvre inférieure. Tout en observant le brun. Un long soupir s’échappa de ses lèvres. Une relation se basait sur la confiance. Si elle n’avait pas d’ami, c’était bien parce qu’elle accordait celle-ci difficilement. Alors, elle ne devait pas faire quoi des choses aux autres ? Elle ne devait pas se faire passer pour une autre dans l’espoir d’être appréciée. On devait l’aimer pour ce qu’elle était. Mais au fond, qui était-elle ? Tout ceci était bien compliqué. Écouter son cœur était peut-être la solution en effet. Mais, quand vous avez été élevée en taisant votre cœur, celui-ci n’a plus l’habitude de parler. Il lui arrive de crier pour se faire entendre lorsque l’envie se fait trop pressante. Mais, la plupart du temps, il essaie sans qu’aucun son ne sorte, ou bien un murmure rauque à peine audible, votre cœur est devenu aphone.

Déterminée, ou résignée, elle ne savait pas trop, Maiko se leva pour se rapprocher de son camarade. Elle s’installe de nouveau sur les genoux, au niveau du visage de Yuhei. Ainsi, penchée sur son visage, elle pouvait observer tout à loisir ses réactions. Elle ne voulait en louper aucune. De l’incompréhension, de la tristesse, de la déception, ou encore peut-être un sentiment plus agréables que ceux-là. Une petite moue s’était formée sur son visage et son regard s’était vidé de toute lueur. Elle se décida finalement au bout d’un long silence à parler :

« Detsuda-san, je suis désolée. Tu te trompes sur moi. Je ne suis pas une de celle qui écoute son cœur. Il me suffit d’une main pour compter le nombre de fois où mon cœur et moi avons parlé d’une même voix. Trois fois exactement, la dernière en date étant il y a quelques minutes. »

Un soupir s’échappa de nouveau de ses lèvres alors qu’elle mordillait de nouveau ses lèvres. Ses mains se posèrent sur sa couette droite et elle joua un instant avec ses cheveux avant de poursuivre :

« Je… je n’aurais sûrement pas bu si nous n’avions pas été seuls tu sais. C’est pour ça que je suis toujours désolée. Je n’ai pas l’habitude. Je ne sais pas si ce que je fais est bien ou non. Je ne sais pas si je vais trop loin. Je ne sais pas écouter mon cœur, il parle une langue étrangère. »

Elle avait dit ce qu’elle avait à dire. Du moins, elle ne voyait plus quoi dire et surtout comment. Tout était mélangé. Rien n’était clair. Comme l’eau d’une petite marre qu’une pluie continue aurait fini par troubler. La jeune femme baissa donc la tête vers ses genoux qui dépassaient légèrement de sa jupe.

Detsuda avait écouté les paroles d'Aikawa avec diligence. Ses yeux noisettes continuaient à caresser le visage de sa Sempai alors que cette dernière parlait de ces choses intimes, tristes et douloureuses qui venaient l'empêcher d'entendre son coeur et ils ne se détournèrent pas. Dans un état paradoxal de calme énergie, la lueur qui couvait dans son regard ne vacilla pas un instant. La chose était simple. Yuhei réagissait intuitivement. Face au déni de soi, il s'opposait en s'affirmant.

- Hey, Aikawa-Sempai... Je sais ce que j'ai vu... Je t'ai vu porter tes lèvres à l'eau que j'avais recueillis dans mes mains. J'ai vu ta gorge se contracter pour l'avaler et la laisser se diffuser dans ton corps.

Un sourire gagna ses lèvres à cette image. L'idée lui paraissait délicieuse et le fit légèrement frissonner. Oui, cela ne fit que raffermir son intention de ne pas en démordre. Ce que la jeune femme lui exprimait, l'esprit du jeune garçon n'en convenait pas. Tous simplement parce qu'il ne pouvait exister de mensonges ou deux regards se posent.

- Alors, tu peux toujours rajouter autant de "et si" que tu veux. Tu peux toujours me dire que cela n'arrive quasiment jamais. Tu ne pourras pas renier ce qui s'est vraiment passé. C'est inutile car cela "s'est" passé.

