Nous étions lundi matin, un peu avant le début des cours. Sachiko Nakagawa, perle blanche couverte du maillot noir de l’école était debout sur le plongeoir, immobile. Son regard se perdait dans le lointain et elle semblait en état d’attente. Elle n’était en réalité pas passive mais en train de se concentrer. Ses muscles se contractèrent et soudain elle plongea et fendit l’eau calme de son corps. Le bruit qu’elle provoqua sembla se répéter à l’infini aux alentours de la piscine tant il faisait calme. Quelques étudiants comme elle préparaient leurs devoirs inachevés ou leur matériel nécessaire pour les prochaines activités de la journée mais ils étaient très peu à être déjà dehors. La jeune fille n’en avait de toute façon rien à faire. Tout ce qu’elle désirait maintenant, était d’avoir le temps de profiter de la piscine pour travailler son 100 mètres nage libre et perfectionner son crawl – nage qu’elle maitrisait le moins.

Elle s’échauffa en faisant quelques longueurs en brasses puis passa à l’étape supérieure en crawlant pendant deux longueurs d’affilées. Elle sortit ensuite de la piscine et se prépara à plonger une nouvelle fois pour, cette fois, tenter d’améliorer son temps. Se rappelant la nécessité de se chronométrer, elle descendit de son starting block pour aller chercher son chronomètre resté dans son sac au bord de la grille. Tandis qu’elle fouillait dedans pour le trouver, une légère chaire de poule hérissa ses quelques poils.

« Ah, te voilà ! » s’exclama-t-elle toute seule.

Elle se releva et prépara l’appareil. Dès qu’elle fut prête, elle appuya sur « start » et plongea. Elle enchaîna les mouvements avec efficacité mais elle se rendit compte qu’elle n’avançait pas aussi vite qu’elle le voudrait pour battre son record. Lorsqu’elle eut terminées ses quatre longueurs, elle se précipita sur le chronomètre : 1’31’’.

« Rah ! » laissa-t-elle échapper, frustrée.

Elle sortit de l’eau et s’assit sur le bord, les pieds toujours dans la piscine. Elle regardait son chronomètre puis la piscine, la piscine puis ses jambes, ses jambes puis le chronomètre. Elle n’arrivait pas à améliorer son temps, distraite à l’idée de devoir enclencher elle-même le compteur. Cela l’agaçait mais pas assez que pour la pousser à demander de l’aide à une autre fille du club. Elle détestait l’idée de devoir les déranger pour aider une débutante comme elle. Le jour où elle leurs adresserait la parole (ou tout du moins échangerait des paroles autres que des banalités quotidiennes), ce serait d’égale à égales, en tant que participante aux compétitions.

Bien décidée, elle se remit en place sur le bloc en laissant tomber l’idée de se chronométrer pour l’instant. Elle allait repousser ses limites une dernière fois avant d’aller se rhabiller pour aller aux cours.


[HJ : La personne qui répondra peut décider d'agir avant ou après le nouveau plongeon de Sachiko tant qu'elle ne décide pas si elle nage bien ou mal. Voilà, merci o/]

On était lundi matin dans la dernière semaine avant les vacances. Seiji, comme tous les autres élèves, attendait non sans impatience que sonne l'heure de la délivrance. Ses résultats aux examens l'avaient remplis de joie, malgré une pointe de déception à l'idée de ne pas avoir pu atteindre les 90%. Il était toutefois fier de Tatsuya qui, lui avait réussi son coup, et à leurs yeux à tous les deux, la promesse des vacances aux Caraïbes était plus que méritée.

Pour l'heure cependant, il terminait de parcourir le chemin menant à la piscine de l'école. Une des jeunes filles de son âge s'y entrainait parfois avant les cours et, pour son dernier article avant les vacances d'été, il avait espéré pouvoir l'interroger. Dans la foulée, il irait sans doute voir les autres membres du club de natation, club qui à l'instar de celui de basket s'était particulièrement illustré aux précédents championnats nationaux.

