Au final, Eiji en était revenu à la bonne vieille méthode traditionnelle pour réussir à obtenir un rendez-vous avec son professeur d'anglais : la note dans son casier. Courte note qui demandait à le voir avec un ton légèrement désespéré, même si le jeune homme ne l'aurait jamais formulé ainsi. Il espérait juste que son sensei trouverait le mot avant la fin de la journée... Donner un rendez-vous pour la fin de la même journée était quelque peu cavalier, même lui en avait conscience, mais vu la précipitation qui entourait la fin des cours et le début des vacances, Eiji n'était pas sur de trouver un autre créneau avec ses autres devoirs envers ses différents clubs sportifs et les cours avant le week-end... et les vacances. Enfin ses cours de rattrapage au lycée. Mais son prof, lui, serait en vacance.

Le jeune homme regarda autour de lui la salle de classe, lieu habituel des rendez-vous de ce type. Jusqu'à la veille des examens, elle avait brulé de vie, perpétuellement occupée par des élèves sérieux en train de travailler avec acharnement. Une fois ceux-ci passé, et les résultats rendus, elle était redevenue aussi morne et calme d'une plage de sable fin en pleine hiver, le tableau vierge de tout commentaire ou exercice. Même le tableau du fond, habituellement anoté pour les tours de ménages et autres contraintes, était maintenant aussi vierge et propre qu'il l'avait été le jour de la rentrée. Tout cela était un peu triste.
Ou aurait du l'être.
Dans cette salle vide, Eiji n'arrivait pas à se dépêtrer du souvenir d'une rencontre en tête à tête au même endroit, lors d'un chaud début d'après-midi, et sur tout ce qui en avait découlé. Le retour ici avait l'air d'un cercle sur le point d'être bouclé. Même sans être particulièrement attentif à ce genre de signe, l'adolescent ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine impatience.

Une impatience néanmoins matinée de gêne. Certes, Moe-sensei lui avait bien dit qu'il était là pour ses questions mais... pourquoi lui plutôt qu'un autre ? Hugh aussi aurait pu être l'interlocuteur idéal... sauf que ces derniers temps, entre l'échec aux examens et d'autres détails dont il n'était pas au courant, le blond était aussi soupe-au-lait qu'Eiji l'était en temps normal, et l'idée de recevoir autant de moquerie que de conseil n'avait guère enthousiasmé un kendoka à l'égo fragile et au coeur dans un état pire encore.
Son autre raison à être quelque peu gêné était la phrase qu'avait eu l'infirmier quand ils avaient discuté, cette espèce de ... suggestion à une relation d'un autre type entre eux deux. S'il ne voulait pas en savoir plus, le jeune homme n'avait pu s’empêcher d'y songer plus précisément, n'osant y mettre les mots.
S'il n'arrivait pas à regarder son sensei dans les yeux sans rougir en y repensant, voilà qui allait rendre épique une conversation qu'il devinait déjà difficile !

Assis sur – et non derrière – sa table attitrée en cours, les pieds dans le vide comme un enfant de 4 ans qui attend quelque chose, le jeune homme tourna une fois de plus la tête vers la porte après avoir regardé sa montre, craignant – en l'espérant presque un peu aussi – que n'arrive et passe l'heure qu'il avait inscrit sur la note, signalant que son professeur n'avait pas vu le mot, ou n'avait pu venir, le laissant seul devant ses soucis.

La petite note n'avait pas été lu à temps pour qu'il parvienne sans retard jusqu'à son élève. Le vide de l'école maintenant que les vacances sonnaient à la porte était surprenant. Nombre d'élèves n'avaient pas tenus à rester après les examens et lui-même rangeait ses affaires avant de partir quand il avait eu le réflexe d'aller voir son casier, chose qu'il n'avait pas fait de la journée. Entre autres choses – mais fort peu finalement – il y avait trouvé ce mot d'un élève qui était presque devenu l'un de ses protégés finalement. Un haussement de sourcil avait accueilli le message, avant qu'il ne réalise l'heure et s'affole davantage.

Sa sacoche était restée en salle des profs, bien sagement posée sur son bureau en attendant qu'il termine d'y enfourner la dernière paperasse pour partir. Lui-même s'était bien vite engouffré dans le couloir après des sommaires salutations après de collègues qu'il ne reverrait plus avant le lendemain - ou au contraire, qu'il recroiserait le soir-même dans les couloirs de leur bâtiment.

