La journée avait été tranquille, de ce calme qui caractérisait la plupart des jours de l'année. Quelques heures auxquelles on ne prêtait attention que le temps de les vivre pour mieux les oublier au profit de celles à venir. Les cours s'étaient déroulés dans le même calme qui caractérisait les élèves de la Ginkgo Gakuen, chose qui n'avait manquer de le surprendre au début. Il semblait s'y être accoutumé maintenant et se plaisait à leur faire cours, loin de ce rôle de policier qu'il avait semblé arborer lorsqu'il était à la Hamura.

Le soir venu, il avait partagé son repas avec ses colocataires – regrettant presque que Phileas se soit joint à eux d'ailleurs. Les commentaires désagréable du premier arrivée à l'appartement avait tendance à, petit à petit, lui taper sur le système. Souvent il s'obligeait à prendre exemple sur Jiro pour ne rien dire et, surtout, ne pas assommer le jardinier. Ce soir-là, il s'était défoulé en proposant à Dean de l'accompagner, l'infirmier à la guitare, lui à l'harmonica. Puis les deux jeunes gens s'étaient séparés lorsque Akutsu avait réalisé qu'il avait oublié son téléphone portable plus tôt, probablement dans l'une des salles de classes où il avait fait cours.

Le roux avait enfilé une chemise rapidement, qu'il avait boutonné en omettant volontairement les trois derniers. Même si l'été arrivait à peine et qu'ils n'en étaient pas encore dans les mois les plus chauds, la température élevée n'incitait pas à se couvrir même une fois le soir venu. Un coup d'œil à sa montre l'informa qu'il était pourtant déjà 21h30 ; il soupira et rattacha ses cheveux pour avoir moins chaud.

Arriver au bâtiment des cours ne lui pris pas longtemps, l'école ayant un grand campus mais une conception intelligente. Il emprunta la passerelle et arrive vite au premier étage du bâtiment Showa. Un détail néanmoins attira son attention lorsqu'il vit un rayon de lumière entrecouper le couloir. Fronçant les sourcils, Akutsu avança en direction de la salle d'où il provenait, tâchant d'être aussi silencieux que possible. La porte entrouverte découvrit la silhouette maintenant familière d'Eiji Kimihiro. Quelques bruits provenant de sa machine se firent entendre et Akutsu écarquilla les yeux de surprise, avant de secouer la tête pour s'en remettre. Il ouvrit doucement la porte et alla rejoindre le jeune homme qui, surprit, tenta de cacher la fenêtre internet sans s'y prendre assez adroitement pour que le roux n'en voit rien. Sa surprise redoubla quand il réalisa que la scène ne comportait pas la moindre femme.

« Je ne pense pas que l'endroit soit bien indiqué pour regarder des vidéos pornos, Kimihiro... »

Si on avait demandé à Eiji de raconter l'intégralité de la journée, le jeune homme aurait surement été forcé d'admettre un espèce de blanc qui dévorait une grande partie de son après-midi après avoir fui sa chambre devant le spectacle qu'offrait Hugh et Kantaro. Il avait passé un long moment à promener Shizuka dans le parc, câlinant autant le chient qu'il le faisait se défouler, avant de se rendre à l'entrainement de kendo qu'il avait fini par quitter en prétextant une migraine après avoir passé le flambeau au vice-président pour les trente dernières minutes.
Ensuite.... difficile de remettre les pieds dans sa chambre sans avoir en tête l'image de ses deux amis. Difficile aussi d'aller dans le bâtiment Showa pour travailler sans penser à la scène dans sa salle de classe, et au goût du baiser encore sur ses lèvres.

Le temps s'était étiré, paresseux, entre le foyer, la douche, le parc, jusqu'à ce que le soleil ne disparaisse de l'horizon et que le couvre-feu ne se rappelle à son bon souvenir, lui rappelant qu'il finirait inexorablement par se confronter avec ses deux amis. Le jeune homme était resté un moment dans le foyer, à tester jeu vidéo après jeu vidéo, sans trouver aucun intérêt dedans. Les jeux de combats avaient une saveur bien fade quand on avait l'habitude de l'adrénaline instillée par de vrais combats, violents ou simplement sportifs.
Sans qu'il ne sache vraiment comment, ses pas avaient fini par le mener vers les salles de cours. A cette heure-là, le bâtiment Showa était normalement inaccessible, mais le fait que la porte de la passerelle se débloquait quand on donnait un petit coup dedans était un secret de polichinelle transmis à tous les élèves. Eiji supposait que l'administration fermait les yeux tant qu'aucune trace du passage d'un élève n'était constatée le lendemain.

