[ Terminé ] Mésentente artistique [ Yuusuke Hasegawa ]

Prof de sport

Des responsabilités, tout le monde en connait le poids. Présent dans chaque domaine de la vie, il arrivait parfois qu’elles s’enchevêtrent en un sac de nœud impossible à démêler. Luca avait vu ses obligations de père interférer dans ses devoirs de professeur, alors contraint de réunir privé et professionnel. Il était en train d’observer ses élèves suer à force de courir dans tous les sens lorsqu’il reçut un appel de son ex compagne, le suppliant d’aller chercher Leo – leur fils unique – à la sortie de l’école. Malgré les tentatives de négociations, il n’avait eu d’autres choix que d’accepter et de sacrifier une bonne demi-heure de sa leçon pour courir récupérer son enfant. La seule chose positive à relever fut lorsque son fils lui sauta dans les bras dès qu’il l’aperçut, visiblement heureux qu’il soit venu le prendre. Il était vrai que depuis que l’italien avait quitté la demeure familiale pour louer une chambre dans l’établissement, ils avaient moins l’occasion de se voir, toute opportunité était donc bonne à saisir, puis que ne ferait-il pas pour ce précieux trésor de cinq ans.

Cependant, il avait encore du travail qui l’attendait, qu’il ne pouvait se permettre de remettre à plus tard pour une question de justesse temporelle. Imprévu ou non, il était homme à toujours trouver une solution aux problèmes qu’ils rencontraient, et heureusement pour lui le petit n’était pas turbulent lorsqu’il n’avait pas son attention. Il n’aurait qu’à lui offrir un divertissement qui l’occuperait un moment, puis reprendrait son rôle paternel une fois ses devoirs professoraux achevés. Père et fils reprirent donc la route pour Ginkgo Gakuen, parlant de tout et de rien dans la voiture, et notamment de sa maîtresse d’école qui aurait apparemment crié fort aujourd’hui, à cause de « Nenbai qui faisait des grimaces »… Il s’imagina un instant entouré de myriades de bambins au nez qui coule et qui se mettent à pleurer pour un simple haussement de voix… Une chose était sûre, il était content d’avoir choisi un lycée pour enseigner, même si ce n’était pas facile tous les jours. Néanmoins, ses élèves étaient sans doute plus à plaindre que lui, vu le désespoir qu’ils affichaient quand ils le voyaient arriver. Tout n’était pas rose dans la vie.

Une fois leur but atteint, Luca se rendit dans la salle des professeurs dans laquelle bavardaient quelques-uns de ses collègues qui se prirent aussitôt d’affection pour le petit visage d’ange qui leur souriait. Pendant ce temps, l’ancien militaire songeait à un potentiel endroit où se rendre pour ne déranger personne… C’était son jour de chance, la salle d’arts était inoccupée aujourd’hui. Il récupéra donc les clés avant de s’y rendre, effectuant entre temps un demi-tour jusqu’à son automobile pour voler au secours de Titou, le petit lapin bleu et doudou de son fils, oublié juste avant. Ils parvinrent jusqu’à la salle habilement bariolée des dernières œuvres estudiantines, qui laissèrent d’ailleurs le professeur perplexe quant à leur interprétation. Dans la foulée, il décida d’éveiller les sens artistiques de Léo en l’installant non loin de lui avec pinceau et pots de peinture, pour qu’il s’improvise Picasso. Il s’octroya le droit de fouiller dans les placards pour lui trouver quelques toiles ou feuilles, attrapant les premières qui passaient sous sa main et qu’il jugeait n’être que des brouillons. Il observa un moment l’enfant s’amuser à chamarrer ses supports dans une inspiration pour le moins colorée, puis s’installa à côté avec ses papiers administratifs dans lesquels il se plongea avec concentration.

Prof d'art (peinture)

Hasegawa sortait d'un bon pas de la cafétéria. Il était heureux que le personnel travaillant là bas lui avait gardé un peu du curry. La responsable commençait à être habitué par les habitudes d'artiste que le professeur cultivait, comme le fait de ne jamais manger à heure fixe et encore moins régulièrement. Yuusuke se promit intérieurement de les remercier la prochaine fois qu'il les verrait. Il fallait avouer que sans ce secours nécessaire, il serait sans doute mort de faim plu d'une foi. L'art était une maîtresse exigeante, surtout en ce moment. D'ailleurs, il fallait y retourner et terminer la correction de plusieurs esquisses que ses élèves avaient réalisées. C'est donc d'un bon pas que le professeur parcouru les couloirs le séparant de son atelier, croisant et saluant les élèves et les professeur avec son habituel politesse.

" La routine en somme... "

S'il se sentait seul parfois par l'éloignement de ses amis, il devait avouer qu'il s'épanouissait beaucoup dans ce travail. Enseigner l'art à de jeunes esprits était une chose très enrichissant et nourrissait son inspiration. C'est donc avec envie qu'il ouvrit la porte coulissante de la classe d'art pour y trouver un spectacle auquel il ne s'attendait pas du tout.

" Un enfant ? "

Puis son regard sombre s'éleva pour se poser sur le visage d'un de ses collègues. Ses sourcils se froncèrent légèrement d'un air ennuyé. Doublement ennuyé en fait, de part la présence de ces personnes dans sa classe mais aussi par le fait que le jeune professeur n'arrivait plus à se rappeler le nom étrange de l'homme assit à son bureau.

" Giovanni ? Cadeloni ? "

Ses yeux revinrent à l'enfant pour lui donner le temps de remettre la main sur sa mémoire. Il cligna alors des paupières précipitamment en élevant les sourcils en reconnaissant ce que le petit scribouillard était entrain de colorier. Cet électrochoc lui ramena immédiatement le nom du professeur de sport à l'esprit. Mais cela lui faisait une bonne jambe à cet instant. Se détournant vers un placard qu'il ouvrit sans hésitation pour sortir quelques feuilles vierges, il fit quelques grands pas vers l'enfant, se forçant à sourire pour cacher autant que faire se peu la colère qui montait en lui.

Les enfants n'étaient vraiment pas sa tasse de thé. C'était un fils unique et il n'avait jamais eu à s'occuper de plus jeune que lui. Et puis, l'enfance était quelque chose dont il n'aimait vraiment pas se rappeler.

- Je te demande pardon mais il faut mieux que tu dessines là dessus.

Dit-il en offrant les feuilles blanches tout en reprenant vivement les esquisses qu'il espérait sauvé du désastre. Jetant un rapide coup d’œil à ces derniers, il se demandait s'il ne devrait pas se résoudre à en faire des copies au propre avant que les élèves ne s'en aperçoivent.

S'écartant du bambin, principal raison du malaise qui nourrissait la colère d'Hasegawa, il porta son regard sur le professeur de sport. C'était l'adulte, le responsable de cette situation, pas l'enfant. Yuusuke devait donc transiger avec ce dernier sans pour autant que le gamin se sente responsable. Toussotant légèrement pour reprendre contenance et surtout ravaler les ressentiments qui commençaient à affluer dans son esprit, il se demandait bien par ou commencer.

- Tizziano-san... Je...

Son regard dévia de nouveau vers l'enfant, avec une légère grimace, chaque mots auquel il pensait était trop dure pour être entendu par le jeune garçon. Le professeur lâcha donc un soupir impuissant et revint à l'homme, décidant de laisser ce dernier s'expliquer.

