S'il y avait bien une chose que Ranmaru adorait dans la période studieuse qui précédait les examens, c'était ce calme à moitié surnaturelle qui semblait envahir les lieux pendant quelques semaines. Des élèves qui trimaient, tête penchée sur leur devoir dans la bibliothèque ou dans les salles de cours, aux professeurs qui les aidaient ou préparaient les examens, en passant par les secrétaires qui préparaient les couriers et tous les petits détails administratifs liés aux vacances... Il pouvait enfin traverser de part en part les lieux sans manquer de rencontrer quelqu'un ou de supporter les incessents bavardages intempestifs. Comme une souris qui sort de son trou quand les prédateurs sont loin, Ranmaru profitait du début d'été pour sortir.
Non qu'il n'ai envie de sortir beaucoup. Ses dernières mésaventures où il avait du se faire ramener par un rônin alors qu'il était resté trop longtemps vers le sanctuaire lui avait laissé un mauvais arrière-gout dans la bouche, d'autant plus qu'il avait eu droit à quelques commentaires moqueurs le lendemain matin de la part d'un de ses colocataires qu'il avait eu la malchance de croiser en se levant de bonne heure. Cet idiot n'avait que ça à faire de se lever en même temps qu'il partait pour faire un détour par le sanctuaire ?

Les derniers jours l'avaient laissé aussi nerveux qu'une mère-chatte veillant sur ses petits, mais sans petits adorables à montrer comme justification de son comportement. Qu'importe, fuire les autres lui donnait de l'énergie à revendre pour abattre son boulot avec une efficacité redoutable, s'avnçant dans tous les dossiers en cours jusqu'à épuisement du stock. Après quelques heures à tourner en rond comme un poisson dans son aquarium, à revérifier plusieurs fois ses commandes et ses stocks, Ran avait fini par profiter d'un moment d'accalmie pour sortir un peu dans le parc. Les élèves, en cours, n'étaient nul part en vue, pas plus que les professeurs.

Se glissant dans un chemin ombragé derrière une bande de vieux pins, Ranmaru remonta l'allée d'un pas tranquille, son regard vissé sur le pied des arbres. Quiconque l'aurait supris ainsi aurait été étonné, à part les quelques élèves du club d'arts traditionnels. Ce n'était pas la première fois que leur sensei allait récupéré lui-même le matériel nécessaire pour les travaux d'Ikebana. Chercher au milieu des arbres une branche morte à l'aspect intéressant, à partir de laquelle il pourait travailler pour faire ressortir la beauté, était quelque chose d'éminement détendant pour lui. La patience qu'il ne savait avoir pour les humains, il la trouvait aisément face à ses objets encore inanimés qui prenaient vie entre ses mains, et c'était une bonne chose.

Le glouglou du cours d'eau berçait son avancée : de ce côté là, les arbres étaient plus frêles et plus minces, probablement moins adapté à ce qu'il voulait... d'un autre côté, le côté tourmenté des petites branches pourrait être intéressant à voir. Sa légère hésitation fit place à une pas décidé. Les yeux fixés sur un arbuste, les branches dans les mains, et surtout incapable de regarder ses pieds sans tourner franchement la tête, Ranmaru ne vit jamais la chose souple qu'il heurta avant de se prendre les pieds dedans et de s'affaler sur le sol, incapable de se retenir avec les mains pleines. Heureusement pour lui, le sol herbeux amortit légèrement sa chute alors qu'autour de lui s'éparpillaient les branches.

Hargneux, l'intendant se redressa à moitié et se retourna, encore au sol, pour faire souffrir son ire à celui, qui, allongé à même le sol, avait provoqué sa chute.

" Il y a des lits pour dormir ! Vous n'avez pas un examen à réviser ? "

Ce n'est qu'après avoir refermé la bouche qu'il identifia les cheveux clairs pourtant bien reconnaissables : son bourreau n'était autre que son précédent chien guide. Décidément, les choses ne s'arrangeaient pas.

Les examens, les missions, le stress, la rage, la colère... un mélange de pleins de petites choses qui faisait que Sasuke était au bord de la crise de nerfs. Pour éviter de faire quelque chose qu'il pourrait regretter plus tard il avait décidé de mettre un coup de frein dans ses activités aussi bien estudiantines que professionnelle. Trop de choses a penser, sans parlé de cette histoire d'espion qui rôderait dans les alentours et ferait capoter quelques affaires du clan. Il n'en savait pas plus que ca mais ca ne changeait rien au fait qu'il avait pour mission d'en savoir un peu plus a ce sujet. En plein période d'examen c'était quand même mal tombé. Alors Sasuke avait prit la décision de mettre un peu sa mission de côté, le temps de se concentrer sur ses études, même si pour le moment il avait suffisamment révisé a son gout.

Les élèves étaient en cours depuis le début de la journée et après avoir squatté un peu la bibliothèque il était ressortit prendre l'air et s'allumer une clope discrètement dans un coin. L'appel de la nicotine était trop forte et il n'avait jamais été capable de lui résister bien longtemps... surtout quand il était stressé de la sorte. Il ne savait plus trop quand cette histoire avec Ranmaru c'était passé ... mais il lui arrivait souvent de repenser a lui. Il se surprenait lui même a se demander quelques fois si Ranma allait bien.. s'il avait réussit a récupérer sa moto. Et puis finalement il se forçait a penser a autre chose, jugeant qu'il 'avait plus aucunes raisons de croiser de nouveau le chemin de l'intendant.

C'est donc une fois qu'il eu finit sa clope en cachette qu'il prit la direction du parc avec la ferme intention de s'y reposer un peu pour décompresser au grand air. Il fouilla un moment, farfouilla dans le parc a la recherche d'un endroit retiré et calme et finalement il s'arrêta dans un coin relativement a l'écart. Allongé aux pieds d'un arc de taille conséquente, les bras derrière la tête en guise d'oreiller, les yeux rivés sur les frondaisons verdoyantes qui filtraient les rayons du soleil, lui offrant un ombrage agréable. En tendant l'oreille il entendait sans peine le clapotis de l'eau en provenance de la petite rivière qui serpentait. Reposant... il n'y avait pas d'autre mots. Tellement reposant que sans vraiment le vouloir, Sasuke avait finit par sombrer doucement dans un sommeil léger. Si bien qu'il n'avait pas entendu les bruits de pas qui se rapprochaient de lui et qui lui aurait sans doute évité la suite dramatique des évènements.