La salle d'info était vide, comme toutes les autres salles, et ce fut d'une main mal assurée que le jeune homme alluma un des postes les plus au fond, s'installant assez loin de la porte laissée entre-ouverte pour entendre le passage hypothétique de quelqu'un en vadrouille comme lui. Il y avait de grande chance que si un autre étudiant noctambule passe dans le coin, il ne se fasse pas connaître, mais tant qu'à faire...

La teneur de la recherche était simple, et pas de celle qu'il tenait à faire à une heure publique dans la bibliothèque par exemple, ni même en empruntant le pc de Hugh. Et effectivement, les premières images qui apparurent sur l'écran lui donnèrent presque envie de refermer aussitôt la fenêtre. Pourtant, emprunt d'une curiosité malsaine, il continua à regarder différents sites. Il y avait surement des meilleurs moyens de s'intéresser à la sexualité gay sans passer par la case internet, mais ils impliquaient pour la plupart de poser des questions à d'autres personnes qui ne manqueraient pas de lui en poser à son tour.
Le résultat n'était pas bien glorieux et donnait plus envie au jeune homme d'entrer dans un monastère que d'explorer plus loin sa sexualité, l'écœurant autant que possible.

La énième vidéo se lançait sur son écran, semblable aux autres, quand Eiji entendit un bruit derrière lui. Son manque de réflexe et d'habitude des ordinateurs lui fit fermer la fenêtre un instant trop vite pour ne pas avoir été remarqué comme le prouva bien vite la voix moqueuse de son professeur d'anglais.
Le visage écarlate, le jeune homme garda les yeux fixés sur le clavier, incapable d'affronter le regard de son prof en cet instant.

" C'est pas ça... je voulais juste me renseigner."

Savoir que c'était la vérité ne la rendrait pas plus crédible pour autant, même à ses propres oreilles.

On trouvait difficilement excuse crédible dans pareille situation. Celle que lui offrait Eiji ne l’était pas le moins du monde aux yeux de l’enseignant, lequel hausse les sourcils avec un sourire en coin qui aurait rendu Cathan fier de lui. A croire qu’il le fréquentait trop puisque ses moues amusées devenaient, de plus en plus, ironiques et moqueuses. Son regard s’attarda un peu sur le jeune homme puis se posa tranquillement sur l’écran d’ordinateur dont le fond bleu n’était pas représentatif de ce qu’on y faisait. Bien moins encore des recherches évoquées par Kimihiro.

« Si tu as des questions à propos de sexe, tu devrais les poser à l’infirmier. Il y répondra mieux que ces vidéos. »

Énoncées d'un ton calme, presque narquois, ses paroles ne laissaient pas entendre le moins du monde qu'il doutait du caractère hétérosexuel desdites vidéos. Il hésitait à aborder le sujet, estimant que les préférences de ses élèves ne regardaient qu'eux. Il ne faisait, après tout, pas part des siennes.

D'un autre côté, estima-t-il en s'amusant du visage empourpré face à lui, la scolarité chaotique d'Eiji avait probablement une raison. Lors de leur précédent entretien, il avait évoqué des problèmes de cœur après une séparation avec son amie. Considérant ce qu'il lui semblait avoir vu, la raison de leur rupture n'était peut-être pas aussi anodine qu'il l'avait pensé. D'autant que le kendoka n'était pas totalement revenu en cours : l'espagnol, apparemment, ne lui plaisait guère.

Akutsu soupira et attrapa une chaise, brisant le silence trop lourd qui s'était installé. Il plaça le siège à l'envers, s'asseyant dessus tout en croisant les bras sur le dossier, face à Eiji. Le roux se passa une main sur la nuque et regarda l'écran brièvement, avant de redonner toute son attention à son élève. Quelque chose n'allait pas, il n'était pas sûr de savoir ce que c'était, mais ne comptait pas repartir maintenant. Ni coller Eiji pour un truc aussi dérisoire qu'un porno - lui-même avait fait pire.

« Je ne te ferai pas de leçon de morale, t'es trop grand pour en avoir besoin. »

Encore une fois le silence s'étira alors qu'il cherchait ses mots. Il ferma brièvement les paupières comme pour réorganiser ses pensées, puis reprit la parole, rouvrant les yeux.

« Tes problèmes se sont arrangés depuis notre dernière conversation ? »

Ecarlate, le jeune homme releva pourtant le nez à une suggestion qui ne pouvait que l'outrer. Parler à l'infirmier ? De toutes les personnes à qui il aurait pu prétendre à interroger sur le sujet, Onwara était probablement la dernière à qui il se serait adressé. Entre son sourire moqueur et sa certitude de toujours tout savoir, il était tout bonnement invivable. Et avec lui, Eiji n'allait pas tenter de lui donner le bâton pour se faire battre. Déjà qu'il n'avait qu'à moitié confiance pour le laisser se soigner ce qui n'était que purement somatique, alors le reste... Ca aurait été plus simple s'il ne l'avait tout simplement pas déjà connu. Dans ce cas, il aurait peut-être envisagé d'aller lui parler... Du moins il pouvait toujours essayer d'y croire, même si au fond, il savait parfaitement qu'il n'aurait jamais été capable de discuter avec qui que ce soit – d'autant plus un adulte – sur ce genre d'interrogation. Mais comment faisaient les autres ?