Une certaine fébrilité l'habitait. Elle n'avait rien à voir avec l'idée d'écrire un article : c'était plus la perspective – tout à fait matérielle – de voir la jeune fille en maillot de bain qui lui fit hâter le pas et ouvrir la porte avec presque plus de force que nécessaire. Il l'a vit d'ailleurs sur le plongeoir, apparemment concentrée.

Elle plongea.

En attendant qu'elle remonte à la surface, le jeune homme s'approcha du bassin. Il évita seulement de venir trop près de l'eau pour ne pas salir les dalles tout au bord de la piscine.

« Tu nages vite. »

La jeune fille était tout près maintenant ; il avait suivi son trajet pour se poster non loin de son point d'arrivée. Maintenant qu'elle avait sorti la tête de l'eau et ne semblait plus aussi concentrée sur ses actions, il se permettait de la déranger. Un sourire aux lèvres éclairait par ailleurs son visage alors que l'eau cachait à sa vue ce qu'il aurait aimé voir. Réalisant le cours de ses pensées, il s'empressa de parler à nouveau pour redevenir un peu sérieux.

« J'espère que je ne te dérange pas. On m'a dit que je te trouverais sûrement là avant qu'on aille en cours de jap. Je voulais te parler. »

(Ah ces ados...)

Sachiko avait nagé avec toute l'énergie qu'elle avait en réserve. Elle avait senti son corps glisser sur l'eau et ses bras la faire avancer avec rapidité. Elle aurait voulu pouvoir s'imprégner de cette sensation durant les sélections pour le championnat car elle se sentait si forte en cet instant ...

Elle fit ses quatre longueurs sans trop de mal. Lorsqu'elle eut fini son entraînement, elle s'accouda au bord de la piscine, satisfaite. C'est alors qu'un bruit de chaussures frottant sur les dalles de la piscine attira son attention. Elle vit un élève s'approcher d'elle et ne se rendit compte qu'il parlait qu'au moment où elle vit ses lèvres bouger.

« ... nages vite. »

Elle le regarda, méfiante. Il n'était pas du club de natation mais plutôt de journalisme si elle se souvenait bien. Il était dans sa classe, elle le reconnaissait car ce beau parleur aimait à se pavaner entouré de sa cour. Elle avait l'impression que c'était un garçon qui semblait prêter énormément d'attention à lui et à l'opinion des autres. Aux yeux de la Japonaise, c'était différent d'elle-même qui aimait se faire apprécier des autres. Il ... exagérait, en quelque sorte. En résumé, il lui était plutôt indifférent même s'il n'était pas désagréable à regarder.

« J'espère que je ne te dérange pas. On m'a dit que je te trouverais sûrement là avant qu'on aille en cours de jap. Je voulais te parler. »

Sachiko était toujours dans l'eau et le fait de rester immobile se fit ressentir : une chaire de poule lui couvrit tout le corps. Il fallait donc qu'elle sorte de l'eau mais se montrer en maillot devant quelqu'un qui ne faisait pas partie du club la mettait mal à l'aise. Mais par dessus tout, elle détestait l'idée de lui demander de se retourner. Elle choisit donc l'option « mouillée ».

« Et de quoi voudrais-tu me parler Nakamura ? »

Un frisson lui remonta l'échine au même moment où une idée incongrue germa dans son esprit : elle eut tout à coup la crainte qu'il lui fasse une déclaration – car elle essayait de savoir ce qu'il lui voulait. Certes, elle avait déjà éconduis quelques garçons mais elle détestait faire ça. De plus, le faire en maillot de bain n'était pas la situation la plus confortable.

Elle n'était pas sortie de l'eau. C'était peut-être mieux ainsi, il était plus concentré, mais Seiji se sentit un peu déçu. Il n'en montra rien pourtant, habitué depuis des années à afficher toujours cet air souriant de circonstance, à la fois confiant et poli. Celui qui faisait des miracles en fait sur ceux qui l'entouraient, mais qui marcherait peut-être moins sur Nakagawa. Comme lui, elle aimait s'entourer des autres élèves. Comme lui, elle devait voir avec une certaine méfiance ceux qui faisaient de même. Le blond y ajoutait une certaine attirance : ceux-là lui plaisaient toujours bien plus que les sages moutons de Panurge.