Car il est toujours désagréable de se faire réveiller en se faisant marcher dessus. La douleur n'était pas énorme mais c'était plutot le fait de s'être fait réveiller en sursaut qui le mettait de mauvais poil. Il grogna ostensiblement avant de se redresser sur les coudes pour jeter un oeil a l'impudent qui venait de le déranger et qui en plus avait le culot de se plaindre! ... Et son regard croisa celui de Ranma... a sa plus grande surprise. Un coup d'oeil rapide: Ranma a terre, des branche éparpillées... il récoltait du petit bois? Y avait plus de chauffage dans les appartements? Sasuke se redressa d'avantage, se massant les côtes un peu douloureuse, gardant son air stoïque.

"Je pensais que votre vue ne vous faisait défaut que la nuit...."

Fit-il en guise de réponse pour rétorqué a la provocation de Ranma, avant de soupirer légèrement se remettant debout, tendant la main au jeune homme pour l'aider a en faire de même.

"Et j'ai déjà suffisamment révisé a mon gout..."

Finir le nez dans la terre n'était jamais agréable. Devant témoin, la séquence était d'autant plus humiliante. Mais devant celui qui l'avait déjà vu au sol et avait en plus du le guider dans la nuit... Ranmaru dut inspirer plusieurs fois pour ne pas faire d'autres remarques mauvaises guidées par l'instinct plutôt que la logique. Il n'était pas le seul en tord dans cette histoire ! Quelle idée de se coucher à l'ombre dans l'herbe dans un endroit reculé ? Même lui pouvait reconnaître sa mauvaise foi, mais là n'était pas la question.

" Rien à voir. Je ne passe juste pas mon temps à regarder le sol, d'autant plus quand j'ai les mains chargées."

L'intendant jeta un coup d'oeil aux branches, éparpillées, mais pour la plupart intact : il n'avait pas poussé le vice à tomber dessus et à les casser après avoir pris tant d'attention à les choisir. Il tourna à nouveau la tête vers l'étudiant, et ce fut pour voirses jambes et une main tendue devant lui pour l'aider à se relever. Après une nuit passée à lui tenir la main pour réussir à mettre un pied devant l'autre, il n'aurait du avoir aucune gêne à l'attraper pour se relever. Il aurait été idiot de faire le contraire.
Obstiné, les joues un peu rouges, et avec le même soin méticuleux qu'il avait pris pour se relever quand il avait été surpris sur le sentier du sanctuaire par Sasuke, Ranmaru se redressa, seul, après un regard agacé pour la main. Avait-il l'air si fragile qu'il ait besoin de l'aider ?

De quelques gestes vifs, le brun fit partir les traces de terre de son pantalon noir. Au moins cette fois portait-il une tenue plus classique et adaptée à son travail, bien loin du jean et du blouson de cuir qu'il portait pour faire de la moto et qui n'aidait pas à donner une image de lui adulte et maitrisée. En temps normal, ça ne lui posait pas soucis. Curieusement, face à Saeba, il ressentait le besoin de réaffirmer sa position... en tant que personne indépendante ? Autant ne pas y penser. Il était juste géné d'avoir été vu ainsi par un élève, alors qu'en tant que membre du personnel, il était sensé donner une image impecable du lycée au sein duquel il travaillait.

Ran s'éloigna d'un pas et se rebaissa, entreprenant de récupérer ses branches, aussi étrange que son comportement puisse sembler aux yeux de l'étudiant. Le bois tordu tronait dans sa main tel un bouquet, difficile à rassembler correctement vu les formes étranges dont elles étaient dotées. Son regard passa à nouveau sur le jeune homme, sa main sur ses côtes, et il réalisa enfin que l'obstacle qu'il avait heurté de plein fouet avait du lui aussi souffrir quelque peu du contact rien moins que violent, même s'il ne s'en était pas plaint immédiatement. Rien n'avait transparu dans sa voix stoïque, mais du peu de temps qu'il avait passé avec lui, rien ne semblait vraiment percer au travers.

" Je ne vous ai pas fait trop mal j'espère ?"

Il aurait du s'en douter, que Ranma ne prendrait pas sa main pour se relever mais il avait fait ca par politesse. Il remis donc sa main dans sa poche, gardant un visage des plus stoïque en observant brièvement les gestes de Ranma, histoire de voir s'il n'avait rien de casser.. mais il ne semblait pas souffrir d'une quelconque blessure. Tant mieux, il n'avait aucunes envies de jouer les garde malade... déjà qu'il avait fait les guides touristiques... fallait pas trop lui en demander non plus. Pour sa part il avait toujours cette douleur lancinante au niveau des côtes mais il savait que ce n'était pas vraiment la faute de Ranma. Il avait juste eu la malchance de buter dans une ancienne blessure de Sasuke qui avait encore un peu de mal a se guérir. Un coup de cutter qui lui laissait une vilaine cicatrice et qui tardait a se faire oublier correctement. Même si les points de suture avaient refermés la plaie, elle restait encore un peu douloureuse, surtout après avoir reçu un coup comme celui là, mais c'était supportable, d'ailleurs Sasuke n'y prétait pas vraiment d'importance, la douleur diminuait déjà.

Il resta immobile, regardant Ranma se relever et ramasser ses branches de bois. Il ne fit aucuns commentaires a se sujet, il pouvait bien cueillir des pâquerettes si ca lui faisait plaisir ca ne changerais rien au fait que Ranma ne se mêlait pas des affaires qui ne le regardait pas. Peut être que Ranma était un collectionneur de bois... ou autre... qu'importe. Il du faire un effort surhumain pour ne pas succomber a l'appel de la nicotine. Fumer devant un membre de l'administration dans l'enceinte de l'école n'était pas une brillante idée... alors il se ferait violence et attendrait sagement d'être de nouveau seul pour s'adonner a son pêché favori. Il se pencha et attrapa au sol une branche qui trainait devant lui, intacte malgré la chute, il la tendit en silence a Ranma.

"Je survivrais..."

