Après une journée de cours normale, quelques préparatifs spéciaux accueillaient la participation de Mitsu au test de courage. Imaginez-vous, en effet, une demoiselle qui détient la capacité de s’étaler, se cogner, s’accrocher fréquemment alors que tout est parfaitement éclairé, dans la nuit noire la plus complète ? Maintenant que vous vous représentez le potentiel « destructeur » d’un tel « pouvoir », revenez-en à une considération d’adolescente : les sous-vêtements dévoilés à la vue de tous. Alors oui, comme ça, ça peut sembler ridicule et futile, surtout qu’il ferait nuit justement. Pourtant, Mitsu souhaitait garder un minimum de mystère sur ses préférences de lingerie. Aussi, au lieu de céder à l’impérieuse envie de porter une salopette-short – avec un collant rayé noir et rouge, tout ce qu’il y a de plus adorable – elle eut recours à une tactique courante de ses années de primaire : un short de gym sous la jupe de l’uniforme. Après avoir retiré bijoux et boucle d’oreilles – ça s’accroche facilement ces petites bêtes-là – attaché ses cheveux – coincés dans une porte, ça fait vraiment mal – elle était enfin fin prête !

Sur le trajet, la jeune fille se prépara mentalement au périple. Dans ses rêveries et scénarios les plus fantasques, elle avait déjà bravé moults dangers, aussi elle n’était pas très peureuse. Araignée, serpents et monstres, les basiques déclencheurs de trouilles n’avaient plus de secret pour la demoiselle. Malgré tout, elle trépignait comme une gamine depuis plusieurs jours en prévision de l’événement. La raison ? Mais parce que les tests de courage étaient funs tout simplement ! S’improviser chasseuse de monstres, vivre une aventure, voilà de quoi la sortir un peu de sa bulle ! Et puis, elle ne négligeait pas le facteur de surprise qui la ferait sans doute pousser des hurlements de dingue et s’accrocher éperdument au premier camarade à porter de mains. Les pauvres…

Arrivée au départ du défi, elle dévisagea l’Oni une bonne dizaine de seconde avant de s’incliner très respectueusement. Après tout, ce genre de monstre pouvait, selon le folklore, avoir été un protecteur du genre humain avant de se laisser tenter par de plus sombres aspects. Autant être polie et jouer le jeu jusqu’au bout. Concernant l’épais livre et le fait de le signer de son nom, la demoiselle grugea le système en inscrivant « Sayuri Rowani » en lieu et place de son propre prénom. Hé quoi ! Elle n’allait pas donner à un démon le pouvoir de la maudire en possédant son nom ! Puis, quitte à maudire quelqu’un, autant que ça serve !

Pénétrant de le couloir avec précaution, elle nicha de suite une main contre le mur pour se guider et tâtonna du pied devant elle pour éviter de se casser directement la figure. Les lueurs blafardes et verdâtres jetées par la signalisation des sorties de secours, la relative quiétude du bâtiment, les craquements divers des lieux, voilà qui posait parfaitement l’atmosphère oppressante. En bonne aventurière/camarade, elle s’arrêta juste sous un panneau de sortie de secours. Afin de ne pas apeurer ses partenaires en surgissant brusquement de la pénombre, elle attendit là sous ce halo de clarté.

Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, Eiichi n'était pas le genre à bondir sur une chaise en poussant un cri suraigu à la moindre araignée. Les serpents l'effrayaient modérément, le noir seulement quand il n'était clairement plus de saison et les franges... bon d'accord, quasiment tout le temps, chacun ses petites faiblesses, les fautes de goût le rendaient chèvre depuis qu'il était petit. Alors certes, il était peut-être un peu plus sensible que les garçons de son âge, ou du moins, laissait transparaître ses inquiétudes plus vite. Certes, sans hurler à la mort à leur vue, les insectes le rendaient mal à l'aise et l'obscurité lui faisait souvent garder une distance prudente. Mais il était tellement décidé à enrayer les quolibets sur son statut de fillette qu'il s'était inscrit au test sans hésitation, prêt à tout pour montrer que lui non plus n'avait peur de rien, comme tout ado mâle ayant quelque chose à prouver à ses jolies camarades.