Prof de sport

Ah, les papiers administratifs. Toutes ces procédures pour avoir seulement quelques ballons en plus dans l’établissement, le matériel sportif laissait un peu à désirer selon le professeur bien décidé à changer les choses pour cette année. Les raisons de ces demandes, elles étaient toutes trouvées, les élèves ne pouvaient avoir un bon jeu avec un dispositif de qualité médiocre. Et contrairement à ce que beaucoup pouvaient penser, le sport était une discipline importante, à la valeur égale à toutes les autres. C’était un fait qu’il ne pouvait enlever au Japon, leurs étudiants étaient de véritables crèmes contrairement au peuple estudiantin italien. Leur culture devait avoir un rapport avec leur comportement, car dans son pays natal et plus généralement en Europe, il n’avait jamais retrouvé une ambiance similaire. Bon, il n’avait jamais sillonné toutes les écoles de sa patrie, mais son ex compagne lui avait déjà fait part de quelques particularités nippones qu’il commençait malgré lui tout juste à connaître.

Ces mômes asiates étaient plus faciles à apprivoiser qu’il ne l’aurait cru, finalement… Ou alors était-ce lui qui s’était mis en tête d’avoir affaire à de vils petits monstres ? Il n’en savait rien, mais bien que ce métier n’était pas sa vocation première, il l’appréciait. Pour ce qui était de ses collègues, c’était un peu plus compliqué… Et justement, il entendit la porte s’ouvrir, et l’un d’eux apparaître. Qui était-ce déjà ?... Ah oui, le cerbère du lieu dans lequel ils se trouvaient, qui était vraisemblablement surpris de trouver des indésirables. Peu enclin à se sortir de sa paperasse, Luca observa d’un œil distrait le manège de son homologue professoral, alors que Leo prit les nouveaux supports sans opposer de désaccord pour s’atteler à une nouvelle œuvre. Heureusement qu’il s’adaptait rapidement, le petit, et qu’il n’avait pas la fâcheuse habitude de se rouler par terre à la moindre contrariété. Puis, ce ne fut que lorsque le japonais s’adressa à lui que l’italien daigna relever la tête pour le regarder avec interrogation.

« Bonjour Hasegawa. »

Dit-il brièvement avant de se replonger dans ses papiers. Mais sentant le regard de son collègue sur lui, il redressa lentement le visage.

« C’est quoi cet air constipé que vous nous prenez ? »

Niveau tact et sociabilité, on avait déjà vu mieux, bien qu’il n’avait pas été agressif dans son phonème. Si Yuusuke était connu pour son bon caractère, c’était tout l’inverse pour Luca qui défrayait les chroniques par son cynisme et sa nonchalance. Sans pour autant être considéré comme un véritable barbare – car oui il savait faire la conversation lorsque son humeur le permettait – il n’était simplement pas le plus abordable du lycée.

Il ne connaissait pas le professeur d’arts, il n’avait aucune opinion sur lui et donc rien à lui reprocher. Surtout que c’était lui qui était en territoire inconnu. Alors, après avoir jeté un œil avisé sur son fils, il comprit qu’il était peut-être temps d’expliquer sa présence ici, et se tourna à nouveau vers l’autre adulte.

« Oh, j’avais besoin d’un endroit pour me poser le temps de finir ça. J’suis venu ici en sachant que la salle était inoccupée. »

Il cligna des yeux.

« J’espère que ça vous dérange pas, j’en ai pas pour bien longtemps. »

Il garda son regard sur Yuusuke en attendant sa réaction, alors que Leo s’était trouvé un nouveau divertissement : tremper ses doigts directement dans les pots de peinture et les étaler sur sa chaise.

Prof d'art (peinture)

" Quoi !"

Malgré lui, Hasegawa ouvrit de grands yeux pendant un court instant.

" Qu'est-ce qu'il vient de dire ? "

Le jeune professeur n'en croyait pas ses oreilles. Étonné et abasourdie, il esquissa un vague sourire et eut un léger rictus sans parvenir vraiment à savoir s'il devait se sentir insulté ou non. Difficile à dire quand on s'attendait aussi peu à ce que ce genre de vocabulaire entre deux collègues d'un établissement scolaire respectable, qui plus est, en présence d'un enfant. Un instant, Yuusuke se crut presque de retour dans son village. Mais il chassa rapidement cette pensée, ce n'était ni le lieu ni le moment pour cela et le jeune professeur entendait bien régler cette situation en toute diplomatie.

- Ça ne me dérange pas que vous utilisiez cette classe, mais je suppose que vous avez tout autant connaissance que moi du règlement sur l'utilisation du matériel scolaire, Tizziano-san.

Il ne voulait pas mettre le professeur de sport en difficulté devant son propre enfant. De fait, le jeune homme s'évertuait donc à suggérer les choses comme évidente. Son regard sombre tomba sur les papiers que le professeur de sport était entrain de remplir. Il les reconnu sans mal pour les avoir, lui-même, remplit de nombreuses fois pour renouveler les fournitures de l'atelier ainsi qu'en modifier les principaux fournisseurs.

- Sinon, vous ne seriez sûrement pas entrain de remplir ces demandes administratives, n'est-ce-pas ?

Sur son visage gagnait un sourire apaisé, heureux d'avoir saisit là un argument qui ne pouvait que faire entendre raison son collègue sur le problème que représentait la situation présente. Relevant sa main pour montrer les esquisses souillées par l'enfant, il reprit sans se démonter ou laisser le temps à son interlocuteur de répondre.

- De plus, vous comprenez sûrement qu'il ne faut pas toucher aux œuvres et dessins se trouvant dans l'atelier sans mon autorisation. Ils sont sous ma responsabilité et me servent de supports pour mes cours. Cela reviendrait en quelque sorte à venir fouiller dans votre bureau pour raturer et changer les résultats des performances de vos élèves.

Couvant Tizziano d'un regard désormais bien plus détendu, il était sûr que celui-ci allait s'empresser de régler la situation. Même si cela ennuyait Yuusuke de mettre ainsi un père dans l'embarra. Le jeune professeur gardait à l'esprit que ce genre de choses n'étaient décidément pas son problème. Un jeune enfant n'avait rien à faire à la Gingko. C'était un lieu d'enseignement, pas une garderie. Et Hasegawa n'était même pas certains que l'établissement soit assuré si un accident devait arriver.
Soudain, quelque chose vint mettre en doute son raisonnement et brisa son sourire. Tournant son regard pour le poser sur l'enfant qui jouait, ses sourcils se froncèrent douloureusement. Le doute venait étreindre son cœur et jouer les troubles fêtes. Sa belle éducation japonaise stricte et sans appel qui lui donnait sa belle assurance venait de subir l'assaut d'un malaise soudain. Ce qu'il venait de réciter comme un élève modèle, le rôle qu'il venait de jouer face à Luca. Tous ça lui donnait un vague sentiment nauséeux. C'était comme le rappel d'un souvenir lointain d'une époque douloureuse qui ressurgissait en lui pour lui rappeler quelque chose d'important. Le discours qu'il venait de tenir, l'attitude qu'il venait d'avoir, le raisonnement qu'il avait formulé. Tous cela, c'était le fruit d'une éducation qu'on lui avait infligé étant enfant. Secouant la tête négativement, il lâcha d'un air mal à l'aise.

- Pff... Oubliez ce que j'ai dis, je remplacerais les couleurs par les miennes et nettoierais tous ça après. Laissez le s'amuser et prenez le temps qu'il vous faut pour votre travail.

Brusque revirement, quasiment à l'opposé de ses paroles précédentes, il en était de même au niveau de son attitude. Son visage était fermé et contrit. La voix qui s'était élevé paraissait tremblé. De fait, il devait faire face à la peur. Non pas la sienne, mais celle d'un enfant dont sa mère lui promettait les pires punitions s'il se laissait aller à un comportement qui n'aurait pas été parfait. Se détournant pour ouvrir la porte coulissante qui faisait communiqué l'atelier avec la salle de classe, il y entra pour y disparaître sans refermer pour autant derrière lui.