Fit-il en guise de réponse, remettant ensuite ses mains dans ses poches. Il prit le temps de regarder son interlocuteur un peu plus en détail. Il n'avait rien a voir avec l'homme qu'il avait rencontré quelques jours plus tot. Mieux habillé, plus propre sur lui, un air plus renfermé... Sasuke en arrivait même a se demander s'il s'agissait de la même personne que la dernière fois. Pour sa part il devait être bien différent lui aussi. Habillé comme un voyou, bien loin du costume sombre qu'il portait lors de leur dernière rencontre. Un baggy noir tenu a la taille par une large ceinture en argent aux motifs lugubre, une débardeur noir avec un crane gris dessiné dessus, des bracelets en cuir noirs, des chaines et des bracelets cloutés en pagailles... il n'avait rien a voir avec le jeune homme propre sur lui de la dernière fois, le jour et la nuit. Les cheveux en pagaille un peu décoiffés a cause de sa sieste improvisée, une mèche d'argent lui tombant devant les yeux.

"Vous avez récupérer votre moto?..."

Demanda-t-il par pur politesse...

Avec un peu de dignité intacte, Ranmaru accepta la branche comme si elle avait été un ibjet précieux, l'examinant quelques instants avant de la faire rejoindre les autres. Celle-ci avait une forme particulièrement élégante, courbée et enroulée à la fois et il voyait déjà dans quelle composition elle pourrait être mise en valeur. L'intendant inclina légèrement la tête en signe de remerciement, son regard étudiant avec curiosité la silhouette de l'étudiant, tellement différente de la fois précédente. Moins habillé, plus gamin, plus proche de l'idée qu'il avait d'un ronin hors de ses cours. Restait la voix, identique. Une légère moue passa, fugitive, sur le visage de Ran devant cette réponse plus que laconique. Il aurait pu frapper plus fort.

" C'est aussi pratique, les démarches administratives à faire dans le cas contraire aurait été fastidieuses."

Et surtout, pour le coup, il aurait difficile de faire avaler à quiconque que c'était lui qui avait frappé le jeune homme à l'allure de voyou, d'autant plus qu'était bien connu ses habitudes à lui d'éviter de s''approcher de qui que ce soit. Les apparences de toute façon... avec un certain malaise, il apprenait à passer outre, ou plus exactement à faire sans, quand il ne pouvait même pas avoir un premier aperçu de quelqu'un.
La question l'interrompit au moment où il allait tourner le dos et fuir en direction de son bureau. A moitié tourné dans une autre direction, le japonais reprit inconsciement sa posture première pour être bien en face du jeune homme et ainsi le voir correctement. Si lui faisait tout son possible pour ne pas faire remarquer ses soucis de vue, il avait fini par avoir des gestes et des tics pour compenser qui le trahissait sans vraiment qu'il n'y prenne garde. Tourner la tête complètement en direction d'une personne pour être capable de le voir, des mouvements un peu plus exagérés que la normale et cette inatention chronique pour ce qui n'était pas juste sous son nez et que Saeba venait de gouter sous forme d'un coup de pied.

" Elle a sagement attendu mon retour sans bouger du parking. Je n'ai vraiment aucun soucis pour conduire en pleine journée."

Pour quelle raison s'était-il senti obligé de se justifier et de rajouter la dernière phrase ? Certes, Sasuke avait pu témoigner de sa quasi-cécité dans l'obscurité mais... il ne lui devait ni excuse ni explication. Pourtant il restait sur la défensive, comme craignant qu'il se mette à crier sur tous les toits qu'il était dangereux, ou challenge son droit à conduire sa moto. Ce qu'aurait probablement fait n'importe qui, sauf que la plupart des gens n'aurait pas pousser le vice à l'aider malgré la manière peu délicate dont il l'avait repoussé.

" Je ne vous redemanderai pas de me servir de guide, ne vous en faîtes pas."

C'était peut-être ça la véritable inquiétude qui poussait Saeba à poser la question. L'idée qu'il puisse lui redemander son aide pour une raison ou une autre, comme mis en confiance par la dernière rencontre. Sur ce point, Ranmaru pouvait le rassurer : demander de l'aide ou le recevoir n'allait pas rentrer dans ses moeurs.

Une discussion semblable a toutes les autres, rien de bien exceptionnel si ce n'est le fait que dans cette discussion, ni l'un ni l'autre des interlocuteurs n'étaient bien bavard. Sasuke posait simplement les questions par simple politesse, mais il avait bien du mal a trouver un réel intérêt dans le fait d'avoir une réponse. Du moins en temps normal... mais il gardait bien en tête que Ranma était un individu dangereux pour lui. Il sentait déjà son effet, alors qu'il n'était en sa présence que depuis quelques secondes. Plus il le regardait, plus il lui trouvait des similitudes avec Shizare... et plus il avait envie de fuir. Il fallait qu'il trouve un échappatoire, un prétexte, peu importe, quelque chose pour s'éloigner de lui avant de.. s'attacher? C'était ca le mot exact? Est-ce qu'il était encore capable de s'attacher a quelqu'un? Non surement pas. S'éloigner avant qu'il ne lui trouve un semblant d'intérêt. Sasuke gardait toujours son air sombre et stoïque où aucuns sourires ne venaient se placer sur ses lèvres, son regard restait des plus froids et sa voix ne transportait aucunes douceurs. Si Ranma s'arrêtait a la façade, comme tout le monde, il n'y avait pas de soucis a se faire, tout se passerait pour le mieux.

Il hocha légèrement la tête a la réponse de Ranma. Il se doutait bien que le jeune homme était tout a fait capable de conduire sa moto en plein jour sinon il ne l'utiliserait pas. Et pour être complètement honnête, Ranma pouvait bien faire ce qu'il voulait, Sasuke n'était pas du genre comère portugaise, il s'en fichait complètement. S'il craignait que le yakuza ne répande une rumeur sur sa mauvaise vue, c'était bien mal le connaitre. Il tiendrait sa langue, non pas par compassion ou par pitié, ni même par gentillesse, mais uniquement parce que ca ne le regardait pas et qu'il avait déjà bien assez a faire avec ses affaires pour se permettre de s'occuper de celles des autres. Il ne jugea donc pas utile de répondre quelque chose a la réponse de l'intendant. Tout c'était bien passé c'était le principal. Il avait récupéré sa moto et Sasuke avait fait sa bonne action... Leur "lien" s'arrêtait a ca. Du moins Sasuke essayait de s'en persuader. Ce que Ranma rajouta a la suite le fit légèrement réagir... enfin intérieurement en tout cas car exterieurement il n'avait pas bouger d'un iota, gardant toujours la même expression impassible.

"Ca ne m'avais pas dérangé..."