" Et lui donner encore des raisons pour se foutre de moi ? Merci bien ! "

Le ton avait été bas et agressif, gardant difficilement son sang-froid dans ce genre de condition. Son habituelle réaction dans la plupart des situations de malaise était la colère – vite montée, vite oubliée – et celle-ci ne faisait guère exception, à part pour le sentiment de honte mélée de panique qui le tenaillait aussi surement que l'envie d'envoyer le pc contre le mur. Surpris par un autre élève, c'était peut-être ce qu'il aurait fait d'ailleurs – mais face au prof d'anglais, assis sur sa chaise retournée comme si de rien n'était, difficile de rester sur cette ligne de conduite. Il n'aurait pas pu se concentrer de le punir et de le renvoyer ? Mais non, apparemment, Moe-sensei tenait à l'embarrasser jusqu'au bout, par malice ou réel intérêt. L'adolescent fixa furieusement son professeur, cherchant dans son regard la réponse, mais la moquerie avait laissé place à de l'humour dans son expression, et ce qu'il pouvait traduire comme de l'intérêt.
Malheureusement, il n'était ni psychologue ni télépathe pour facilement comprendre les gens.

La question le laissa silencieux, le regard à nouveau posé sur la souris reliée à l'ordinateur, sur l'écran, bref, sur tout sauf le visage de son professeur. Ses problèmes ? Il voulait parler de tout ce qui composait sa petite personne et qu'il rejetait en bloc ces derniers mois ? Du fait qu'il avait surpris ses amis et colocs en train de s'envoyer en l'air dans leur chambre commune ? Quel que soit l'angle sous lequel il regarde ça, difficile de dire que ça s'était amélioré, même après tout le soin qu'il avait pris pour ignorer ces petits détails de sa vie quotidienne. Et quand il ignorait plus et prenait le taureau par les cornes, il ne réussissait qu'à rajouter de l'huile sur le feu et se bruler.
Sur le coup, Eiji se sentait totalement misérable et d'autant plus stupide qu'il ne pouvait que se rendre compte que sa situation n'était pas si grave.

Le jeune homme finit par hausser les épaules, cherchant les mots pour formuler une réponse qui ne l'impliquerait pas trop et permettrait de fuir assez vite la scène du crime.

" Pas vraiment... je sais plus trop où j'en suis."

Qu'est ce qui lui prenait de répondre de cette manière ? Il y avait de grandes chances pour que le jeune prof se moque lui aussi, et la seule raison pour laquelle il ne l'avait pas fait était qu'il n'avait pas du voir ce qu'il se passait exactement sur l'écran, à par le fait qu'il s'agissait de porno.

" Je peux...? "

Sans finir sa phrase, le regard du jeune homme dériva sur la porte encore entrouverte dans un vague désir de fuir la situation suffisamment vite pour qu'elle ne devienne pas plus génante qu'elle n'était déjà.

Pour vivre avec Dean depuis maintenant un peu de temps; il avait pu constater que l'autre homme avait comme lui une certaine tendance à ne pas toujours se rappeler qui était l'adulte dans le lot, mais puisque ça ne semblait pas poser de problèmes entre Kimihiro et lui, Akutsu ne voyait pas d'où venait l'animosité entre les deux. Sûrement à quelque chose dont il n'avait pas entendu parler et sur lequel il ne comptait pas poser de questions dans l'immédiat. Le jeune homme face à lui n'avait à l'évidence pas vraiment envie de discuter, et ça n'était pas le plus urgent.

S'installant enfin avant de l'interroger sur son état, il fut plutôt surprit des réactions du brun. Non qu'il se soit attendu à le voir s'ouvrir à lui immédiatement, mais Akutsu aurait penser se faire envoyer paître sans qu'un seul élément ne filtre. Il commençait à le cerner suffisamment pour savoir que comme bien des adolescents, il se méfiait des adultes. Peut-être même davantage lorsqu'ils avaient le sourire et l'humour facile dans des situations qui parfois ne s'y prêtaient pas.

Ses traits d'ailleurs se firent plus sérieux, moins teinté d'humour devant le désarroi de son élève. Son caractère ne le poussait pas à se moqueur de ceux qui allaient mal ou étaient complètement perdus, il ne comptait donc pas y faire défaut maintenant. Sans bouger de sa chaise néanmoins, il haussa doucement les épaules, le regard toujours tranquillement posé sur Eiji. Limpide, même, au point que le brun n'y aurait pas trouvé la moindre malice. Les mots qu'il comptait prononcer n'étaient à prendre que comme ils étaient et le choix restait entièrement entre les mains du kendoka.