- Vous avez faim ? Soif ? Il doit me rester du thé, du café et des gâteaux.

Prof de sport

S’il y en avait bien un qui ne semblait pas le moins du monde s’inquiéter, c’était le bambin dont le seul souci était de savoir avec quoi il allait retirer cette substance multicolore qui lui collait aux doigts. Il semblait n’être en aucun cas perturbé par le langage paternel, lui qui avait déjà assisté à certaines frasques de son père qui en auraient effrayé plus d’un. De toute façon, même si Luca se modérait en présence de son fils, il ne perdait pas son tempérament pour autant, et il lui apprenait par la même occasion à ne pas se laisser faire. Dans la vie, il fallait s’affirmer, et ce de n’importe quelle façon. Surtout lorsqu’on avait une fierté d’italien…

D’ailleurs, l’italien en question se demandait quel était le problème du professeur d’art, il tirait une drôle de tête. Rapidement, il comprit qu’un certain malaise planait dans la pièce, pour quelle raison ? Il ne tarderait pas à le savoir, et se redressa sur sa chaise lorsque l’échange verbal reprit. Un brin surpris par l’offensive déployée, il se demanda si Yuusuke ne se moquait tout simplement pas de lui. Ses sourcils se serrèrent légèrement et il releva l’une de ses pommettes en écoutant ce discours qui lui paraissait de plus en plus futile à chaque seconde, et abominablement vil lorsqu’il se servit des papiers administratifs qu’il était en train de remplir. Surtout qu’il ne comprenait absolument pas de quoi il parlait… Il n’avait fait que donner un pinceau et des pots de peinture à son fils, où était la criminalité dans cet acte ? Il se tourna d’ailleurs un instant vers l’enfant, et remarqua enfin que celui-ci s’était trouvé un nouveau support. Etait-ce à cela que l’artiste faisait référence ? Si oui, il se fichait de lui. S’il y avait bien une chose que l’ancien militaire n’aimait pas, c’était les goguenards. Cependant, il n’eut pas le temps de répliquer que son antagoniste poursuivit avec un nouvel argument, qui cette fois le prit au dépourvu. Il observa les travaux que lui désigna le nippon… Ce n’étaient donc pas des brouillons ? Et il y en avait vraiment qui se jugeaient artistes en dessinant trois ronds et une mosaïque sur une toile ? Décidément, la situation lui échappait.

Avant de répondre, Luca s’adressa à son fils dans un dialecte transalpin, lui disant simplement d’arrêter ses ébauches sur la chaise, ce que l’enfant fit en s’excusant dans la même langue. Puis – ses prunelles céladon revenues sur son interlocuteur principal – il s’apprêta à prendre la parole, jusqu’à ce qu’il aperçoive le faciès torturé de Yuusuke. Quoi encore ? Maintenant il se résignait, sans raison apparente, mais ça ne se terminerait pas comme ça. Malgré la courtoisie de la proposition d’encas, le pédagogue sportif était résolu à ne pas laisser un jeune professeur lui faire la morale.

« Minute. »

Dit-il d’une voix rauque.

« J’adhère pas à l’entièreté de votre bla-bla là. »

Il se leva et rejoignit le japonais, restant cependant à l’entrée de l’atelier dans lequel il avait trouvé refuge.

« Faites pas votre petite praline, de la peinture sur une chaise ça se retire avec un peu d’eau si c’est ce dont vous parliez. Le pinceau et les pots sont intacts, si vous venez dans le

gymnase, que vous y foutez de la terre et que vous empruntez un ballon, je vous tomberais pas dessus. »

Il croisa les bras.

« Tant que vous rangez. »

Son discours lui paraissait logique, il comptait rendre la salle comme il l’avait trouvé à son arrivée, et bien entendu nettoyer lui-même la moindre tache qui subsisterait. Ceci étant dit, il reprit d’un air un peu plus collaborateur.

« Pour le reste, je peux qu’être d’accord. Vu la gueule des dessins je pensais que c’était des brouillons, j'aurais pas dû. »

Il lui accordait ce point, avec plus ou moins de bonne foi. Luca n’avait pas pensé à mal, raison pour laquelle il s’était senti presque menacé par les propos de son semblable. Le rital était persuadé que n’importe qui d’autre ne s’y connaissant pas en interprétation artistique aurait fait la même chose. L’art était le seul domaine auquel il ne comprenait absolument rien, et si sa dernière réplique donnait l’impression qu’il remettait les talents des élèves de Yuusuke en question, il n’en était rien. C’était une manière abrupte et maladroite de dire que lui, il ne voyait pas de différence.

Soudain, Luca baissa la tête pour trouver Leo à côté de lui, en train de regarder les deux adultes. Par réflexe, le paternel se baisse et se mit à sa hauteur, intrigué de voir l’enfant cacher ses mains dans son dos… Imprudence, car le bambin s’amusa à lui mettre du violet sur le visage.

« Papa il a pas envie de se maquiller... »

L’italien se redressa en tentant de s’essuyer la figure, pendant que le petit ange s’était tourné vers le professeur d’arts, et lui demanda gentiment s’il pouvait avoir des gâteaux.

Prof d'art (peinture)

"Il fait toujours aussi sombre dans cet atelier..."

Hasegawa écouta peu les paroles de Tizziano. Principalement parce qu'il était déjà d'accord avec lui. La révélation qui avait frappé son esprit quelques secondes plus tôt avait eut un effet étrange. Les mots qui avaient été les siens lui semblait désormais très lointain, comme étranger. Perdu dans ses réflexions, il s'affaira à ouvrir légèrement l'une des fenêtres pour laisser entrer l'air et la lumière dans les lieux puis il s'approcha d'une armoire pour l'ouvrir et en tirer une boite à gâteau en bois qu'il posa sur la petite table. Ces quelques actions précipités et nerveuses lui permettaient de composer avec son trouble. Seul la voix du petit Leo parvint à franchir le flot de ses pensées pour atteindre sa conscience. Tournant son regard vers l'enfant, il battit légèrement des paupières à l'écoute de ses paroles. Puis ses yeux sombres allèrent vers le père, un léger rictus naquit sur les lèvres du jeune homme à la vue du visage peinturluré du professeur. Yuusuke s'empressa maladroitement de dissimuler son amusement en passant sa main sur sa bouche. Il reposa ses iris noirs sur Léo et esquissa un sourire plus franche.

- Il serait mieux que tu te laves les mains avant.

Non, Hasegawa n'avait clairement pas l'habitude de parler aux enfants. Il ne savait pas s'adresser à eux et préféra replonger son regard sur Tizziano. D'un geste de la main, il montra l'évier qui se trouvait dans un coin de la pièce. Ce dernier servait justement à nettoyer les ustensiles, il y avait même quelques bocaux de verres dans lesquels trempaient des pinceaux. Le tout paraissait en accord avec le bordel organisé qui régnait dans le reste de la pièce.

- Ce que vous dites est le bon sens même. Je vous demande pardon si j'en ai douté, mais je ne reçois pas souvent de visite.

Reprenant malgré lui un air pincé et douloureux, il se détourna pour soulever une sacoche d'une chaise d’où il tira un thermos rouge et bleu ainsi qu'une petite boite ouvragée contenant du thé. Tous cela semblait être très organisé et cette idée frappant l'esprit de l'artiste, ce dernier crut bon de se plier à une explication.

- Je passe beaucoup trop de mon temps dans cet atelier en ce moment. Du coup, j'ai développé quelques mauvaises habitudes en amenant de la nourriture ici. Mais, disons que j'avais exceptionnellement beaucoup de travail...

