En temps normal, Radha se tenait assez éloigné des élèves. Elle n'avait rien contre eux, mais ils avaient une tendance généralisée à lui faire perdre son temps quand elle estimait n'en avoir déjà pas assez. Être assistante du directeur dans une école paraissait aux yeux de beaucoup une sinécure, s'imaginant qu'elle se contentait sans doute des horaires stricts donnés au public. C'était là oublier les heures supplémentaires accumulées pour tout clore dans les temps, organiser la vie administrative de l'école et vérifier que l'emploi du temps de Takehiko-san était en tous points cohérent. De fait, elle évitait les rendez-vous qui ne servaient à rien.

Pourquoi donc avait-elle accepté de parler à la journaliste en herbe ? Probablement parce que l'Inde lui manquait et elle était ravie de voir que quelqu'un s'intéressait à son pays. Quelqu'un d'autre que Mr. Ritter, du moins, qui quant à lui semblait non pas simplement y porter attention, mais plutôt le connaître. Cependant, même s'il leur était arrivé d'en parler, leurs discussions ne s'éternisaient jamais vraiment. Sûrement mettrait-elle plus de temps avec l'étudiante qui d'ailleurs frappait à sa porte. Radha releva la tête du papier qu'elle venait de tamponner et lâcha d'une voix claire un « Entrez » autoritaire. Habitude de secrétaire pressée par le temps.

« Je vous en prie, prenez un siège Toshihiro-san. » l'invita-t-elle avec un signe de la main gracieux, du bout de son accent chantant. « Vous veniez pour une interview sur l'Inde il me semble ? »

Elle accepta les remerciements d'un signe de tête emprunt de délicatesse avant de remettre le tampon à sa place, les gestes relativement calmes. Radha perdait rarement son sang-froid, habituée depuis longtemps à devoir maîtriser sa gestuelle et ainsi devoir rester maîtresse d'elle-même. Ainsi elle ne laissa pas transparaître la pointe d'agacement qui naquit de la dernière phrase de la jeune fille. Du temps, elle n'en avait guère à perdre et si elle l'avait laissé entrée, ce n'était pas pour que la journaliste en herbe botte en touche à peine arrivée. Elle lui dédia donc un léger sourire rassurant avant de laisser rouler sur sa langue son japonais teinté d'accent indien.

« Ne vous en faites pas pour moi, j'ai organisé mon temps de travail pour pouvoir vous accueillir. »

Elle reposa son stylo sur le côté et termina de poser ses feuilles en un tas qu'elle écarta également, libérant assez d'espace pour ne pas se sentir oppressée par la paperasse te permettre également à la brune face à elle de s'appuyer sur le bureau pour écrire.

« Je vous écoute. » l'invita-t-elle à se lancer gentiment. « Vous pouvez écrire en vous appuyant sur mon bureau si vous le désirez. »

Que pouvait-elle répondre à pareille question ? Les coutumes indiennes étaient extrêmement variées, le pays comportant tant et tant de cultures différentes qu’il devenait difficile de toutes les dénombrer. Radha supposa que comme tant d’autres, la jeune fille face à elle faisait un amalgame entre Hindous et Indiens dont il faudrait d’abord se démêler avant de passer à sa question. Avec un léger sourire, plus poli qu’amusé cependant, elle reprit la parole.

« L’Inde est vaste et ses habitants très différents les uns des autres. Vous parler des coutumes indiennes dans leur intégralité prendrait un temps que nous n’avons sans doute ni l’une, ni l’autre.»

Un bruit dans le couloir la mit en alerte, la jeune femme écoutant pour vérifier si personne ne venait vers son bureau. Les pas néanmoins se dirigèrent vers l’une des pièces avoisinantes, lui permettant de rendre toute son attention à la journaliste en herbe.

« Peut-être parliez-vous des coutumes hindouistes ? »

Les questions se précisèrent enfin et Radha se détendit légèrement. Il était bien plus facile d'apporter une réponse quand on ne devait se restreindre qu'à un sujet. Le port du sari en Inde était un sujet sur lequel elle pouvait assez aisément répondre, bien qu'elle prit le temps d'organiser un peu ses pensées. L'idéal était encore de fournir une explication qui n'imposerait pas de se réexpliquer ensuite. Malgré tout, elle n'avait pas que ça à faire.

« Il existe plusieurs sortes de vêtements pour femmes. Le sari est surtout porté par les femmes mariées, mais le mariage en Inde pouvant avoir lieu extrêmement tôt, il n'est de toute façon pas rare de voir de très jeunes filles s'en vêtir. »

C'était une réponse un peu incomplète, elle le savait. Laissant planer un instant de silence pensif avant de reprendre, des souvenirs de son pays lui revenant en mémoire en même temps, la jeune femme fixa la journaliste en herbe d'un air songeur. Puis elle se secoua mentalement.

« Cela dit, il existe des régions de l'Inde où le sari est porté par toutes les femmes de manière assez indistinctes. De plus en plus d'entre elles, dans les villes du moins, commencent également à porter des vêtements occidentaux. »