S'armant d'un courage inattendu, le jeune couturier s'était mis en route vers le bâtiment Showa quelques minutes avant l'heure prévue. Évidemment, plus il avançait et moins il était sûr que ce qui lui avait paru sur le coup un éclair de génie se révèle une bonne idée. Pour commencer, il faisait vraiment très sombre. Il avait déjà l'impression qu'on le surveillait. Et en plus, dans la nuit, avec juste ses quelques lampions pour signaler la porte... il ne fallait pas beaucoup d'imagination (d'autant plus qu'il en avait, c'était encore pire) pour trouver à l'édifice un aspect du plus mauvais augure.

Et si encore Mitsu avait fait l'effort de mettre sa jolie salopette pour l'encourager, mais non, même pas ! Quand Eiichi débarqua à petits pas inquiet à l'entrée, seul l'oni et son sourire grimaçant l'accueillirent. Avalant sa salive, le jeune homme inscrivit son nom d'une main qui ne tremblait même pas (pas encore), puis pénétra à la suite de sa camarade, la rejoignant bien vite. Comme d'habitude lorsqu'il n'était pas tenu de porter l'uniforme, le jeune homme était habillé à la dernière mode et il réarrangea son écharpe d'un geste nerveux :

"On attend qui encore, tu sais ?" Interrogea-t-il la jeune fille dont il se rapprocha, heureux d'avoir au moins une alliée connue.

Se détachant du mur rassurant – histoire d’éviter qu’une création fantasmagorique des 3-A ne surgisse brusquement derrière elle–, Mitsu se rapprocha du premier camarade arrivée. Un 2-A ! Avec un sourire ravi- Eiichi faisait parti de la catégorie « créatif et amusant, ami potentiel »- elle lui adressa un petit signe de la main. Alors qu’elle allait répondre à sa question, le dernier du trio fit son apparition : Tachibana de la 1-A. De mémoire, elle ne lui avait jamais vraiment parlé. Elle se rappelait néanmoins d’une discussion entre deux filles plus jeunes à son sujet. Non, elle n’avait pas été indiscrète ! Elles n’avaient qu’à parler moins fort… Enfin bref, un type bien parait-il ! Après un nouveau geste de la main en guise de salut, elle répondit :

- J’en suis persuadée ! Qui plus est, il ne tient qu’à nous de pimenter encore le jeu en restant vraiment dans l’ambiance.

Elle redressa l’index pour attirer leur intention et parla brusquement plus bas.

- En parlant comme si nous trouvions dans un film d’horreur et poursuivi par un horrible monstre.

Toute souriante, la jeune fille rayonnait d’un éclat encore inconnu pour ses partenaires. Habituellement assez discrète, toujours dans la lune, elle semblait pour une fois bien avec eux, en leur compagnie et intéressée par ce qui se tramait. Plus encore, elle proposait même de corser le jeu. Avec une soudaine exubérance, elle sautillait presque sur place. Son enthousiasme enfantin était à coup sûr communicatif.

- Je veux gagner ! Je compte sur vous pour protéger la faible femme que je suis !

Malgré une légère insistance ironique sur le « faible femme », elle avait singé à la perfection le ton de la jolie fille faire-valoir du shōnen de base. Mais oui, celle avec le décolleté à réveiller un mort, qui se retrouve toujours entre les griffes du méchant pour que le héro se surpasse car en fait, il l’aime cette « demeurée » qui se ferait enlever par pikachu – c’est dire – Bref, à contrario de l’héroïne susmentionnée, l’uniforme scolaire de Mitsu ne la dépoitraillait pas, hélas trois fois hélas pour ses mâles coéquipiers, et la demoiselle ne semblait pas spécialement dupe et naïve. Toutefois, même si elle n’avait nullement l’intention de s’égosiller de terreur au moindre obstacle, elle pariait d’avance sur une éventuelle gamelle et la nécessité d’un secours entre les bras virils d’un de ses compagnons.

Ses camarades avaient déjà l'air enthousiastes et pour ne pas passer pour une poule mouillée -ce qui arriverait sans doute vite à côté d'un mec à l'air aussi équilibré que Yuiji, pas la peine d'accélérer les choses- il acquiesça à son tour. Mitsu et ses petits airs d'héroïne de shojo lui firent finalement retrouver le sourire et il se détendit un peu. Elle avait raison après tout, il ne s'agissait que de faire "comme si". Derrière les fantômes, de simples sempai, ce n'était pas si effrayant que ça ! Il suffisait juste de se forcer à oublier toutes les histoires que Makoto lui avaient raconté l'année dernière, à son arrivée à l'école. Après tout, les suicides en salle de musique et les esprits errant dans les couloirs hantaient à peu près chaque établissement japonais, pas de quoi hausser un sourcil.