L'excuse était vaseuse, même lui le reconnaissait par son ton peu convaincu. Avec un logement à quelques minutes, une salle des professeurs tout à fait agréable, il n'y avait pas lieu de croire que ce qui l'amenait à limiter ses déplacements tenait vraiment d'une nécessité. Sa tendance à être casanier l'avait malheureusement rattrapé et la raison en était la même que son comportement précédent.

" Quoi qu'il en soit, cela me permet au moins de recevoir mes hôtes convenablement."

Faisant coulisser le couvercle de la boite à gâteau, il révéla quelques gâteries sucrés japonaises qu'il laissa en libre service pour finir par s'asseoir et se servir un café. La peur continuait à enserrer sa gorge et son ventre, il n'était pas certains qu'il pourrait véritablement le boire. Il devait se détendre mais tout dans ses gestes vifs et rapides, dans ses paroles à la fois nerveuses et désolées, laissaient entrevoir son stress.

" Je ne comprends pas comment je peux être aussi nerveux..."

C'était un fait, il combattait d'arrache-pied contre ce qui l'oppressait. Heureusement qu'il se savait sain d'esprit car, à cet instant, il aurait très certainement douté. Durcissant à nouveau ses traits, décidés à ne pas se laisser écraser par ces traumatismes venus d'une autre époque, il reprit pied.

- Qu'est-ce que vous prendrez?

Finit-il par demander posant chacune de ses mains sur chacun des thermos, s'apprêtant à le servir, trouvant assez de courage pour croiser le regard de son interlocuteur.

Prof de sport

Voilà le genre de situation qui confortait Luca dans sa nonchalance, il n’était pas particulièrement doué pour faire connaissance avec les autres, du moins il n’avait pas réitéré une véritable expérience amicale depuis sa démission martiale. Ses seuls amis actuels étaient ceux qu’il connaissait par le biais de ses années de service et ses allées-venues entre le Japon et l’Italie. Son ancienne compagne désespérait qu’il ne se soit encore fait aucun ami dans l’établissement qu’il fréquentait, mais il n’en avait pas réellement l’intention et encore moins le besoin. Son fils lui suffisait amplement, et si par malheur il se lassait du pays du soleil levant, il retournerait chérir sa mère patrie comme le bon cocardier qu’il était.

Mais d’ailleurs, en parlant de son fils, celui –ci était beaucoup plus sociable qu’il ne l’avait jamais été, il n’avait aucune réticence de s’approcher de quelqu’un et cela se prouvait par le fait qu’il ne fasse preuve d’aucune timidité envers Yuusuke. Ce dernier l’avait séduit en proposant de quoi combler ses papilles, et ce fut rapidement qu’il alla se nettoyer les mains à l’évier indiqué avec l’aide de son père, toujours chamarré de violet. Son rôle paternel lui avait heureusement appris la patience, une partie tout du moins, et son impulsivité s’était relativement apaisée depuis qu’il était rentré. Quelques années en arrière, et il aurait très mal réagis aux accusations du professeur d’arts et n’aurait pas hésité à le pendre par les pieds pour lui soutirer des excuses. Sa mentalité archaïque pouvait parfois être effrayante… Cependant, la faute pouvait être dite partagée, ce que son collègue sembla soudainement approuver au plus grand scepticisme du pédagogue sportif. Plus le temps passé, plus il le trouvait étrange… D’un autre côté, seuls les gens bizarres – selon lui – pouvaient bien faire carrière dans l’artistique, le nippon ne faisait donc que confirmer sa théorie.

Il déposa Leo une fois l’avoir aidé à atteindre le lavabo, puis se débarbouilla à son tour avant d’omettre qu’il avait été peinturluré et de sortir ainsi. Il observa d’un œil distrait les divers objets que Yuusuke sortit de nulle part, prenant un nouvel air dubitatif lorsqu’il se justifia, chose qu’il n’avait pas besoin de faire. Il aurait pu sortir un string de son sac que Luca s’en ficherait éperdument, il ne lui demandait aucun compte, chacun avait ses raisons. Faisant fi de son excuse, il attrapa la main de son enfant pour le reconduire à table, le bambin tendit immédiatement le bras pour grignoter ces magnifiques friandises qui l’appelaient. Il observa d’un œil attentif les mimiques et la gestuelle de son homologue professoral avec une certaine suspicion… Visiblement, il n’était pas tranquille. S’il continuait à trembler et à faire des mouvements aussi prompts il allait causer une catastrophe. D’ailleurs, il commençait à craindre un peu que le café ne finisse écoulé sur l’écritoire plutôt que dans le fond du récipient. Par prévention – et pour éviter un stress supplémentaire à l’asiate – il se plaça à côté de lui et attrapa la thermos contenant la substance de caféine.

« Laissez, je vais me servir. »

Il versa le liquide noirâtre dans la tasse vacante et fit un signe de tête.

« Merci. »

Une fois sa boisson servie, il rejoignit son fils qu’il installa sur ses genoux, intérieurement amusé de le voir ronger son biscuit à l’instar d’un écureuil. Puis, l’italien reposa ses prunelles rutilantes sur l’autre professeur… Il semblait tendu, en train de lutter contre un sentiment qu’il cherchait à dissimuler sans remarquer que la moindre de ses inspirations le trahissait. Il savait parfaitement ce que c’était, de perdre le contrôle de son corps. Lui ne pouvait que prendre des pilules curatives lorsque ses propres mains s’amusaient à grelotter sans raison, mais la force de l’habitude lui faisait oublier ces tremblements lorsque ceux-ci se manifestaient. Il ignorait ce qui pouvait bien être à l’origine du malaise de Yuusuke, mais le voir dans cet état commençait sérieusement à l’agacer. Et ce fut avec son auguste délicatesse qu’il lui fit la remarque.

« C’est quoi votre problème ? Faut vous calmer. »

Il arqua un sourcil.

« Lâchez-vous si y faut mais me faite pas de spasmophilie ici. »

Le visage du rital s’était fait plus naturel qu’auparavant, moins âpre compte tenu de la tournure plus amicale qu’avait pris leur conversation. Quant au reste, c’était simplement sa façon de s’adresser à autrui, alors placide ou furieux, sa spontanéité désinvolte serait toujours présente. Il observa encore un moment le japonais, avant de porter la tasse à ses lippes.

« J’espère que vous êtes plus détendu quand vous peignez, ça doit pas être donné sinon. »

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Débarrasser de son service de manière quelque peu inattendue, Hasegawa s'assit sur sa chaise, croisant ses jambes en s'accoudant à la table. La peur restait toujours là mais comme rien de fâcheux n'arrivait, cette dernière perdait peu à peu son "sens". Le jeune homme commençait à se détendre un peu quand la question à mesure que son esprit désamorçait les pièges de ses idées noires.

- Ça va allez, je vous remercie.

Répondit-il en tournant son regard sombre précédemment perdu sur sa tasse vers celui de son interlocuteur, un sourire naissant sur ses lèvres. Il n'avait pas envie de se confier à un individu qu'il connaissait à peine. De plus, le coté rustre de ce dernier ne l'invitait pas à l'exercice. Et puis, il n'était pas possible de tenir de tels propos en présence d'un enfant. Yuusuke ne voulait aucunement nourrir les angoisses du jeune individu avec les siennes.

- Je n'ai jamais vendu aucune de mes toiles. Mais, je ne les fais pas payer aux poids en peintures, si c'est ce que vous sous-entendez.

Il prit un air goguenard avant de se tourner plus complétement vers son interlocuteur, posant les deux coudes sur la table et tenant son bol entre les mains.

- Je ne suis qu'un jeune artiste qui cherche à passer les concours nationaux pour devenir pro. Et il est plutôt mal vu de vendre ses œuvres avant d'avoir obtenu un prix. Alors, je ne le fais pas. Du coup, je garde ce tous ça pour moi jusqu'à ce que ce jour vienne et je fais ce travail d'enseignant pour vivre entre temps.