Finit-il par dire en regardant Ranma intensément, gardant ensuite le silence plusieurs seconde sans le lacher du regard, sans se douter que ca pouvait gêner son interlocuteur. Il finit par dévier le regard pour observer le tas de branches qu'il avait dans les bras. Il avait vraiment de drôles d'activités... Et même si Sasuke se demandait a quoi pouvait bien servir ce tas de branches il se retiendrait bien de poser n'importe quelle questions. Il releva les yeux vers Ranma et esquissa un léger sourire... léger.. très léger.. infime.. presque imperceptible.

"Vous avez l'air occupé... Je ne savais pas qu'on récoltait du bois dans l'administration..."

Petite pique sans méchanceté... a croire que Sasuke était d'humeur taquine. Exceptionnel... mais qui n'allait surement pas durer bien longtemps. La bonne humeur chez Sasuke était aussi éphémère qu'un rayon de soleil a Stokholm...

" Moi si "

Quelques mots prononcés d'une voix à peine audible vinrent transmettre ce malaise qu'il tentait pourtant de cacher.
Ranmaru soutint le regard de Sasuke aussi longtemps que nécessaire, profitant du détournement de l'intéret en faveur de ses branches pour rompre ce contact un rien malsain. Qu'avait-il donc besoin de se justifier comme un ado en perte de repère ? Il n'avait jamais été particulièrement passionné de psychologie, et ses études ne l'avaient pas mené vers ce chemin, néanmoins, il en avait lu suffisament pour se documenter pour ses romans, pour savoir qu'il déclenchait un espèce de mécanisme de défense pour essayer de pousser Sasuke à reconnaître... qu'il était autre chose que la victime ramassée ? Il n'était même pas sur qu'en avoir conscience l'aide tellement. Ce n'était pas comme s'il pouvait demander directement une telle chose au jeune homme, sans compter qu'être tombé dessus, au sens propre, n'aidait pas à rassurer son ego. Il allait devoir se débrouiller pour faire avec.

La petite pique tomba à point nommé pour détourner ses pensées des cercles qu'elles faisaient dans la plus grande joie. Ran darda un regard agacé au possible sur le grand dadet habillé comme pour une virée dans un bar mal famé, près à défendre bec et ongles son ikebana, même si celui-ci n'avait jamais été insulté, ni même seulement évoqué dans l'affaire.

" Avec quoi croyez-vous que les élèves fainéants soient disciplinés ? "

La réponse sarcastique n'avait pas attendu longtemps pour fuser, sur ce même ton suave qu'il employait dans une conversation normale. Probablement parce qu'il s'agissait de sa conversation normale la plupart du temps, quand il n'avait pas d'effort à faire en particulier.

L'intendant baissa ses yeux sur ses branches, les examinant à nouveau avec attention, essayant de les percevoir avec l'oeil d'un néophyte et pas le regard attentif de quelqu'un qui sait ce qu'il veut en faire et toute la beauté qui pourra en naître. Difficile, si ce n'était impossible. Se mettre à la place des autres, s'ouvrir un peu aux autres n'était définivement pas quelque chose dans lequel il excellait ou souhaitait mettre beaucoup d'efforts.
Habituellement, ceux qui le voyaient avec ce genre de branches dans les mains savaient déjà à quoi s'en tenir.

" En l'occurence, c'est pour faire de l'ikebana au sein du club d'art traditionnel. Vous voyez ce que c'est ou est-ce qu'il vous faudra la définition ?"

Mordre la main tendue... sa spécialité. D'un autre côté, dire les choses gentiment, dans quel intéret ? La plupart des gens ménageaient la sensibilité des autres pour se faire des amis et avancer sereinement dans une sphère sans conflit. S'il acceptait de tolérer ces pratiques au sein de son lieu de travail, sa vie privée par contre, en était exempte.
Certes, le fait qu'il soit sur son lieu de travail avec un élève aurait du le mettre sur le chemin du premier comportement mais... après avoir pénétré de manière aussi directe dans sa vie privée que l'avait fait Saeba, il avait du mal à le laisser à la même place que tous ces autres élèves sans nom qui peuplaient le lycée.

L'appel de la nicotine se faisait de plus en plus forte... il savait qu'il était drogué mais a ce point là, ca devenait difficilement gérable. Shizare serait là il lui aurait déjà mit un chewing gum dans la bouffe en lui disant que c'était quand même plus agréable comme gout que celui d'une cigarette, et il aurait rit... et Sasuke n'aurait plus eu envi de fumer. Il avait ce pouvoir là, de faire passer ses mauvaises habitudes aussi facilement avec un simple sourire, avec un simple mot. Et depuis qu'il n'était plus là Sasuke enchainait un paquet de cigarette par jour, dans les moments les plus calmes... Et là en face de Ranma il se sentait stressé, il avait besoin d'une clope, besoin de sentir la nicotine dans ses veines, dans ses poumons, besoin de sentir son pouvoir malsain agir sur ses nerfs.... et il ne pouvait pas! C'était frustrant. Il resta complètement stoïque quand Ranma répliqua a propos des branches. Les élèves fainéants? Aucuns risques pour lui donc. Contrairement aux apparences, Sasuke travaillait dur. Il resta donc immobile et sans la moindre réaction ni expression sur son visage, gardant les mains dans ses poches en regardant Ranma.

Il s'attendait a ce que la discussion soit close, que Ranma reprenne son chemin sans rien lui demander de plus.. ca lui aurait suffit. Mais contre toutes attentes voila que le jeune intendant lui apprit que les branches était là pour l'ikebana qu'il faisait au club d'art traditionnel. Il choisit d'ignorer le reste de sa réponse, toujours aussi sarcastique... Sasuke garda son calme a toutes épreuves, gardant le même visage impassible alors qu'un léger coup de vent fait tomber devant ses yeux une mèche argentée. D'un mouvement de la main il ramène ses cheveux en arrière histoire de dégager sa vue, gardant les yeux rivés sur Ranma, avant de remettre sa main dans sa poche, dans un calme serein.

"J'apprécie..."

Fit-il simplement en regardant les branche d'un oeil différent maintenant qu'il connaissait leur utilité.

"L'ikébana... je trouve ca .. apaisant..."