« Je ne te retiendrai pas contre ton gré. Si tu veux vraiment partir, tu es libre de le faire. »

La suite se passa sans surprise. A l'évidence soulagé, le jeune homme décala sa chaise et se leva, là où Akutsu ne bougea pas d'un centimètre. Son regard suivit le dos du garçon jusqu'à ce que celui-ci se retourne vers lui, amorçant un mouvement pour le saluer en bonne et due forme. La politesse n'était définitivement pas un vain mot chez Kimihiro. Le roux néanmoins profita qu'il soit tourné vers lui pour reprendre la parole, le coupant dans son élan.

« Mais réfléchis-y tout de même. S'il y a une petite chance pour que parler t'aide à y voir clair ou qu'au moins tu puisses lâcher ce que tu as sur le cœur, tu peux rester ici et m'expliquer ce qui t'arrive. Je ne suis pas le plus expérimenté des enseignants de l'école, mais je sais écouter sans juger. »

A son grand soulagement, son professeur le laissa partir sans difficulté. Ou presque : il ne commença à parler qu'au moment où Eiji s'était retourné pour le saluer, n'arrivant pas à se résoudre à quitter la pièce sans s'incliner. Au moment où tout s'effondrait autour de lui, se raccrochait à son éducation était encore la chose la plus logique à faire. Surpris, l'adolescent le fixa, écoutant avec attention ses paroles. Ce qui disait Moe-sensei était peut-être vrai... mais Eiji avait bien du mal à l'imaginer. Il avait tellement entendu de moqueries homophobes - en avait prononcé un certain nombre aussi – qu'il avait du mal à croire que ce sentiment de gène, pour ne pas dire dégout, n'était pas universel envers les hommes qui aimaient les hommes. Tous ces propos ordinaires, même pas volontairement méchants, sur les tapettes et autres folles, les remarques et les mimiques... Eiji ne voulait pas y être associé.

L'adolescent resta un instant le regard dans le vide, perdu dans ses pensées avant de reprendre la parole. Peut-être pourrait-il vraiment l'aider ? De toute façon, au point où il en était... il s'était déjà confessé à un autre prof alors qu'il était totalement bourré, pour ensuite l'embrasser dans une salle de classe vide. Il s'était fait attraper par le prof ici présent en train de mater du porno gay sur un ordi du lycée, à une heure où il n'avait même plus le droit de se trouver dans une salle de classe. Il pouvait difficilement faire pire dans la catastrophe. Les mots qui vinrent à sa bouche furent prononcer d'une manière un peu précipitée, comme un débutant au kendo qui se jette dans le combat avant de perdre tout son courage devant un adversaire qu'il savait plus fort. Un combat contre un adversaire bien plus fort que lui aurait pourtant était plus aisé à assumer que les mots qu'il prononça.

" Vous pensez quoi des homos ? J'ai toujours trouvé ça... pas normal. Un truc déviant."

Le jeune homme croisa les bras sur sa poitrine en s'appuyant sur la dernière rangée de table, le regard fixé intensément sur Akutsu, comme s'il pouvait trouver en lui les dernières réponses à ses interrogations. Hugh lui avait répété que c'était normal et qu'il ne devait pas en avoir honte... mais Hugh était trop gay pour que sa réponse compte, ça aurait été comme demander à une vache ce qu'elle pensait du végétarisme. Son professeur n'avait peut-être pas tord sur le fait qu'il avait besoin de l'avis de quelqu'un de neutre. Le jeune homme s'imposa de ne pas laisser son esprit vagabonder vers la personne qu'il considérait son sensei : Jiro. Entre le baiser, les images dans la chambre cet après-midi, et celles qu'il venait de voir, il avait tout sauf besoin de rajouter son visage dans l'équation.

« Les homos ou l'homosexualité ? »

Les mots franchirent ses lèvres avant qu'il n'ait vraiment le temps d'y songer, de formuler en pensée autre chose qu'un « Nous y voilà » qu'il n'avait heureusement pas prononcé. Nul doute que Kimihiro n'aurait pas apprécié d'être percé à jour si vite ou à tout le moins qu'Akutsu le lui fasse remarquer. S'il n'avait pas eu de doute rien qu'avec la vidéo toujours cachée sur l'ordinateur, les quelques derniers mots du jeune homme lui en auraient largement donnés. Ce genre de question là était pire qu'un néon arc-en-ciel pour faire son coming-out.