Hasegawa ne l'avait jamais caché, il n'enseignait pas par passion. Ce n'était pas qu'un salaire pour lui mais ce n'était pas non plus sa vocation. Tout juste avait il conscience de l'expérience intéressante que pouvait se révéler être la possibilité d'enseigner à des adolescents. Il savait que le maître pouvait bien plus apprendre que l'élève dans ce processus.

- Je dois dire que les élèves m'offrent des points de vues très originales sur l'art et que certains révèlent même un certain talent dans ce domaine. C'est vraiment sympa de fréquenter de jeunes esprits en formation car ils sont prêts à tout tenter sans préjugés. Cela donne parfois des résultats vraiment bouleversant. Du moins, quand ils arrivent à se dépasser et qu'ils lâchent prises. Bons nombres pourraient sûrement devenir des artistes accomplis, mais bien peu on la force de s'accomplir contre leurs familles.

A mesure que le jeune homme parlait, ce dernier se détendait. La peur qui l'avait étreint précédemment perdait définitivement substance alors que son regard devenait moins critique et acéré. Le sourire qui s'esquissait s'il n'était pas forcément très expansif traduisait une forme de fraicheur et de sincérité. Ressentant une liberté et profitant d'une compagnie qu'il ne connaissait pas si souvent que cela, il se laissait aller lui-même et lâchait prise. Il abaissa son regard sur Léo.

- Désires-tu de l'eau ?

Demanda-t-il en se levant pour aller auprès de l'évier pour y trouver trouver un unique verre qu'il commença à nettoyer.

- Et vous donc? Le sport ?

Yuusuke était curieux d'en savoir un peu plus sur le personnage qui lui faisait face ainsi que de son enfant. Sa conscience, débarrassé de ses propres problèmes intérieures commençait à reconnaître à l'homme un caractère franc, s'éloignant grandement du commun nippon.

Prof de sport

Apparemment, les choses commençaient lentement à retrouver leur sérénité régulière. Il ignorait ce qui avait bien pu se passer dans l’esprit de Yuusuke pour le rendre aussi nerveux, mais il semblait reprendre ses esprits et ainsi le contrôle de ses émotions. Le sentir plus détendu eut le même effet sur l’italien qui le mit plus à l’aise que précédemment, et peut-être plus apte à avoir une conversation normale. Du moins, il ne semblait pas réellement avoir le choix, son vis-à-vis se trouvait être bien loquace, soit c’était l’un de ses traits de caractère, soit il ne recevait effectivement pas beaucoup de visiteurs et avait besoin de parler. Dans tous les cas, Luca avait été relayé à la place de spectateur de la vie du professeur d’art, qu’il écoutait d’une mimique à mi-chemin entre l’incertitude et la résignation.

Il lui offrit sa vision de l’enseignement, ses bienfaits et la raison pour laquelle il avait choisi ce domaine. Après tout, ils avaient le même métier à peu de chose prés, et il comprenait secrètement ce que le japonais voulait exprimer par ses dires. Exercer un travail qui n’est pas sa vocation pouvait être frustrant, surtout si l’on ignorait combien de temps cette situation durerait. Ils se rejoignaient sur ce point, ils avaient d’autres rêves en tête mais se retrouvaient tout de même dans leur titre de pédagogue scolaire. Cependant, avec tout de même huit années de plus, l’ancien militaire ne croyait plus vraiment à une amélioration professionnelle future, il avait perdu l’enchantement de la jeunesse depuis longtemps maintenant. Il enviait presque son collègue de croire encore en ses idéaux bien qu’il le trouvait un brin candide sur les bords. Lorsque celui-ci eut fini son discours sur ses élèves dotés de potentiel, le transalpin opina positivement du chef et commenta après avoir avalée son gorgeon de café.

« Entre nous, je serais pas rassuré non plus si mon fils me disait vouloir faire carrière dans l’artistique. Je préférerais une valeur plus sûre, vous voyez. »

Il avait dit ses mots en tournant ses prunelles sur le petit bout d’ange qui se régalait des pâtisseries nippones. Il n’y avait jamais eu de place pour les esprits libres dans sa famille, si l’on pouvait appeler cela ainsi, seule sa mère s’attelait à la musique. Le reste, n’étant que des hommes tous tournés vers l’armée, avait développé une conscience plus concrète et moins sensible à ce que le monde nommait art. Sa mama avait beau lui taper sur les doigts lorsqu’il prétendait que les œuvres ne servaient à rien, encore aujourd’hui il ne semblait pas avoir compris le message. Le principal pour lui était que tout le monde se retrouve dans son propre domaine, après tout, d’autres ne comprendraient certainement pas son amour pour le pilotage. Pendant qu’il songeait, le bambin avait joyeusement accepté la proposition de l’asiate et s’empressa de boire une fois le verre amené.

« Doucement Leo, et n’oublie pas de dire merci. »

Dit-il en lui caressant les cheveux alors que l’enfant échappa un remerciement.

« Euh, moi ? »

Répliqua l’italien, pris de cours à la question de Yuusuke.

« Bah… Quand est venu le temps de me recycler j’ai joué aux fléchettes sur le journal, si on peut dire. »

Il haussa les épaules.

« Le sport a toujours rythmé ma vie et j’aime bien le contact des jeunes, alors je me suis dis pourquoi pas. Puis faut bien les faire bouger un peu ces gamins. »

Luca préféra rester vague sur ce qui l’avait poussé à choisir cette voie, bien que la plaque militaire qui trônait à son cou le trahissait sur un passé bien différent. Il était fier de la carrière qu’il avait eue mais pas de son dénouement, alors, il tentait maladroitement d’oublier ce qui l’avait conduit jusqu’ici aujourd’hui. Bien entendu, si son collègue lui posait la question, il lui répondrait la vérité quant à son ancien métier, mais n’en parlerait pas de lui-même. Puis, il repensa ce qu’il lui avait dit… Devenir artiste professionnel et être reconnu pour ce qu’il faisait ? D’un air curieux et peu convaincu, il s’adressa à nouveau à lui.

« C’est bien de vouloir devenir pro, mais qui vous dit que vous avez assez de talent ? »

Se rendant compte de la rudesse de ses paroles, il reprit d’un air embêté.

« Enfin… J’veux dire que y en a beaucoup comme vous qui espèrent la même chose et que la compétition doit être rude. Ca doit pas être simple de se démarquer. »

Prof d'art (peinture)

Hasegawa se réinstalla sur sa chaise, portant son café à ses lèvres de ses deux mains jointes, il reposa le contenant et laissa échapper un sourire. Il effectua un léger signe de tête à Léo. Avant de porter attention à Luca. Le jeune enseignant trouvait les motivations de son interlocuteur très légère et peu énergique. Non, quelque chose clochait. Mais ce n'était sûrement pas à lui de rechercher quoi. Entre curiosité et respect, Yuusuke avait fait son choix. Il s'en tenait donc volontiers à ce que les gens voulaient bien lui dire. Et puis l'image du jeu de fléchettes avec un journal l'avait amusé. La question qui survint ne l'étonna pas. Néanmoins, son sourire s'adoucit face à ce témoignage d'empathie dont faisait preuve Tizziano à son encontre.

- C'est bien en m'illustrant dans ces compétitions que je saurais si j'ai assez de talents pour être pro.

Plus la compétition serait féroce et plus il serait certain de mon niveau. C'est pour cela que la chose ne le dérangeait pas. Lâchant un léger rictus détendu, il emprunta un air léger et humble.

- Je ne vais pas vous mentir. Je me pose moi-même la question. Vais-je réussir? Ai-je assez de talents pour ça? Et je n'ai aucune certitude quand à la réponse.