Finit-il par dire, conscient que la simplicité de sa réponse avant ca pouvait porter a confusion. Il se souvenait avoir fait un peu d'ikébana a la demeure familiale, entre deux entrainements, soit disant pour apaiser l'esprit et affiné les sens. Il n'avait jamais bien compris le sens de cette pratique pour devenir un bon yakuza... et il ne le comprenait toujours pas d'ailleurs, mais le fait de se concentrer sur quelque chose de paisible lui avait fait du bien. C'était surtout le fait de pouvoir toucher des choses fragiles pour les mettre en valeur, avec ses mains tachées de sang, qui lui faisait prendre conscience qu'il était encore capable de créer des choses... et pas seulement de les détruire.

"Aussi étonnant que cela puisse paraitre a vos yeux de grand sarcastique a l'oeil critique... je suis plus cultivé que j'en ai l'air..."

Une phrase qu'il avait prononcé sur le même ton monocorde et désabusé que d'habitude.

Ce ne fut pas un regard exempt de compréhension, ou poliment gêné qui accueillit sa déclaration, mais bien un regain d'intéret pour ses branches disparates tandis que le jeune homme déclarait son appréciation de l'art floral avant de se justifier sur un ton morne qui finit par arracher un bref sourire à l'intendant. Il avait souvent entendu ce genre de réplique, mais jamais avec un tel à-propos, et jamais d'une manière qui lui fasse reconnaître que oui, il était véritablement surpris. L'ikebana n'était pas forcément l'art le plus simple à apprivoiser et d'apparence, se mariait difficilement avec l'allure qu'avait présentement Saeba. Avec le jeune homme en costume qui l'avait ramené un soir et qui semblait plus vieux, si il semblait déjà mieux se coordonnait.

" Encore heureux. J'aurais été fortement déçu de savoir qu'un jeune homme qui prend le temps de prendre des cours du soir dans un lycée qui n'est pas réputé pour son laissez-aller n'ai aucune culture. Et ce même si c'est ce que son allure laisse croire. Par moment."

Il avait rajouté ces deux derniers mots sur un ton considérateur qui tranchait sur le ton légèrement amusé qu'il avait utilisé pour sa tyrade. Pour un peu, il aurait pu donner le change et faire croire qu'il plaisantait réellement avec Sasuke, et non de lui. Mais ça aurait été voir loin et le croire encore capable de sens de l'humour et d'être capable de communiquer autrement que sur un mode sarcastique avec une autre personne. Bien trop de critères difficiles à concevoir pour lui. Mieux valait mettre sa relative sociabilité sur le compte d'une phase de la lune ou de l'air du vent.

L'intendant fixa un instant le jeune homme avant de céder à la curiosité, présentant pour une fois un visage sincèrement curieux et non marqué par l'agacement d'être en compagnie. L'ikebana, comme la moto ou la littérature, était un de ces sujets avec lequel il arrivait à outrepasser sa réserve naturelle pour avoir une conversation presque normale quand l'occasion s'en présentait. Certes, il fallait déjà que son interlocuteur n'ai pas fui dans les 5 premières minutes de discussion.

" Vous en avez déjà fait ? "

A l'instant présent, dur d'imaginer le jeune homme penché avec intéret sur une composition florale. Mais les mains caleuses et un peu froides qu'il avait eu autour de son poignet il y avait quelques nuits avaient toute la finesse et la dextérité requise pour un tel art, précises sans jamais être brutales. Il était rare qu'il puisse contempler de près les mains des gens, ou pire, qu'il en est un avis après les avoir senti sur lui. Il aurait pu se sentir géné d'une telle constation, mais il arrivait facilement à occulter ce genre de détail quand entrait en ligne de compte une de ses passions.
Quel genre de composition correspondrait au jeune homme ? Etrangement, ou surement à cause de leurs deux rencontres, il imaginait quelque chose de lié à la montagne, basé avec des branches et des pierres et cette végétation dure qui ne poussait qu'en altitude. Quelque chose de dur à aborder pour un néophyte, avec une beauté loin des critères plus standarts.

Ranmaru semblait étonné... C'était si difficile a croire que Sasuke pouvait s'intéresser a des activités calmes et apaisantes? Sans doute. Lui même arrivait parfois a s'étonner quand il prenait le temps de livre un bon roman ou de s'extasier dans une exposition de photos... ou devant une composition florale. Il avait eu bien du mal a saisir l'importance de l'ikébana. Même son père n'avait pas su lui expliquer, prenant la traditionnelle excuse: tu comprendras plus tard. Le "plus tard" était arrivé et effectivement, il comprenait. Il était capable de créer quelque chose de beau, capable de façonner les choses a sa façon, comme il le souhaitait, comme il en avait envie, sans suivre des ordres, sans obéir a une autre volonté que la sienne, juste en écoutant son instinct, en laissant aller ses envies, il était capable de concevoir des choses qu'il pouvait regarder sans en avoir honte, sans détourner le regard. Et ca l'apaisait, ca le réconfortait de savoir que quoi qu'il puisse arriver, peu importe le sang qu'il pouvait avoir sur les mains, peu importes le nombre de spectres qui le suivraient, quoi qu'il arrive: il serait toujours capable de créer quelque chose de beau. Ce qu'il était devenu ne lui enlevait pas sa capacité de créer des choses, même si son "travail" constituait la plupart du temps a en détruire d'autres.

Il fut surprit de voir qu'il avait capté l'attention de Ranma sans vraiment le vouloir mais il n'en montra rien, restant toujours aussi stoïque que d'habitude alors qu'il aurait juré voir un sourire sur les lèvres de son interlocuteur. Son coeur rata un battement, ses yeux restèrent figés... Là, juste a l'instant... Sasuke aurait juré que c'était le même sourire que Shizare. Il sortit de ses pensées et regarda les branches. Ranma devenait dangereux, trop dangereux, un ennemi qu'il ne pouvait pas abattre. Il devait fuir! Vite! Avant qu'il ne soit trop tard! ... Et voila qu'il lui posait déjà des questions. Trop tard... Sasuke savait qu'il suffisait qu'il ne réponde pas, qu'il tourne les talons et qu'il coupe court a la conversation. Qu'il abandonne Ranma ici et maintenant. Il lui en voudrait surement et ne lui adresserait plus la parole, ne chercherait plus a s'approcher de lui... C'était un bon plan! Mais il n'en avait pas envi. Il voulait continuer de parler avec lui, enfin si on peu appeler ca parler, vu le niveau de dialogue qu'il y avait depuis le début de leur rencontre, il n'y avait pas de quoi remplir un carnet.