Eiichi avala sa salive et emboîta le pas à ses compagnons, gardant ses pensées pour lui. Il ne tenait pas à montrer à Mitsu le moindre signe de faiblesse, les filles jolies et trop tête en l'air pour faire attention aux racontars à son sujet étaient rares. Quant à Yuiji, il s'agissait d'un kohai, il n'allait quand même pas lui faire savoir qu'il portait le moindre intérêt à toutes ces légendes ! Redressant un peu les épaules, le jeune homme s'accrocha à son écharpe d'une main et poussa la première porte qui se présentait de l'autre. Franchement, il s'attendait à pire qu'un peu de bordel, même si le manque de lumière donnait à l'ensemble un aspect plutôt inquiétant. Méfiance cependant, d'ici là qu'un oni grimaçant surgisse de derrière un autel... Il ne s'attendait pourtant pas à ce qui arriva. Alors que Mitsu et Yuiji prenaient les devants, lui-même hésitant près de la porte, un peu plus éclairée que le reste de la pièce, il sentit soudain des mains se saisir de lui. Un cri de surprise lui échappa mais il fut vite étouffé alors que le jeune homme était entrainé hors de la pièce, envoyant un dernier coup de pied dans l'espoir vain de se libérer.

Enlever Eiichi ! Les fourbes ! Les traîtres ! Ainsi regardant la dernière place présumée de son camarade de classe, l’adolescente regarda son compagnon d’infortune et sa tentative de poursuivre les vils kidnappeurs. Ainsi, le geste en suspens – elle comptait faire de même – elle se ravisa pour couvrir leurs arrières du regard. Lorsqu’il lui tendit la main, elle s’en saisit sans vraiment hésiter. Au diable la timidité ! Il faisait noir, on lui avait déjà pris un équipier, elle ne se laisserait pas voler le second ! Toujours en murmurant, elle pointa le mannequin d’un doigt pas très rassuré.

- Ce truc est louche… Je m’attends presque à le voir se lever et crier « ceeerveau » pour nous manger.

Se rapprochant un peu de Yuiji, sa main toujours dans la sienne, elle jeta un autre coup d’œil à la porte. Lorsque la fragrance d'encens se porta à ses narines, elle déclara :

- On dirait un peu un temple perdu rempli de trésor.

Elle marqua un nouveau temps d’arrêt. La main libre sur la porte, elle la tapota une fois.

- On devrait longer ce mur …

Simple déduction logique : Ils arrivaient du couloir. La porte de l’arrière de la classe devrait normalement être du même coté de leur « entrée ». Probablement. Après tout, ils étaient peut-être enfoncés plus loin dans l’étage que ce qu’elle pensait. Elle misa néanmoins sur le fait que c’était une salle de cour normale, donc les fenêtres en face de la porte et seconde porte à l’arrière.

- Herm… Tu veux bien passer devant pendant que je m’occupe de surveiller l’hypnotisé du tableau…

Un brin de parano ? Sans doute ! Toujours était-il qu’elle aurait sans doute appliqué cette technique -« le caché voyant »- si elle voulait surprendre des camarades pour leur sauter sur le dos tandis qu’ils fouillaient la pièce. Puis, il était mieux que le jeune homme la précède. Il ne s’étalerait, sans doute, pas de tout son long au moindre obstacle ! Aussi, presque collée à son dos – il faisait bigrement noir quand même– elle attendit qu’il se mette en marche.

- J’espère pas qu’on a la même tête… Je n’oserai jamais devenir prof si c’est pour avoir des élèves qui me regardent comme ça.

Etre prof ? Oui, le délire du moment, puis ça correspondait assez à ce qu’elle souhaitait faire de son objectif – à savoir rassembler beaucoup de connaissances diverses pour écrire devenir auteur -. Malgré tout, rien que l’idée qu’une classe puisse l’observer avec la même tête que ce fichu mannequin lui collait la frousse. Alors que Yuiji s’avançait pour prendre la ceinture de la créature, elle lui serra plus fortement la main. Elle avait de plus en plus hâte de passer à la salle suivante.

Après avoir longé le reste de la salle jusqu’au coin de la pièce où ils supposaient que se trouvait la sortie, ils entreprirent d’ouvrir armoire et vestiaire. Toujours main dans la main pour se donner du courage et éviter d’être séparé aussi facilement que lors du rapt d’Eiichi, après plusieurs minutes à craindre qu’une bestiole ne surgisse de derrière une porte close, ils s’engouffrèrent enfin dans la pièce suivante.