Il eut l'impression d'être dur, infiniment dur avec son interlocutrice. Il aurait pu être convenant et l'aider à noyer le poisson. C'est ce que la plupart des gens auraient fait. Mais, ce n'était tellement pas lui de faire ça. Déjà parce qu'il commençait vraiment à apprécier ce petit poisson et qu'il savait très bien que ce dernier finirait toujours par remonter à la surface. De plus, il devait l'avouer. Il ne comprenait pas le dénie douloureux de celle qui lui parlait. Ou, du moins, ne le percevait-il que manière très lointaine. Tout simplement parce que l'éducation de ses parents ne l'avait jamais mené à renier ce qu'il avait au fond de lui. Il avait été bien plus chanceux que la plupart des gens sur Terre.

- Je ne sais pas ce qui peut bien te faire craindre de laisser spontanément s'exprimer ton cœur. Mais c'est absurde et ça ne te servira sans doute qu'à te faire du mal, comme tu es entrain de faire là. Quoi que se soit, moi, je m'en débarrasserais rapidement et je ferais ma vie. Parce que rien, absolument rien, ne peut valoir le coup qu'on s'empêche de vivre.

Detsuda cherchait juste à repousser toutes ces choses qu'il ne comprenait pas et ne voulait pas comprendre. Portant son poing à sa poitrine, il replongea son regard dans celui de son interlocutrice d'un air à la fois déterminé et chaleureux.

- En tout cas, moi. Je n'ai pas peur quand tu écoutes ton cœur. Au contraire, j'aime bien. Ça me rend heureux. Et je suis sûr que ça te rendra heureuse aussi.

Un sourire triomphant vint s'ajouter à ses paroles, venant terminer le tableau qu'il donnait à voir. Celui d'un jeune garçon qu'on aurait pu qualifier de naïf si l'intelligence ne brillait pas dans son regard et que la force de la conviction réfléchie ne raisonnait pas dans sa voix énergique. Même si parfois, c'était plutôt son cœur qui parlait et que ce dernier avait encore beaucoup de l'enfant.

- Dis, Sempai...

Il commença à caresser les cotes de Maiko avec le sommet de ses doigts.

- Est-ce que tu es chatouilleuse?

Une possible attaque se préparait.

Maiko écoutait le jeune homme avec un poids énorme sur le cœur. Oui, oui elle avait agi spontanément, oui, elle ne pouvait pas renier ce qui s’était passé, oui c’était agréable de se laisser aller. Mais, elle avait peur. C’était comme se jeter à l’eau sans bouée alors qu’on sait à peine nager, voire, pas du tout. On bat des pieds et des mains un peu n’importe comment, on boit la tasse et finalement on se dit qu’il faut retourner sur le bord et enfiler les bouées. Sauf que, ils sont tous si nombreux à savoir nager, et une bouée c’est embarrassant. On est vite bloqué. Impossible de plonger, d’aller jouer avec les poissons, de faire le poirier. Non, on se contente de flotter et de regarder les autres être libres de leurs mouvements.

Elle, elle était comme ça. Elle avait peur de boire la tasse, de couler. Pourtant, quand elle nageait sans bouée, elle était vraiment heureuse. Prendre son violon et jouer un morceau la remplissaient de bonheur, une vraie euphorie. Et là, en ce moment, avec Yuhei, elle avait essayé de nager un moment. Même si ça avait été gênant, elle se souvenait de cette douce chaleur qui l’avait parcourue. On n’enlève pas les bouées tout de suite. On essaie, on reste au bord de l’eau, là où l'on a pied avec quelqu’un pour nous surveiller. Mais petit à petit, on apprend à nager sans l’aide de personne. Petit à petit, les différentes rencontres qu’elle fera amèneront Maiko à se remettre en question et à nager seule.

Pour le moment, elle savait juste que les paroles de Yuhei étaient un peu trop dures, trop vraies pour être assimilées tout de suite. Il avait raison. Plus tard, elle serait seule. Un jour, ses parents ne seraient plus là pour elle. Ce n’était pas eux qui devraient faire son travail, vivre avec celui avec qui elle devra vivre. C’était eux qui partiraient les premiers. Et à ce moment-là, si elle n’écoutait pas son cœur elle le regretterait. Mais, comment dire non à ceux qui vous ont élevé ainsi toute votre vie ? C’était impossible. Pas comme ça. Pas en claquant des doigts.