"J'en ai fait... pendant trois ans.... Je n'en fait plus..."

Fit-il simplement alors que des souvenirs lui revenaient en tête comme une déferlantes. Le sourire de Shizare, ses éclats de rire, le son de sa voix quand il disait a Sasuke qu'il n'était pas assez patient. Et cette façon qu'il avait de lui caresser les cheveux quand il avait enfin réussit sa composition. Il ne s'était jamais extasié avec énergie.. a chaque fois il regardait son oeuvre avec douceur, son sourire apaisant venait trouver sa place sur ses lèvres et il disait d'une voix calme:"C'est joli... Sasuke". Et ca suffisait au Yakuza... qu'il trouve ca joli, que ca le fasse sourire de cette façon.. juste pour sentir les doigts de Shizare se perdre dans sa chevelure. Il avait le regard perdu dans le vide, perdu dans ses pensées.... jusqu'a ce qu'un mot ne passe la barrière de ses lèvres sans qu'il ne s'en rende compte.

"Le Lys..."

Il réalisa qu'il avait dit ca a voix haute et reposa son regard sur Ranma, toujours aussi stoïque.

"J'y mettais toujours... du Lys..."

Fit-il en soupirant légèrement. Le Lys blanc... la fleur préférée de Shizare. Il se passa une nouvelle fois la main dans les cheveux pour passer a autre chose, regardant de nouveau les branches que Ranma portait.

"Il y a une exposition d'ikébana en ville... vous devriez aller y faire un tour..."

Ne plus en faire... Pouvons-t-on arréter un jour de voir la beauté ou de vouloir la créer ? Aussi niaise que puisse sembler la question, l'écrivain avait un avis arrété sur la question, et bien rêveur pour quelqu'un d'aussi cynique habituellement. Peut-être la seule trace réellement visible de son côté d'écrivain romantique. Le jeune homme pouvait bien avoir arréter de créer, il en restait forcément des traces dans sa manière de considérer le monde autour de lui. Il se refusait à croire qu'on pouvait avoir été une fois touché par quelque chose et ensuite se refuser à le rechercher à nouveau. C'était là bien ironique comme manière de penser, surtout chez lui, mais il n'avait jamais clamé être une personne parfaitement logique, d'autant plus quand il n'y avait nul témoin pour pointer du doigt ce fait.

" Du lys ? C'est une fleur particulière... forte, qui a tendance à dominer sur les autres. "

Pensif, Ran considéra l'usage de cette fleur dans une composition, mais elle était loin d'être sa préférée. Son odeur entétante, son visuel imposant... une fleur belle, trop belle à son gout. Trop éclatante. Il préférait les alliances plus discrètes et suaves, quelque chose qui brillait un peu moins. Peut-être devrait-il essayer de faire un ikebana avec des chardons, la fleur lui conviendrait parfaitement. Il secoua la tête pour déconnecter cette pensée parasite, mais ô combien amusante, tout en ce doutant qu'il essaierait certainement de le faire la prochaine fois qu'il en aurait l'occasion. Un chardon et un lys ? Intéressante combinaison.

La notion de l'exposition fit disparaitre instantanément le sourire qui s'était déposé sur son visage à l'évocation de l'ikebana, comme un papillon effrayé par un mouvement de vent un peu trop violent. D'aucun aurait pu lui trouver d'un tempérament cyclothymique, à ainsi virer d'humeur en quelques secondes. Certains mots avaient simplement l'effet d'une bombe à retardement sur son esprit.

" La fameuse exposition de l'école Ikenobô à l'hotel Keio Plaza... elle a fait parler d'elle parce que le thème choisi est la lune. Elle n'est donc ouverte que la nuit. "

L'intendant haussa délicatement les épaules. Nul besoin d'en dire plus, le rônin pourrait parfaitement assembler les tenants et les aboutissants de sa déclaration. Etrange comme se renseigner sur les horaires d'une simple exposition pouvait mettre le moral à zéro avec la même facilité qu'un bain dans de l'eau glacée. Se le voir rappeler faisait presque aussi mal. Presque. Il pouvait presque voir ça comme un détail contrariant dans sa vie, comme le rouquin dans le même appartement que lui ou le bourdonnement des abeilles non loin de sa fenêtre. Rien qui ne puisse d'ignorer avec quelques efforts.

Soudain, les branches dans ses bras lui parurent trop lourds à trainer, un fardeau impossible à jeter. Il eut presque envie de les jeter à ses pieds, mais l'idée de la mise en scène dans lequel il risquait de se placer le dégoutait par avance. Les serrant contre lui, Ran dirigea son regard vers le batiment Showa, non loin.

" Je vais ramener ça au club. Bonne journée Saeba-san."

"Forte, qui a tendance a dominer les autres"... la description qu'il venait de donner de la fleur e Lys ne correspondait pas a Shizare. Pas du tout. Lui qui était si discret, si effacé, si fragile... A l'entendre de cette façon on aurait plutôt dit qu'il parlait de lui. Le Lys... une fleur qui le poursuivait. Il en avait fleurit la tombe de son père après l'enterrement, comme celle de Shizare d'ailleurs. Entre roses roses et Lys blanc... entre le pourpre du sang et la blancheur de l'innocence. Cette fleur lui rappelait trop Shizare... alors il c'était éloigné de ces choses là. Il avait arrêté l'Ikébana, il évitait les jardins de fleurs .. mais il était bien obligé d'admettre que ca lui manquait. Il n'avait plus aucuns moyens d'expression a part la violence, il avait l'impression qu'il ne pouvait plus rien créer, qu'il ne faisait que détruire les choses, comme s'il avait perdu sa muse et qu'il restait vide de tout sentiments incapable de créer quoi que se soit qui ait vraiment du sens a ses yeux.