Après une course à pas rapide pour atteindre la salle, il se laissa le temps de remettre tous ses vêtements en ordre et ouvrit la porte, trouvant le kendoka dans une position plus décontractée qu'à l'accoutumée. Un léger sourire vint étirer ses lèvres, alors que la première remarque à son égard fusait déjà, immanquablement amusée.

« Je suis presque sûr que les tables ne se reconvertissent pas en siège pendant les vacances, Kimihiro-kun. »

Son sourire s'agrandit un peu alors qu'Akutsu s'avançait dans la pièce, refermant la porte coulissante derrière lui sans même y jeter un œil.

« Excuse-moi pour le retard, je n'ai pas eu ta note à temps. Tu voulais me parler de quelque chose d'important ? Tout va bien ? »

Par réflexe, il l'inspecta du regard. Les deux jeunes gens ne s'étaient pas vus de la journée, il n'avait aucune idée de comment il allait. Seul le malstrom d'émotions qui se forma sur son visage lui indiqua vraiment quelque chose, pour le reste, rien ne semblait avoir changé. Et à l'évidence, supposa le jeune enseignant, ils atteignaient l'étape des discussions d'ordre privé, étape qu'il avait préféré repousser autant que possible. Sans doute en était-il de même pour son élève compte tenu de sa gêne manifeste, aussi reconnaissable que les dernières fois où ils avaient discuté en aparté.

La porte s'ouvrit au moment où le jeune homme commençait à supposer tout espoir perdu, laissant passer un rouquin au visage souriant. Eiji ne put s’empêcher de l'observer avec une attention soutenue, sentant son propre visage prendre des couleurs. Il était encore temps de trouver un prétexte bidon et de se sauver, non ?
Non, impossible. De toute façon, il fallait bien qu'il trouve une porte de sortie avant de foncer contre le premier mur venu. Il avait bien des défauts mais la fuite n'en était pas un. Du moins plus maintenant qu'il avait accepté ses préférences.

Le jeune homme secoua la tête, sourire aux lèvres malgré les pensées qui se bousculaient dans sa tête. Si son sourire était figé, il n'en avait pour le moment pas conscience. Il était sincèrement heureux de le voir devant lui.

" Non, c'est à moi de m'excuser de vous avoir laissé ce message à la dernière minute. J'avais... je voulais juste vous parler avant les vacances. "

Eiji fixa ses mains quelques secondes, avant de glisser de sa chaise inopinée jusqu'à retrouver une position debout, se contentant de s'appuyer du bout des fesses sur le table. Position à peine plus dignifiée, mais au moins plus réglementaire devant un professeur – certes, Moe-sensei n'était pas le plus sévère de ses profs, mais le jeune homme acceptait de jouer le jeu -
En essayant de formuler clairement sa question sans qu'elle soit non plus trop révélatrice – était-ce seulement possible ? - Eiji essayait d'observer le prof sans être trop direct, à la lumière des commentaires de l'infirmier, cherchant quelque chose qui aurait confirmé ou non ses dires.
Et bien... il n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'il l'avait eu en cours en tous cas, toujours le même jeune homme décontracté qui ne semblait guère plus vieux que lui, à la différence que lui ne semblait pas paniquer à l'idée de lui parler. Ou s'il en était géné, arrivait à le dissimuler suffisamment bien.

" J'ai besoin d'un conseil en fait. Je suppose que je ne me serais pas posé la question face une fille, mais... " Il parlait pour ne rien dire et en avait cruellement conscience, mais c'était ça ou ne pas réussir à s'exprimer du tout. Pour quelqu'un qui n'avait jamais été timide jusque là, bel échec. " Vous pensez... que ça vaut le coup d'insister, même si ça semble perdu d'avance ? "

Le kendoka avait fini par accrocher le regard de son sempai, une expression quasi désespérée sur le visage. Il avait besoin de se l'entendre dire, qu'il pouvait insister et d'essayer d'obtenir l’inatteignable. Ces derniers mois, il avait été trop à vif pour réussir à retrouver son assurance habituelle, le laissant désespéré d'entendre quelques mots d'encouragement dans un domaine qui n'avait pourtant rien à voir avec le sport ou le scolaire. Dans ces derniers, il n'aurait pas eu de doute envers qui s'adresser au moins, ou sur la réponse qu'il recevrait.