Un sourire éclaira alors son visage quand la voix douce et le regard plein de chaleur de Yuhei lui parvinrent. C’était si agréable de le voir heureux, de l’entendre dire l’être. La jeune femme se détendit alors légèrement. Légèrement, car tout son être se tendit rapidement en sentant des doigts lui chatouiller les côtes. Elle, chatouilleuse ? Quel doux euphémisme. C’était pire que ça.

« Ou… ou… oui ! Tr… très… cha… cha… chatou… chatouilleuse. »

Sa phrase était entrecoupée de rires aux éclats. La jeune femme se tordait dans tous les sens. Ses yeux étaient souvent fermés et elle balançait sa tête de gauche à droite. Comme si, en bougeant chaque partie de son corps, elle allait réussir à s’échapper. Malheureusement, esquiver n’était pas possible. Alors, la brunette tendit ses mains vers Yuhei et le chatouilla à son tour. Elle ne savait pas où allaient ses mains. Elle savait juste que la meilleure défense était l’attaque et que les côtes, la gorge et parfois les hanches étaient très sensibles. Les pieds aussi, mais ils étaient un peu loin, c’était trop risqué. Maiko pratiquait donc l’attaque et la défense en simultanée puisqu’elle continuait de se tordre dans tous les sens. L’ennemi avait redoublé son attaque. Il semblait plus féroce que jamais.

Tellement féroce qu’en voulant se défendre, la jeune femme tomba sur lui. Elle cessa alors tout mouvement. Son cœur battait la chamade de s’être dépensé, mais surtout d’être aussi proche d’un garçon. Son corps était collé au sien. La poitrine contre son tors. Son visage près de son cou. Elle était rouge de gêne et d’épuisement. Ce corps contre le sien, c’était agréable finalement. Elle se redressa lentement, tout essoufflée de leur bataille. Son regard s’ancra dans celui du jeune homme. Elle ne bougeait plus, ne disait plus rien, elle se contentait de regarder cet homme qui était sous elle.

Yuhei contemplait deux océans. Il faisait face à leurs immensités. Jamais, dans ses souvenirs, il n'avait été si proche d'eux. Jamais, il n'avait pu admirer ainsi. Le monde se résumait soudainement à peu de choses pour le jeune garçon. Deux fenêtres sur une âme, recueilli dans un écrin de douceur aux traits féminins puis un rideau de cheveux repoussant le monde extérieur. Contre lui, il pouvait sentir le contact agréable d'un corps chaud et apprécier une proximité qu'il n'avait jamais gouté, des sensations qui ne lui avaient jamais été encore offertes. Le rire qui avait siéger en son visage quelques secondes plus tôt s'évanouissait peu à peu. A mesure, ses yeux noisettes se perdaient dans l'immensité auxquels ils faisaient face. Son cœur, battant déjà à tout rompre, paraissait prendre comme un regain de vitalité et entamait la course la plus folle qu'il n'avait encore jamais effectué. Il était quasiment certain que Maiko le ressente en étant contre lui. Un profond sentiment de chaleur l'envahi tout entier.

" Que les femmes peuvent être belles... "

C'est ce qu'il pensait sincèrement alors qu'il était si proche d'Aikawa. Mais pensait-il à autre chose? Était il entrain de se poser autant de questions ? Était il surtout entrain de se poser la question que tout à chacun se poserait dans pareil situation ? Le jeune garçon n'était pas fort en ce domaine, il ne réfléchissait ...

Il l'embrassa.

... que rarement et cela le menait souvent à... Quoi !?

Il l'embrassa. Il déposa ses lèvres sur celles de sa Sempai. Sans détour, sans mots, sans gestes apparents, il avait juste porté chastement ses lèvres contre celles de Maiko. Aucune question n'était survenu à cet instant dans son esprit. Le moment qu'il vivait, cet instant exceptionnel, il ne voulait pas le gâcher avec tout son intellect. La raison n'avait rien à voir avec ça. Elle ne devait pas y être mêlée. Alors, seul son cœur parla, seuls ses sentiments régnèrent et seuls ses désirs vainquirent. Accomplissant ce que à quoi il aspirait avec un délice et un plaisir certain, il délaissa le doux baiser qu'il venait de donner à Maiko et rouvrit des yeux qu'il avait instinctivement clos pour caresser de nouveau le visage de la jeune femme de son regard noisette pétillant d'une lueur dansante et joyeuse, miroir d'une âme en paix avec elle-même.