Il n'aurait pas cru que l'annonce de l'exposition d'art florale aurait cette effet dévastateur sur le visage de son interlocuteur. Il resta stoïque, il devait y avoir une raison a tout ceci.. et effectivement il y en avait une de taille que Ranma lui donna. Sasuke aurait volontiers grimacé d'agacement contre lui même mais il se retint, restant stoïque et silencieux en fixant Ranma qui avait fait part de son désir de rentrer, le saluant comme il se doit. Il avait l'air déçu de ne pas pouvoir s'y rendre... Le yakuza finit par pousser un léger soupire. Il s'apprêtait a faire quelque chose qu'il allait surement énormément regretter par la suite. Non pas parce qu'il se forcait mais parce qu'il était sur et certain de Ranma était un vrai danger pour lui et ce qu'il était devenu. Vouloir rester en sa présence, s'entêter a vouloir essayer de s'en approcher... c'était vraiment ridicule et ca ne le ménerait a rien de bon. Même lui il le savait. Il jouait avec le feu, il finirait par se bruler.. encore. Il avait déjà deux brulures a son actif... deux morts sur la conscience. S'il s'acharnait a vouloir se rapprocher de l'intendant, il en aurait bientôt une troisième. Et pourtant...

"Je... je comptais y aller... ce soir..."

Fit-il simplement en déviant le regard, observant un arbre un peu plus loin qui avait soudain un intérêt crucial. Conscient que le cerveau de l'intendant était des plus tordu, il s'empressa donc de remettre les choses au clair tout de suite, histoire qu'il ne se fasse pas de mauvaises idées sur ses intentions ni même sur ses motivations! Il reposa son regard sur Ranma, gardant son air stoïque, toutefois on pouvait sans mal voir dans ses yeux qu'il était très sérieux dans ses propos.. et honnête également.

"N'allez surtout pas prendre ca pour de la pitié... c'est un mot qui ne fait pas partit de mon vocabulaire..."

Continua-t-il... et il avait complètement raison. "Pitié", "tolérance" et "pardon" n'étaient pas des mots qu'il pouvait se permettre d'utiliser. Il avait oublié ce genre de sentiments depuis qu'il avait accepté d'entrer dans le clan en tant que membre a part entière. Remettant ses mains dans ses poches, continuant de regarder l'intendant, Sasuke commençait a se dire qu'il c'était mit dans une situation bien délicate... et bien ridicule surtout. Qu'est ce qui lui prenait d'avoir autant de familiarités? Pourquoi avec lui? Peut être parce qu'il avait juste besoin de compagnie... et que Ranma semblait être le seul avec qui Sasuke avait le moins de chance de ressentir une gène. Il savait que Ranma n'allait pas le harceler de questions sur lui, qu'il n'allait pas fouiner dans sa vie... et qu'il avait quelque chose en lui, qui lui rappelait Shizare, et qui l'apaisait considérablement...

"Prenez ca comme une invitation... et vous êtes libre de refuser, ce que je comprendrais..."

Finit-il... restant immobile en attendant la réponse de son interlocuteur qui semblait pressé de rentrer a ses affaires.

Pendant quelques secondes, Ranmaru observa Sasuke avec surprise, s'imaginant accepter l'invitation. Profiter de la soirée pour contempler les fleurs, voir en discuter avec le jeune homme qui s'y intéressait réellement. Echanger des points de vue et des observations, quand à la technique ou le simple plaisir esthétique.Quelques secondes pendant lesquelles des mots d'acceptation se pressèrent à ses lèvres, séduit par la simple idée de quelques fleurs artistiquement arrangées.
Mais quand il ouvrit la bouche, ce fut pour émettre un véto total et violent, ses habitudes ayant repris droit de son esprit et paniquant à l'idée même de passer du temps avec quelqu'un autrement que dans le cynisme et l'opposition.

" Ce n'était pas une demande cachée Saeba-san. Je n'ai pas besoin d'escorte ou que vous serviez à nouveau de guide. "

Si, il en avait besoin, ce qu'ils savaient tous les deux et qui rendaient la situation d'autant plus douloureuse. Qu'importe les mots et la bonne volonté du jeune homme de ne pas le prendre en pitié, se voir retirer le simple de choix de pouvoir y aller seul ou accompagné changeait drastiquement son point de vue sur la possibilité d'y aller avec lui.
Et s'il n'y avait que ça... en toute honnéteté, Ran pouvait avouer que ce qui le paniquait le plus était l'idée de passer une soirée avec quelqu'un et d'apprécier sa compagnie, encore plus que devoir s'accrocher à son bras pour traverser un parking mal éclairé. L'un dans l'autre, rien dans ses images mentales ne lui donnait envie de sortir de son appartement pour les temps à venir.
Il était peut-être temps de le réaffirmer à haute voix pour en persuader Sasuke autant que lui. Vu le profil calme et peu passionné du jeune homme, cela suffirait à lui faire tourner son attention sur autre chose.

" Je ne veux pas d'aide. Je ne veux pas de compagnie. Bonne journée. "

Les sourires et son regard qui s'adoucissait quand il parlait des sujets qui l'intéressait étaient une simple passade au regard d'une réalité plus morne. Si Sasuke était renfermé et silencieux par nature, peu enclin au dialogue, il avait en face de lui quelqu'un de suffisament retiré pour mordre n'importe quelle main tendue, aussi tentante qu'elle lui paraisse. Le tout rendait le mensonge suffisament crédible pour qu'il y adhère lui-même, de toutes ses forces. Si il en était persuadé, qui pourrait lui dire le contraire ?
D'un coup, l'intendant regarda ses branches et les jeta au sol, frustré. Par la situation, par lui-même, par Sasuke, et par le monde entier pour couronner le tout. Elles n'attendaient plus qu'un geste de sa part pour donner toute leur beauté, mais en cet instant, il se sentait incapable de trouver ce sentiment en lui.
Sans un mot de plus il changea de chemin pour se diriger vers le batiment Edo, vers son bureau où il pourrait trouver une relative tranquilité.

Vous savez ce qui est déplaisant quand vous avez une épée de Damoclès au dessus de votre tête? C'est de se dire que c'est vous même qui l'avez mise là, juste au dessus de votre tête... et que vous n'êtes absolument pas étonné de la voir tomber comme un couperet de guillotine... C'est ce que se disait Sasuke. Il avait tendu une perche et il venait de se la reprendre dans la gueule de façon magistrale sans en être surprit le moins du monde. Il s'en doutait avant même de faire sa proposition a Ranma et il avait quand même voulu tenter le diable. Le résultat était là.. Ranma venait de refuser catégoriquement son invitation et Sasuke savait au fond de lui qu'il n'y avait strictement plus rien a rattraper. Il avait voulu tenter quelque chose, les choses c'étaient passées différemment de ce qu'il aurait voulu. Le yakuza garda tout de même un air stoïque et immuable, comme si les paroles de l'intendant n'avaient aucun impact. Alors que c'était tout l'inverse. En l'écoutant il se rendait compte a quel point il avait pu se tromper. Ranma n'avait strictement rien a voir avec Shizare, c'était le jour et la nuit, même s'il trouvait quelques similitudes... Le retour a la réalité des choses était des plus violentes mais Sasuke resta calme. Il était fait pour être seul, pour être loin des gens. L'idée de faire entrer Ranma dans sa bulle de privilégié n'était pas la meilleure idée qu'il avait eu.. loin de là.. et maintenant qu'il en était convaincu il ferait en sorte de ne pas refaire deux fois la même erreur.