Le mannequin enfin derrière elle, Mitsu se détendit sensiblement, retrouvant la bonne humeur première. Avisant le tas de meubles, elle se rapprocha sans lâcher son comparse.

- On déblaie ou on tente les contorsions pour se faufiler jusqu’à la porte ?

Mirant le gabarit du jeune homme, elle eut une moue un peu dubitative. Si elle ne devrait pas avoir plus de problème que ça à se tortiller entre, sous et sur les meubles pour se frayer un passage, Yuiji risquait de rencontrer plus de difficulté. Non pas qu’il soit gras ou quoique ce soit du genre, simplement une différence de carrure naturelle entre un homme et une femme.

- Débarrassons quelques chaises et bidule de ce coté-là

Dit-elle en pointant le coté entrebâillement de la porte pour créer une vraie ouverture. Le relâchant, elle grimpa tranquillement sur le tas après s’être assuré qu’il se ne casserait pas la figure. Aussitôt, elle tendit vers lui une des chaises mise en équilibre sur les fournitures de la zone à dégager.

Là, une salle de plus terminée ! La team Tachibana-Rowani fonctionnait du tonnerre ! Hélas, le corridor fut étonnamment une autre paire de manche. Dès lors qu’ils mirent le pied dans l’espace d’apparence confinée, alors que la demoiselle se rassurait de voir de la lumière, même branlante pour guider ses pas, une espèce de choses lui frôla le dos. Le pauvre kohai vit sa main se faire torturer d’une bonne poigne absolument paniquée l’espace d’une seconde.

Très très bas, et très proche lui ayant limite sauté dessus, elle lui murmura :

- Une… chose vint de me frôler le dos…

Puis, très rapidement, sur le ton de l’aveu, elle ajouta :

- Il faut que te dise… j’ai une trouille bleue des contacts du genre. C’est mon point faible.

Quant à lui expliquer le pourquoi du comment, il ne fallait tout de même pas pousser. Aussi sympathique était le jeune homme, elle ne le connaissait pour ainsi dire pas. De toute manière, elle ne confierait même pas la raison stupide de cette trouille à son meilleur ami. Une fois que la demoiselle fut un peu calmée, le duo reprit sa route le long du couloir. Aux escaliers et à la planche noire luisant sous la chiche lueur, Mitsu lâcha un long soupir contrit. S’engageant la première sur la rampe, elle ne fit que deux pas sur la pente savonneuse avant de glisser vers l’arrière. Par réflexe – et une grande habitude à se casser la figure – Mitsu attrapa la rambarde pour ralentir sa descente et ne pas déjà tomber aussi vite dans le parcours.

- Tu… te sens de me rattraper quand je glisserai ?

Oui, parce qu’évidemment qu’elle allait glisser ! Quand on est né avec deux pieds gauches – enfin façon de parler, les pieds de Mitsu sont aussi charmants que ses longues gambettes – on apprenait très vite à ne pas trop surestimé son équilibre.

- Je passe en premier. Tu me rattrapes quand je me casse la figure… Et une fois au plat, je te tends la main pour t’aider à passer plus facilement. On tente ça ?

Elle applaudit lorsqu’il se réceptionna sur la planche sans glisser et attacha la première ceinture. Puis retint son souffle une brève seconde pour la deuxième.

- Bien joué !

Avec la félicitation, elle ajouta un sourire. Puis, en regardant ses pieds, elle réfléchit une seconde pour tenter la tactique « chaussettes sèches ». Finalement, elle retira ses chaussures et les fourra chacune dans une poche de sa veste. D’un air appliqué, elle se frotta les mains à la manière des acrobates. Puis, elle s’élança bravement avec un tout petit peu d’élan afin d’arriver à la ceinture au moins et s’y accrocher comme un naufragé à sa bouée. Hélas, le destin – et sa maladresse habituelle – en décida autrement. Si elle réussit un parfait saut en hauteur et longueur et même la réception – lors d’une compétition de gym, elle aurait sûrement récolté des 10/10 tant il était bien exécuté et gracieux – il n’en fut pas de même pour le passage consistant à s’agripper à la ceinture qu’elle ne trouva pas à cause de la fichue pénombre. A ce moment-là, les chaussettes plus fines de la demoiselle décidèrent qu’ils étaient temps de glisser lentement vers l’arrière. Patinant d’abord pendant quelques secondes toujours à la recherche de ce fichu bout de cuir, elle finit par se laisser glisser en arrière, se mettant à genoux pour éviter de se vautrer lamentablement sur les fesses et sur son kohai.