- C'était vraiment curieux... Mais je crois que j'ai bien aimé.

Il n'y avait que lui pour dire ça après son premier baiser. Bien sûr qu'il avait aimé cette douceur qu'il n'avait rencontré, cette chaleur qu'il avait sentit pulser, ce contact charnel qui enflammait tant son esprit et faisait s'envoler son cœur. Alors, cette phrase, dites avec la simplicité qui le caractérisait rayonnait presque d'une sincérité si profonde qu'elle s'élevait vraiment d'une manière touchante et émouvante. C'était sans naïveté. C'était juste les sensations exprimés en mots justes.

- Ça te dit qu'on recommence, Sempai?

Et bien sûr, le jeune garçon s'enhardissait. Même s'il sentait son visage rougir comme une tomate et son cœur ne pas se calmer. Le désir de poursuivre encore et toujours cette nouvelle expérience, si transcendante, lui donnait un appétit tout naturel pour la chose. Ses lèvres se fendirent d'un sourire irrésistible alors que son regard continuait à être le siège d'un feu intense et envoutant.

Ces lèvres contre les siennes. C’était une sensation nouvelle et étrange. D'abord, c’était la surprise qui avait gagné son être. Ses yeux s’étaient écarquillés. Seule réaction qu’elle eut alors. En effet, la jeune femme était restée paralysée depuis qu’elle était tombée sur le brun. Ensuite, ses yeux s’étaient clos et elle put apprécier tout ce qui se répandait en elle. La douce chaleur s’étendait désormais à tout son corps, particulièrement au niveau de ses joues qui s’étaient teintées de rouge. Son cœur battait la chamade. Plus aucune pensée cohérente n’était présente dans sa tête. Elle se contentait de ressentir, d’écouter son cœur et son corps. C’est pourquoi, sans s’en rendre compte, à son tour elle pressa tendrement ses lèvres contre celle de Yuhei. Elles étaient douces. Ce premier baiser était tendre. Tout avait été si spontané. Naturel. Comme si, ça devait être. Comme si, ce contact agréable était inévitable. Comme si, tout ce qui s’était passé depuis leur rencontre devait aboutir à ça : à ce baiser.

Baiser qui se termina bien vite. Maiko était rouge de gêne. Pourtant, un petit sourire ornait son visage. Elle avait bien aimé oui, elle avait apprécié ce baiser. Et au sourire de Yuhei, lui aussi devait avoir apprécié. Cependant, sa phrase brisa la jolie magie qui s’était installée. Et le retour à la réalité fut assez brutal. Le sourire Maiko se fana alors qu’elle réalisait ce qu’impliquaient les mots de Yuhei. L’agréable gêne se transforma juste en un malaise. C’était son premier baiser. Elle avait embrassé un presque inconnu. Quelqu’un gentil, qu’elle trouvait beau certes, mais qui était-il pour elle ? Un camarade qu’elle venait de rencontrer et qui après cette agréable après-midi aurait pu au bout d’un temps devenir son ami. Elle avait peur, peur de ce qui allait trop vite. Les princes et les princesses, ça n’existait pas. Cependant, elle avait espéré que son premier serait avec une personne qu’elle aimerait et qu’il l’aimerait en retour et pas avec quelqu’un qui semblait prendre ça comme un jeu.

Car oui, Maiko était blessée. Elle n’avait aucune raison de l’être d’un point de vue extérieur. Mais l’extérieur ne savait pas ce qui se passait dans son esprit. Pour la jeune femme, qui n’avait connu aucune expérience amoureuse, s’embrasser était un acte important, un acte symbolique, qui impliquait un après. Or, elle comprenait que Yuhei était le genre de personne à laisser parler trop librement son cœur. Elle se redressa alors vivement et lui lança un regard empli de tristesse.