« Je n'en pense pas grand-chose. » reprit-il sans trop laisser le temps au garçon de s'attarder sur sa précédente question. Elle n'apportait rien, si ce n'est de soulever un amalgame fréquent. « Et rien de négatif en tout cas. »

Il se tut quelques secondes, hésitant à laisser le kendoka se débrouiller avec ça. Puis finalement, il se passa une main sur la nuque, se redressant légèrement sur la chaise d'où il ne se leva pas, et reprit tranquillement. Son regard n'avait pas quitté son élève dont il observait les réactions.

« Normal ou pas, déviante ou pas, je dois dire que je ne m'en soucie pas. J'ai plus à cœur la liberté des gens que le respect des convenances. » Le roux secoua une petite mèche de cheveux avec un sourire amusé. « Qu'est-ce qui te dérange avec le fait d'aimer les personnes du même sexe que soi ? »

L'incompréhension se peignit sur le visage d'Eiji devant cette question qui n'en était pas une, le laissant un instant dans une profonde perplexité. Les homos ou l'homosexualité... ça revenait parfaitement au même, non ? Il n'aimait pas se perdre dans des réflexions peu ou prou philosophiques, et ce genre de questions en faisant partie. Heureusement pour lui, Moe-sensei continua dans un commentaire plus terre à terre, et plus proche de ce qu'il souhaitait entendre.
Encore que.... lui, comme Hugh ou Kanta, semblait ne pas se poser plus de question que ça. Mais pourquoi ? Pourquoi ça leur semblait si naturel et logique ? C'était ce point qui le rendait dingue. Le côté absolument parfait de tout ce beau monde, exempt de préjudice ou de malaise. Appartenaient-ils tous à une religion qui prônait l'amour universelle et le je-m'en-foutisme des préférences sexuelles des autres ? Est-ce que les choses auraient été plus simple si il avait à se battre pour se défendre ? Toute cette... ouverture d'esprit le paniquait et comme un cheval capricieux il préférait reculer que d'avancer dans la direction la plus logique.

Eiji serra les lèvres, cherchant ses mots pour sa réponse. Il y a de cela un mois ou deux, elle aurait été prompte et immuable : qu'il s'en fichait, et ne voulait surtout pas en entendre parler. Et tant que les gens ne lui regardaient pas les fesses ou n'essayaient pas de l'embrasser en pleine rue, tout se passait pour le mieux dans le meilleur monde. Il aurait souhaité ne jamais quitter cette simple ignorance. Heureux les simples d'esprit... il avait du entendre cette expression en cours d'histoire, sur les religions étrangères et ne l'avait pas compris à cette époque. Maintenant, il en goutait toute sa valeur.
Le jeune homme reprit la parole sur un ton las, le regard posé sur la table plutôt que sur son professeur, loin du jeune homme agressif qu'il était si souvent, ou même de l'adolescent respectueux qui était en général en cours.

" C'est pas... normal, contre-nature. Je veux dire... si y'a deux sexes c'est pas sans raison... "

Le dernier argument qui flottait sur ses lèvres mais qu'il n'exprima pas autrement que par un rapide coup d'oeil sur l'ordinateur, c'était que c'était carrément dégueulasse, et ce n'était pas les quelques vidéos qu'il avait pu voir sur l'ordinateur qui allait le faire changer d'avis. Bien au contraire, se sentir, ne serait-ce qu'un peu, intéressé par ce genre de vidéo, avait quelque chose de totalement dérangeant.

Le coup d'œil d'Eiji vers l'ordinateur ne lui échappa pas, et Akutsu se retint de tendre la main pour ouvrir la fenêtre et constater si oui ou non il avait bien vu. Il n'en doutait pas vraiment. Les interrogations du jeune homme, le sens de leur discussion et les « renseignements » qu'il cherchait précédemment n'avaient pas besoin de cette confirmation pour l'aiguiller. Il choisit néanmoins de laisser ce dernier argument pour plus tard, répondant déjà à ceux formulés avec hésitation. La question du sexe aurait bien le temps d'être abordé – et il comprenait mieux pourquoi Kimihiro avait refusé d'en parler à Dean, même si celui-ci ne celui avait jamais paru fermé sur la question.

« Normal... Non, ça n'est sûrement pas normal puisque ça n'est pas la norme, mais contre-nature... Parcourir des centaines de kilomètres dans une boite de taule, c'est contre-nature. Vivre entre des dalles de bétons aussi. L'attirance sexuelle, même homosexuelles... C'est juste une histoire d'hormones. Et il n'y a pas grand chose de plus naturel que ça. »

Un léger sourire flotta sur ses lèvres, comme pour essayer de rassurer un peu le jeune homme face à lui. Il reprit en retrouvant des traits plus sérieux.

« Quant au sexe... Heureusement, ça ne consiste pas à imiter ce qu'on voit dans les vidéos porno, sinon il y aurait de quoi fuir à toutes jambes. Et puis rien n'oblige à en passer par-là si tu n'en as pas envie. »

Même si ne pas avoir envie de sexe lui paraissait tout aussi inconcevable que de ne pas vouloir respirer.