Sans être pessimiste, il fallait savoir regarder autour de soi. Il y avait beaucoup de prétendant pour peu d'élus et nombreux étaient ceux qui en restaient là ou il en était déjà, poursuivant leurs carrières dans l'enseignement.

- Mais, l'échec serait de renoncer. Peut-être que je ne réussirais jamais ? Pourtant, je sais que je n'aurais jamais vraiment perdu si je n'ai pas renoncé. Et puis, si je n'y crois pas, personne ne le fera à ma place, n'est ce pas ?

Il comptait bien donner tous ce que qu'il avait à chaque fois qu'il se lancerait vers cet objectif et ceux, jusqu'à ce qu'il atteigne sa maturité artistique. Quelque chose d'ailleurs, lui disait que la chose ne tarderait plus trop mais que cette dernière était intimement liée au bon état de son psychisme. Voilà pourquoi à ses yeux, l'art et la psychanalyse allait de paire dans le développement de son existence. On aurait pu lui imputer que poursuivre deux lièvres à la fois était la meilleure façon de n’en attraper aucun. Mais ce n'était pas là, la manière dont pensait le jeune homme. Sa vie n'était pas tyrannisée par des objectifs qu'il devait absolument accomplir. Il savait que l'existence était à la fois quelque chose de plus simple et de plus riche. Sa véritable quête était celle du bonheur au présent et non pas la poursuite d'une chimère.

- Je profite là des facilités et de la patience que l'art peut avoir envers ses artistes. Il n'en est pas de même du sport. Quand je vois ces sportifs prenant leurs retraites en atteignant la trentaine, je suis heureux de ne pas avoir choisit cette vie car j'aurais eu bien du mal à admettre ça.

La retraite, il n'aimait vraiment pas ce mot. Qu'est ce que cela voulait dire? Que vous étiez désormais en retrait par rapport à la vie ? Laissez sur le coté du chemin ? Plus capable d'avancer et de faire avancer le monde autour de vous ? C'était absurde. Il préférait de loin mourir un pinceau à la main dans un atelier au quatre vents plutôt que dans un lit d’hôpital aseptisé et close hermétiquement.

- Mais je vois que pour votre part, vous avez déjà un objectif au combien plus précieux et difficile, celui d'élever un être vers l'âge adulte. Ce n'est pas une mince à faire, j'admire votre courage.

Prof de sport

Sans doute pour la première fois depuis qu’ils s’étaient rencontrés dans cette salle, Luca prêta une oreille attentive à son collègue lorsque celui-ci répondit à sa dernière question. Non pas qu’il s’intéressait brutalement à lui – il en fallait énormément pour solliciter son intérêt – mais il trouvait cela intéressant d’avoir un avis constructif sur un sujet qu’il ne parvenait pas à comprendre en dépit de ses efforts. Pour lui, Yuusuke perdrait clairement son temps et se rendrait compte bien trop tard qu’il nourrissait des espoirs falsifiés. Il n’était pas homme à avoir foi dans les valeurs abstraites, rien ne valait la sûreté de la concrétude pour être certain de ne pas être désappointé au bout du chemin. Il fut d’un côté satisfait de voir que l’artiste qui lui faisait face n’était pas de ces crédules qui misaient absolument tout sur leurs œuvres sans avoir le moindre indice sur une probable réussite. Au moins, il avait conscience que l’échec était possible, c’était une bonne chose. Il comprenait également qu’il ne désirait pas renoncer, bien que parfois, cette option était l’unique solution pour abroger les problèmes et illusions… Il en était la preuve vivante.

L’italien effectua alors un frêle hochement de tête accompagné d’une moue qui prouvait plus ou moins son accord avec ce qui venait d’être dit. Il ne pouvait que l’admettre, l’échange était intéressant malgré des débuts déplaisants, et il se souviendrait que ce jeune professeur avait un tant soit peu de bagou quand il le voulait. Il lui offrit ensuite son point de vue sur la retraite anticipée des sportifs, ce qui eu le don d’amuser le pédagogue de cette discipline qui se retrouva bien dans cette description. Après tout, à l’armée aussi ils n’étaient généralement pas destinés à y rester bien longtemps, sauf dans le cas où ils viseraient des grades supérieurs. L’ancien militaire se permit donc de commenter sur une pointe d’humour qui avait aussi sa part de réalité.

« C’est ce qui nous différencie, vous vous attendez toute votre vie pour commencer votre carrière et moi j’attends toute ma carrière pour commencer ma vie. »

Il ponctua sa réplique d’un léger sourire en coin, il n’était pas faux que certains artistes étaient reconnus assez tard, et qu’au contraire les sportifs – ou militaires dans le cas du transalpin – devaient d’abord passer par leur carrière. Il se demandait même ce qui serait advenu de sa vie de famille s’il avait renouvelé ses vœux de pilote pour une durée comprise de six à huit ans. Il ne parvenait pas à s’imaginer dans ce contexte bien trop différent de l’actuel et qu’il ne vivrait sans doute jamais, alors autant ne pas se faire violence. Luca se tourna ensuite vers son fils lorsque Yuusuke fit référence à son rôle de père, qu’il tenait à présent depuis cinq ans et dont il ne se lassait surtout pas. Il n’était pas convaincu qu’il aurait été enchanté d’avoir un enfant il y a encore une dizaine d’années de cela, mais les temps changent, et les mentalités également. D’ailleurs, Leo se manifesta en prétextant vouloir se laver les mains maintenant collantes et saupoudrées. Son père voulut l’accompagner mais le bambin – se désignant lui-même comme un « grand garçon » - préféra y aller seul. Tout de même suivi d’un regard constamment vigilant, le rital en profita pour répondre à son collègue tout en gardant les yeux sur son fils.

« Pas seulement à l’âge adulte, le rôle d’un parent c’est d’être présent jusqu’à son dernier souffle. Puis je pense pas qu’il soit question de courage, prendre soin de ce qui est né de votre âme est instinctif. Pour moi, il n’y a rien de plus normal. »

Il posa son regard sur le professeur d’art et l’observa un moment en reprenant quelques petites gorgées de café. Evidemment, la naissance de son enfant l’avait fait grandir et passer un nouveau cap, il comprenait à présent certaines choses qu’il n’aurait pas pu par le passé. Soudain, une petite main tapota sur l’épaule droite de Yuusuke, et pendant que celui-ci se tourner dans cette même direction, Leo en profita pour lui tapoter la gauche et s’en aller en courant et en riant aux éclats dans les bras de son père. Cette innocente petite blague fit également ricaner Luca qui réceptionna l’enfant pour le remettre sur lui… Décidément, il n’était pas le même homme lorsque le petit ange était là, et tout son attendrissement se lisait dans le cœur de ses prunelles.

« Mais vous avez quoi ? 24, 25 ans ? Z’avez encore un peu le temps d’y penser. »

Prof d'art (peinture)

Yuusuke se retint de s'opposer à l'idée qu'il puisse attendre toute sa vie le début de sa carrière. Après tout, vivait-on complétement son existence si on accomplissait pas aussi une carrière professionnel ? Mais le jeune japonais comprit à temps que la chose n'était qu'une simplification pour faire de l'humour. Concédant donc ce point à son interlocuteur, il tiqua légèrement quand le professeur de sport parla de sa vision de son rôle parental et de la démarche qu'il devait y jouer. Cela entrait fermement en contradiction avec sa propre vision du sujet. Mais, le jeune homme pensa que Tizziano ne préférait pas s'étendre sur le sujet et qu'il avait donc simplifié une nouvelle fois les choses à l'extrême. Perdu dans ses pensées, il tomba aisément dans le jeu de Léo auquel il rit de bon cœur avant de retrouver le regard de Luca.