« Non ça ne me dit pas de recommencer. Pas comme ça. Pas comme si ce n’était qu’une vulgaire expérience pour toi. »

Elle alla ramasser ses affaires et lui lança un dernier regard où tristesse et dureté se mêlaient.

« Je te trouve intéressant, gentil, et différent. J’avais envie que tu sois plus qu’un élève quelconque. C’est bien de laisser parler son cœur, mais pense aussi au cœur des autres, il faut penser à après que tu ais laissé parlé ton cœur. »

Maiko était troublée, elle avait besoin de marcher un peu. De se détendre, de réfléchir au calme. Elle fit quelques pas avant de s'arrêter un instant. Malgré ses mots, ses doigts effleurèrent ses lèvres avec nostalgie. Son premier baiser…

Un grand sursaut saisit la jeune femme. Elle s’attendait à tout sauf à ça. Elle se retourna vers la source de sa peur. Comment un garçon si souriant, si adorable pouvait d’un seul coup se mettre dans une si grande colère ? C’était impressionnant. Mais, après tout, c’était normal. Quelqu’un qui écoute son cœur et qui est spontané le reste, que les sentiments soient agréables ou non. Encore plus quand ils ne le sont pas et qu’on se sent blessé.

Maiko, quant à elle, se sentait mal. Comme une enfant qui a fait une bêtise et que l'on gronde. Elle se sentait rougir. Elle n’avait qu’une envie : se faire toute petite, qu’on l’oublie un peu. Oui, elle se sentait mal. Parce qu’il avait raison. Elle avait eu chaud, son cœur avait été si vite, elle s’était sentie bien et juste avant elle caressait ses lèvres, là où Yuhei avait posé les siennes.

Elle se sentit encore plus mal lorsqu’elle le vit, lorsqu’elle l’entendit sangloter. Son cœur se serra dans sa poitrine. La jeune femme fit un pas avant de s’arrêter quand le brun poursuivit ses remontrances. Maiko recula même un peu. Elle n’osait rien dire. Elle n’avait rien à dire. Elle s’était trompée. Elle avait mal agi.

Répondre ne servait à rien. C’est quand il lui avoua être blessé par sa faute qu’elle lâcha ses affaires. Elle s’avança à grande enjambée. Son cœur était dans un étau de fer qui se resserrait à chaque larme versée par l’enfant en face d’elle. Arrivée à sa hauteur, sa main se fit tendre sur sa joue. Elle essuya avec douceur les larmes qui avaient coulé. Ses doigts suivaient leurs tracés pour remonter jusqu’à ses yeux noisette. Elle passa ensuite ses mains autour de son cou et se mit sur la pointe des pieds, son corps contre le corps de Yuhei lui permettait de garder l’équilibre. Ainsi, ses lèvres atteignirent son oreille et elle y murmura un « désolée » vibrant d’émotion et de sincérité. La brunette recula lentement son visage jusqu’à atteindre cette joue encore humide qu’elle embrassa avec toute la douceur et la tendresse dont elle était capable. Son visage se cala au creux du cou de Yuhei. Elle espérait l’apaiser en restant ainsi proche de lui. Ses mains caressaient ses cheveux avec lenteur. Et sa voix se fit aussi douce que le murmure du vent sur eux.

« Je ne voulais pas te blesser. Je me suis trompée sur tes intentions, sur ce que représentait ce baiser pour toi. J’ai apprécié, c’était doux, chaud et naturel. Deux pièces d’un puzzle qui s’emboîtent parfaitement. »

Elle quitta la douceur de la peau de Yuhei pour contempler son visage qu’elle caressa du regard. Un petit sourire d’excuse naquit sur son visage. Elle espérait qu’il ne lui en voudrait pas trop. Elle espérait surtout que ses larmes cesseraient leur course.