« Hum, je suis du club de journalisme. Avant les vacances, je voulais écrire un article sur le club de natation. »

Il s'écarta d'un demi-pas à peine, laissant plus de place à la jeune fille si elle se décidait enfin à le rejoindre sur le bord. Au moins, ça leur éviterait un torticolis.

« Tu serais d'accord pour me dire un peu comment ça se passe ? Avec les compétitions et tout... »

Plusieurs questions avaient déjà été formulées dans son esprit. Il y avait songé un moment avant de venir la voir, peu désireux de se faire envoyer paître. Il ressentait aussi une certaine fierté à faire de bons articles – à essayer en tout cas, d'ailleurs il s'était promis d'aller voir le bibliothécaire à ce sujet. Clairement, le blondinet voulait être le meilleur du club, malgré l'aspect assez dissolu de celui-ci.

« On a encore un peu de temps avant les cours je pense. » Il regarda sa montre. « Un quart d'heure en fait. Ça te dérange ou tu préfères qu'on voit ça plus tard ? »

Le clapotis de l’eau accompagna les paroles de Nakamura. Sachiko se sentit tellement soulagée qu’elle faillit se laisser aller à soupirer. Mais fort heureusement, son éducation sévère l’aida à contenir cette expression de sentiment.

Il désirait donc l’interviewer. Elle trouvait l’idée étrange car elle n’était pas participante aux compétitions et championnats. Il aurait été plus intéressant pour lui de parler à une sempaï. Elle le dévisagea du regard, se demandant s’il y avait une intention cachée derrière cette démarche. Désirait-il autre chose que des informations sur le club ?

« … te dérange ou tu préfères qu'on voit ça plus tard ? »

« Euh … »

Sachiko se rendit compte qu’elle n’avait plus le temps de tergiverser et réfléchit donc avec efficacité. Si elle répondait bien aux questions de Nakamura, d’une part elle ferait bonne pub à son club – ce qui lui vaudrait peut-être un avantage dans les prochaines sélections, d’autre part ça pourrait l’aider à se faire apprécier par ses sempaïs du club – ce qui était également un avantage non-négligeable. La décision était donc prise. Elle releva ses immenses yeux vers lui.

« Très bien Nakamura. Tu vas m’attendre dehors pendant que je me change et tu me questionneras sur le trajet jusqu’en classe. »

Il n’y avait pas de questions, c’était plutôt un ordre. Comme pour atténuer cette autorité, elle lui fit un sourire timide parfaitement recherché et maîtrisé pour ce genre d’occasions. Combien de fois ne l’avait-elle pas utilisé contre son père !

Le sourire n'atténua que faiblement sa vexation. Il détestait qu'on lui donne un ordre. Si quelqu'un devait le faire dans cette école – lui donner un ordre, donc – il ne pouvait s'agir que des professeurs. Ou des élèves avec des responsabilités. Il l'acceptait de leur part et le tolérait de ses sempais. Pas de ses camarades de classe. Un bref instant il fut donc tenté de l'envoyer paître, puis il se dit qu'après tout sa demande était légitime. Il comprenait qu'elle ne veuille pas être reluquée.

« Je t'attends à l'entrée des vestiaires. » concéda-t-il en brisant le silence.

Sans attendre de réaction de sa part, il se détourna d'elle. Le bruit de ses pas sur le dallage s'atténua lorsqu'il pénétra dans le petit bâtiment des vestiaires, lequel fut rapidement traversé. Il alla s'installer devant l'autre porte de celui-ci, mais resta à l'intérieur. Même s'il était encore tôt, la chaleur commençait à se faire sentir dehors. Il s'en était rendu compte en restant près de l'eau.