- J'aurais un enfant le jour ou assez de conditions seront réunis. Je dois d'abord être prêt et trouver la personne qui partagera mes points de vue sur les responsabilités parentales.

Il posa un regard pensif sur Léo.

- Pour élever un être vers l'âge adulte et le rendre capable de réaliser son existence, je dois savoir en faire autant. Ce n'est qu'une fois certain de mes propres qualités que je pourrais envisager d'avoir une telle responsabilité.

Retrouvant un sourire léger, il se resservit.

- Mais ceci n'est pas vraiment un problème. Le soucis, ça sera de trouver une femme capable de partager le même sens du devoir parentale que le mien, quelqu'un qui soit conscient de l'importance qu'un père et une mère ont sur l'existence d'un être, et ce durant toute son existence.

Sa voix était l'écho même de son cœur. Le sujet pour lui était important. Victime de mauvais parents qui lui ont infligés les souffrances qu'ils portaient en eux, victime de leurs échecs dans la vie, victime de leurs folies, il savait le terrible pouvoir que les responsables d'un enfant pouvait avoir sur lui ainsi que sur sa vision du monde. Encore aujourd'hui, il devait vaincre cet hideux héritage que sa mère lui avait laissé. A l'instant même, en tenant cet attitude, en agissant d'une manière bien loin des folles idées qu'ont lui avaient transmis comme une mauvaise maladie, il allait à contre-courant pour gagner sa liberté.

- De plus, je n'aimerais pas faire du mauvais esprit mais je doute fortement de trouver un jour une femme réellement responsable. Ne croyez pas que je sois misogyne. C'est juste que je n'ai jamais véritablement rencontré de personnes de femmes qui soient sérieuses et douées d'un regard vraiment critique sur elle-même.

Ressentiment envers sa mère qui l'empêchait de voir les femmes sans une sensibilité exacerbée? Vengeance déplacée vers ces dernières ? Peut-être bien. Mais surtout une vérité, celle d'un homme qui avait très peu cherché et souvent aux mauvaises endroits. Il le savait très bien. Sa vie sentimentale était intimement lié à sa vie psychique. L'un ne pourrait renaître sans l'autre. Les opportunités de rencontre lui manquaient certes. Mais dans ce cas, n'était-ce pas à lui de les créer?

- C'est un peu comme les concours. Je préfère laisser le temps au temps, travailler à ce que ce jour arrive et ne pas pêcher par impatiente. D'ailleurs, vous êtes sûr que vous avez le temps de discuter avec moi? Ces papiers paraissaient urgents et je ne voudrais pas vous empêcher de les rendre à temps. Les élèves ont autant besoin du sport que de l'art pour s'épanouir complétement.

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Les voilà qui s’aventuraient sur un terrain miné… S’il y avait bien un sujet sur lequel l’italien était intransigeant, c’était sur le rôle d’un père envers son enfant. Son amour pour son fils était incommensurable, il était devenu sa raison de vivre et celui pour qui Luca ne s’était pas laissé sombrer dans la dépression après la catastrophe. Loin de lui l’idée de se dire parent parfait, mais les bases d’éducation qu’il utilisait lui paraissaient logiques et surtout indispensables. Il y avait deux cas plausibles : soit l’on reprenait l’éducation que l’on avait eue soi-même, soit on utilisait tout l’inverse. Il ignorait quelles mœurs avait bercé l’existence de Yuusuke, mais celui-ci semblait très arrêté sur sa progéniture et sur son futur amoureux. Voire défaitiste, si on l’écoutait attentivement, c’était un drôle de personnage. En réalité, il semblait encré dans son propre monde, à tel point que l’on se demandait s’il était conscient de ce qui l’entourait… Pas étonnant qu’il ait vécu la présence du rital comme une intrusion si l’on supposait que celui-ci avait pénétré sa bulle en entrant dans cette salle qui était sienne. Ce professeur était sujet à conjecture, et paraissait un peu trop spécial au goût de son homologue sportif. Bon après tout, il fallait de tout pour faire un monde.

Le transalpin afficha un nouveau scepticisme marqué quand son vis-à-vis lui parla de cette femme qu’il ne pensait jamais rencontrer. Cette fois, il hésitait entre le qualifier de pessimiste ou juste de désespéré. Avoir une telle mentalité à son âge… Il se demandait comment il le retrouverait d’ici une petite décade. Heureusement que son fils ne faisait pas attention à la conversation, et même si cela avait été le cas qu’il n’était pas encore apte à réellement comprendre, sinon il lui aurait bouché les oreilles. Soudain, le discours de l’artiste dévia sur les papiers qu’avait délaissés l’ancien militaire. Sans doute avait-il abordé ce sujet avec la plus grande innocence, mais sa manière de le faire avait titillé la susceptibilité du rital qui fit une moue réprobatrice. Peut-être était-ce en partie pour cela que les gens n’aimaient pas discuter avec ce professeur d’éducation physique, on ne pouvait jamais prévoir ses réactions. Celui-ci se redressa sur sa chaise et répondit avec l’austérité qu’on lui connaissait.

« Vous parlez comme un vieux désillusionné. Votre vie doit être triste. »

Il porta la tasse à ses lèvres et termina son café.

« Puis si vous voulez me voir partir pas la peine d’être implicite, dites-le clairement. »

Contrairement à ce qu’il laissait ressentir, Luca n’était pas vexé, mais disait comme toujours le fond de sa pensée sans prendre de gants. D’ailleurs, sa physionomie quitta bien vite sa récente sévérité pour refaire place à une nonchalance habituelle. Leo – qui s’était à nouveau rué sur les gâteaux dans son péché de gourmandise – prétexta vouloir une fois de plus se laver les mains. Son père le fit donc redescendre de ses genoux et le laissa y retourner seul, avant d’attraper les papiers administratifs et de s’y pencher rapidement. Il les connaissait par cœur, si bien que ses mouvements étaient spontanés puis qu’il déposa sa griffe calligraphiée en bas de la dernière page. Une bonne chose de faite au moins, il réglerait les à côtés lorsqu’il serait tranquille.

Il replongea ses prunelles dans celles de Yuusuke dans l’élan de lui adresser à nouveau la parole, mais fut arrêté par un fracas de chute localisé dans l’atelier. Habitué à réagir vite, l’italien se leva immédiatement et entra dans l’autre pièce pour y découvrir plusieurs marres de peinture au sol, et un enfant devenu multicolore. Luca grimaça en voyant le carnage bariolé… Ne pas laisser un bambin sans surveillance à proximité d’un tel matériel au risque qu’il ait la subite envie de l’attraper, il retiendrait la leçon. Et comme si cela ne suffisait pas, le petit – conscient de sa bêtise et contrarié d’avoir de la peinture partout – se mit à pleurer des larmes de crocodile. Le rital lança une œillade soucieuse vers son homologue professoral pour ce qui était des dégâts, avant d’attraper des essuie-tout et de débarbouiller son fils en secouant légèrement la tête. Une chose était sûre, Leo était aussi filou que lui lorsqu’il avait son âge, rien n’arrêtait sa curiosité. Espérons qu’on ne lui en tienne pas rigueur…

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" Bah voyons... "

Voilà que Yuusuke en prenait gentiment pour son grade, résultat de la susceptibilité déplacée de son interlocuteur. Lâchant un soupir tout en secouant légèrement la tête de dépit, il termina à son tour son café avant de se lever pour se rendre près d'un meuble.