- Désolée…

Dit-elle en s’ébouriffant les cheveux et retenant un début de fou rire gêné. Se remettant sur pied, elle retroussa ses manches.

- C’est reparti !

Même joueur joue encore ! Après deux-trois autres tentatives du même acabit, dont une qu’elle termina par un 360 grandiose sur la planche, se prenant sans doute pour un surfeur ou un snowboarder ainsi qu’une petite révérence au jeune homme, elle réussit enfin à attraper la première ceinture et à y rester accrochée. Avec un petit hourra, elle offrit un grand sourire victorieux à Yuiji par-dessus son épaule. A moitié recouverte de savon, le test de courage prenait une petite allure comique du plus bel effet ! Galvanisée par sa précédente réussite, elle attrapa la seconde ceinture au premier essai. Quant à atteindre à nouveau le plat, un miracle se produisit. La distance fut franchi sans nouvelle chute enfin… presque puisque les chaussettes savonneuses offrirent une magnifique glissade au premier pas qui se terminerait avec un grand bruit et un gros « putain » sifflé de douleur entre ses dents si son partenaire tardait pour la rattraper.

Et c’est ainsi dans le grand fracas que Mitsu chuta sur Yuiji… et comme de bien entendu la tête du jeune homme, probablement très douloureuse, dut se retrouver « là ». Très brièvement, la jeune femme écarlate songea qu’il devait y avoir une sorte de loi universelle qui disait en gros « Si une femme tombe sur un homme, sa tête entre ses seins, il aura ». Bien vite pourtant, elle redressa, à califourchon sur lui. Elle sursauta légèrement lorsque les deux silhouettes surgirent de l’ombre, avant de reporter son attention sur le jeune homme.

Rapidement, elle tâta l’arrière du crâne du jeune homme en le déplaçant au minium pour s’assurer que tout va bien. Finalement, elle s’assit à ses cotés et lui caressa doucement la joue pour tenter de le tirer de sa torpeur.

- Tu vas bien ? Je suis désolée.

La jeune fille, honteuse, retenait difficilement ses larmes. Fallait dire qu’elle avait une trouille bleue qu’il se soit fait mal à cause d’elle et sa fichue maladresse.

- Je suis tellement désolée… Tu veux qu’on t’emmène à l’infirmerie ? Tu peux te relever ? Pardon, c’est de ma faute.

Et ainsi de suite, de questions pour savoir comment il se sentait, d’excuses, le pauvre jeune homme fut bombardé sans vraiment que la jeune femme ne porte d’attention aux deux personnes venus leur prêter main forte.

- Si tu trouves le moyen de faire un tel discours, oui ça doit aller.

Ajouta-elle taquine.

- Merci d’avoir amorti le choc pour moi. C’était… très galant.

Elle s’inclina légèrement et lui offrit un sourire en guise de remerciement. Une fois le jeune homme sur pied et pas trop chancelant, elle déclara aux sempais pour les tranquilliser avec tout le sérieux du monde.

- Je l’emmènerai directement à l’infirmerie moi-même à la fin du test et m’assurerai qu’il ne tente pas de s’éclipser. Il n’y aura pas de souci.

Une fois, les 3-A rassurés, elle se tourna vers le jeune homme et reprit sa main avec un peu plus d’autorité. La vraie trouille la rend apparemment un peu plus dure et terriblement pragmatique.

- Si tu as la tête qui tourne, la moindre nausée, tu m’en informes. Il n’est pas question que tu fasses un malaise pour qu’on arrive au bout du test, hein. Ta santé avant tout.

Elle le dévisagea un moment encore, le temps de s’assurer que le sourire confiant n’était pas qu’une façade. Avec un nouveau sourire, elle chuchota comme précédemment pour se remettre dans l’ambiance.

- Continuons alors.

La dernière salle n’allait pas être de la tarte. Ici, plus qu’une lumière clignotante et, même quasi aveugle, les deux adolescents pouvaient ressentir le bordel alentour. Bordel qui fut confirmé lorsque Tachibana chuta en se retenant à elle. Surprise, elle en sursauta avant de lâcher un petit rire nerveux alors qu’il cherchait à reprendre sa main, la tâtonnant au passage. Evidemment, elle en rougit avant de joindre à nouveau ses doigts aux siens.