Par un certain nombre de côtés, le kendoka face à lui était touchant. Probablement l'ignorait-il, trop concentré qu'il était à démêler ses sentiments et leurs implications, ou trop fier pour admettre qu'aussi viril soit-il, il pouvait être seulement mignon parfois. Pourtant, chaque fois qu'il venait vers lui pour que le roux l'aide à faire face à lui-même – car il ne s'agissait jamais d'autre chose – l'enseignant ne pouvait s'empêcher de le trouver adorable. Peut-être à cause de l'innocence avec laquelle il l'interrogeait.

Avec un sourire rassurant, le jeune homme alla s'installer contre une table, tout près du brun. Mentalement, il tenta d'évaluer la situation et surtout d'estimer combien de possibilités de refus pouvaient entrer en compte. Combien de motifs pouvaient expliquer que l'autre n'ait « aucune chance ». Le plus simple restait encore que le garçon sur lequel il avait des vues soit, pour sa part, strictement hétérosexuel.

« Je pense que si tu n'insistes pas, tu n'en sauras jamais rien. Mieux vaut tenter au risque d'échouer que regretter de ne pas avoir essayer, non ? »

Parfois, il arrivait que ses élèves lui donne l'envie d'agir un peu comme Cathan avec lui-même. Il lui fallut se faire violence pour ne pas tendre immédiatement le bras et ébouriffer les cheveux du troisième année, pourtant plus grand et plus imposant qu'il ne l'était lui-même. Le regard désespéré que le jeune homme lui lançait, néanmoins, acheva ses dernières réticences. Il se redressa et lui passa la main dans les cheveux avec un sourire à demi-paternaliste, à demi-espiègle.

« Hey, tu es un grand garçon non ? Mignon, intelligent, pourquoi est-ce qu'il ne voudrait pas de toi ? »

Eiji grogna en baissant un peu la tête, entre gêné et amusé par la tournure que prenait la discussion, bien loin du ton posé et distant qu'auraient du avoir un prof et son élève. A la limite, c'était d'autant plus simple de se confier à quelqu'un avec qui il était familier. Avec un petit sourire, le jeune homme se redressa de toute sa taille pour forcer le prof d'anglais à devoir lever le bras aussi haut que possible même si la différence de taille n'était pas si énorme que ça. On s'amusait comme on pouvait...

" Attention m'sieur, vous allez vous faire mal au bras."

Son sourire se flétrit un peu en repensant aux vraies raisons qui poussaient Jiro à ne pas vouloir d'une relation entre eux. Vraie raison qu'il ne pouvait décemment exposer sous peine de risquer des sanctions pour eux deux – surtout pour le prof d'espagnol – Dommage, il aurait bien voulu entendre le vrai conseil qui allait par rapport à la situation, mais le risque était bien trop élevé. Le jeune homme se contenta de hausser les épaules, trop perdu dans ses pensées pour ne serait-ce que rougir à ce qui somme toute avait été un compliment.

" Parce que la situation n'est pas facile à vivre et à assumer ? Parce que c'est plus simple de fermer les yeux ? Vous le feriez vous ? Vous risquer pour quelqu'un d'autre ? "

Le kendoka fixa son professeur avec curiosité. Il n'avait pas prévu d'aller jusque là et de poser une question aussi intime que ça à son sensei. Cependant, les quelques mots et le sous-entendu de l'infirmier trottaient encore dans son esprit, lui rappelant sur Moe-sensei était au final un homme comme lui... peut-être plus qu'il ne l'aurait cru à la première impression d'ailleurs.
Il n'était pas le seul à être passé par là. L'idée était rassurante et un peu... vexante ? A la vue de tous les états d'âme par lesquels il était passé, le nombre d'heures de torture qu'il s'était imposé... il devait paraître bien ridicule au regard de ceux vers qui il avait cherché refuge, Hugh comme Akutsu. Au moins il avait évolué, ce qui n'était pas si mal que ça avec le recul.

Sa main retrouva bien vite sa place le long de son corps après que le jeune homme se soit redressé. L'effronterie de son élève l'amuse plus qu'autre chose ; il s'avérait plutôt heureux de le voir plaisanter avec lui plutôt que tirer une tête d'enterrement comme auparavant. Akutsu supportait mal de ne pas voir son entourage – plus ou moins proche – ne pas aller. Il n'avait jamais su pourquoi et quelque part, il s'en moquait. Tant qu'ils souriaient.