Ces vilaines larmes qui coulaient avaient le don de faire mal. Maiko avait le cœur si serré qu’elle avait l’impression qu’en respirant un peu trop fort il allait exploser. Elle ne savait pas quoi faire pour arrêter cette rivière. Personne ne se sentait bien en voyant les autres être tristes, encore plus lorsque la tristesse était exprimée et que vous en étiez le responsable. Comment devait-elle agir pour se faire pardonner et que l’autre aille mieux ? Dans leur cas, tout ne semblait pas si simple. Et pourtant…

Pourtant, un simple baiser pouvait apaiser les cœurs. Parce que, quand il l’embrassait, Maiko oubliait tout. Elle oubliait jusqu’à qui elle était. Elle était incapable de penser. Elle ne pouvait que ressentir. N’était-ce pas ainsi qu’elle pouvait le rendre heureux et effacer sa peine, en écoutant son cœur ? En ce moment, elle ne fuyait pas. En ce moment, c’était tout l’inverse. Elle s’était laissé faire. Elle savait ce qui allait se passer. Cette fois, ce n’était pas la surprise qui ne l’avait pas fait bouger, c’était l’envie. L’envie de ressentir de nouveau cette chaleur. L’envie de goûter à la douceur de ses lèvres. L’envie de s’oublier, de faire assez confiance à l’autre pour s’abandonner complètement.

Alors, avec la maladresse de ceux qui en sont à leurs premiers baisers, elle pressa ses lèvres contre les siennes. C’est en sentant la pression contre sa taille, que la jeune femme se plaqua tout naturellement contre le corps de Yuhei. Elle ne savait pas si elle s’y prenait bien. Elle ne pensait pas à tout ça. Elle fut juste surprise de sentir une langue venir taquiner ses lèvres. Maladroitement, elle entrouvrit ses lèvres et laissa sa jumelle entamer son premier ballet. S’ils s’agissaient de danseurs, on aurait pu dire qu’ils se seraient quelques fois marché sur les pieds. Cependant, ils auraient vite oublié, on ne verrait que la joie transparaître sur leur visage et le plaisir d’avoir dansé ensemble.

Une danse bien trop courte. Trop courte, mais dont l’arrêt était nécessaire au vu de la respiration haletante de la brune. Ses joues étaient rouges. Elle plongea son regard dans celui de Yuhei et le détourna vite face à l’intensité des sentiments qu’elle voyait dans ses yeux. Elle l’observa de façon plus générale, en fait, elle supposait qu’il lui ressemblait assez à ce moment même. Sauf le sourire. Il avait ce sourire qui semblait ne le quitter que rarement. Un sourire communicatif puisqu’il vint se greffer à son visage. Ce sourire, Yuhei ne put en profiter longtemps, elle cachait déjà son visage contre le tors du plus jeune face à ses paroles emplies d’une sincérité gênante. Elle aussi aimait ce contact, mais, elle ne savait pas quoi dire, elle ne savait pas comment l’exprimer, même Yuhei avait du mal à le faire et c’était attendrissant. En même temps, était-ce bien de décrire ce genre de sentiments ? Parfois, il valait mieux que les mots n’existent pas pour décrire ce qu’on ressentait. Elle se contenta alors de hocher la tête contre lui. Maiko se détacha légèrement de Yuhei. Sourire malicieux aux lèvres, elle se mit de nouveau sur la pointe des pieds pour poser ses lèvres contre la joue du jeune homme.

« Oui, beaucoup mieux. »

Elle soupira d’aise. Ses doigts fins allèrent effleurer les lèvres de Yuhei. Elle les redessinait. Même comme ça elles étaient douces. Elle laissa sa main glisser à sa nuque, puis tout doucement à son cœur qu’elle sentait battre contre sa paume.

« Dit, tu veux bien m’apprendre à écouter mon cœur… Yuhei-kun ? »

C’était la première fois depuis bien longtemps qu’elle utilisait le prénom de quelqu’un. C’était un premier pas. Et puis, ils n’étaient plus si étrangers. Pas après ce contact si intime. Pas après ces différents partages qui avaient abouti à diverses choses.

« Mais je te préviens, je risque de faire des erreurs. Alors, tu auras le droit de crier, de ne plus vouloir me parler. La seule chose que tu n’auras pas le droit c’est d’être triste à cause de moi. Je préfère te voir sourire. »

Même si c’était inutile, elle plaça ses index de part et d’autre de l’extrémité des lèvres de Yuhei et les étira légèrement forçant ainsi le sourire déjà présent. Elle laissa ensuite glisser ses mains le long de son corps pour les poser au creux de ses reins tout en la couvant d’un regard tendre. Définitivement oui, elle préférait le voir joyeux.