L'homme semblait avoir réponse à tout, aussi facilement qu'en cours. Eiji ne savait pas s'il appréciait cet état de fait ou s'il lui en voulait. Dommage qu'il n'en soit plus au stade où il rejetait tout en bloc. Eiji se passa une main sur le visage avant de regarder le plafond, la table, le tableau vide, enfin partout, sauf son professeur. Il n'avait plus vraiment envie de fuir la salle. A quoi bon ? Il n'avait pas envie de retourner dans sa chambre affronter ses amis, s'enfermer dans le foyer pour écouter la télé ou essayer de dormir sur le canapé n'avait pas beaucoup d'attrait, et essayer d'aller faire du sport à cette heure était irréalisable.

" Vivre entre des dalles de bétons, c'est quelque chose qu'on choisit..."

Pas cette putain d'attirance à la con pour les mecs alors qu'il portait un pote de classe en adresse, et qui s'affirmait en présence de son sensei de Kyudo qui avait juste eu le malheur d'être agréable à l'oeil et d'avoir des idées concordantes avec les siennes.
Ca aurait été mentir de dire que cette attirance était née avec l'arrivée de Jiro, ou avec les petits commentaires de Hugh. Le malaise croissant, dans les vestiaires, alors qu'il prenait bien trop conscience des regards sur son corps, ou des muscles des autres garçons. L'intérêt qu'il n'arrivait pss à trouver quand ils parlaient filles entre mecs. Ça avait été facile de noyer tout ça dans la passion inégalée d'un sportif pour sa drogue.

«  J'ai pas envie d'être une putain de tapette ! »

Sa voix était brusquement monté d'un ton alors qu'il fixait maintenant son professeur, en colère, le mettant au défi de répondre avec sa soi-disant philosophie d'acceptation. Comme d'habitude, il était plus simple de s'énerver que de réfléchir.

L'exclamation de Kimihiro avait des relents de désespoir. Comme un cri poussé en dernier recours, sans grande illusion sur ce que ça changerait. Et que pouvait-il, lui, répondre à ça ? Que ce n'était pas une question d'envie ? Le brun en avait conscience, trop sûrement. L'adolescent était perdu, et le roux prêt à parier qu'il ressassait tout ça depuis un long moment. A défaut d'avoir pu être efficace avant, le jeune enseignant se résolut à lui secouer un peu les puces. Il se redressa sur son siège, fixant le kendoka avec un air sérieux qu'il n'avait plus l'habitude d'afficher.

« Alors comporte-toi comme un homme et cesse de geindre. »

Il supposa qu'il avait du le choquer au moins un peu. A dire vrai, dire à quelqu'un de se comporter comme un homme en acceptant son homosexualité n'était pas spécialement courant, mais Akutsu n'avait jamais considéré – même avant de découvrir sa bisexualité – que la virilité allait de paire avec ce que l'on faisait de ses fesses. Certes, pendant un temps, il était parti du principe qu'un homme devait savoir défendre la veuve et l'orphelin mais... ça n'était pas vraiment la même chose.

« Accepte de te regarder dans une glace sans fuir ton reflet ni en avoir honte. » commença-t-il en se relevant finalement, puis il contourna la chaise. « Je ne te dis pas que ce sera facile ou très bien accepté, mais personne ne te force a le crier sur tous les toits ni à te comporter différemment. Tu es toi comme tu l'as toujours été, même avant de prendre conscience de tes préférences. Il n'y a aucune raison que tu changes parce que tu réalises que les filles ne t'intéressent pas. »

Il mentait un peu et le savait pertinemment. Bien sûr que ça changerait quelque chose puisque le regard que le jeune homme avait sur lui-même évoluerait. Puisqu'il finirait, à un moment ou un autre, par ne plus chercher à être quelqu'un d'autre, à être un modèle d'homme totalement idéalisé. Akutsu n'était néanmoins pas certain qu'Eiji soit prêt à l'entendre, même si une part du kendoka devait bien le lui souffler. Probablement ne le croirait-il même pas vraiment.

Après avoir laissé planer un bref silence pour laisser à Eiji le temps d'accuser ses paroles, le professeur d'anglais s'avança de quelques pas, laissant tout de même une distance appréciable entre eux. Son regard se posa tranquillement sur le visage du troisième année où il chercha à accrocher ses yeux.