" Sans doute, ai-je mis en doute inconsciemment sa propre vision de l'éducation. "

Se fit-il la remarque en pensée, nuançant ainsi la réaction agressive de son interlocuteur. Il allait s'apprêter à ouvrir une porte de placard lorsque le fracas l'interrompit. Réagissant légèrement plus lentement que Luca, il fut sur ses pas assez rapidement. C'est en retenant un rictus qu'il admira la scène. Il y a quelques minutes plus tôt, cet incident l'aurait mit hors de lui mais depuis, il avait retrouvé son calme. Cela expliqua donc pourquoi le jeune homme prit la chose avec humour.

- Si vous le voulez bien, je crois que vous allez pouvoir me passer quelques uns de vos papiers administratifs pour que je fasse remplacer ce matériel.

Dit-il d'un ton amusé alors qu'il redressait les pots de peintures avant qu'ils ne se vident de leurs contenus en entier. De toute façon, ces derniers devaient avoir déjà été utilisé pour ainsi s'ouvrir aussi facilement. Les neufs, eux, avaient survécus à cause de leurs scellements encore en état.

- Plus sérieusement, vous devriez aller aux toilettes dans le fond du couloir à gauche pour le nettoyer complétement à l'eau avant que cette peinture ne sèche. Sinon, après il faudra utiliser des produits plus forts et plus désagréables pour la peau.

Ajouta-t-il en jetant un court regard entendu à Tizziano. Sa réaction n'avait rien à voir avec un vieux désillusionné, bien au contraire. Et même s'il s'était plutôt montré résigné devant la scène, c'était avant tout pour l'alléger d'une idée commune à l'esprit humain. Celle qui le pousse à croire qu'il aurait pu éviter un événement fâcheux une fois que ce dernier à eu lieu.

- Je vais commencer à nettoyer pendant ce temps.

Ce qui était fait et fait. Il n'y avait rien à gagner à rechercher les responsabilités, les erreurs et à s'armer de reproches amères. Cela n'aurait en rien réglé l'incident. De plus, le jeune professeur ne paraissait n'avoir aucune envie de traumatisé l'enfant à jamais de la peinture en le punissant d'une quelconque manière. D'une, il n'en avait pas le droit. De deux, Léo subirait déjà une première punition en subissant un nettoyage forcé pour lui retirer toute cette peinture. Par expérience, le peintre se rappelait le temps qu'il lui fallait chaque soir pour retirer la peinture de sa peau et il n'enviait pas l'enfant. Et enfin, de trois, ce n'était pas l'enfant qui avait choisit d'être là, dans un lieu qui ne convenait pas à son âge et ou une telle chose pouvait arriver. Mais en vouloir au professeur de sport était exclu. Principalement, encore une fois, parce que la chose n'aurait rien apporté. Enfin, l'individu semblait déjà d'assez mauvais caractère sans lui donner encore davantage l'occasion de l'exprimer.

" D'ailleurs, à ce sujet... "

- Après avoir régler tous ça, je pense qu'il serait mieux de ramener ce jeune garçon chez lui.

Cette fois, l'invite était clair. Entre être seul ou mal accompagné, le jeune homme avait clairement fait son choix. Luca Tizziano était un homme dont la langue servait soit à esquiver, soit à blesser. Depuis qu'il parlait, Hasegawa avait donné beaucoup sans recevoir grand chose d'autres que des remarques blessantes et maladroites. Aucun dialogue constructif n'était possible. Et Yuusuke ne trouvait aucun plaisir à se heurter ainsi. Il ne cultivait pas le masochisme. Ainsi donc, il préférait couper court autant à l'incident qu'à la présence de son responsable. Le jeune artiste avait certes besoin de compagnie au sein de l'établissement mais sûrement pas de ce genre.

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Ah, les enfants. Tout comme les femmes, il était difficile de vivre avec, mais impossible de vivre sans. De voir ces fausses perles lacrymales fluer sur les joues du petit diablotin pour l’occasion, l’avait dissuadé de le gronder. Il ne lui fit qu’une remarque dans sa propre langue maternelle pour lui dire de ne pas toucher à tout et n’importe quoi de cette façon. Leo semblait avoir compris le message, mais pour combien de temps ? Les bambins avaient cette particularité de comprendre vite, et d’oublier tout aussi promptement. L’insouciance du jeune âge et la découverte de la vie. Des bêtises, il y en avait eues et il y en aurait encore d’autres, pas de quoi crier au scandale, ce que même Yuusuke sembla concevoir. Lorsque celui-ci lui donna des indications concernant la substance chamarrée qui maquillait son fils, Luca tourna le faciès en sa direction pour lui prêter une oreille attentive, avant de revenir sur le responsable du cirque. Il sentait qu’il allait devoir frotter durant le bain de ce soir, mais au moins cela dissuaderait Leo de recommencer. L’expérience se fait à travers les erreurs de la vie après tout.

L’italien se redressa et caressa la chevelure noiraude du petit qui vint se coller à la jambe de son père. En dépit qu’il lui recolorait le pantalon, il l’accueillit d’un geste tendre pour l’encourager à sécher ses grosses larmes quelque peu emphatiques pendant que le professeur d’art s’attelait à nettoyer son atelier. Malgré lui – et s’il n’en ferait pas part – il se sentait désolé des dégâts occasionnés, mais rien ne les fera revenir en arrière et les éviter, alors à quoi bon s’y attarder. Le pédagogue sportif ramena l’enfant dans la pièce principale après lui avoir retiré le maximum de peinture, qui trônait heureusement plus sur ses vêtements que directement au contact de son épiderme. C’est alors qu’il crut ouïr une forme des plus malhabiles de spontanéité. Par la dernière réplique du nippon, il avait clairement comprit qu’il était temps pour lui de mettre les voiles et de retourner dans un monde moins excentrique. Non, ce qui manqua de le rendre sardonique fut le fait que Yuusuke avait tenté d’être direct… N’avait-il pas apprécié sa franchise italienne ? Cela ne l’étonna pas une seconde, ce genre de problème communicatif, il en avait rencontré tout au long de sa vie et s’y était habitué. Il ne le blâmait absolument pas, il était conscient qu’il ne faisait aucun effort pour se faire sociable, mais jamais il ne briserait son naturel seulement pour plaire à quelqu’un. Un homme entier et bien trop fier, qui ne manqua pas de répondre du tac-o-tac.

« Occupez vous de vos fesses Hasegawa. »

Eh oui… Il était peu probable que l’artiste puisse vaincre le sportif sur le domaine du franc-parler, c’était l’entrainement de toute une vie. En réalité, Luca n’avait particulièrement pas apprécié l’aspect conseil de la phrase du jeune professeur. Nul n’avait suffisamment de valeur pour lui dire comment s’occuper de son fils, c’était un fait avéré. Le transalpin était acrimonieux et archaïque, et ne comptait pas changer, il faudrait se faire à cette idée. Cela n’avait rien à voir avec le pauvre japonais qui était victime des frasques d’un trentenaire renfrogné, c’était simplement sa façon d’être. Il apprendrait que l’on ne recevait pas toujours de la gentillesse en réponse à la gentillesse…

Luca retroussa sa manche droite puis attrapa la première éponge qui traînait pour essuyer la table sur laquelle Leo avait peint. Par la suite, il aida Yuusuke à nettoyer ce qui avait été renversé, plus par conscience que volonté. Une fois que tout fut de nouveau en ordre, il était temps pour lui de disposer. N’étant plus désiré dans ce lieu, il n’y resterait pas contre la volonté du cerbère de la salle, question de principe. Il rassembla donc l’ensemble de ses papiers, puis déclara en portant son fils.

« Bonne fin de journée l’artiste. »

Luca récupéra le lapin bleu, le fameux Titou, qu’il installa sur son épaule puis se dirigea vers la sortie. Il avait au moins le mérite de disparaître aussi vite qu’il pouvait apparaître, sans rien retenir de cette étrange rencontre qui n’altérerait en rien son quotidien.

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