Et puisqu'il n'avait rien à faire, il se laissa aller à ses pensées le temps que Nakagawa revienne vers lui. Entre ses mains, son appareil photo était trituré dans tous les sens. Il ne lui prêtait pas une grande attention, essayant plutôt de prévoir dans quel ordre il lui poserait ces questions. En fait, Seiji n'était pas bien sûr de se rappeler de toutes celles qu'il devait poser. Tant pis. La prochaine fois il prendrait un papier avec lui.

Finalement, son regard se posa vers l'objet qu'il tenait. Le jeune homme secoua la tête avant de jurer à mi-voix. A quoi bon l'avoir pris puisqu'il avait oublié de photographier la jeune fille quand elle était dans l'eau ? Habillée et à peu près sèche, ça avait tout de suite beaucoup moins d'intérêt... parce que ce ne serait pas représentatif de l'intérêt du club, bien sûr. Pas uniquement parce qu'il aurait bien aimé garder un souvenir de la jeune fille en maillot de bain.

Sa propre mauvaise foi lui arracha un demi-sourire amusé alors qu'il se retournait pour voir si elle arrivait. Juste à temps semblait-il : elle apparut effectivement dans son champ de vision à ce moment-là. Le garçon laissa donc son appareil photo retomber contre son torse – la cordelette de tissu autour de son cou le retenait – et lui dédia un sourire tranquille.

« Je pensais qu'il t'aurais fallu plus de temps pour sortir de là. On retourne au bâtiment Meiji en parlant ? Je suppose que tu vas pas emmener tes affaires en cours. »

Lorsque Nakamura entra dans les vestiaires, Sachiko sortit aussitôt de l’eau. Le temps de ramasser ses lunettes posées à côté du starting block, il était déjà sorti des vestiaires et elle n’avait plus qu’à s’y rendre pour se changer. Elle retira machinalement son maillot et se sécha rapidement, frictionna les racines de ses cheveux et les épongea avant d’enfiler son uniforme. Chaque geste était précis et efficace, aucune seconde n’était pas perdue à l’hésitation car l’élève Sachiko savait que le temps passait et qu’il allait être bientôt l’heure de commencer les cours.

Elle regarda son maillot encore humide un instant et hésita. Allait-elle faire faire le détour à Nakamura ? S’il le fallait, elle irait en courant jusque là mais ils n’auraient alors plus beaucoup de temps pour cette fameuse interview. Sachiko fronça légèrement les sourcils dans une moue agacée. Ce n’était pas vraiment le meilleur moment pour ça au final.

Elle sortit des vestiaires d’un pas vif, son sac pendant à son coude tandis qu’elle terminait d’attacher sa cravate et de la mettre en-dessous de son veston. Ses cheveux humides tombaient en une cascade quelque peu désordonnée sur ses épaules. Heureusement, la chaleur finirait de les sécher assez rapidement. Elle fut accueillie par Nakamura qui l’attendait sagement à la sortie.

« Ah ! Puisque tu le proposes, c’est plus simple. Je comptais en effet m’y rendre. »

Elle regarda l’heure sur sa montre, il leurs restait dix petites minutes.

« Nous n’aurons probablement pas beaucoup de temps pour parler au final. Mais ce sera déjà mieux que rien. Au pire, si tu as beaucoup de chose à me demander, on pourra continuer pendant un intercours. Qu’en penses-tu ? »

« Ça me va » déclara-t-il dans un sourire.

Son regard se perdit brièvement sur la jeune fille qu'il détailla de haut en bas. Il n'y avait pas à dire, elle attirait les regards et il comprenait pourquoi. Malgré son caractère dont il ne savait que penser, elle était tout simplement jolie et, comme lui, savait regrouper du monde autour d'elle. Pour autant, il lui semblait bien que leur ressemblance s'arrêtait à cette popularité. Ils n'avait jamais eu d'atomes crochus envers l'autre, si ce n'était cette attirance toute légitime qu'il pouvait ressentir... comme pour à peu près toutes les jolies filles qui lui passaient fréquemment sous le nez.