« Personne ne peut décider des choses à ta place, ni dans un sens, ni dans un autre. A toi de voir si tu veux pouvoir te regarder dans une glace ou non. »

La remarque cinglante lui fit redresser brusquement la tête, les joues écarlates. La pique faisait mouche, le vexant outrageusement sans qu'il arrive à se défendre. En temps normal, pareil remarque lui aurait fait sortir les poings, ce qui se traduisit par une crispation de ses poings comme du reste de son corps, avant qu'il ne se souvienne que non, frapper un professeur n'était pas envisageable.
Le silence s'étira au fur et à mesure que l'adolescent se calmait sous le regard calme de son professeur, et intégrait les mots qui venaient d'être prononcés.
L'idée qu'il provoquait son propre malheur était vexante. Mais plus simple à résoudre aussi.
N'était-ce pas ce qu'avait tenté de lui expliquer Hugh ? Sauf que venant de sa part, le conseil avait été dur à intégrer, le blond étant l'image même de ce qu'il ne voulait pas être. A force de l'entendre, de différentes sources, il finirait peut-être par l'accepter.

Eiji soutint le regard du professeur quelques instants, les lèvres serrées jusqu'à en devenir une fine ligne. Cette façon de voir les choses étaient belles mais... le regard en coin de Dojima quand il avait été torse nu devant lui, et les quelques mots moqueurs, il ne les avait pas rêvés. D'un autre côté... il s'était déjà battu pour moins que ça, s'était énervé pour bien des offenses, réelles ou imaginaires... ça ne changeait pas grand chose à la situation.

On aurait presque pu entendre les rouages tourner dans la tête du garçon alors qu'il réfléchissait aux mots de son professeur, essayant de les imbriquer quelque part dans sa façon de penser. Mais à moins de limer celle-ci aux entournures, difficile de l'adapter.
Il avait envie d'y croire. Que ça ne changerai rien à qui il était, ou à ce qu'il pourrait faire. Il avait envie d'y croire, mais un vague reste de machiste se moquait de lui, se moquait de son coeur battant à ce baiser échangé, de ses mains tremblantes et de la panique qui l'emparait à l'idée de revoir Jiro. La vulnérabilité n'était certes pas liée à l'attirance pour un homme, mais comme il n'avait pas de point de comparaison, l'amalgame se faisait presque naturellement.

Le kendoka ferma les yeux puis les rouvrit, sans qu'une réponse miracle ne lui apparaisse devant les yeux. Dommage. Il se redressa et se dirigea vers la porte, les mains enfoncées dans les poches de son jean. Il ne retrouva sa voix qu'une fois à la porte et trouva le courage de se retourner pour affronter le regard de son professeur.

«  Je suppose que je suis puni pour ma virée nocturne ? »

Du reste, nul mot. Il avait encore besoin d'un peu de temps pour digérer.

Seul le silence te la colère perceptible d'Eiji vinrent cueillir ses propos. Qu'importait, il avait dit ce qu'il devait dire et était certain que ses mots avaient été entendus. Le kendoka y réfléchirait sans doute une fois seul, une fois qu'il pourrait se permettre de se laisser aller le temps de se remettre un peu les idées en place. Le reste prendrait du temps, plus ou moins, selon le choix qu'il déciderait de faire.

Satisfait de s'être rendu utile – même si la méthode laissait encore un peu à désirer, le roux se passa une main sur la nuque et recula de quelques pas, allant remettre la chaise en place lorsqu'il vit le brun partir vers la porte. Patiemment, il attendit de voir si celui-ci partirait sans le saluer ou si, au contraire, il s'accrocherait une dernière fois à sa politesse avant de fuir. Et fuir n'était pas un mot trop fort.

Le jeune homme finit par se retourner, amenant un léger sourire sur les lèvres de son aîné qui s'effaça assez vite. Avec tout ça, effectivement, il avait bien failli oublier ce qu'Eiji faisait à son arrivée. S'il avait fallut être franc, il aurait pu s'abstenir totalement de le punir et sans doute même l'aurait-il fait si le troisième année n'avait pas abordé le sujet. En soi, leur discussion et toutes les interrogations qui suivraient suffisaient bien comme sanction.

Néanmoins, il était enseignant. Sans doute un professeur devait agir face à ce genre de « recherches ». Il se demanda un instant que faire, avant de se décider finalement assez vite. Une ou deux heures de colle ne rimeraient absolument à rien. Il avait déjà opté plus tôt pour une punition plus douce, lorsque le brun avait décidé de sécher les cours. Ce qu'il faisait d'ailleurs toujours en espagnol... Akutsu retrouva son sérieux.