Il regarda son interlocuteur cracher son venin sans réagir, restant calmement face a lui jusqu'a le voir jeter les branches au sol.. et partir. Il ne le retint pas.. il n'en avait pas l'envie. Il le regarda s'éloigner jusqu'a ce qu'il le perde de vue. Il resta seul, un long moment, très long moment, sans en avoir vraiment conscience. Il resta là a regarder le petit tas de branche a ses pieds, tout un tas de branchage que Ranma avait du mettre du temps a rassembler. Sasuke aurait pu pousser la gentillesse jusqu'a les lui ramener... oui il aurait pu s'il avait gardé une petite part de gentillesse. Ranma venait de la balayer aussi facilement qu'une tornade ne fait disparaitre un ballot de paille. Il fouilla dans sa poche et attrapa enfin sa cigarette longtemps désirée qu'il alluma en prenant plaisir a sentir la nicotine tomber dans ses poumons, lui arrachant encore quelques années de vie...

Il poussa un soupire et fit enfin volte face pour s'éloigner...

La fuite de l'intendant dura quelques mètres seulement, durant lesquelles ses pensées prirent le temps de refroidir et de se poser dans une espèce d'auto-dénigrement d'ironie. La notion nette qu'il s'était laissé guidé par sa peur lui rongeait les flans avec acide douloureux. A plusieurs étapes de sa vie il avait du se promettre de ne pas la laisser l'emporter sur son esprit logique. Devant les regards des objectifs, quand il avait commencé la moto, puis, plus récemment, quand il avait appris qu'il était en train de devenir aveugle. Il se l'était toujours promis et pourtant il vacillait maintenant, guidé par quelque chose qui n'était pas du dédain pour son interlocuteur, mais bien une crainte réelle.

Ses pas se ralentirent jusqu'à l'arret complet, avant qu'il ne fasse carrément demi-tour, les yeux plissés, revenant sur les lieux du crime où le jeune homme lui tournait maintenant le dos, désintéressé. Sans la voir, il devinait l'odeur de la nicotine portée par le vent. Ran inspira avant de se lancer dans une tirade bien plus difficile que toutes les remarques aggressives qu'il avait l'habitude de lancer à ses congénères. Pour lui, refuser les choses était tellement plus simple que les accepter... on pouvait au moins admirer sa manière de se débattre avant de se rendre à ses désirs. Pas étonnant qu'il soit si bon pour écrire ses romans.

S'adresser au coin du visage du jeune homme aux cheveux décolorés n'était pas plus génant qu'autre chose, voir même plus rassurant. Il ne sentait pas à égalité face à quelqu'un qui avait des yeux normaux. N'importe quelle excuse était bonne de toute façon...

" Ce n'est pas parce que je veux pas y aller seul ou autre chose. Mais bien parce que je veux profiter de cette exposition en pouvant en discuter avec quelqu'un qui saura l'apprécier à sa juste valeur. Je... si vous en avez toujours envie, retrouvez-moi à la salle du club d'art traditionnel en fin de journée. "

Le jeune homme s'agenouilla pour récupérer ses branches, une fois de plus, sans prendre le temps de vérifier lesquelles avaient souffert ou non. Il composerait avec, en ferait une ode à la colère s'il arrivait à concilier suffisament sa hargne et sa patience.
Peut-être – surement - ne le verrait-il pas. Une telle volte-face après l'avoir envoyé promener aussi brutalement ne serait au gout de personne. Avec une maestria sans pareil, le misanthrope grillait les plus infimes chance qu'il avait de sortir de sa réserve, avec d'autant plus de violence que l'intéret était réel. Il n'arrivait même plus à savoir lui même ce qu'il préférait comme réponse...

Sasuke n'aurait pas cru entendre de nouveau la voix de l'intendant et pour être parfaitement honnête il ne semblait pas vraiment faire attention a ce que Ranma pouvait lui dire. Il ne prit pas la peine de se retourner pour lui faire face, s'arrêtant tout de même dans son élan en continuant de fumer sa cigarette sans aucunes gènes. Il l'écouta d'une oreille distraite, du moins en apparence car intérieurement il en était tout autre. Il réfléchissait... a une vitesse hallucinante. Il pesait le pour et le contre, savoir s'il pouvait pardonner Ranma de lui avait ainsi cracher verbalement a la figure autant d'immondices, s'il pouvait passer l'éponge. Il pouvait comprendre que Ranma craignait les autres... Sasuke était pareil. S'attacher a quelqu'un était sans doute sa plus grande peur a l'heure actuelle, avec sa peur infaillible de ne pas être capable de le protéger. Il avait déjà deux roses rouges tatouées dans son dos pour preuve de son incompétence... il ne souhaitait pas en avoir une troisième.

Alors que Ranma continuait sa tirade, il finit par lui donner rendez vous le soir même, au club. Voila un retournement de situation auquel Sasuke ne s'attendait absolument pas. Mais il n'en montra rien et resta silencieux et immobile, toujours en lui tournant le dos. Il fallait saluer l'effort de Ranma... il avait prit la peine de revenir le voir alors que le yakuza s'attendait a ne plus en tendre parler. Le choix était difficile et il aurait besoin de prendre son temps pour y songer. Entre l'envie de se rendre a l'exposition pour revoir de nouveau la beauté de l'ikébana en compagnie de quelqu'un extérieur a son milieu... et la peur de s'attacher a quelqu'un.. le choix était dur. Il finit par soupirer légèrement, relachant un nuage de fumée blanche entre ses lèvres qui s'éleva dans les airs pour disparaitre en se dissipant. Il fit un pas... puis un deuxième... et il finit par prendre le rythme de la marche, s'éloignant de Ranmaru, sans un mot...

La réponse? ... Il la verrait bien ce soir...

[FIN]