« Je ne pense pas qu'on en aura pour trop longtemps cela dit, je voulais surtout avoir ton ressenti. Comme tu es en première année et dans les petites nouvelles du club de natation du coup, j'ai pensé que tu pourrais donner un bon éclairage de l'ambiance dans l'équipe. Ce sera intéressant de confronter ça à ce qu'en pensent nos sempais. »

Il n'avait pas à proprement parler de question, mais son silence laissait clairement comprendre qu'il attendait une réponse. Seiji hésita néanmoins quelques brèves secondes avant d'ajouter quelques mots, précisant son intention et clarifiant pour Nakagawa ce qu'il attendait d'elle dans l'immédiat.

« Donc, que penses-tu de ton intégration dans le club ? » lui demanda-t-il finalement, triturant son appareil photo. Il faudrait qu'il pense à lui demander s'il pouvait la prendre avec. Ce serait moins représentatif qu'en maillot de bain, mais ça ferait l'affaire.

Spoiler:

« Mmh » répondit-elle dans un premier temps.

Sachiko réfléchit avant de répondre à Nakamura tout en se mettant en route d’une marche rapide. Décrire l’ambiance du club ? Oh, ce n’était pas bien compliqué mais elle voulait trouver les mots justes afin de donner une description des plus flatteuse du club.

« Je pense qu’on peut dire que l’ambiance du club est un parfait équilibre entre la camaraderie et l’investissement sérieux dans la natation. Ce que je veux dire par là, c’est que tous les membres du club, championne ou nouvelle arrivante comme moi, nous nous entendons toutes très bien. »

La jeune fille embellissait un peu la réalité. Pas qu’il y ait de sérieuses mésententes dans le club, c’était plutôt que tout le monde n’était pas ami avec tout le monde. C’était un club de filles et cela sous-entendait automatiquement qu’il existait des chamailleries et des coups bas. Bien que depuis la rentrée il n’y ait pas eu de catastrophe, on lui avait déjà expliqué qu’une ancienne sempaï avait retrouvé son maillot déchiré en lambeaux dans son casier. Une histoire de petit ami, sans grande importance mais qui eut comme répercussion le départ de l’élève et la perte d’une compétitrice.

« En même temps, Oshina-sensei est un excellent coach. Il veille toujours à ce que nous fassions notre entraînement avec beaucoup de sérieux. Sans lui, le club ne serait pas ce qu’il est actuellement. »

Alors que Sachiko s’essayait au rôle de vendeuse, elle et son camarade arrivaient au bâtiment Meiji. Elle releva la tête et lança un sourire timide à Nakamura.

« Tu m’attends ici ? Je me dépêche, promis ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait : Sachiko disparut à l’intérieur du bâtiment Meiji. Cela ne faisait que quelques mois qu’elle était arrivée mais déjà elle connaissait le bâtiment par cœur. Elle escalada les escaliers deux à deux jusqu’à l’étage des filles puis se jeta – avec bien peu d’élégance – dans sa chambre pour y jeter son sac. Elle en sortit rapidement son essuie et son maillot qu’elle accrocha aux barreaux de son lit. Avant de sortir tout aussi rapidement de la chambre, elle prit la peine de vérifier l’allure de ses cheveux et son uniforme. Ses cheveux étaient un peu rebelles mais à quoi bon, elle ne savait rien y changer.
Elle dévala les escaliers et s’arrêta une fois au rez-de-chaussée. Par chance, elle n’avait croisé personne dans les bâtiments, alors elle prit le temps de reprendre sa respiration. Elle jeta à nouveau un œil à son montre et vit qu’il leurs restait cinq minutes.


« Me voilà Nakamura ! » lui lança-t-elle avec un grand sourire une fois dehors. « Est-ce qu’il y a d’autres choses que tu voudrais savoir avant que nous arrivions en cours ? »

L'avantage d'être d'une famille assez aisée était, entre autre, le matériel qu'on pouvait se permettre d'acheter pour ses activités au club. Dans l'une de ses poches trainait toujours son petit microphone qu'il enclencha lorsque sa camarade commença à lui répondre. Pour le coup, encore peu habitué à s'en servir, il avait oublié de l'allumer en posant sa question. Il n'omit pas, cependant, de le sortir de sa poche pour éviter que le bruit de ses pas ne recouvre le son.