Prenant les devants cette fois-ci, pour éviter d’autres traumatismes à son camarade qui l’avait sauvé d’une chute de bien galante manière, elle tapotait lentement du pied devant elle avant d’avance millimètre par millimètre. Soudain, quelque chose coulissa le long de sa nuque. Froid, voire glaciale, elle s’en raidit et étouffa un cri en mordant ses lèvres. Pas question de donner la satisfaction à leurs sempais avec un cri d’oiselle terrorisée ! D’un geste nerveux, elle frotta sa nuque vivement pour se départir de la sensation. Froid, gluant, elle leva machinalement la main devant ses yeux. Un éclat de lumière, sans doute intentionnel, lui révéla celle-ci couverte d’une substance rougeâtre. Pourtant, encore une fois, elle ne cria pas. Elle se raidit totalement et commenta d’un ton très peu assuré.

- Rassure-moi… tu ne saignes pas, hein ?

Malgré l’atmosphère réussie, elle s’inquiétait d’abord avec pragmatisme de son camarade. Ensuite, quelle mauvaise idée que le sang pour la fille d’un docteur qui songeait même à une carrière dans cette branche – enfin, à quelle carrière Mitsu ne songeait-elle pas en définitive ?- et qui passait plus de temps à se coller des pansements qu’à marcher. Enfin, elle se rapprocha néanmoins de Yuiji, jusqu’à se coller à lui à nouveau, s’emparant de son bras avec autorité. Tout bas, très bas, elle murmura à nouveau.

- Je déteste vraiment… savoir que quelqu’un peut me toucher sans que je puisse prévoir le mouvement. Alors ne t’éloigne pas d’un pouce sous peine que je hurle…

Tant bien que mal, et avec un empressement de Rowani découplé par l’épisode du « truc sur la nuque », ils continuèrent leur périple à travers la pièce. En louvoyant à travers les obstacles, le pied, la hanche ou même le genou de la jeune fille rencontrèrent avec plus ou moins d’empressement un meuble ou peu importe ce que c’était. Toutefois, d’ici quelques heures, on ne pourrait plus dire « Mitsu a des bleus » mais « Le Bleu a des mitsus ». Ainsi, en clopinant un peu, ils s’approchèrent du phare au milieu de leur « tempête ».

Toujours sur ses gardes, les derniers mètres qui les séparaient de la sortie furent sans doute les plus difficile. Elle craignait un dernier coup d’éclat de leur sempais : Un truc glissé à nouveau le long de sa nuque, une autre substance glaciale et visqueuse… D’ailleurs, celle de tout à l’heure continuait sa tranquille descente dans son chemisier et formait un joli halo rouge. Naturellement, plus que de le voir, elle sentait le tissu qui lentement lui collait à la peau.

Presque suspendue au bras de Yuiji, elle s’appuyait parfois un peu plus à lui pour éviter tel ou tel obstacle qu’une main tendue en avant lui permettait de localiser. Ainsi, ils débouchèrent enfin dans la lumière. Il lui fallut quelques secondes pour se réhabituer à la luminosité, surtout le flash de la photo immortalisant la chose, et surtout pour se rendre compte de la fameuse proximité que l’excitation de l’instant avait occultée - qui poserait peut-être problème un jour étant donné que l'instant avait été photographié avant qu'elle ne le relâche -. Elle développa des trésors de retenue pour ne pas sauter en arrière et bafouiller une série d’excuses pitoyables pour expliquer son comportement. A la place, elle se sépara de lui tranquillement et de lui offrir un sourire. Suite à quoi, elle s’inclina légèrement.

- Merci d’avoir pris soin de moi et de ma maladresse.

Tendant son poignet pour se faire tamponner par le sempai de l’entrée, elle se rappela soudainement qu’elle n’avait pas indiqué le bon nom sur la liste d’entrée. Elle pinça ses lèvres à moitié secouée par un début de fou rire nerveux. Une fois, l’instant passé – un petit craquage de nerfs de soulagement sans doute – elle se retourna vers son camarade.

- A mon tour maintenant de prendre soin de toi. Je t’amène à l’infirmier pour vérifier que tu ne te sois pas fait plus mal que cela. Aussi solide soit ton crâne, il vaut mieux contrôler. On pourra fêter notre victoire après.

Et ainsi se termina le test de courage pour Mitsu : Couverte de bleus, de savon noir, une grosse traînée « sanguinolente » le long de son échine et un fabuleux sourire de mioche sur les lèvres.