Malheureusement, très vite Kimihiro-kun ne sourit plus. Sa mine soucieuse revint, les interrogations avec. Plutôt gênantes, cette fois. Le roux avait craint au début de devoir lui donner des conseils en matière de sexualité, pas de parler de lui de cette manière. Un bref instant, il fut tenter de répondre quelque chose qui ferait bien comprendre que le sujet était miné, mais à quoi bon ? Ravalant son impulsivité, il préféra réfléchir un peu aux mots qui lui échapperaient.

« Il n'est jamais simple de se déclarer. »

Lui-même ne se souvenait pas que ça lui eût paru facile à une époque. Il n'avait pourtant pas toujours réellement craint un refus, mais restait cette angoisse qui ne s'éteignait qu'une fois la bombe lâchée et la réponse obtenue. Malgré tout... Il y avait des cas où en effet, dire ce qu'on avait sur le cœur à la personne pour qui il battait était encore plus difficile. Lorsque la relation s'avérait dangereuse, pour commencer. Mais il ne se rappelait pas que ce fut le cas, si ce n'est peut-être il y avait quelques années de ça pour l'un de ses premiers copains. Et encore. Alors s'était-il vraiment mis en danger pour un couple ? L'image de son ex lui revint immédiatement en tête et le fit revenir sur terre tout aussi vite. Non vraiment, discuter d'histoire de cœur avec un élève n'avait pas que des effets positifs sur lui.

« Je suppose qu'on en passe tous un jour par une fois où c'est plus difficile que les autres, où il y a plus de risque pour l'un ou pour l'autre. Avec quelqu'un du même sexe et l'acceptation que ça implique, c'est peut-être plus fréquent encore. »

Il s'appuya à nouveau sur sa table, un mince sourire aux lèvres et le regard encore un peu lointain.

« Pourquoi es-tu persuadé qu'il y a tant de risques ? »

Trop concentré sur lui-même pour vraiment faire attention à ce qui se passait autour de lui, le jeune homme ne perçut pas le changement de ton et d'humeur de son professeur. Il aurait été aussi simple d'avouer qu'il cherchait à entendre dans les paroles d'Akutsu uniquement les encouragements qu'il souhaitait entendre, et à la limite les craintes qu'il connaissait déjà.
D'un geste nerveux, Eiji fourra ses mains dans ses poches, posant son regard sur le parc qui s'étalait dans toute sa splendeur par la fenêtre, cherchant de quoi détourner son attention des questions si franches. Malheureusement, rien dans l'étendue d'herbe ne réussit à attirer son attention suffisamment pour qu'il ne réponde à cette question que lui avait déjà posé Hugh.
C'était par ce genre de conversation qu'il commençait à réaliser les soucis réels qu'engendraient une telle relation. Pour lui, surtout pour Jiro... était-il près à le risquer ? A devoir chaque jour s'empécher de parler librement ? Il n'était pas un bon menteur ou dissimulateur. Devoir le devenir était effrayant.

" Il est plus vieux que moi. Il a peur qu'une telle relation lui porte préjudice." Le jeune homme détourna le regarda, étudiant un instant ses mains avec minutie. Des grandes mains fortes habituées à donner des coups ou à tenir un shinai, aux cals innombrables. Etait-il assez fort ? Quand on rationalisait, dur de ne pas voir le point de vue de Jiro. " Je suppose qu'il n'a pas tord. Un gamin même pas sorti du lycée... "

Le jeune homme se permit un fin sourire pensif. Au final, la période où il se forçait à se persuader qu'il s'intéressait aux filles avait été bien moins prise de tête : jamais réellement amoureux, il n'avait pas eu à s'interroger ou à faire de sacrifice pour l'une ou pour l'autre. C'était seulement avec la comparaison qu'il réalisait ce qu'avait été cette distance émotionnelle qu'il avait toujours eu dans ses précédentes relations. Avec un peu de chance, d'ici quelques temps, son comportement actuel serait passé à autre chose qui le déstabiliserait moins ?
Eiji secoua la tête, tentant d'offrir à son sempai un sourire plus vigoureux.

" Je dois avoir l'air bête à ne jamais savoir ce que je veux."