En la voyant monter, il hésita quelques brèves secondes avant de courir à son tour, décidant d'aller reposer son appareil photo dans sa chambre pour s'alléger. Il ne pourrait pas aller avec en cours, tant pis pour la photo. De toute façon, il lui semblait bien que l'équipe de natation avait un entrainement avant les vacances : il s'y rendrait à ce moment-là. Une pointe de déception le titilla tout de même. Malgré tout, le blond aurait bien voulu prendre Nakagawa seule, même si ça n'avait pas grand chose à voir avec leurs clubs.

Arrivé dans sa chambre, il posa son appareil photo sur son bureau, vérifia brièvement dans sa sacoche qu'il avait tout ce qu'il lui fallait et se dépêcha de redescendre. Il était encore un peu essoufflé lorsqu'il la vit débarquer devant lui, mais lui sourit largement.

« Hum... Ouais, juste une autre question. Vous avez des entrainements particuliers à l'approche des compétitions importantes ? » demanda-t-il en se remettant en marche en direction du bâtiment Showa.

Il marchait tous les deux d’un pas vif tout en continuant à parler. Elle lui lança un regard outré avant de se reprendre et de lui répondre.

« Evidemment ! Les compétitions ne sont pas prises à la légère dans notre club. Les heures habituelles des entraînements sont alors réservées à la compétition et surtout aux compétitrices. Nous – je veux dire les autres membres du club – devons toujours nous entraîner mais durant notre temps libre car nous ne devons pas les gêner. »

Une petite pointe, très légère, à peine existante, de jalousie pointa dans le cœur de Sachiko. Elle aimerait tellement être sélectionnée pour les prochaines compétitions ! Mais ce ne serait pas avant la rentrée et au vu de son jeune âge, elle n’osait pas trop espérer. Elle chassa cette amertume qui semblait vouloir envahir son esprit. Elle n’était pas là pour divaguer.

« Dans ce club, nous avons toutes la passion de la natation et cela nous permet d’être très soudée et d’avoir les mêmes objectifs. Les compétitrices prennent toujours leur rôle au sérieux et font leur maximum pour rendre honneur à l’école. »

Elle se tut, considérant cette remarque comme une sorte de conclusion car elle ne savait pas quoi dire en plus. Et comme elle n’aimait pas parler pour ne rien dire, elle préférait se taire. Ils arrivaient dans le bâtiment Showa et aussitôt le bruit du tumulte les envahit, les obligeant à se rapprocher pour pouvoir continuer à s’entendre. Le bras de Sachiko frôla légèrement la main de Seiji tenant le petit enregistreur. Comme à chaque fois qu’elle « touchait » un homme, elle sentit son cœur rater un bond. Ellecontint son trouble pour ne pas le montrer aux autres et, surtout, à Nakamura.

Le frôlement le laissa interdit l'espace d'une seconde. Malgré lui, le garçon baissa les yeux vers leurs mains, puis écarta la sienne avant de se redresser, fier et droit bien que encore un peu troublé. Ce n'était pas un contact voulu par la jeune fille. A la crispation qui s'était emparé d'eux simultanément, il en était certain. Les raisons n'étaient peut-être pas les mêmes cependant car les pensées qui s'agitaient dans son esprit n'étaient pas des plus innocentes.

Seiji aimait à charmer son entourage et se plaisait à provoquer l'envie chez les autres de venir vers lui. Il n'avait jamais vraiment essayé de séduire une fille : les demandes qu'il recevait régulièrement lui suffisaient, il n'avait aucun effort à fournir. Et en refusait de toute façon la plupart. Est-ce que dans un moment pareil un Don Juan en profiterait ? Elle était déjà un peu perturbée, après tout. Par jeu, le garçon laissa retomber sa main contre lui et frôla volontairement celle de sa camarade de classe.