« Tu connais déjà le tarif : cent mots de plus sur ton devoir, je le ramasserai. »

Il hésita le temps d'une seconde, puis poursuivit :

« Et retourne en espagnol. »

Un espèce de rire de gorge – à mi chemin avec le grognement de désespoir – accueillit la punition d'Akutsu. Cent mots de plus... il avait beau connaître le tarif, il n'aurait pas cru qu'il serait appliqué dans ce cas là. C'était toujours mieux que les colles et les sentences peu flatteuses sur son dossier scolaire, encore peu abimé, de Ginkgo Gakuen. Le retour au sujet bête – mais ô combien réel – des cours avait un effet de piqure de rappel : il y avait plus important que sa vie sentimentale et sexuelle en jeu. Il avait déjà raté une année... il ne pourrait pas se permettre d'échouer une seconde fois. Il ne voulait pas échouer une seconde fois. Par rapport à ses amis, ses parents – même si les relations n'étaient toujours pas au beau fixe avec eux – et pour lui-même. Il y avait une limite à ce que sa fierté piétinée pouvait subir.

Alors qu'il s'apprêtait à quitter définitivement la pièce en saluant, son professeur acheva de poser la dernière pièce de son puzzle personnel. Un instant, Eiji resta figé, se demandant si Moe-sensei avait pu entre-apercevoir le baiser qu'ils avaient échangé en début d'après-midi, dans la salle de cours. Ou s'il avait pu entendre ce qu'il avait raconté à Jiro dans le dojo, dans leur ancien lycée. Plusieurs scénarios catastrophes prirent vie dans son esprit, grandirent, et moururent presque en même temps, faut de carburant. Si le roux avait vraiment su quelque chose, il ne l'aurait pas invité à retourner en cours d'espagnol, bien au contraire – Jiro et lui se seraient déjà retrouvés dans le bureau du directeur, si ce n'était pire – Il devrait dire à Hugh d'arrêter de lui narrer ses idées de scénario, ou ce qu'il lisait dans les mangas, il commençait à avoir des idées bizarres.

Le jeune homme fixa le tableau noir qui surplombait les casiers au fond de la classe. Mal effacé, il laissait encore deviner quelques noms écrits à la craie des responsable du nettoyage de la classe, et peut-être quelques autres informations frivoles qui n'avaient pas leur place ici. Un lieu de travail, mais aussi un lieu de vie où il était difficile d'échapper à certaines choses. Les profs en faisaient parti, avec ce même qualificatif de chose immuable. Habituellement, il se contentait de les voir comme des contraintes avec lesquelles il fallait jongler, mais un dernier coup d'oeil au prof d'anglais semblait lui indiquer l'inverse.

«  Ok, ok, j'y retournerai. »

Il faudrait bien qu'il finisse par affronter ses chimères. Une dernière question effleura son esprit, et le jeune homme prit soin de détourner pudiquement le regard du visage d'Akutsu avant de la poser, se sentant vraiment comme un gamin de 10 ans pour le coup.

«  Dites... vous serez là si j'ai d'autres questions ? »

Il avait craint un instant que le jeune homme refuse de retourner en cours, pour un prétexte que sincèrement Akutsu ne connaissait pas. Jiro vivait avec lui depuis maintenant près de trois mois et il pouvait en dire une chose au moins : il était aussi passionné par son métier que lui, en plus d'être tout simplement adorable. Un homme charmant qui ne méritait certainement pas d'avoir un élève à dos, surtout quand celui-ci – s'il était une vraie tête de mule parfois – était globalement attachant et sérieux.

Néanmoins, Kimihiro avait accepté de retourner en espagnol sans broncher, bien qu'un peu à contrecœur, avant de s'arrêter, la gêne lui faisant détourner le regard. S'attendant à peu près à tout, même – voir surtout – au pire, Akutsu fut surpris de la simple question du kendoka. Sa toute première pensée fut, bien sûr, de lui assurer qu'il pouvait, avant que les implications ne lui viennent à l'esprit.

D'autres questions à propos de quoi ?

S'il s'agissait de sexe, eh bien... Oh il pourrait y répondre, mais savoir trop bien de quoi il parlait finirait par donner la puce à l'oreille de son élève. Il n'y tenait vraiment pas. Sa vie privée le regardait et Kimihiro n'était pas assez idiot pour ne pas finir par comprendre qu'il partageait au moins son goût pour les hommes. Sans forcément comprendre qu'il en avait autant pour les femmes.

Le silence s'étira légèrement avant qu'il n'inspire profondément. Son regard parcourut les traits du kendoka avant qu'il ne se décide, mettant de côté ses craintes pour faire ce qu'il savait faire de mieux : être là pour l'un de ses élèves.

« Bien sûr. Viens me voir quand tu veux. »

Il n'en fallut pas davantage au jeune homme pour le remercier et s'éclipser comme s'il avait le diable au corps. Peut-être d'ailleurs était-ce l'impression qu'il avait. Un peu songeur, Akutsu fixa la porte pendant une dizaine de secondes avant de secouer la tête, revenant sur ses pas pour vider l'historique et le cache de l'ordinateur, refermer le navigateur puis éteindre enfin la machine. Ce ne fut qu'une fois sorti du bâtiment qu'il s'en souvint : il avait oublié son téléphone dans une salle de classe.