Quel âge pouvait bien avoir celui qui lui plaisait tant ? La question lui traversa l'esprit sans qu'il ose se pencher sur la question. Kimihiro étant en pensionnat, les adultes qu'il voyaient étaient essentiellement ses professeurs et le reste du personnel de l'école. Pourtant, si seul l'âge était un critère rédhibitoire à sa relation avec l'homme qu'il aimait... Non, définitivement, Akutsu préférait ne pas trop se pencher sur la question et commençait à se demander s'il avait vraiment bien fait de l'encourager à continuer. Avec un peu de chance, néanmoins... il l'avait rencontré hors de l'école un week-end.

« Oh, il paraît qu'on a toujours l'air bête quand on est amoureux, lança-t-il d'un ton rieur, le sourire aux lèvres. Mais je ne peux pas vraiment décider pour toi Kimihiro-kun. Fais simplement ce que tu regretteras le moins. »

Était-ce ses sentiments qui avaient fini par ouvrir les yeux du brun ? Ou, à tout le moins, par le contraindre à s'accepter ? Akutsu appréciait en tout cas de le voir se poser ces questions, signe qu'il avait avancé depuis leur dernière discussion. Le roux n'osait cependant pas croire que seule leur conversation avait permis d'achever le processus. Ce n'était jamais si simple – même pour lui alors qu'il n'avait pas tant peiné à s'assumer. Cela dit, le jeune homme ne chercha pas à obtenir de réponse à ces questions, préférant plutôt profiter de ce tête-à-tête pour prendre des nouvelles de son élève. Ce qu'il voyait en classe n'était toujours que très partiel, le temps d'une à deux heures. Rien qui ne lui permette vraiment de veiller sur ses protégés comme il se devait.

« Tu restes ici pour les cours d'été n'est-ce pas ? Il me semble avoir vu ton nom sur la liste. »

Le sourire pensif se fit plus franc alors que le jeune homme enregistrait les conseils de son aîné. Quelque part, la conversation rejoignait le fond de ses pensées, le poussant dans la direction qui le tentait déjà depuis le début. Cette petite confirmation était juste ce qui lui avait manqué pour réellement oser aller de l'avant. Et maintenant ? Maintenant c'était à lui de faire ce qu'il fallait pour arriver jusqu'au bout. Il n'était pas plus rassuré qu'avant la discussion avec son prof, mais au moins serait moins hésitant.
Machinalement, Eiji leva la main pour remettre en place sa boucle d'oreille – qui l'était déjà, vu qu'il ne sortait pas d'un entrainement de kendo – geste qui se transforma en passage nerveux de main dans les cheveux au vue de la question. Même s'il avait accepté avec bonne grâce de devoir rester pendant les vacances, se retrouver à l'avouer en face de son professeur était bien plus gênant. Bien piètre récompense à celui qui était là pour lui enseigner. Le sourire gêné de l'adolescent fut la première des réponses d'Akutsu, qui en valait bien une autre plus exprimée.

" Oui. Désolé Sensei, je ne pensais pas que la différence de niveau serait aussi prononcée. Je ferais mieux au prochain trimestre. "

Il était honnête à ce sujet. Il ne voulait pas se laisser couler - pas qu'il ait vraiment le choix, son avenir en dépendait, et même s'il ne souhaitait pas obtenir une université aussi prestigieuse que Kantaro par exmple, il ne pouvait pas non plus être trop à la traîne.
Bien maigres paroles à offrir à son professeur, mais quelque part, Eiji supposait qu'Akutsu devinait tout ce qui avait plombé son trimestre avec les quelques conversations qui avaient émaillées ces semaines. En filigrane, le prof l'avait suivi et aidé comme il avait pu, se retrouvant à entendre ses états d'esprit – et de coeur – présence rassurante et discrète.
Le jeune homme redressa la tête, fixant intensément le petit rouquin et s'inclina, sans contrainte ni demande. C'était dans des rares instants de ce type qu'il se rendait compte à quel point pouvoir se tourner vers quelqu'un était appréciable. Est-ce qu'il arriverait aussi à d'autres de se tourner vers lui avec le même regard ?

" Merci pour tout Sempai. "

Le brun était décidément japonais. Il ne devait pas s'en rendre vraiment compte, mais lorsqu'il redevenait vraiment maître de lui-même, il se dégageait de lui quelque chose de très formel et de tout à fait nippon. Le réaliser amena un sourire mi-attendri, mi-amusé sur les lèvres d'Akutsu. Il le chasse promptement, au moment où le jeune homme se redressait. Et quelque part, il fallait bien l'admettre, ses remerciements lui allaient droit au cœur. Dans des instants comme celui-ci, le roux se sentait vraiment conforté dans ses choix. Il savait qu'il ne l'avait pas fait pour rien puisqu'il y avait au moins une personne qu'il avait pu aider grâce à cela.