« Depuis quand nages-tu ? » demanda-t-il finalement.

La question, quoi que bénigne avait tout de même son intérêt. Même si une part de lui était plus intéressée par la brune que par ses réponses, tout un pan de son esprit restait focalisé sur l'article à venir. Il faudrait bien l'écrire et il tenait à s'imprégner du comportement de Nakagawa. L'enregistrement ne suffirait pas, ce d'autant plus que les bruits de couloir risquaient de recouvrir le son. En y songeant, il releva sa main pour l'approcher du visage de la nageuse , réduisant la distance entre eux et se faisant, ce furent leurs épaules qui en étaient presque à se toucher. Encore une fois, il jouait et s'essayait à une discipline qu'il ne connaissait pas vraiment. Il fallait bien commencer un jour.

Il y eut quelques secondes de flottement entre les deux élèves. Sachiko détestait ce qu’elle ressentait à cet instant, cette sorte d’anxiété frôlant la peur. Elle détestait sentir son cœur battre plus fort à cause d’un garçon, sentir cette très légère pellicule de sueur commencer à recouvrir son front. Vraiment, elle détestait perdre ses moyens. C’était probablement son point faible : les contacts physiques. Son trouble était d’autant plus fort quand c’était un garçon. Evidemment.

Elle tentait de reprendre contenance en respirant calmement, concentrant son attention sur sa respiration lente, comme lorsqu’elle était en état de stress avant de commencer une compétition. Malheureusement ses efforts furent balayés par un autre contact un peu plus long avec le corps de Nakamura. Cette fois, elle ne put se retenir et eut le réflexe de bondir légèrement sur le côté en lui lançant un regard troublé. Elle ne put pas s’en empêcher, il allait le voir et elle ne saurait comment réagir, comment se justifier.

Finalement, la meilleure réaction était de ne faire aucun commentaire sur son comportement, lui chuchota sa conscience. Elle répondit alors à la question banale de Nakamura en tentant de prendre un air dégagé et de reprendre contenance.

« Je fais partie d’un club depuis que je suis entrée au collège. Déjà avant, j’aimais beaucoup nager alors c’était logique que je poursuive dans cette passion. »

Sachiko regardait droit devant elle et vit la porte de la classe 1-A. La libération ! Une fois en classe, elle pourrait s’enfuir de lui et s’asseoir à sa place, dans son coin et reprendre le cours normal de sa vie en redevenant l’élève modèle Sachiko. Ne plus être cette petite fille qui n’était pas habituée à ce qu’on la touche, qu’on entre dans son espace vital. Etre à nouveau elle-même, loin des troubles qu’un autre être humain pouvait lui causer.

Il ne trouva rien à répondre à la jeune fille, rien de plus en tout cas qu'une petite phrase toute faite sans importance. Devant eux, leurs camarades commençaient à rentrer dans la classe, se saluant entre eux, puis les saluant eux. Seiji éteignit le magnétophone et le rangea dans sa sacoche avec un sourire pour Nakagawa. Son bond ne lui avait pas échappé, pas plus que le fait de la perturber. Mais c'était une bonne chose de créer le trouble, non ? Le blond garda l'information dans un coin de tête alors qu'il se tournait une dernière fois vers elle. Il s'inclina brièvement.

« Merci de m'avoir accordé un peu de temps Nakagawa. »

Et si la jeune fille fila après lui avoir poliment répondu, lui se dirigea avec un enthousiasme non feint vers Konata et Yuki. Ses deux amis étaient en train de se dire bonjour, à l'évidence, et la mine mutine de la plus jeune promettait de croustillants commérages. Définitivement, leur trio était intenable dès qu'il s'agissait de ragoter : ils aimaient ça autant les uns que les autres.

Malgré cela, le blondinet ne put s'empêcher de jeter un œil sur la brune au fond de la classe. Quelques filles étaient venues vers elle et elle donnait l'impression d'avoir retrouvé son attitude normale, mais il était intrigué maintenant. Et se sentait un peu fier, aussi, d'avoir provoqué son émoi.