« Je n'ai rien fait que de très normal Kimihiro-kun, tu es mon élève. »

Il réalisa alors que le kendoka ne l'avait pas remercié en temps que professeur. Un instant désarçonné, il hésita à le reprendre sur l'appellation finale avant d'estime que sa phrase le faisait bien toute seule. Une autre question lui vint à l'esprit. En ferait-il autant pour chacun des élèves qui aurait besoin de lui ? Son regard s'attarda un peu sur le grand nippon face à lui. Peut-être. Probablement pas de la même manière, néanmoins. Ils étaient tous différents après tout. Peut-être était-ce pour cela qu'il avait toujours adapté les sanctions ? Ce qui lui rappela...

« Au fait jeune homme... » Il laissa planer un silence, volontairement, pour capter à nouveau toute son attention. « J'ai le souvenir d'un devoir un peu plus long qu'il ne le fallait – de la même taille que les sanctions que je te donne en fait – alors que tu n'avais aucune raison de l'allonger... »

Akutsu n'estima pas utile de poursuivre plus avant son raisonnement. Il était limpide et son sourire en coin compléta largement ce que ses mots sous-entendaient. Il savait. Ce n'était rien de plus compliqué que cela, mais il avait deviné un moment auparavant que Kimihiro n'était pas étranger à la nouvelle – et furtive – décoration de la salle des professeurs. Non qu'il tienne à le punir, il doutait d'ailleurs que le garçon soit trop idiot pour oublier de se couvrir, mais il tenait à avoir confirmation de ses doutes.

Le sourire d'Eiji manqua de lui faire le tour du visage. Ainsi, la fois où il s'était amusé à allonger de son propre chef son devoir, en réponse à la grande expédition de la salle des profs, n'était pas passée inaperçue. Elle avait même été correctement interprétée. Difficile de résister à la tentation de ne laisser aucun indice – aucune revendication – devant un tel chef d'oeuvre. Il avait bien espéré que Moe-sensei ne soit pas du genre à cafter... et s'il l'avait été, la preuve restait tout de même minime. Cent mots de plus sur un devoir, quand Kantaro faisait parfois le double pour être aussi exhaustif que possible... Il fallait être prof et habitué aux bêtises de ses élèves pour flairer anguille sous roche devant pareille coïncidence.
Un sourire aussi innocent que possible – beaucoup trop pour être honnête - et un petit haussement d'épaules vinrent ponctuer sa réponse.

" J'étais inspiré. Ou alors j'ai pris de l'avance pour une autre fois."

Le sourire complice des deux hommes dura un instant de plus, figeant encore une fois le professeur d'anglais dans une place de sempai plus que de sensei. Quel autre professeur aurait pu tolérer un tel comportement ? Avec sa tignasse rousse et son air de grand gamin, Akutsu avait réussi à inspirer la confiance là où habituellement Eiji se contentait d'un respect à distance. Les professeurs étaient là pour l'aider dans les cours, et garder les barrières fermées entre les différents aspects de sa vie était bien plus simple.
Mais entre Jiro et le jeune homme, les choses étaient bien parties pour être totalement chamboulées... Sans même évoquer l'image du professeur de sport.
Qu'importe. Il foncerait puis verrait ensuite, ce serait plus simple que de ruminer des jours durant sans savoir que faire. Les vacances seraient un bref répit avant le retour à la normalité... si un tel retour existait.

" Bonnes vacances M'sieur, et à septembre. Je pense que je vais essayer de suivre vos conseils. Au pire, ça ne marchera pas, mais je serais fixé."

Après en avoir parlé, les choses semblaient un peu moins dramatiques. Effrayantes et sensibles bien sur, mais un peu moins catastrophiques. Comme s'il arrivait à remettre un peu d'ordre dans les priorités de la vie après avoir discuté dans le calme avec Akutsu. Ce qui ne rendrait pas les choses moins dures s'il se prenait effectivement un nouveau refus – éventualité à laquelle il ne souhaitait même pas penser pour le moment.
Avec un dernier petit salut, Eiji se dirigea vers la porte de la salle de classe, bien décidé à aller de l'avant. Il faudrait juste qu'il pense à esquiver les murs... ou qu'il soit sur d'être assez solide pour les passer. Il verrait bien.